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katalin patkai

  • Entretiens avec Katalin Patkaï - 4° épisode

    Dans cet épisode:  L'argent-L'intermittence- La Danse est elle politique?- MILF- Une Outsider- Des budgets- Les subventions- Un mécène.

    Guy : Toi, j’ai l’impression que tu parles toujours de la vie dans tes pièces. Passons à un sujet moins drôle, je te propose de parler d’argent.

    Katalin : Je veux bien, mais je ne suis pas très doué pour ce sujet. L’argent c’est ce qui rend les choses possibles ou non. J’ai réussi des projets sans beaucoup d’argent… mais il en faut.


    Guy : J’aborde le sujet car il est d’actualité. Nous enregistrons cette partie de l’entretien fin juin 2014, et beaucoup d’intermittents du spectacle s’opposent à la convention Unedic signée en mars dernier. De nombreux spectacles sont annulés.
    Katalin : C’est délicat d’en parler. Je ne suis pas la plus concernée. J’ai longtemps fait sans. Je suis aujourd’hui intermittente mais je fais rarement mes 507..509, non 507 heures. On est souvent obligé de tricher à la marge. Je parle sans langue de bois. En fait je travaille beaucoup plus d’heures que ces 507 heures, mais comme il n’y a pas de sous, je ne peux pas être payée et déclarer toutes ces heures. Je suis obligée de solliciter ma famille pour ma compagnie, Je suis salariée de ma compagnie, et non présidente, car je n’en ai pas le droit. Je ne sais pas s’il faut dire tout ça….


    Guy : Pour dire les choses clairement et comme tout le monde en dehors de ton milieu ne connait pas le statut, disons qu’il faut que des employeurs te déclarent pour des répétitions et des représentations plus de 507 heures payées par an, pour que tu aies droit à être indemnisée.
    Katalin : C’est ça, mais il y a extrêmement peu de compagnies qui déclarent toutes les heures de leurs interprètes. En fait je n’en connais aucune.


    Guy : Ce qui doit arranger tout le monde c’est de déclarer juste assez d’heures, même peu payées.
    Katalin : Oui. L’autre jour je suis allée manifester au Philarmonique, porte de Pantin. Un journaliste a voulu m’interviewer, mais j’ai décliné, je l’ai renvoyé vers quelqu’un d’autre. Je ne suis pas au courant de l’accord dans les détails. Je ne sais pas s’il faut le dire, mais c’est mon compagnon Benjamin qui m’aide pour toute mon administration. En tout cas ils veulent amputer le régime. Le comble, c’est que c’est sous la gauche que ça va se faire. Pour ma part, j’ai toujours fait avec le peu que j’avais, mais je connais des gens dans des situations plus graves que la mienne qui n’arrivent pas à se débrouiller ; c’est injuste. D’un autre côté, j’ai des amies plasticiennes qui me disent que nous sommes complètement privilégiées. Mais même s’il y a des abus et des injustices, il y a des vrais travailleurs qu’il faut soutenir. Les intermittents ne sont pas des glandeurs.


    Guy : Tu es donc salariée d’une association qui s’occupe des créations de ta compagnie ?
    Katalin : Oui. Mais en fait, c’est moi qui fais tout. La salariée c’est moi, la direction, c’est moi. Mais sans association, il est impossible de demander des subventions. Si j’avais le choix de faire des créations sans subventions, je le ferais… mais de toute façon je n’ai pas beaucoup de subventions. Pour la dernière création, Jeudi, le financement est venu d’Anita Matthieu (la directrice des Rencontres Chorégraphiques internationales de Seine Saint Denis) et de moi-même.


    Guy : A combien se montait le budget de « Jeudi »?
    Katalin : à 11 000 €. Ugo Dehaes, qui a co-signé la pièce, a été à peine payé -1 000 €- pour tout le temps qu’il a travaillé. Le musicien Roeland Luyten a touché 1 000 €. Le reste est revenu aux deux interprètes : Justine Bernachon et moi-même, et pour payer les achats. Pour plus de 4 mois de travail, je n’ai pas eu de rémunération en tant que chorégraphe. Le financement est venu des Rencontres Chorégraphiques qui ont programmé le spectacle. Les Rencontres perçoivent elles-mêmes des subventions de beaucoup d’organismes, mais elles ont 26 compagnies à payer durant tout le festival. Mon association ne perçoit aucune recette des représentations du festival, les 11 000 € se répartissent en environ 4 000 € de cession de droit pour la représentation - l’achat du spectacle - et 7 000 € de subventions pour la production.


    Guy : Travailles-tu parfois selon d’autres types de contrat ?
    Katalin : Parfois en co-réalisation, mais rarement. Seulement quand je n’ai pas le choix, quand il n’y a pas d’argent pour me payer une cession de droit. Dans ce cas-là, le théâtre prend généralement 60 % des recettes et il te reste 40%. Dans un petit théâtre, s’il n’y a pas beaucoup d’entrées et si tu payes une interprète 400€ par représentation, tu en es de ta poche. C’est juste viable pour un solo. Après 10 ans de travail, ce n’est plus possible d’accepter des conditions comme ça. Cela revient à donner de l’argent pour jouer.


    Guy : Penses- tu qu’il y ait des conséquences de ces conditions de rémunération très basses sur la qualité des créations ?
    Katalin : Il y a des gens à la DRAC qui jugent que les créations sont de moins en moins convaincantes, de moins en moins abouties… Je ne crois pas. J’ai failli annuler Jeudi. Les Rencontres ne me proposaient que 6 000 € mais j’avais d’autres financements pour la production qui se sont effondrés. J’ai rappelé Anita pour annuler ; elle a insisté et a réussi à rallonger la subvention. Ugo a accepté de ne pas être payé ou presque. C’est fou. Heureusement que je suis entourée de gens comme lui. Sinon je ne fais rien. Le musicien m’a dit que je le paierai quand je serai célèbre. Ce qui est improbable, je le crains! Ce n’est pas possible de gagner de l’argent en faisant des spectacles. Une fois que tu es d’accord là-dessus, ça ne change rien à ton implication, tu travailles à fond.


    Guy : Même si je ne suis pas d’accord avec toutes les argumentations, je comprends la violence des intermittents qui manifestent…
    Katalin : Oui. Comme tout le monde dans ce métier, je ne calcule pas mes heures. Je fais le triple, le quadruple de ces 507 heures. J’ai travaillé 4 mois sans m’arrêter, de 9 heures à 18 heures, plus le soir, c’est incalculable. Alors que le Philharmonique, même si ça sera une super salle, ça va coûter des milliards.


    Guy : Les politiques préfèrent les grands travaux qui se voient de loin.
    Katalin : Alors que tu entends des gens dire qu’il y a trop de spectacles au « In » d’Avignon, se demander si c’est vraiment nécessaire… Le « In » est déjà une sélection. On ne peut pas continuer à raboter.

    Guy : C’est clair que le travail culturel – y compris celui des écrivains et les plasticiens - est rémunéré d’une manière indigne. Ceci dit, il y a bien - quoi qu’on en dise, un déficit du régime des intermittents. Quelqu’un doit le payer. Est-ce qu’il n’y a pas trop de travailleurs trop mal payés maintenus dans un état de survie par ce régime. Je ne suis pas sûr que ce soit aux entreprises privées extérieures au secteur du spectacle (sauf le fameux cafetier d’Avignon) de financer via les cotisations la politique culturelle au prix des créations d’emplois. Est-ce alors à tous les contribuables de payer ? Mais c’est plus facile politiquement de laisser filer les déficits sociaux que d’augmenter le budget de la culture. On se construit un ennemi idéal avec le Medef mais du coup on élude ainsi d’autres questions qui peuvent déranger des acteurs du milieu culturel.
    Katalin : Tu te tiens très au courant ! Penses-tu que nous sommes trop nombreux ?


    Guy : En tout cas vous n’êtes pas assez bien payés.
    Katalin : Ce sont les théâtres qui payent les intermittents. Ils n’ont pas assez d’argent, ils nous sous-payent. C’est un cercle vicieux. Je ne sais s’ils calculent qu’on sera de toute manière payé par les indemnités de Pôle Emploi. Le Théâtre de Vanves paye mal, mais on est tous trop heureux d’aller y jouer. C’est vrai qu’il y a de plus en plus d’artistes. Mais ce n’est pas à nous de juger. La société a vraiment besoin de ça. Je crois vraiment à un art social.


