Dans cet épisode: L'argent-L'intermittence- La Danse est elle politique?- MILF- Une Outsider- Des budgets- Les subventions- Un mécène.
Guy : Toi, j’ai l’impression que tu parles toujours de la vie dans tes pièces. Passons à un sujet moins drôle, je te propose de parler d’argent.
Katalin : Je veux bien, mais je ne suis pas très doué pour ce sujet. L’argent c’est ce qui rend les choses possibles ou non. J’ai réussi des projets sans beaucoup d’argent… mais il en faut.
Guy : J’aborde le sujet car il est d’actualité. Nous enregistrons cette partie de l’entretien fin juin 2014, et beaucoup d’intermittents du spectacle s’opposent à la convention Unedic signée en mars dernier. De nombreux spectacles sont annulés.
Katalin : C’est délicat d’en parler. Je ne suis pas la plus concernée. J’ai longtemps fait sans. Je suis aujourd’hui intermittente mais je fais rarement mes 507..509, non 507 heures. On est souvent obligé de tricher à la marge. Je parle sans langue de bois. En fait je travaille beaucoup plus d’heures que ces 507 heures, mais comme il n’y a pas de sous, je ne peux pas être payée et déclarer toutes ces heures. Je suis obligée de solliciter ma famille pour ma compagnie, Je suis salariée de ma compagnie, et non présidente, car je n’en ai pas le droit. Je ne sais pas s’il faut dire tout ça….
Guy : Pour dire les choses clairement et comme tout le monde en dehors de ton milieu ne connait pas le statut, disons qu’il faut que des employeurs te déclarent pour des répétitions et des représentations plus de 507 heures payées par an, pour que tu aies droit à être indemnisée.
Katalin : C’est ça, mais il y a extrêmement peu de compagnies qui déclarent toutes les heures de leurs interprètes. En fait je n’en connais aucune.
Guy : Ce qui doit arranger tout le monde c’est de déclarer juste assez d’heures, même peu payées.
Katalin : Oui. L’autre jour je suis allée manifester au Philarmonique, porte de Pantin. Un journaliste a voulu m’interviewer, mais j’ai décliné, je l’ai renvoyé vers quelqu’un d’autre. Je ne suis pas au courant de l’accord dans les détails. Je ne sais pas s’il faut le dire, mais c’est mon compagnon Benjamin qui m’aide pour toute mon administration. En tout cas ils veulent amputer le régime. Le comble, c’est que c’est sous la gauche que ça va se faire. Pour ma part, j’ai toujours fait avec le peu que j’avais, mais je connais des gens dans des situations plus graves que la mienne qui n’arrivent pas à se débrouiller ; c’est injuste. D’un autre côté, j’ai des amies plasticiennes qui me disent que nous sommes complètement privilégiées. Mais même s’il y a des abus et des injustices, il y a des vrais travailleurs qu’il faut soutenir. Les intermittents ne sont pas des glandeurs.
Guy : Tu es donc salariée d’une association qui s’occupe des créations de ta compagnie ?
Katalin : Oui. Mais en fait, c’est moi qui fais tout. La salariée c’est moi, la direction, c’est moi. Mais sans association, il est impossible de demander des subventions. Si j’avais le choix de faire des créations sans subventions, je le ferais… mais de toute façon je n’ai pas beaucoup de subventions. Pour la dernière création, Jeudi, le financement est venu d’Anita Matthieu (la directrice des Rencontres Chorégraphiques internationales de Seine Saint Denis) et de moi-même.
Guy : A combien se montait le budget de « Jeudi »?
Katalin : à 11 000 €. Ugo Dehaes, qui a co-signé la pièce, a été à peine payé -1 000 €- pour tout le temps qu’il a travaillé. Le musicien Roeland Luyten a touché 1 000 €. Le reste est revenu aux deux interprètes : Justine Bernachon et moi-même, et pour payer les achats. Pour plus de 4 mois de travail, je n’ai pas eu de rémunération en tant que chorégraphe. Le financement est venu des Rencontres Chorégraphiques qui ont programmé le spectacle. Les Rencontres perçoivent elles-mêmes des subventions de beaucoup d’organismes, mais elles ont 26 compagnies à payer durant tout le festival. Mon association ne perçoit aucune recette des représentations du festival, les 11 000 € se répartissent en environ 4 000 € de cession de droit pour la représentation - l’achat du spectacle - et 7 000 € de subventions pour la production.
Guy : Travailles-tu parfois selon d’autres types de contrat ?
