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Alain Platel: Pitié (pas de jeu de mots avec le titre)

Dieu est mort. Il chante encore. Avec la voix cristalline d'un jeune congolais contre ténor. Sur le T-shirt de ce dernier reluit un Christ kitch et irrémédiablement iconique. Déserté. Dieu est mort, reste l'humanité esseulée. Sur le plateau pas de mariages: un enterrement. Un groupe en noir de deuil. A coté- indifférents - une addition d'individus hagards et en couleurs. Tous seuls donc, désemparés, des corps fragiles qui chassent la gêne de gestes oppressés, se cherchent à deux en frottements laborieux, en coïts hasardeux. Dieu est toujours mort. Même la musique s'est arrêtée. Pour un moment audacieux, prometteur, de chants a capella. Enfin ensemble. Mais avant de nouvelles dispersions. Des démonstrations névrotiques et acrobatiques. Les danseurs se portent les uns les autres comme on porte des blessés. Leur chair est fragile, des peaux à plisser et meurtrir. Les corps émouvants. Vulnérables dans le vaguement ridicule de sous-vêtements, plutôt que dans le superbe de la nudité. Seuls, mais soudain unis en un moment ensemble arraché à la pesanteur, portés très haut par la musique avant qu'encore se disperser. Le passage est époustouflant. C’est tout et c'est peu. Car ce moment retombe, laisse la place à des duos saccadés, des soli convulsifs, comme si la réunion n’avait pas eu lieu. Tout est dit, à peine une demi-heure est passée. C'est dans ces alternances de solitudes et de communions qu’aurait pu monter la pièce en tension. C'est justement dans ces allers - retours que la pièce échoue. C’est là où elle se répète en procédés à perdre le sens, et répète V.S.P.R.S. . Le pari était courageux de concilier le sublime et le vulgaire, le profane et le sacré. Le pari est perdu, et l’on ne sait même plus si la compassion était le vrai sujet.

Dieu est mort, quoi après ? On espère la naissance d’un humanisme, on ne voit qu’hystéries, épilepsies, pathologies. Une humanité à prendre ou à laisser? L'empathie se refroidit. L'homme, seul, a du mal à danser. Il s’agite. Jette des pierres sans se soulager de son fardeau. Par un confessionnal- parloir on entend les dernières confidences au micro des condamnés à mort. L’amour y est un aveu difficile. Mais on reste de l’autre coté de la vitre. On assiste à des rites détournés, on voit des tableaux vivants de la renaissance. Expédiés. Une passion christique, le linceul vite emballé, comme une formalité. Pour dire quoi? Juste pour faire une belle affiche? En haut pendent en dépouilles des peaux de bêtes, en bas les danseurs sont embarrassés de leurs vêtements bariolés, ils les enlèvent, les remettent. Ils cherchent la lumière et ne grattent que des allumettes. A intervalles réguliers, le sublime se réfugie en suspend dans la musique, l’orchestre de huit musiciens d’en haut domine et entretient lyriquement la flamme de la spiritualité: autour de la musique de Bach d’obsessionnels obstinati, véhicules de vaines transes pour ceux d’en bas.

L'enterrement a duré deux heures, ce qui est long. Une dernière étreinte et chacun rentre chez soi. La compassion a eu son moment, rien n’a servi à rien. Dieu est mort, la danse balbutie, reste la bande son.

C'était Pitié, d'Alain Platel (Concept et mise en scène) et Fabrizio Cassol (musique originale, d'aprés la passion selon Saint Matthieu de J.S. Bach) au Théatre de la Ville.

C'était fini le 29 octobre.

Guy

Lire d'autres expressions de deceptions: Images de Danse et Native Dancer, et tout pour la musique, sur Bien Culturel.

P.S. : "L'homme y est réinterprété comme corps incarné, faible, en échec. Cette religion insiste sur l'ordinaire et l'accessible, elle est hantée par la dérision, la mort et le deuil. Après une modernité désincarnée proposant ses icônes majestueuses, on en revient à une image incarnée, une image d'après la chute." texte de 4° de couv' de L'art contemporain est-il chrétien , Catherine Grenier, Éditions Jacqueline Chambon. 