    Guy : Toi-même, à quoi sers-tu ?
    Katalin : C’est drôle ; je discutais avec Raphaëlle Delaunay ce matin. Je suis contente : elle s’intéresse au café associatif que je monte à Pantin et pourrait y donner des cours. Elle me disait qu’elle voulait se consacrer à des activités plus tournées vers les autres que les créations de danse ! En tant qu’artiste, j’ai parfois le sentiment de ne pas servir à grand-chose. Je suis convaincue qu’il faut que je fasse des spectacles, mais je ne sais pas si cela fait avancer les choses. Pourtant mes artistes références sont des artistes politiquement engagés, des autrichiens par exemple. Mais c’est frustrant de vivre dans un tel système de culture policée… On joue dans des festivals officiels…. C’est très calme. Je suis allé voir l’autre jour aux Rencontres chorégraphiques le spectacle d’un américain qui vit en Belgique : un spectacle très savant, avec beaucoup de références philosophiques, sur le thème du procès. C’était fait au cordeau, très intelligent… mais hyper ennuyeux. Tout ce qu’il dénonçait, il le dénonçait devant une salle acquise d’avance, avec la bonne conscience de l’élite. Ça ne sortira jamais de la salle, et tout le monde est content. J’ai peur de faire ça.


    Guy : Ton père est parti de Hongrie pour des raisons politiques, à l’époque de la révolution réprimée par les communistes ?
    Katalin : Oui, c’était en 1956, lors de l’intervention des chars de l’Union soviétique en Hongrie. Mon père était jeune, il n’était pas encore l’artiste qu’il voulait devenir. Il est passé ensuite par l’Angleterre, la France, a essayé d’être comédien. Il avait des idées politiques. Mais quand tu parles de ton pays, je ne sais pas si tu te sens l’envie de reprendre le flambeau d’engagements aussi forts.


    Guy : Tu ne me donnes pas le sentiment de créer de pièces très politiques.
    Katalin : Je pense que si… Il est vrai qu’au départ il y a une nécessité organique. Comme en ce moment celle de créer quelque chose avec mon fils, mais pourquoi ? Pour rendre service ? Pour apporter quelque chose pour moi, pour mon fils, pour d’autres ? Quelque chose qui soit transmis en tout cas…


    Guy : Ta pièce la plus évidemment politique, sinon la plus sociologique, est sans doute MILF qui a été créée en 2013. J’ai relu une critique de Thomas Hahn, qui écrit « Katalin Pakaï lance un vaste débat autour de l’image de la femme ». Comme si tu présentais un documentaire ! C’est vrai que le sujet est bien identifié, tu as recueilli des témoignages de certaines d’entre elles. Tu t’es aussi inspirée de ta propre expérience de mère.
    Katalin : Je suis contente que tu reparles de MILF. Je voudrais vraiment que ça se rejoue. L’enjeu c’est de chahuter les choses. Ma propre expérience, je l’ai partagée avec d’autres femmes. On se raconte des choses très intimes, des choses hallucinantes pour elles, pour moi. Je raconte qu’enceinte, j’ai demandé à un éphèbe de prendre des photos de moi dans des situations pornographiques. Il y a des témoignages qui m’ont laissée sans voix. C’est étonnant ce que les gens ne disent pas, en temps normal. Ce sont des expériences irracontables, mais que les interprètes donnent sur scène pour créer un spectacle. C’est leur générosité qui crée une œuvre commune. Avec MILF, je ne parle pas qu’en mon nom. Je ne serais pas capable d’en faire un documentaire ; ce serait plat et indécent.

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    Guy : Par la danse, peux-tu raconter l’irracontable, l’indécent ?
    Katalin : Oui, je crois. La transfiguration permet d’aller au-delà du récit. Surtout de ne pas rester au premier degré. Je n’arrive jamais à parler au premier degré. Ce qui provoque d’infinies difficultés à mon entourage pour me comprendre ; je parle toujours au second degré. Sauf en ce moment, où là, tous les deux on discute sérieusement !


    Guy : A propos de décalage, MILF commence par une scène plutôt grotesque, même ridicule, tu entre enceinte et habillée en insecte.
    Katalin : Je ne sais pas si c’est grotesque… Oui, c’est grotesque quand même. J’ai fait un pied de nez à ce qui m’énerve dans la danse. Ces codes gestuels, si éculés. Un pied de nez à une danse contemporaine qui est trop fermée. Les chorégraphes disent qu’ils essaient de réinventer les mouvements, mais je ne suis pas convaincue. L’idée même du code me crispe.


    Guy : Tu fais partie de ce monde de la danse, mais tu me sembles occuper une position extérieure en quelque sorte. Comme un outsider. Dans un milieu où la plupart des chorégraphes ont une formation de danseur au départ. C’est l’une des choses qui m’intéresse dans ton travail, et qui m’a donné envie d’avoir cet échange avec toi
    Katalin : Bien sûr, je suis un outsider. Le métier me rejette en tant que danseuse. C’est comme ça. Je n’ai pas le bon C.V. Il y a d’autres gens atypiques qui eux sont acceptés, comme Philippe Quesne, qui est plus dans le théâtre, et Xavier Leroy, mais lui a inventé un truc incroyable. Je suis parfois regardée de travers, notamment par la DRAC, qui représente l’art officiel. Je leur en veux, encore que maintenant cela me fasse plus rire qu’autre chose. Maintenant j’ai un regard grinçant, et la dent dure.


    Guy : As-tu forcément besoin de l’appui de la DRAC quand tu es chorégraphe ?
    Katalin : Pour la reconnaissance que cela traduit, ce qui t’aide à être programmé. Et puis avant tout pour l’argent. L’aide à la création est de 10 000 €. Quand tu as obtenu plusieurs fois l’aide à la création tu peux obtenir une aide à l’année pour ta compagnie. Je l’ai mauvaise quand il y a des gens que je connais – mais je ne leur en veux pas car je les aime bien - qui sont aidés après un an ou deux de travail, alors que je n’obtiens rien, moi qui aie été beaucoup programmé. Cela fait pas mal de temps que la DRAC dit clairement qu’elle ne veut pas m’aider. Mais je voudrais éviter d’être aigrie, comme beaucoup de gens qui manquent de la reconnaissance par l’argent.


    Guy : Tu survis en exerçant ce métier depuis plus de 10 ans.
    Katalin : Parce que je suis intermittente. C’est pour ça que le statut est si important. Tant que je pourrai faire mes pièces… Et aujourd’hui c’est trop tard pour faire autre chose. Je ne sais rien faire d’autre. Avant je souffrais, comme beaucoup d’artistes, de ne pas savoir gagner d’argent, de faire un métier peut-être inutile. Je me trouvais nulle. Plus j’ai essayé de faire des boulots alimentaires, plus j’ai connu des moments de déprime, à pleurer. Je suis très dépressive en fait. Mais je me soigne. J’accuse le coup face aux évènements. Quand j’étais jeune et que mes parents se sont séparés, je suis partie du pavillon de banlieue de mon enfance dans ces bâtiments du Palacio d’Abraxas, j’avais 13 ou 14 ans, on a dû me donner des pilules pour que je mange. Je ne pouvais pas. C’était horrible. Plus tard quand je travaillais pour vendre de la maroquinerie dans un magasin, je pleurais en rentrant à la maison. Je me disais : ça ne peut pas être ça, une vie. Je disais à ma mère que si je devais faire ça toute ma vie, je me suiciderais. Mais aujourd’hui, je sais que je suis une artiste. C’est comme ça. Je ne me pose plus trop la question. Je pose mes tripes sur la table. C’est important. Personne d’autre ne le fera à ma place.

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    Guy : Ta légitimité, c’est d’avoir ta voix propre… Que tu fasses quelque chose que personne ne fera comme toi ?
    Katalin : Oui, mais ce n’est pas de l’ordre de la prouesse, comme tenir en équilibre sur une main et être la seule à pouvoir le faire.


    Guy : Sais-tu te tenir en équilibre sur une main ?
    Katalin : Non! Mais certains savent le faire, et s’entrainent pour être les seuls à y arriver. J’aime le cirque… mais dans mon travail, il n’y a pas cette notion-là. Quand Justine m’a dit durant les répétitions de Jeudi « pourquoi fais-tu tel geste alors que tu ne sais pas le faire », je lui ai répondu : « c’est parce que je ne sais pas le faire que je le fais ». Cela m’échappe. C’est peut-être de l’ordre du don, dans les deux sens du terme. J’avais très envie de montrer Jeudi ; je n’avais pas eu autant envie de montrer une pièce depuis Rock Identity ou même Appropriate Clothing. Cette fois l’envie de montrer dépassait la peur qui m’accompagne toujours, à chaque création.


    Guy : Qui s’occupe de la diffusion de tes spectacles ?
    Katalin : C’est moi. Je n’ai pas d’argent pour payer quelqu’un pour s’en occuper. Une fois j’ai fait appel à un bureau de presse pour la diffusion d’une pièce, mais c’est trop cher. Julie Trouverie s’occupe surtout de la communication, du site web, des newsletters, ça m’aide beaucoup. Le nouveau site a été réalisé par mon beau-frère…que je n’ai pas payé.


    Guy : Et qui a payé la structure métallique, utilisée comme décor pour « MILF » et « Jeudi » ?
    Katalin : Elle appartient à mon compagnon. C’est une structure très lourde, mais simple à monter. Il faut qu’on soit autonome, que ce soit pratique pour l’espace qui nous accueille, économique. On n’a guère le choix. Mais ce n’est pas plus mal. J’aime bien le simple, quand on bricole soi-même, plutôt que les grosses scénographies qui coûtent cher.