Katalin : Parfois en co-réalisation, mais rarement. Seulement quand je n’ai pas le choix, quand il n’y a pas d’argent pour me payer une cession de droit. Dans ce cas-là, le théâtre prend généralement 60 % des recettes et il te reste 40%. Dans un petit théâtre, s’il n’y a pas beaucoup d’entrées et si tu payes une interprète 400€ par représentation, tu en es de ta poche. C’est juste viable pour un solo. Après 10 ans de travail, ce n’est plus possible d’accepter des conditions comme ça. Cela revient à donner de l’argent pour jouer.
Guy : Penses- tu qu’il y ait des conséquences de ces conditions de rémunération très basses sur la qualité des créations ?
Katalin : Il y a des gens à la DRAC qui jugent que les créations sont de moins en moins convaincantes, de moins en moins abouties… Je ne crois pas. J’ai failli annuler Jeudi. Les Rencontres ne me proposaient que 6 000 € mais j’avais d’autres financements pour la production qui se sont effondrés. J’ai rappelé Anita pour annuler ; elle a insisté et a réussi à rallonger la subvention. Ugo a accepté de ne pas être payé ou presque. C’est fou. Heureusement que je suis entourée de gens comme lui. Sinon je ne fais rien. Le musicien m’a dit que je le paierai quand je serai célèbre. Ce qui est improbable, je le crains! Ce n’est pas possible de gagner de l’argent en faisant des spectacles. Une fois que tu es d’accord là-dessus, ça ne change rien à ton implication, tu travailles à fond.
Guy : Même si je ne suis pas d’accord avec toutes les argumentations, je comprends la violence des intermittents qui manifestent…
Katalin : Oui. Comme tout le monde dans ce métier, je ne calcule pas mes heures. Je fais le triple, le quadruple de ces 507 heures. J’ai travaillé 4 mois sans m’arrêter, de 9 heures à 18 heures, plus le soir, c’est incalculable. Alors que le Philharmonique, même si ça sera une super salle, ça va coûter des milliards.
Guy : Les politiques préfèrent les grands travaux qui se voient de loin.
Katalin : Alors que tu entends des gens dire qu’il y a trop de spectacles au « In » d’Avignon, se demander si c’est vraiment nécessaire… Le « In » est déjà une sélection. On ne peut pas continuer à raboter.
Guy : C’est clair que le travail culturel – y compris celui des écrivains et les plasticiens - est rémunéré d’une manière indigne. Ceci dit, il y a bien - quoi qu’on en dise, un déficit du régime des intermittents. Quelqu’un doit le payer. Est-ce qu’il n’y a pas trop de travailleurs trop mal payés maintenus dans un état de survie par ce régime. Je ne suis pas sûr que ce soit aux entreprises privées extérieures au secteur du spectacle (sauf le fameux cafetier d’Avignon) de financer via les cotisations la politique culturelle au prix des créations d’emplois. Est-ce alors à tous les contribuables de payer ? Mais c’est plus facile politiquement de laisser filer les déficits sociaux que d’augmenter le budget de la culture. On se construit un ennemi idéal avec le Medef mais du coup on élude ainsi d’autres questions qui peuvent déranger des acteurs du milieu culturel.
Katalin : Tu te tiens très au courant ! Penses-tu que nous sommes trop nombreux ?
Guy : En tout cas vous n’êtes pas assez bien payés.
Katalin : Ce sont les théâtres qui payent les intermittents. Ils n’ont pas assez d’argent, ils nous sous-payent. C’est un cercle vicieux. Je ne sais s’ils calculent qu’on sera de toute manière payé par les indemnités de Pôle Emploi. Le Théâtre de Vanves paye mal, mais on est tous trop heureux d’aller y jouer. C’est vrai qu’il y a de plus en plus d’artistes. Mais ce n’est pas à nous de juger. La société a vraiment besoin de ça. Je crois vraiment à un art social.
Guy : Toi-même, à quoi sers-tu ?
Katalin : C’est drôle ; je discutais avec Raphaëlle Delaunay ce matin. Je suis contente : elle s’intéresse au café associatif que je monte à Pantin et pourrait y donner des cours. Elle me disait qu’elle voulait se consacrer à des activités plus tournées vers les autres que les créations de danse ! En tant qu’artiste, j’ai parfois le sentiment de ne pas servir à grand-chose. Je suis convaincue qu’il faut que je fasse des spectacles, mais je ne sais pas si cela fait avancer les choses. Pourtant mes artistes références sont des artistes politiquement engagés, des autrichiens par exemple. Mais c’est frustrant de vivre dans un tel système de culture policée… On joue dans des festivals officiels…. C’est très calme. Je suis allé voir l’autre jour aux Rencontres chorégraphiques le spectacle d’un américain qui vit en Belgique : un spectacle très savant, avec beaucoup de références philosophiques, sur le thème du procès. C’était fait au cordeau, très intelligent… mais hyper ennuyeux. Tout ce qu’il dénonçait, il le dénonçait devant une salle acquise d’avance, avec la bonne conscience de l’élite. Ça ne sortira jamais de la salle, et tout le monde est content. J’ai peur de faire ça.