Commentaires

  • Eh bien, Guy, c'est ce qui s'appelle mouiller le maillot ! Ceux qui voudraient décortiquer davantage encore le dernier opus de Platel peuvent lire la critique très fouillée de Guy Duplat sur La libre : http://www.lalibre.be/culture/scenes/article/445863/la-compassion-selon-platel.html
    J'aurai rarement vu une telle couverture médiatique.
    ... Dans le Figaro, Fabrizio Cassol devient Fabrizio Cabassol...
    http://www.lefigaro.fr/culture/2008/10/24/03004-20081024ARTFIG00339-la-triste-passion-d-alain-platel-.php
    Qui a dit que les journalistes traditionnels étaient plus fiables que les blogueurs ? - A moins que ce ne soit une publicité subliminale pour une célèbre marque d'enceintes acoustiques ?

  • C'est bien le problème, et qui ne date pas d'hier, que tous les journaux parlent de ce qui se donne au Théatre de la Ville (et dans quelques grandes salles) et beaucoup moins de ce qu'on voit ailleurs. Je n'incrimine pas les journalistes: il ne sont qu'une partie d'un système qui s'auto-alimente, et ainsi disqualifie largement ce qui se passe ailleurs.
    Raison pour continuer à garder ici-même, sans se fermer les portes du TdV, un ratio petites salles/grandes salles plus élevé.
    "Cabassol"...merci! Je pourrais dire à Clemence que je ne suis plus le seul à massacrer les noms propres.

  • Merci pour votre remarquable analyse, plus pondérée et argumentée que la mienne. J'avais envie de pousser sur mon blog un petit coup de gueule contre un créateur qui m'avait scotché il y a quelques années. Bravo et merci.
    Petit coup de pub pour moi au passage :
    La Mie des Veaux
    http://lamidevot.blogspot.com/

  • alors j'en sors.
    province.
    Dieu est mort?
    Pas le vivant! J'ai assisté, toute proche à ses manifestations, à ces corps aussi proches et étranges, étrangers, que le mien, le vôtre. par cette expérience, ce spectacle, a lieu la transformation, la passion. les signes restent des signes, certes, on peut y trouver des limites, ses limites, mais ne pas se laisser aller à l'essentiel, rester mort et penser que l'on assiste à un "enterrement", quel manque de désir! il ne s'agit que de cela, laisser agir! assister le vivant, l'être.
    C'est un travail magnifique, un travail, labeur qui transforme, c'est une sur-interprétation jouissive confondant ce qui fait rire et pleurer, le travail est questionné à tout niveau et on évolue au rythme cardiaque des pas. au rythme palpable des souffles, au dedans d'un corps, alors si on vient mort, on le reste! si on se laisse une chance d'être touché, la passion (schopenhaueur) s'infiltrera, vous touchera. Je n'attendais rien. j'ai saisi les signes, les interprétations, mais j'ai choisi de voir plus loin si j'y étais, si nous y étions, oui, l'homme est là dans ce qu'il y a de plus organique et de plus divin en un même mouvement, la générosité de ce travail m'a saisie, et ce ne sont que des éclats de vie, d'humanité (théâtrale aussi) que j'ai senti! "l'hystérie" je ne vois pas, car la technicité, la mécanique du corps qui danse, dans l'effort d'être ensemble, ou seul, dans le mouvement, re-cadre la juste distance entre psychologie et projection! incarnation et exécution!
    le pari est gagné car il n'y a pas de pari ici! je ne vois que l'expérience d'un visionnaire, c'est-à-dire, un artiste qui assume une vision personnelle donc poignante, d'une œuvre en elle-même impossible à ré-interpréter! et pourtant!
    le balbutiement non, la tentative bien sûre, la danse ici va plus loin qu'elle même, dépasse une fonction, une représentation, elle est ici palpitation, elle permet de voir, de sentir comment marche l'émotion, (la pitié en occurrence) elle n'atteint d'autre objectif que l'atteinte impossible, elle ne fait que passer et transformer, c'est nous qui restons, ce sont les manifestations de vie; alors, elle touche au sublime non? elle donne par un corps ce que tout corps porte, un héritage collectif lourd en représentation, l'émotion est aussi culturelle, iconique, mais aussi brutale et naïve!
    comment montrer l'humain dans ce qui le dépasse? Nous sommes toujours renvoyé à lui-même et il reste indépassable. on fait avec.

  • Bigre!
    Bravo pour votre enthousiasme.

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