    Guy : Vous étiez quatre interprètes à danser « MILF ». As-tu pu payer tout le monde ?
    Katalin : Oui ! Mais j’étais vachement soutenue. J’ai été accueillie au studio-théâtre de Vitry qui a pas mal de moyens. Ils accueillent dans de bonnes conditions et j’ai disposé de plus de budget que pour Jeudi, avec plus de partenaires. J’étais soutenue aussi par l’Adami, que je n’ai pas pu solliciter pour Jeudi car il faut avoir trois interprètes minimum.


    Guy : Il suffirait que tu fasses venir une personne en plus sur scène juste deux minutes pour avoir droit à cette aide ?
    Katalin : Oui, parfois c’est comme ça que ça se passe ! Pour MILF j’ai aussi été aidée par un mécène. C’est le retour aux vieilles recettes. C’est bien. Il est tombé du ciel, c’était un monsieur qui avait envie de rêver, qui voulait réinventer la soirée parisienne. Il avait invité des artistes dans son bureau du VIII° arrondissement, en les trouvant avec l’aide de Bétonsalon. Comme j’essaie de saisir les occasions, j’avais eu la politesse de lui renvoyer un petit mail…et j’ai été la seule à faire ça parmi les artistes qu’il avait rencontrés. Il a continué à me voir et à me parler de ses projets avec des mots très philosophiques auxquels je ne comprenais pas grand- chose. Je ne voyais pas trop où il voulait en venir. Ou plutôt si… A un moment, je lui ai demandé carrément d’où venait son argent et ce qu’il voulait en faire. Il m’a répondu qu’il voulait être mon mécène ; qu’il trouvait formidable ce que je faisais. Pourtant, il n’avait pas vu grand-chose de mon travail, juste des photos. Je lui ai fait rencontrer Yves Noël Genod, parce que je ne voulais pas me retrouver toute seule à ces rendez-vous. J’avais besoin des conseils d’Yves Noël, qui est plus doué que moi pour trouver de l’argent. Finalement Yves Noël n’a rien obtenu de lui. Moi si, en demandant à ce monsieur de payer des factures, sans qu’il ne me donne directement de l’argent. Il a payé ma communication pour MILF, mon logement à Avignon, les frais se montaient à près de 5 000€…

    Guy : C’est vrai que tous les donateurs préfèrent payer des choses concrètes, plutôt que participer à des budgets globaux un peu vagues.
    Katalin : Finalement je l’ai perdu car je voulais bien recevoir, mais ne voulais rien donner ! Mais c’était un homme du monde, charmant, poli, distingué, un peu vieille France. Héritier d’une grande entreprise, il s’était occupé de beaucoup d’affaires qui sont en faillite depuis. Il gérait de l’immobilier. A l’époque Yves Noël voulait tourner un film pornographique et cherchait un lieu chic! Le mécène venait de déménager ses parents de leur 500 m2 avenue Foch. Il a prêté l’appartement à Yves Noël qui y a tourné son « Avenue Fuck », c’était génial ! C’est comme ça que j’ai participé en tant qu’actrice à un film pornographique pour Yves-Noël. Ce n’était pas un film dégueulasse, Yves Noël avait fait venir plein de monde et cherchait des couples pour des scènes de sexe, pour retrouver l’authenticité du sentiment. Finalement il n’y avait pas beaucoup de couples. Beaucoup s’étaient dégonflés, nous étions les seuls. Les stars ! L’appartement était si grand que je n’ai jamais réussi à le visiter en entier. Un jour ils ont découvert que la femme de ménage hébergeait toute sa famille roumaine dans l’une des pièces. Véridique. Finalement le mécène m’a lâchée, je n’ai pas su le retenir ! Tant pis pour moi.


    Guy : Donc adieu le mécène. Autre sujet : les sources d’inspiration. Pour toi, il n’y a pas que les sex-symbols du rock, ou le cinéma, mais aussi la littérature : Marguerite Duras pour « Sisters » et « Vendredi » de Michel Tournier pour Jeudi.

    (A suivre...)

    Propos recueillis au cours de 5 entretiens à Pantin et Paris entre le 4 juin et le 6 novembre 2014, mis en forme par Guy, relus et approuvés par Katalin en janvier 2016.

    Guy Degeorges remercie chaleureusement Numa Sadoul dont les entretiens avec les grands créateurs de bande dessinée l'ont influencé de manière générale et en particulier pour ce projet.

    Katalin Patkaï crée HS (mon royaume sur tes cendres) au Générateur de Gentilly le 8 et 9 février dans le cadre de faits d'hiver.

    http://www.katalinpatkai.com/

    Dans l'épisode un: Masculin/féminin- Préparation- Transmettre les intentions- Jim Morrison- Le Père- Les collaborations- Des débuts- Se souvenir de X' XY'?

    Dans l'épisode 2: Terrains Fertiles- Bucarest- Un Ours- Des chevaux- Appropriate Clothing must be worn- les clubs échangistes- l'humour et le sexe- Hitchcock et De Palma- plastique et mouvement -pas de regret

    Dans l'épisode 3: Hygiène de vie-Ascendance- Hongrie- Fréquentations artistiques- Nadj- 1eres leçons- Rock Identity- Encore Jim Morrison- Cantat- Le centre du danseur

    Dans le prochain épisode: La Terre Glaise- Jeudi- Sisters- Qui décide de l'échec?-Le vide-Marguerite Duras

    Photo Rock Identity par Vincent Jeannot

    Jim Morrison Par Ethan Russelhttp://unsoirouunautre.hautetfort.com/archive/2016/02/06/entretiens-avec-katalin-patkai-4-episode-5756170.htm

  • Entretiens avec Katalin Patkaï - 3° épisode

    http://unsoirouunautre.hautetfort.com/archive/2016/02/06/entretiens-avec-katalin-patkai-4-episode-5756170.htmlDans cet épisode:  Hygiène de vie-Ascendance- Hongrie- Fréquentations artistiques- Nadj- 1eres leçons- Rock Identity- Encore Jim Morrison- Cantat- Le centre du danseur

    Guy : Ton corps est ton outil de travail. Suis-tu des règles d’alimentation particulières?
    Katalin : Normalement je devrais observer un mode de vie sain…. Mais avec les enfants ce n’est pas évident. Et parfois, en ce moment par exemple, je perds l’appétit. Je ne compte pas mes calories, c’est au pif. Je mange de tout, à l’instinct. Légumes, fruits, féculents, viandes. J’ai appris qu’ayant un type sanguin 0+, j’avais besoin de viande. Je n’ai pas les moyens d’aller toujours dans les magasins bios. De toute façon, je ne veux pas obéir au terrorisme alimentaire. Je trouve ça maladif. Je ne pense pas que je sois ce que je mange. Quand j’étais en stage en Belgique, on nous préparait de la cuisine macrobiotique, les stagiaires n’avaient pas le choix… et certains allaient manger du « junk food » à côté.


    Guy : Et tu sais dépouiller un lapin et préparer le civet, comme tu l’as fait sur scène dans « C’est pas pour les cochons » ?
    Katalin : Oui et non. Je tiens la recette d’une fermière. Pourtant des gens dans le public m’ont dit que je ne faisais pas comme il fallait. Mais je sais assez bien cuisiner.


    Guy : Tu sembles plus mince aujourd’hui qu’il y a quelques années, avant d’avoir eu tes enfants.
    Katalin : Oui, quand on vieillit, on fond ! On perd les rondeurs de sa jeunesse. C’est vrai que ce n’est pas le cas pour tout le monde.


    Guy : Tu ne te drogues pas… Est-ce que tu bois, est-ce que tu fumes, comme ces danseurs que j’ai vus à une répétition se précipiter dehors à la pause pour fumer leur clope ?
    Katalin : Ces derniers temps, mon compagnon Benjamin était à Avignon pour le travail et je suis restée toute seule avec les enfants. J’aime bien boire, mais pas toute seule. Donc je saisis des occasions, comme l’autre jour, entre femmes au jardin partagé. Dans des situations de convivialité ça ne me dérange pas de boire. Jamais trop car il faut que je puisse m’occuper des enfants. L’autre jour je suis passé devant la grande épicerie du Bon Marché et je n’ai pas pu résister : je suis rentrée, et j’ai vu un petit Pineau gris… il était excellent. Je n’ai pas d’argent, mais je suis extrêmement dépensière. Donc je dépense des choses qui ne coûtent rien, dans des endroits comme Emmaüs. Quant à fumer…, quelle horreur ! C’est un « tue-l’amour ». J’en ai marre que mon mec fume. Je ne connais pas trop de danseurs qui fument ; à mon avis, ce sont seulement les jeunes, et autour de trente ans ils s’arrêtent.