Guy : Ton père est parti de Hongrie pour des raisons politiques, à l’époque de la révolution réprimée par les communistes ?
Katalin : Oui, c’était en 1956, lors de l’intervention des chars de l’Union soviétique en Hongrie. Mon père était jeune, il n’était pas encore l’artiste qu’il voulait devenir. Il est passé ensuite par l’Angleterre, la France, a essayé d’être comédien. Il avait des idées politiques. Mais quand tu parles de ton pays, je ne sais pas si tu te sens l’envie de reprendre le flambeau d’engagements aussi forts.
Guy : Tu ne me donnes pas le sentiment de créer de pièces très politiques.
Katalin : Je pense que si… Il est vrai qu’au départ il y a une nécessité organique. Comme en ce moment celle de créer quelque chose avec mon fils, mais pourquoi ? Pour rendre service ? Pour apporter quelque chose pour moi, pour mon fils, pour d’autres ? Quelque chose qui soit transmis en tout cas…
Guy : Ta pièce la plus évidemment politique, sinon la plus sociologique, est sans doute MILF qui a été créée en 2013. J’ai relu une critique de Thomas Hahn, qui écrit « Katalin Pakaï lance un vaste débat autour de l’image de la femme ». Comme si tu présentais un documentaire ! C’est vrai que le sujet est bien identifié, tu as recueilli des témoignages de certaines d’entre elles. Tu t’es aussi inspirée de ta propre expérience de mère.
Katalin : Je suis contente que tu reparles de MILF. Je voudrais vraiment que ça se rejoue. L’enjeu c’est de chahuter les choses. Ma propre expérience, je l’ai partagée avec d’autres femmes. On se raconte des choses très intimes, des choses hallucinantes pour elles, pour moi. Je raconte qu’enceinte, j’ai demandé à un éphèbe de prendre des photos de moi dans des situations pornographiques. Il y a des témoignages qui m’ont laissée sans voix. C’est étonnant ce que les gens ne disent pas, en temps normal. Ce sont des expériences irracontables, mais que les interprètes donnent sur scène pour créer un spectacle. C’est leur générosité qui crée une œuvre commune. Avec MILF, je ne parle pas qu’en mon nom. Je ne serais pas capable d’en faire un documentaire ; ce serait plat et indécent.
Guy : Par la danse, peux-tu raconter l’irracontable, l’indécent ?
Katalin : Oui, je crois. La transfiguration permet d’aller au-delà du récit. Surtout de ne pas rester au premier degré. Je n’arrive jamais à parler au premier degré. Ce qui provoque d’infinies difficultés à mon entourage pour me comprendre ; je parle toujours au second degré. Sauf en ce moment, où là, tous les deux on discute sérieusement !
Guy : A propos de décalage, MILF commence par une scène plutôt grotesque, même ridicule, tu entre enceinte et habillée en insecte.
Katalin : Je ne sais pas si c’est grotesque… Oui, c’est grotesque quand même. J’ai fait un pied de nez à ce qui m’énerve dans la danse. Ces codes gestuels, si éculés. Un pied de nez à une danse contemporaine qui est trop fermée. Les chorégraphes disent qu’ils essaient de réinventer les mouvements, mais je ne suis pas convaincue. L’idée même du code me crispe.
Guy : Tu fais partie de ce monde de la danse, mais tu me sembles occuper une position extérieure en quelque sorte. Comme un outsider. Dans un milieu où la plupart des chorégraphes ont une formation de danseur au départ. C’est l’une des choses qui m’intéresse dans ton travail, et qui m’a donné envie d’avoir cet échange avec toi
Katalin : Bien sûr, je suis un outsider. Le métier me rejette en tant que danseuse. C’est comme ça. Je n’ai pas le bon C.V. Il y a d’autres gens atypiques qui eux sont acceptés, comme Philippe Quesne, qui est plus dans le théâtre, et Xavier Leroy, mais lui a inventé un truc incroyable. Je suis parfois regardée de travers, notamment par la DRAC, qui représente l’art officiel. Je leur en veux, encore que maintenant cela me fasse plus rire qu’autre chose. Maintenant j’ai un regard grinçant, et la dent dure.
