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Moeno Wakamatsu à fleur de peau

Moeno Wakamatsudanse, et cette danse a comme irrésistible effet de faire oublier, pour le temps qu'elle existe, ce qui a précedé, tout ce qui est extérieur à elle. C'est sans appel et sans regrets. Au ralenti une déferlante. Un an. Un an et pour rien? On prend soudain conscience que l'on est revenu pas très loin du point de départ, et assez allégé. Revenu au point d'où on etait parti ou sinon juste quelques centimètres au dessus, aprés un an de regards aléatoires sur à peu pres soixante-dix expériences, pour n'évoquer que celles qui se placent plus ou moins dans le champ de la danse contemporaine. Pour chaque soirée une trace laissée ici, une évocation comme à la lueur d'une lampe de torche, pour voir creuser du regard un peu au delà de la barrière des discours de fumée et des attentes sociales, mais c'est à peine plus, ou même un peu moins chaque fois, qu'une capture d'écran floue, une appropriation arbitraire comme seule alternative à l'oubli radical. Pour un an surtout pas de bilan anniversaire, juste cette évidence qu'on abandonne en passant: c'était un an d'imprévisibilités, une explosion en rafales de formes chaque fois différentes, d'énergies généreuses et de talents obstinés. Merci. Autant pour les déclinologues qui soupirent à chaque saison, pour les entomologistes de tempérament, pour les faiseurs de jugements à l'emporte pièce: le spectacle reste indéfinissable, insaisissable et vivant. Mais ce soir, aprés un an de propositions en tous sens, certaines très scénarisées, d'autres concentrées à percevoir leur propre respiration, collectives ou solitaires, discrètes ou bruyantes, techniques ou basiques, pudiques ou provocatrices, généreuses ou désabusées, enflées ou modestes, bavardes ou elliptiques, naives ou conceptuelles, et certaines qui à forces de surcharges ou de discours nous avaient alors un peu éloigné du corps, on y revient, en plein. On revient à quelque chose de fondamental et inexpliqué. On revient à Moeno. Un an après. Mais qui elle va depuis bien plus loin.

"Obscurité de verre": c'est un bel oxymore. Plus signifiant qu'il y parait d'abord. Plus immédiatement l'épure s'impose à la conscience, dénudée et transparente, plus le mystère persiste, impénétrable plus que jamais. La performance sera intense et dépouillée, et déja littéralement. Cette nudité qui n'est pas sans risques, non pas tant une question de pudeur ou de provocation, mais plus simplement en termes artistiques: accessoires et ornements qui pourraient accrocher le regard, esquisser comme un scénario, et distraire de l'essentiel, sont ici vite abandonnés, comme cette peau déja morte. Une fois tout ce qui est de l'ordre du social extirpé, que reste t il? Une sourde animalité clouée au sol, qui échoue à s'extraire d'un corps contraint, tous membres étirés en tensions contraires? Ou un réceptacle creux de douleur, lentement ouvert à toutes les forces invisibles prêtes à le traverser? Les interprétations s'épuisent contre le temps et s'évanouissent jusqu'au renoncement. Reste le mouvement: la forme, de foetale devient diaphane, dans un effort décharné se renverse d'un coté puis de l'autre, développée à l'extrême du méconnaissable, visage contre le sol, yeux entre-ouverts qui n'appartiennent plus à personne. Les yeux de la danseuse osent enfin se lever en direction du ciel et le corps debout les suivre. Ce n'est pas la conclusion, pourtant, c'est une nouvelle étape, qui perdure, miraculeuse. On a laché prise mais voit-on mieux, notre regard un peu éduqué à force d'expérience? Rien n'est moins sûr. L'émotion est toujours première, irréfléchie, et cette danse porte en elle même sa résolution. Jamais répétée. Plus forte que toutes les tentatives d'accumulation, elle laisse derrière elle une page blanche. On a rien appris, depuis un an sauf que cette danse s'est encore élevée. On venait d'ici. C'est ici où l'on revient, au tout début, quand les lumières s'éteignent, amnésique, l'inquiétude déjà avivée, saisi par le vertige de tous les possibilités.

C'était Fleur de Peau contaminée par Moeno Wakamatsu, accompagnée de Claude Parle. 1er épisode du cycle Obscurité de verre en huit parties, tous les mercredis à la fond'action Boris Vian.

Guy

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