    Guy : Tu as l’air en bonne santé. T’astreins-tu à des exercices physiques réguliers?
    Katalin : En ce moment je n’y arrive pas à cause des enfants, mais j’en ai très envie, ça me démange, ça me frustre. A la Villette, il y a des communautés qui s’entrainent sur un espace de sport avec des barres. Il y a l’heure des chinois, l’heure des blacks…. Pour préparer Jeudi, j’allais m’échauffer là-bas. Je n’ai pas besoin d’entraineur, je sais à peu près ce qu’il faut faire pour obtenir des muscles, se gainer. Je fais de la gym depuis vingt ans. J’ai besoin de m’étirer car je ne suis pas très souple naturellement, je me voute dès que j’arrête de m’entrainer. Pour Jeudi, il fallait que je renforce mes abdominaux, que je réactive ce que j’avais perdu avec les enfants. C’était drôle de m’entrainer avec ces blacks taillés en V, qui passaient la journée à se muscler. Ça doit être une partie de la vie de la banlieue de se muscler. Ils m’ont acceptée. J’étais la seule fille, mais une fois que je leur ai montré que je savais faire des pompes et des abdos, ça a été. Je suis aussi une formation de yoga pour être prof. Je fais toutes les séries jusqu’au bout… enfin plus ou moins. Je m’applique toujours quand je suis en cours. En général les danseurs font attention à leur hygiène de vie.


    Guy : Toi, as-tu toujours fait attention, même quand tu étais jeune ?
    Katalin : Ma mère a une bonne hygiène de vie. Elle a fait une dépression à une époque, elle perdait beaucoup de poids. Elle avait lu un livre de Catherine Kousmine sur l’hygiène alimentaire, en rapport avec la dépression peut-être, et se préparait le matin des mixtures avec des huiles et des bananes (pourtant elle déteste les bananes). A propos de ma famille, j’avais un oncle qui vivait à Londres, une grand-tante qui résidait à Brighton, qui s’était mariée avec un lord anglais, une tante, aujourd’hui décédée, et une cousine restée en Hongrie. La Grand-tante avait désapprouvé le mariage de mon père avec une roturière. Je n’ai pas connu mes grands-parents paternels. La mère de mon père est morte alors qu’il était très jeune ; c’est sa sœur qui l’a élevé.


    Guy : Tu n’as donc plus de famille en Hongrie ?
    Katalin : Non. Ma mère avait peur d’aller en Hongrie. Je ne sais pas pourquoi exactement. De ne pas pouvoir en revenir ? C’était encore l’époque du communisme. Aujourd’hui je me fais appeler Katalin sans «e», comme en Hongrie, c’est mon prénom officiel, celui qui est écrit sur ma pièce d’identité. Mais mes parents craignaient sans doute que les gens prononcent mal mon prénom. Aujourd’hui j’estime (je m’auto-congratule !) que je suis suffisamment connue dans le milieu de la danse pour que l’on prononce bien mon prénom. Quand mon père est mort, j’ai voulu apprendre le hongrois, puis, de nouveau, quand les enfants sont nés. Mes progrès ne sont pas très convaincants pour le moment, mais j’ai toujours voulu me dire qu’un jour j’y parviendrais. J’ai envie d’aller en Hongrie, peut-être pendant un an, le temps que les enfants apprennent la langue, pour que tout cela ne se perde pas. Ça peut paraître bizarre, avec le nationalisme qui se développe actuellement là-bas, d’aller y rechercher cette part de moi-même, mais c’est important. J’ai une amie hongroise avec qui j’ai sympathisé par ce biais, et pour d’autres choses aussi. Elle a deux enfants : un fils d’un Français, qui parle hongrois, et une petite fille d’un Copte. Elle se rend souvent en Egypte pour son travail. J’aime ces mélanges improbables.


    Guy : A propos de mélanges, de quel milieu venait ta mère?
    Katalin : D’un milieu petit bourgeois par sa mère. Mon grand-père, issu d’un milieu plus modeste, n’avait pas fait de longues études. Après le baccalauréat, il avait gravi les échelons des P.T.T, et s’était retrouvé en fin de carrière receveur d’un bureau de poste à Paris, rue Taitbout. Je me souviens des appartements de fonction et de l’appartement familial où ma grand-mère était née en 1911, qu’ils occupaient encore quand mon grand-père a pris sa retraite. Mes parents vivaient en banlieue : d’abord à la Celle-Saint-Cloud, où mon père avait reçu un atelier, puis à Noisy-le-Grand, dans un pavillon, lorsqu’il a travaillé pour l’Epamarne à l’urbanisme de la ville nouvelle de Marne-la-Vallée. J’ai le souvenir d’avoir vécu une enfance plutôt heureuse. Ma mère faisait tout pour nous préserver -et elle y parvenait avec une grande force- lorsque mon père, qui buvait, n’allait pas bien. Je ne crois pas que j’arriverais moi-même à cacher les choses de cette manière à mes enfants. J’’ai été très heureuse dans ce pavillon avec jardin. Quand mon père est devenu trop violent du fait de l’alcool, nous sommes partis vivre avec la mère dans des bâtiments horribles : au Palacio d’Abraxas, nouveau palais pour le peuple construit par Ricardo Bofill. C’est très imposant, plusieurs films ont été tournés dans ce décor stalinien : Brazil, A mort l’arbitre, Hunger Games… Des cars de japonais y venaient en visite. Mais à vivre, c’était horrible. On habitait au 11° étage et les ascenseurs tombaient souvent en panne. Les gens jetaient des ordures depuis les étages. Il fallait traverser un grand parking pour prendre le RER. Puis, ma sœur étant partie poursuivre ses études de médecine à Paris, nous nous y sommes retrouvées seules avec ma mère. C’était assez sordide.


    Guy : Quel est ton premier souvenir d’enfance ?
    Katalin : Quelle question ! Il y a tellement de souvenirs d’enfance. Mais je vais te répondre. C’était à la Celle-Saint-Cloud ; je devais avoir moins de cinq ans. Je pique une crise de nerfs, parce que mon père part courir dans la forêt qui entourait les habitations (sans doute pour compenser son addiction, il avait à cœur d’entretenir son corps) et il ne veut pas m’emmener. Le drame ! Je me souviens avoir été hyper malheureuse, déchirée, alors qu’il allait juste courir seul. Ce n’est pas un souvenir heureux.


    Guy : Normal. Je suppose que ce sont ces moments intenses qui restent gravés dans la mémoire de tout le monde… Sans transition je ne te croise pas beaucoup à des spectacles (la dernière fois au Générateur pour David Noir). Est-ce que tu ne sors pas beaucoup ou est-ce qu’on ne va pas voir les mêmes choses ?
    Katalin : Si, je sors beaucoup, mais peut-être moins maintenant en effet. Pas pour m’inspirer des autres danseurs, je n’ai pas leur background et chaque chorégraphe a son univers. Je vais les voir par curiosité. Il y a quand même des danseurs qui vont voir les autres danseurs ! J’ai eu une révélation en allant voir Joseph Nadj, avant de devenir professionnelle, même si je ne l’aime plus du tout (je te dirai pourquoi plus tard). Mais quand j’ai vu son premier spectacle, je crois que j’y suis retourné cinq fois. A cette époque j’étais vendeuse au Printemps. J’étais une très bonne vendeuse, gentille avec le client. Un jour un monsieur m’a trouvé aimable (les autres vendeurs étaient très désagréables). Il m’a offert une place pour une pièce au Forum du Blanc-Mesnil… Un hasard complet et une révélation, mais je ne me souviens plus du nom de la pièce ni du chorégraphe. Une femme : peut-être Odile Duboc.


    Guy : Alors, que s’est-il passé entre toi et Joseph Nadj ?
    Katalin : Cela ressemble à une blague. Joseph Nadj est un homme avec un charisme fou. Très séducteur. A l’époque, je vivais encore chez ma mère, je lui avais écrit une lettre pour lui dire combien j’admirais son travail. J’écris souvent à des gens que j’aime bien. Un soir je reçois un message de lui sur mon répondeur : il m’invite à un spectacle et à discuter après. J’étais fébrile, anxieuse d’être à mon avantage. Je vais voir son spectacle dans je ne sais plus quelle banlieue, on se retrouve à la fin…. et j’ai passé la pire soirée de ma vie. Il s’assoit en face de moi, il prend sa bière et ne dit rien, rien du tout. Voilà. Je parle, je ne dis que des bêtises. J’essaie désespérément de combler son silence et il ne m’aide absolument pas. Il m’a prise de haut, s’est montré horrible. Le pire, c’est qu’à la fin, on est repartis tous les deux prendre le RER. C’était hyper bizarre. Lui était toujours muet, il a dû se dire que j’étais une adolescente, une sorte de groupie (je faisais plus jeune que mon âge). Bon, ce n’est pas vraiment pour cela que je lui en veux. Aujourd’hui il a un poste important, il s’occupe d’un lieu en Transylvanie. Quand j’ai commencé MILF, comme je travaillais avec une hongroise, j’ai eu le projet d’aller travailler là-bas. J’ai mis deux semaines à écrire une lettre en hongrois avec l’aide de ma copine hongroise. Et je reçois une lettre de refus écrite en anglais : « Je suis le secrétaire de Joseph Nadj. Joseph Nadj ne répond jamais aux courriers. Merci pour votre lettre, mais votre travail ne correspond pas à nos recherches.» Point barre. J’ai trouvé ça minable. Je suis vraiment fâchée avec lui. Je ne sais pas pour qui il se prend.