Guy : As-tu forcément besoin de l’appui de la DRAC quand tu es chorégraphe ?
Katalin : Pour la reconnaissance que cela traduit, ce qui t’aide à être programmé. Et puis avant tout pour l’argent. L’aide à la création est de 10 000 €. Quand tu as obtenu plusieurs fois l’aide à la création tu peux obtenir une aide à l’année pour ta compagnie. Je l’ai mauvaise quand il y a des gens que je connais – mais je ne leur en veux pas car je les aime bien - qui sont aidés après un an ou deux de travail, alors que je n’obtiens rien, moi qui aie été beaucoup programmé. Cela fait pas mal de temps que la DRAC dit clairement qu’elle ne veut pas m’aider. Mais je voudrais éviter d’être aigrie, comme beaucoup de gens qui manquent de la reconnaissance par l’argent.
Guy : Tu survis en exerçant ce métier depuis plus de 10 ans.
Katalin : Parce que je suis intermittente. C’est pour ça que le statut est si important. Tant que je pourrai faire mes pièces… Et aujourd’hui c’est trop tard pour faire autre chose. Je ne sais rien faire d’autre. Avant je souffrais, comme beaucoup d’artistes, de ne pas savoir gagner d’argent, de faire un métier peut-être inutile. Je me trouvais nulle. Plus j’ai essayé de faire des boulots alimentaires, plus j’ai connu des moments de déprime, à pleurer. Je suis très dépressive en fait. Mais je me soigne. J’accuse le coup face aux évènements. Quand j’étais jeune et que mes parents se sont séparés, je suis partie du pavillon de banlieue de mon enfance dans ces bâtiments du Palacio d’Abraxas, j’avais 13 ou 14 ans, on a dû me donner des pilules pour que je mange. Je ne pouvais pas. C’était horrible. Plus tard quand je travaillais pour vendre de la maroquinerie dans un magasin, je pleurais en rentrant à la maison. Je me disais : ça ne peut pas être ça, une vie. Je disais à ma mère que si je devais faire ça toute ma vie, je me suiciderais. Mais aujourd’hui, je sais que je suis une artiste. C’est comme ça. Je ne me pose plus trop la question. Je pose mes tripes sur la table. C’est important. Personne d’autre ne le fera à ma place.
Guy : Ta légitimité, c’est d’avoir ta voix propre… Que tu fasses quelque chose que personne ne fera comme toi ?
Katalin : Oui, mais ce n’est pas de l’ordre de la prouesse, comme tenir en équilibre sur une main et être la seule à pouvoir le faire.
Guy : Sais-tu te tenir en équilibre sur une main ?
Katalin : Non! Mais certains savent le faire, et s’entrainent pour être les seuls à y arriver. J’aime le cirque… mais dans mon travail, il n’y a pas cette notion-là. Quand Justine m’a dit durant les répétitions de Jeudi « pourquoi fais-tu tel geste alors que tu ne sais pas le faire », je lui ai répondu : « c’est parce que je ne sais pas le faire que je le fais ». Cela m’échappe. C’est peut-être de l’ordre du don, dans les deux sens du terme. J’avais très envie de montrer Jeudi ; je n’avais pas eu autant envie de montrer une pièce depuis Rock Identity ou même Appropriate Clothing. Cette fois l’envie de montrer dépassait la peur qui m’accompagne toujours, à chaque création.
Guy : Qui s’occupe de la diffusion de tes spectacles ?
Katalin : C’est moi. Je n’ai pas d’argent pour payer quelqu’un pour s’en occuper. Une fois j’ai fait appel à un bureau de presse pour la diffusion d’une pièce, mais c’est trop cher. Julie Trouverie s’occupe surtout de la communication, du site web, des newsletters, ça m’aide beaucoup. Le nouveau site a été réalisé par mon beau-frère…que je n’ai pas payé.
Guy : Et qui a payé la structure métallique, utilisée comme décor pour « MILF » et « Jeudi » ?
Katalin : Elle appartient à mon compagnon. C’est une structure très lourde, mais simple à monter. Il faut qu’on soit autonome, que ce soit pratique pour l’espace qui nous accueille, économique. On n’a guère le choix. Mais ce n’est pas plus mal. J’aime bien le simple, quand on bricole soi-même, plutôt que les grosses scénographies qui coûtent cher.
Guy : Vous étiez quatre interprètes à danser « MILF ». As-tu pu payer tout le monde ?