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    Guy : Au moins Pina Bausch ne t’a pas déçue. Elle reste une référence pour toi ?
    Katalin : C’est plus qu’une référence. Elle est incontournable. Tu ne peux avoir que du respect pour elle, même de l’amour. L’autre jour quand j’ai rencontré Raphaëlle Delaunay, en lui parlant, je voyais tout le temps en elle l’interprète de Pina Bausch, une femme qui a vu Pina Bausch, qui a dansé pour elle… Je ne voyais que ça, sans qu’elle s’en doute, c’était un sentiment étonnant, comme si j’avais accès à une petite pépite. On ne peut aussi que s’intéresser à des grands comme Boris Charmatz, Xavier Le Roy, Loïc Touzé… dont j’ai vu les pièces avant de devenir professionnelle. Quand je suis rentrée dans la danse, j’étais en demande de pères, de mentors.


    Guy : Mais Joseph Nadj t’avait rejetée.
    Katalin : C’est vrai! Une autre anecdote : Avant de danser, au début des Arts-déco, lorsque j’étais stagiaire à la Ferme du Buisson, j’ai rencontré Loïc Touzé qui y était en résidence. C‘est un homme très charmeur, qui aime la reconnaissance des autres. J’étais tout le temps fourrée dans son équipe, éprise, sous son aura. Il y avait aussi là déjà Yves-Noël Genod… qui ne me reconnaissait jamais. Comme j’étais étudiante aux Arts-déco, Loïc Touzé m’a conseillée d’aller dessiner Alain Buffard à la Ménagerie de Verre. Buffard y répétait Mauvais Genre, une pièce très sombre, en slips kangourou. Je ne connaissais pas du tout ce type de danse. J’étais tellement terrorisée que je suis repartie sans avoir rien dessiné ! Et comme je m’intéressais à la danse, Loïc m’a envoyée prendre des cours de danse, toujours à la Ménagerie de Verre. Mais j’étais débutante, je n’avais jamais dansé de ma vie, et à la Ménagerie les cours s’adressent à des pros. Au premier cours, on m’a demandé de faire des diagonales avec des phrasés. Je n’ai rien compris à ce qui se passait. La prof de danse a dit à tout le monde de se mettre à l’écart et m’a demandé de suivre ses mouvements. J’ai essayé de la suivre en faisant n’importe quoi et je me suis payé la honte de ma vie. C’est l’autre pire moment de ma vie ! Mais ça m’a servie puisque j’ai continué à prendre des cours… mais ailleurs cette fois et pour les débutants, aux Cours du Marais, avec de la barre au sol, c’était très bien. Le professeur-une femme- y donnait aussi des cours d’improvisation, et c’est là, pour la première fois, lorsque j’improvisais, que j’ai lu de la curiosité dans le regard de quelqu’un. C’est un peu prétentieux de dire ça, mais ce que je faisais l’intriguait. J’en ai ressenti du plaisir.


    Guy : C’est donc une femme qui la première a vu la chorégraphe en toi !
    Katalin : Oui ! A l’époque j’ai vu aussi le Boléro de Duboc avec Charmatz. Finalement, j’avais vu beaucoup de choses. Quand j’étais petite, mes parents m’emmenaient voir pleins d’expositions avec des performances. Ma mère se souvient de moi fascinée par un danseur de buto.

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    Guy : Alors aujourd’hui, qui vas-tu voir ?
    Katalin : Yves Noël Genod, que j’admire beaucoup, bien que je sois parfois un peu blasée. Il apporte quelque chose dans la création - dans la danse ou le théâtre, je ne sais pas. Il sait s’émerveiller devant un rien, et il arrive à montrer ce rien aux autres. C’est beau. Je vais voir Anne Dreyfus. Tu vas me dire qu’elle aussi je la connais personnellement. Quand elle danse, quand elle bouge, elle me fascine. Elle pourrait danser le lac des cygnes, je serais fascinée tout autant.


    Guy : C’est normal que tu t’intéresses au travail de personnes que tu côtoies, et avec qui tu collabores.
    Katalin : C’est vrai qu’avec les enfants j’ai moins le temps de sortir et je vais plutôt voir les copains. Avant, j’allais au Centre Georges Pompidou, au Théâtre de la Ville, dans des lieux institutionnels. Plus maintenant. Je connais déjà les chorégraphes qui y jouent. Je vais plutôt dans les petites salles. Hier, je suis allée voir Justine Bernachon dans un jardin associatif. Je vais souvent dans des lieux où je peux emmener mes enfants. Généralement ils sont très attentifs. L’autre soir je suis allée voir un spectacle à la Dynamo, mais c’était long et pas du tout pour les enfants. Au début un homme était caché derrière un panneau de bois, sauf son sexe en érection qui sortait par un trou. Ernesto m’a demandé ce que c’était, je lui ai répondu que je ne savais pas. Il a encore vu deux spectacles après dans la soirée. J’étais étonnée. Je ne sais pas pourquoi mes enfants sont si tranquilles, ils doivent être curieux.


    Guy : Nous sommes un peu repartis en arrière pour parler de tes années d’initiation, mais reprenons le fil chronologique en 2007. La création de « Rock Identity » à Artdanthé, à laquelle j’ai assisté, ne s’était pas très bien passée.
    Katalin : Oui. Je m’étais mal préparée. Les lumières étaient trop fortes, trop chaudes, et ma gorge s’est asséchée, je ne pouvais plus parler. J’étais décontenancée. C’était complément raté. Ça arrive, c’est ça le spectacle vivant. C’était moche. Mais cela ne m’arriverait plus maintenant, j’aurais anticipé. En danse, tu joues souvent dans des conditions difficiles, à l’arrache. Pour Jeudi, j’ai eu beaucoup de chance, la mairie m’a prêté une salle pendant trois mois, où j’ai installé la structure métallique sans avoir à faire de montages et démontages.

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    Guy : « Rock Identity » est consacré à trois figures masculines du rock. L’as-tu créé par intérêt pour le rock?
    Katalin : Pas du tout ! J’écoute de la musique, mais rien de pointu, juste le tout-venant. Le projet est parti du personnage de Jim Morisson. C’était un choix délibéré. Parce qu’il était mort, il est immortel, c’est une icône. Il est mort comme mon père, comme Kurt Cobain. Des personnages que j’ai dansés, seul Bernard Cantat est vivant. Je suis touchée par ces destins tragiques, par les perdants, par les inadaptés. Alors qu’on essaie tous de survivre, en un sens. On s’accroche. Et moi, je tiens à la vie. Je n’envie pas ces destins, mais ces destins touchent au sublime. Ce sont tous des anges brûlés, beaux, sexys, des écrivains aussi. Des personnages de tragédie. Des bêtes de scène. Il fallait que je comprenne comment ils fonctionnaient. J’ai passé beaucoup de temps sur cette pièce.


    Guy : Y-a-t-il des personnes à qui tu as demandé conseil pour cette pièce ?
    Katalin : Assez peu en fait. C’est pour ça que ça m’a pris du temps. A un moment, à mon ami journaliste Sébastien Galceran, qui avait un peu un rôle de dramaturge. Finalement j’ai trouvé que ça n’était pas très utile, puisque je m’étais très documenté par moi-même pour ce projet-là. Et après c’était une histoire entre moi et moi.


    Guy : Je viens de lire une bio de Jim Morrison, une comptable me l’a empruntée. Tout le monde aime Jim Morrison. On apprend dans la bio qu’Agnès Varda a été l’une des seules personnes à le voir mort avant qu’il ne soit enterré en catimini, pour éviter que ses proches impliqués dans son overdose aient des problèmes avec la police.
    Katalin : Tout le monde sait ça !

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    Guy : Tout le monde sauf moi.
    Katalin : J’ai consulté beaucoup de documentation, comme pour chacun de mes projets. J’adore ce stade du travail. J’ai lu des tonnes de livres sur le rock, sur les quatre personnages que j’ai dansés, j’ai regardé tous les dvd sur les concerts des Doors pour étudier la gestuelle de Jim Morrison. Il est assez statique, campé devant le micro, mais il a des surgissements d’énergie, qui retombent ensuite. J’adore ça. Comme dans ma vie, ces surgissements me permettent de ne pas m’endormir tous les jours.


    Guy : Aurais-tu été possédée par l’esprit de Jim Morrison ? Il raconte que lui-même a été possédé par l’esprit d’un indien mort dans un accident.
    Katalin : Oui, tout à fait. Il pensait être un chaman, c’est un thème qui revient souvent dans ses textes. Cela tenait peut-être aussi aux substances qu’il absorbait. Il faut beaucoup de courage pour se droguer à ce point. Moi j’ai trop peur pour aller dans ce sens. Et je dois être en état d’aller chercher les enfants à l’école ! J’ai de mauvais souvenirs des périodes où mon père buvait.


    Guy : Quelles difficultés as-tu rencontrées dans ce travail ?
    Katalin : Cela a été compliqué pour la partie consacrée à Bertrand Cantat. Mes premières tentatives ne fonctionnaient pas. Je l’ai ensuite rencontré, ce qui était très important pour moi, car je suis fan, pour autant que je puisse être fan de quelqu’un. Il ressemble un peu à mon père, physiquement. Il y a eu une coïncidence : un grand copain de mon père, plus jeune que lui, est le meilleur ami de Bertrand Cantat. Il a dessiné les pochettes de ses disques. Grâce à lui j’ai pu rencontrer Cantat à l’époque de sa sortie de prison. Il était souriant, mais alors très fragile. Il m’a semblé brûlé de l’intérieur. Il a réussi à réécrire depuis, mais il y a beaucoup de fantômes dans son dernier album. Dans Rock Identity aussi, il y a beaucoup de fantômes, mais ils prennent un visage plus positif.

    katalin patkaï


    Guy : J’avais trouvé ta reprise de « Rock Identity » à la Loge en 2010 beaucoup plus maitrisée… et avec le juste ton dans l’humour.
    Katalin : J’avais toujours voulu y mettre de l’humour. Mais l’humour est fugace et il suffit que la moindre chose te déconcerte, tu es pris au piège… En 2007 j’étais trop fragile sur ce projet-là, je n’avais pas compris à quel point il fallait de la maitrise, du calme, de la respiration… On apprend tout le temps. Je travaille beaucoup plus qu’avant, ou plutôt de manière moins brouillonne.


    Guy : Je me souviens de la partie consacrée à Jim Morrison, mais un peu moins du reste. D’où t’est venue la matière ?
    Katalin : Tout le monde retient les scènes avec Jim Morrison, parce que peut-être que les parties suivantes étaient moins bonnes, moins travaillées. Mais j’ai transmis la pièce à deux danseuses, Ania Allègre et Katia Petrovik, après que tu l’aies vue à la Loge, et c’est devenu une pièce magnifique, un petit bijou. J’ai très envie de la monter au CND pour qu’il y ait quelques pros qui la voient, mais ça me demanderait trop d’argent.


    Guy : Tu as transmis les trois parties à ces interprètes ?
    Katalin : Je leur ai transmis quatre parties. J’ai rajouté une quatrième partie avec le personnage de Ian Curtis pour ces deux nanas. Les deux filles ensembles sont magnifiques, c’est une pièce aboutie. Elles ont la niaque et en même temps elles sont techniques. Deux supers danseuses, l’une très brune, l’autre très blonde, de dos assez filiformes, pas beaucoup de hanches, donc on dirait des hommes. Je suis très fière. Je suis malheureuse qu’on ait eu un succès fou à Avignon, mais plus de dates ensuite. Je suis assez étonnée parce qu’il y avait tellement de gens, des pros.

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    Guy : Pour parler de la matière elle-même, le principe était-il d’évoquer les personnages, d’évoquer la transe?
    Katalin : Non, je me suis attachée à décrypter le corps, à rentrer dans le corps par l’étude de sa gestuelle et parce que je me sentais finalement assez bien dans ce corps-là. Je suis très juste pour imiter les gens. Au son du pas, je peux te dire qui arrive. Je sais me glisser dans la peau de quelqu’un et du coup c’était assez jouissif, parce que Jim Morrison c’est quand même un mec assez sexy. Quand je reproduisais ses gestes, ça me mettait petit à petit dans un état très engagé physiquement, dans un état qui faisait aussi que j’étais perturbée. Quand tu tournes tout le temps et que tu y mets beaucoup d’énergie, tu te rapproches un peu de la transe. Physiquement, j’ai engagé sa gestuelle, ça engageait le public, et ça a produit les mouvements. C’est par une étude du geste et de l’énergie que la forme a été donnée. Je cherchais l’authenticité du mouvement plutôt qu’un mouvement artificiel. L’énergie produit le mouvement et pas l’inverse. Souvent on dessine quelque chose et, au contraire, il faut avoir un maintien très fort. La danse c’est ça aussi : se maintenir pour poursuivre la forme qu’on a inventée. Alors que moi, peut-être justement parce que je n’ai pas cette puissance que les vrais danseurs travaillent, qui est la puissance du centre, je m’en échappe, je vais créer un tourbillon et m’échapper, sortir. L’énergie te maintient dans le cercle, l’énergie centrifuge.


    Guy : L’énergie centrifuge t’éloigne du cercle !
    Katalin : oui, c’est vrai, tu t’éloignes mais à un moment donné, si tu as un contenant qui est la forme, tu restes à l’intérieur, alors que moi, à un moment ça part en couilles. Malgré tout, j’explose la chose mais, comme dirait Myriam Gourfink, je ne sais pas comment, ça m’échappe, c’est contre toute logique physique, mais je tiens. C’est un peu ça dans cette pièce. Je n’ai pas du tout la technique qui ferait que je peux tenir de façon conventionnelle, mais je tiens quand même. Quand je fais un équilibre, je ne suis pas du tout alignée comme il faut, mais je tiens quand même. Je dois compenser… La danse d’aujourd’hui ne me convient pas comme elle est, et parce que je ne peux pas la faire telle qu’elle est, je vais tourner autour. Je vais virevolter autour. Et ça donne une pièce comme ça. Involontairement. C’est prétentieux ce que je dis, je fais un pied de nez à la danse à chaque fois. Comme au début de MILF. La danse m’énerve des fois. Myriam Gourfink m’énerve et je n’aime pas beaucoup ce qu’elle fait.


    Guy : Des trucs très lents et limites abstraits, à mon goût. Je viens de voir une soirée, pas d’elle, mais de ses élèves de Royaumont. Il y avait une pièce qui m’a plu, avec du fond, mais l’autre était creuse, ça ressemblait à une leçon de yoga à poil en public, qui partait de la forme plutôt que de naitre d’une intention
    Katalin : Elle impose à ses interprètes quatre heures de yoga par jour. Mais ils sont volontaires et elle les paye mieux que moi. Non, c’est méchant ce que je dis, parce que tout le monde a une approche différente des choses et la sienne est tout à fait légitime. C’est juste qu’elle est très cérébrale. Une fois on avait une émission de radio commune et elle a commencé à dire: « vous comprenez, j’aime beaucoup réfléchir », comme si les autres chorégraphes ne réfléchissaient pas. J’ai trouvé ça un peu bizarre. J’ai une dent contre elle. Quand j’ai repris le travail, je me suis dit : il faut que j’aille frapper aux portes, et j’ai passé l’audition pour Royaumont. C’est là qu’elle m’a dit : « c’est contre toute logique physique, je ne comprends pas comment vous tenez en équilibre ». Normalement, un danseur doit trouver son « centre ». Pour moi, la danse ce n’est pas que ça. Quand je l’écoute parler, elle semble assez passionnante, elle utilise un programme, avec des logiciels qui reprennent l’écriture Laban. C’est pour ça que ses spectacles approfondissent toujours la chose mais pour moi, en tant que spectateur, c’est très mathématique.

    Guy : Toi, j’ai l’impression que tu parles toujours de la vie dans tes pièces. Passons à un sujet moins drôle, je te propose de parler d’argent.

    (A suivre...)

    Propos recueillis au cours de 5 entretiens à Pantin et Paris entre le 4 juin et le 6 novembre 2014, mis en forme par Guy, relus et approuvés par Katalin en janvier 2016.

    Guy Degeorges remercie chaleureusement Numa Sadoul dont les entretiens avec les grands créateurs de bande dessinée l'ont influencé de manière générale et en particulier pour ce projet.

    Katalin Patkaï crée HS (mon royaume sur tes cendres) au Générateur de Gentilly le 8 et 9 février dans le cadre de faits d'hiver.

    http://www.katalinpatkai.com/

    Dans l'épisode un: Masculin/féminin- Préparation- Transmettre les intentions- Jim Morrison- Le Père- Les collaborations- Des débuts- Se souvenir de X' XY'?

    Dans l'épisode 2: Terrains Fertiles- Bucarest- Un Ours- Des chevaux- Appropriate Clothing must be worn- les clubs échangistes- l'humour et le sexe- Hitchcock et De Palma- plastique et mouvement -pas de regret

    Dans le prochain épisode: L'argent-L'intermittence- La Danse est elle politique?- Une Outsider- Des budgets- Les subventions- Un mécène.