Katalin : Oui ! Mais j’étais vachement soutenue. J’ai été accueillie au studio-théâtre de Vitry qui a pas mal de moyens. Ils accueillent dans de bonnes conditions et j’ai disposé de plus de budget que pour Jeudi, avec plus de partenaires. J’étais soutenue aussi par l’Adami, que je n’ai pas pu solliciter pour Jeudi car il faut avoir trois interprètes minimum.
Guy : Il suffirait que tu fasses venir une personne en plus sur scène juste deux minutes pour avoir droit à cette aide ?
Katalin : Oui, parfois c’est comme ça que ça se passe ! Pour MILF j’ai aussi été aidée par un mécène. C’est le retour aux vieilles recettes. C’est bien. Il est tombé du ciel, c’était un monsieur qui avait envie de rêver, qui voulait réinventer la soirée parisienne. Il avait invité des artistes dans son bureau du VIII° arrondissement, en les trouvant avec l’aide de Bétonsalon. Comme j’essaie de saisir les occasions, j’avais eu la politesse de lui renvoyer un petit mail…et j’ai été la seule à faire ça parmi les artistes qu’il avait rencontrés. Il a continué à me voir et à me parler de ses projets avec des mots très philosophiques auxquels je ne comprenais pas grand- chose. Je ne voyais pas trop où il voulait en venir. Ou plutôt si… A un moment, je lui ai demandé carrément d’où venait son argent et ce qu’il voulait en faire. Il m’a répondu qu’il voulait être mon mécène ; qu’il trouvait formidable ce que je faisais. Pourtant, il n’avait pas vu grand-chose de mon travail, juste des photos. Je lui ai fait rencontrer Yves Noël Genod, parce que je ne voulais pas me retrouver toute seule à ces rendez-vous. J’avais besoin des conseils d’Yves Noël, qui est plus doué que moi pour trouver de l’argent. Finalement Yves Noël n’a rien obtenu de lui. Moi si, en demandant à ce monsieur de payer des factures, sans qu’il ne me donne directement de l’argent. Il a payé ma communication pour MILF, mon logement à Avignon, les frais se montaient à près de 5 000€…
Guy : C’est vrai que tous les donateurs préfèrent payer des choses concrètes, plutôt que participer à des budgets globaux un peu vagues.
Katalin : Finalement je l’ai perdu car je voulais bien recevoir, mais ne voulais rien donner ! Mais c’était un homme du monde, charmant, poli, distingué, un peu vieille France. Héritier d’une grande entreprise, il s’était occupé de beaucoup d’affaires qui sont en faillite depuis. Il gérait de l’immobilier. A l’époque Yves Noël voulait tourner un film pornographique et cherchait un lieu chic! Le mécène venait de déménager ses parents de leur 500 m2 avenue Foch. Il a prêté l’appartement à Yves Noël qui y a tourné son « Avenue Fuck », c’était génial ! C’est comme ça que j’ai participé en tant qu’actrice à un film pornographique pour Yves-Noël. Ce n’était pas un film dégueulasse, Yves Noël avait fait venir plein de monde et cherchait des couples pour des scènes de sexe, pour retrouver l’authenticité du sentiment. Finalement il n’y avait pas beaucoup de couples. Beaucoup s’étaient dégonflés, nous étions les seuls. Les stars ! L’appartement était si grand que je n’ai jamais réussi à le visiter en entier. Un jour ils ont découvert que la femme de ménage hébergeait toute sa famille roumaine dans l’une des pièces. Véridique. Finalement le mécène m’a lâchée, je n’ai pas su le retenir ! Tant pis pour moi.
Guy : Donc adieu le mécène. Autre sujet : les sources d’inspiration. Pour toi, il n’y a pas que les sex-symbols du rock, ou le cinéma, mais aussi la littérature : Marguerite Duras pour « Sisters » et « Vendredi » de Michel Tournier pour Jeudi.
(A suivre...)
Propos recueillis au cours de 5 entretiens à Pantin et Paris entre le 4 juin et le 6 novembre 2014, mis en forme par Guy, relus et approuvés par Katalin en janvier 2016.
Guy Degeorges remercie chaleureusement Numa Sadoul dont les entretiens avec les grands créateurs de bande dessinée l'ont influencé de manière générale et en particulier pour ce projet.
Katalin Patkaï crée HS (mon royaume sur tes cendres) au Générateur de Gentilly le 8 et 9 février dans le cadre de faits d'hiver.
Photo Rock Identity par Vincent Jeannot
Jim Morrison Par Ethan Russelhttp://unsoirouunautre.hautetfort.com/archive/2016/02/06/entretiens-avec-katalin-patkai-4-episode-5756170.htm