     Photo Rock Identity par Vincent Jeannot

    Jim Morrison Par Ethan Russel

  • Entretiens avec Katalin Patkaï - 1er Episode

    Dans cet épisode: Masculin/féminin- Préparation- Transmettre les intentions- Jim Morrison- Le Père- Les collaborations- Des débuts- Se souvenir de X' XY'?

    Guy : Katalin, tu es chorégraphe et danseuse contemporaine. J’ai pu voir la plupart de tes pièces, nous en discuterons évidemment, mais je voudrais aussi comprendre qui tu es, toi. Et ce que c’est d’être une artiste aujourd’hui. Mais commençons par parler de tes créations. Je vois une forte cohérence dans les thèmes que tu y traites : en particulier le thème du masculin et du féminin…
    Katalin : Je pense qu’il y a une cohérence, encore que les choses se soient précisées au fil du temps. Au début je pensais travailler sur le thème du masculin. Le sujet est devenu le féminin. Ceci dit, le chemin se fait tout seul. J’évite d’analyser après coup, mon rôle c’est de faire. Et c’est à d’autres de s’approprier le travail, et de l’analyser. Je reçois souvent des retours, des critiques, qui relèvent les intentions que j’avais effectivement au départ. C’est au moment de la préparation que j’ai un désir, une idée forte et précise de ce que je veux dire. Alors j’écris beaucoup. Ensuite, au moment de la création, il se crée un décalage, qui peu à peu devient énorme. Quand finalement je vois la pièce, elle s’est métamorphosée. C’est comme quand tu fais un enfant !


    Guy : On va quand même essayer d’analyser ensemble! Au départ de chacune de tes créations, il y a donc toujours une phase d’écriture ?
    Katalin : Oui. C’est une nécessité pour moi. Je prends l’ordinateur et j’écris sur plusieurs pages le pourquoi, comment… Le cas de MILF était typique. J’ai beaucoup écrit, sur la femme, sur la condition de la femme. Daniel Jeanneteau qui m’a soutenue pour cette pièce, me disait que c’était trop documenté, trop théorique, que je n’étais pas une sociologue. Pourtant ça me sert beaucoup, pour digérer, même si j’ai parfois des retours d’interprètes qui trouvent que mes intentions ne sont pas claires. Quand on passe à la création, cette phase d’écriture est finie et je ne reviens pas dessus. J’utilise juste des cahiers sur lesquels je dessine, où j’écris de courtes phrases pour reformuler, pour préciser.


    Guy : Tu me disais, avant de commencer l’enregistrement, que tu cherchais un nom écrit dans ta tête… Tu fonctionnes visuellement ?
    Katalin : Oui, complètement. Si je vois un mot écrit, je m’en souviens. Si on me le dit, il s’efface. J’ai des images mentales de mes mises en scène, et je les travaille. Au départ, c’est venu par le dessin. Aujourd’hui je dessine moins qu’avant. J’ai fait des dessins pour Jeudi -ma dernière pièce- de choses que je n’arrivais pas à expliquer à Justine Bernachon, à Ugo Dehaes. Quand je dis à Justine: « tu vois, on est complétement fondu entre nous… », ça peut lui parler…ou pas. Je me suis rendu compte que pour se faire comprendre des interprètes, il faut des dessins. Peut-être qu’il y a des gens qui arrivent à se faire comprendre sans, ce n’est pas mon cas. Il faut épuiser différents moyens de communication : le dessin, la parole, montrer en live…

    Guy : Tu évoques la difficulté de se faire comprendre. As-tu entendu, sur telle ou telle pièce, des critiques ou des retours que tu as jugés injustes ?
    Katalin : Une fois après une représentation de X’XY qui était l’une de mes premières pièces, un spectateur très énervé avait dit quelque chose d’assez violent comme : « c’est quoi cette femme qui se prend pour égale ou supérieure aux hommes ». Mais en fait, je comprends ce qu’il a voulu dire!

    Guy : C’était violent…. Mais peut-être avait-il bien saisi le fond de ton propos !
    Katalin : Oui. Au début je voulais parler de l’homme dans mes pièces. Mais à l’époque j’étais en rivalité avec les hommes, comme pour prétendre moi-même être un homme. Aujourd’hui j’ai changé, j’ai une position plus clairement féministe, je la revendique.

    Guy : Même si ta position évolue, le thème du genre féminin est présent dans toutes tes pièces. Le plus souvent tes interprètes sont des femmes.
    Katalin : C’est allé crescendo. J’ai commencé par créer un solo pour un homme (Spatialisation sonore pour un danseur), ensuite un duo homme-femme (X’XY), puis un trio avec deux femmes et un homme, qui était donc mis en minorité (Appropriate clothing must be worn), et après, il n’y a plus eu que des femmes. Dans Sisters il y avait six danseuses ; c’était le sommet de la pyramide. Une pyramide un peu croulante. Aujourd’hui encore, on me dit que malgré Sisters j’ai de la chance d’être reprogrammée aux Rencontres Chorégraphiques de Seine Saint Denis pour Jeudi. Mais je ne considère pas Sisters comme un échec, même si l’expérience a été difficile. Et il n’y a que des femmes dans Rock Identity, et dans Milf, Jeudi, mes deux dernières pièces.

    Guy : « Sisters », on y reviendra…. Je repense à « Rock Identity », tu y joues le genre - ou tu te joues du genre - en interprétant des personnages masculins, des légendes du rock, sans renoncer à ta féminité. Par exemple, tu danses Jim Morrison les seins nus. Ramènes-tu ces personnages vers ta féminité ?
    Katalin : Non, c’est plutôt moi qui vais vers leur masculinité. Mais peut-être que cela revient au même. A l’époque, j’étais encore dans une logique de rivalité. Je crois que je voulais montrer qu’une femme pouvait être autant une bête de scène qu’un homme, avec autant de sauvagerie et de charisme. Je pense à mon père, il avait énormément de charisme. C’était un très bel homme. Je veux comprendre le mystère du charisme. Comment on le fabrique, s’il tient à l’individu ? Quelqu’un comme Jim Morrison, au-delà de sa personnalité profonde, réfléchissait à tout ce qu’il allait faire en public. Il sculptait son personnage. Mon père, Ervin Patkaï, était sculpteur. Peut-être que moi-même je fais moins de la danse que de la sculpture en mouvement, à partir de postures…

    katalin patkaï

    Guy : Ton père est mort prématurément, alors que tu étais jeune je crois…
    Katalin: J’avais 14 ans. J’ai fait une psychanalyse, qui n’a rien donné, je pense. La mort de mon père est toujours un sujet très sensible pour moi. Il était un personnage, un immigré hongrois, avec une histoire héroïque. Petite, je ne me rendais pas compte qu’il était beau ; il y avait quelque chose de dérangeant chez lui. Il avait beaucoup d’accent, je sentais chez lui une friction avec la culture française qui n’était pas la sienne. Il m’a transmis le don du dessin, dès mon enfance. Ma mère et lui se sont séparés. Il buvait, beaucoup d’hommes buvaient à l’époque, surtout chez les gens de l’Est, qui ont la main lourde ! Après son décès, ça a été une période très douloureuse pour moi, avec des non-dits dans ma famille. Ma sœur, qui est un peu plus âgée, le jugeait sévèrement. Moi, je l’idéalisais et, de son vivant, j’avais pris son parti ; j’en voulais à ma mère qui était dominée. Je me rends compte que j’étais injuste vis à vis d’elle. J’étais une pré-adolescente et mes rapports avec mon père devenaient compliqués, avec des conflits. Je le provoquais, il me frappait. Je ne voulais pas pleurer et il y allait d’autant plus fort pour me faire céder… Il mangeait des piments hongrois, je voulais l’imiter et ça me brûlait. Il se consacrait tout entier à son travail, comme moi aujourd’hui, mais lui ça l’a détruit. Il gagnait de l’argent avec le 1% des bâtiments publics en réalisant des œuvres dans des établissements scolaires, c’était un plasticien assez reconnu… Moi, je ne gagne pas un rond! Aujourd’hui je continue à admirer mon père, mais je comprends mieux ma mère, une femme effacée. Cependant je ne comprends pas qu’on puisse se sacrifier comme elle s’est sacrifiée pour mon père, au prix de son propre épanouissement.

    katalin patkaï

    Guy : A propos d’équilibre homme/femme, tes interprètes sont donc des femmes mais tu collabores souvent pour la mise en scène avec des hommes: Yves-Noël Genod, Ugo Dehaes, …
    Katalin : C’est vrai… C’est un équilibre. Ugo est mon opposé : aussi carré que je suis bordélique. J’en ai besoin. Je gagne du temps. Cela dit, je suis très contente de MILF que j’ai chorégraphié seule, spécialement de la dernière version présentée au Générateur de Gentilly. Je revendique cette pièce, même si la création a été douloureuse en raison des rapports avec une interprète qui ne comprenait pas mon travail. Peut-être cela aurait-il été moins douloureux si j’avais eu le soutien d’un homme. Mais nous étions quatre femmes et j’étais interprète en plus de mon rôle de chorégraphe.

    Guy : Tu es en train de me dire qu’il faut un homme pour réussir à faire travailler des femmes ensemble !
    Katalin : C’est compliqué ! Je n’ai pas de problème avec la majorité des interprètes. Mais dans le schéma mental de certaines femmes, il faut un homme pour incarner la stabilité, l’autorité. C’est vrai que je suis souvent prise au piège par des interprètes qui me demandent dans quel sens exact je veux aller durant la création, mais je ne peux pas vraiment répondre à ces demandes. Sinon leur relire le texte d’intentions que j’ai rédigé au départ. Je ne parviens pas toujours complètement à les rassurer.

    Guy : On rencontre tous ce problème. Quand je donne des formations, j’incite des stagiaires à trouver des solutions par eux-mêmes en les aidant avec de la méthodologie mais que certains demandent des recettes toutes faites.
    Katalin : Je mène un projet de café associatif à Pantin, j’organise des appels à projets pour des ateliers et des animations, mais j’ai du mal à avoir des propositions spontanées. Je suis obligée de rassurer les participants, d’être plus dirigiste. Parfois au cours de mes créations, j’ai un interprète qui ne rentre pas du tout dans mon travail, qui ne sait pas quoi donner ; c’est douloureux pour lui aussi.

    Guy : J’ai le sentiment que quand tu mets seule en scène, le résultat est plus riche et touffu, et quand tu travailles en collaboration avec quelqu’un qui t’apporte un autre regard, c’est plus concis, resserré, narratif…
    Katalin : C’est meilleur, tu veux dire ?

    Guy : Non, c’est différent. On sent cette différence entre tes deux dernières pièces : « MILF », qui est une pièce très riche, et « Jeudi » créé avec Ugo Dehaes, qui est plus concentrée. Et malgré les digressions apparentes d’Yves Noël Genod sur « C’est par pour les cochons », la pièce est assez homogène.
    Katalin : « Rock Identity » aussi, que j’ai créé seule, est une pièce très rigoureuse… Mais c’est une pièce qui m’a pris beaucoup de temps ! Le dialogue permet d’aller plus vite, éclaire les choses. « Rock Identity » est prêt maintenant. Je l’ai commencée en 2006, rejoué en 2009 à la Loge, Je n’y toucherai plus. Comme les peintres, on est bien obligé de s’arrêter un jour. Pour « MILF », j’étais dans le brouillard, à cause d’une interprète. Aude Lachaise a repris le rôle plus tard, et cette dernière version est à peu près stabilisée. Et Jeudi, c’est fini ! C’est dû à l’efficacité d’Ugo, alors que moi j’aurais toujours voulu rajouter un truc. Cette efficacité, ça me fait du bien!

    Guy : Tu danseras à nouveau des soli sur scène ?
    Katalin : Non… Si, juste un spectacle avec mon fils Ernesto.

    Guy : Ce sera plutôt un duo.
    Katalin : Oui ! Concernant les vrais soli, plus je suis sûre de moi physiquement, à même de comprendre l’aspect corporel des choses, plus je trouve cohérent de faire plutôt travailler les autres. Je commence à mieux voir ce qui est approprié pour tel interprète, jusqu’où il peut aller. Je repense à Marie-Jo Faggianelli, qui est géniale, une grande travailleuse. Elle sait parfaitement quoi obtenir de l’interprète. Elle m’a rendu un très grand service en me faisant danser pour la première fois. Elle m’a embauchée comme scénographe, en 2005, mais elle-même avait tellement d’idées en matière de scénographie que je n’avais rien à lui apporter sinon en tant qu’accessoiriste. Elle m’a alors donné des cours de danse… et ses danseuses sont parties car elle ne pouvait pas les payer, je suis alors devenue son interprète! A l’époque, je menais en parallèle une résidence à « Mains d’Œuvres ». Mon premier projet pour Ugo Dehaes en 2000 avait attiré l’attention. Je travaillais avant comme scénographe en Belgique, où j’avais rencontré Ugo qui travaillait pour Meg Stuart. Je lui avais proposé le projet - Spatialisation sonore pour un danseur - et il avait dit oui ! Il me faisait confiance, j’étais donc coincée et j’ai mis un an à finir le projet. A ma sortie des Arts Décoratifs, j’ai dû vendre une sculpture de mon père pour arriver au bout du projet financièrement. J’ai créé la danse pour Ugo, c’était une chorégraphie peut-être un peu naïve. J’ai aussi créé la bande son. Daniel Jeanneteau a vu la pièce et bien plus tard il m’a accueillie en résidence, c’était une rencontre importante pour moi, il y a de belles rencontres dans ce métier.

    Guy : Que reste-t-il d’une pièce dix ans après ? Que peux-tu me dire de « X’XY», que je n’ai pas vue ? Peu de ceux qui nous liront l’on vue sans doute. C’est le paradoxe de notre discussion que d’évoquer des œuvres qui sont par nature éphémères. Disons que nous en parlons autant pour préparer l’avenir que pour se pencher sur le passé !
    Katalin : C’était une pièce chouette. Un bon cru. Avec une bonne équipe. J’étais insouciante, avec beaucoup de foi en l’avenir. Je dansais avec Mickaël Phelippeau. Nous utilisions une grosse mousse pour décor. La pièce intriguait. Les gens se demandaient qui était cette fille qui se dénudait beaucoup… Il s’agissait pour moi de montrer l’affrontement physique entre l’homme et la femme. A forces égales. J’ai joué la pièce en 2004 à « Mains d’Œuvres », et à « l’Etoile du nord » où Christophe Martin m’avait programmée. J’avais la foi de la jeunesse, aucune timidité, j’étais allée le voir. Je ne connaissais pas encore les codes, les hiérarchies…, les hiérarchies qu’il ne faut pas forcément respecter. Mais ma naïveté avait payé. Ce qui m’a quand même aidé c’est que j’étais en résidence à « Mains d’Œuvres ». Cela rassurait. Maxence Rey, qui s’y occupait de la danse, m’y avait invitée après avoir vu ma première pièce. A l’époque il s’était créé un syndicat des chorégraphes, je n’étais pas très militante, mais j’ai quand même assisté à une réunion. Certains se plaignaient des difficultés pour jouer. Comme j’étais très naïve, j’avais dit « mais non, on est super bien accueilli, il n’y a pas de problème… » Quand j’y repense ! Maintenant je comprends mieux les intérêts des uns et des autres. Pour autant je ne voudrais pas travailler dans un autre milieu. Mais il faut connaitre et comprendre ce milieu pour ne pas être malheureuse.

    katalin patkaï

    Guy : Je n’ai pas d’observation - et pour cause - à propos de la pièce "X'XY", mais on se rattrapera avec la suivante, « Appropriate Clothing» que, pour le coup, j’ai vue. Mais avant de créer « Appropriate Clothing » tu as, je crois, participé à un programme international de performances.

    (A suivre...)

    Propos recueillis au cours de 5 entretiens à Pantin et Paris entre le 4 juin et le 6 novembre 2014, mis en forme par Guy, relus et approuvés par Katalin en janvier 2016.

    Guy Degeorges remercie chaleureusement Numa Sadoul dont les entretiens avec les grands créateurs de bande dessinée l'ont influencé de manière générale et en particulier pour ce projet.

    Katalin Patkaï crée HS (mon royaume sur tes cendres) au Générateur de Gentilly le 8 et 9 février dans le cadre de faits d'hiver.

    http://www.katalinpatkai.com/

    Dans le prochain épisode: Terrains Fertiles- Bucarest-Pattes d'ours- Les chevaux- Appropriate Clothing must be worn- les clubs échangistes- l'humour et le sexe- Hitchcock et De Palma- Plastique et mouvement -Pas de regrets

     photo X'XY (crédit en cours)

  • La mere et l'enfant

    Surgit, à les voir sur scène tous deux, la réminiscence de ce quelque chose si précieux, oublié, peut-être perdu, il y a si longtemps. Le souvenir d’une tendre liberté, à la naissance de la conscience, avant la perte de l’insouciance. Tout est là et beau en un rire si frais. Question de jeux, de je, de nous, d’eux: les jeux de l’enfant, si gai et sérieux, le jeu de la chorégraphe et maman, qui s’autorise la dérision maintenant, et ce qui se joue de si vrai entre eux deux. Elle s’affaire, il chahute, construit des châteaux, il reste un enfant justement, tourne de plus en plus vite autour de son petit monde en vélo. La mère le poursuit, l’encourage et le retient, tente de recréer avec lui une impossible fusion en boule sous sa robe rouge. Tout tient à un fil, l’enfant pourrait se fâcher, quitter la scène, s’envoler du haut de ses cinq ans, et le spectacle s’arrêter, la vie continuer.

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    H.S.- Mon royaume sur tes cendres  (étape de travail) de Katalin Patkaï avec Katalin Patkaï et Ernesto Boiffier-Patkaï vu à anis Gras le 19 mai.

    Guy

    affiche de Fréderic Teschner