Parfois il faudrait avoir le courage de s'indeterminer, radicalement. C'est à dire de rester dans l'indétermination. Tout le problème est qu'il suffit de succomber au passage à l'écrit pour que les choses tendent à se figer. Dans l'instant. Autoritairement. Se stratifier en émotions. Même si l'on veut être nuancé, les choses se figent dans cette nuance même. Même punition même si on reste ambigu. On a vu la pièce d'Alain Platel il y a plus qu'un bon moment, restée jusqu'ici dans les limbes du non jugement. Suspendue dans l'état flou qui succède à la sortie de salle. Sans avoir été obligé d'en parler jusqu'à maintenant. De cette pièce que l'on a aimée et que l'on a pas aimée. Une pièce qui nous a irrité et épuisé par sa richesse même. Par ses trouvailles et ses facilités. Une pièce surthématisée. Qui nous a laissé saturé d'images et de sons, autant de nourritures pour des sensations contradictoires. les sensations s'éffacent alors que s'enfuit le temps, mais les écrits restent, même mis à distance:
Tels que: Dans cet iceberg de tissus blancs, à la droite du spectateur la musique, Monteverdi, un groupe de musique baroque et tzigane, une chanteuse magnifique, une voix qui s'élève directement jusqu'aux cieux, soulève le coeur, et le porte également dans ce mouvement vertical, en partant du bas ventre. Ajoutez à ce bouillon créatif, une chorégraphie s’inspirant des films du neurologue Arthur Van Gehuchten sur l’hystérie et ceux de Jean Rouche sur les transes africaines, et vous avez une œuvre magistrale, transdisciplinaire, euphorisante. Elle atteint votre inconscient, comme un rêve éveillé. Sous nos yeux, un groupe de femmes et d’hommes « en transe » se forme, se sculpte. Comme dans la cour d’un hôpital psychiatrique, ils se parlent, se relient avec leur corps qu’ils plient, contorsionnent. ces êtres fragiles sans doute, traversés de convulsions et de tremblotements, et que nous jugeons déshérités, sont habités des mêmes passions que nous. Quand un membre bouge, change de place, de rôle, l’ensemble se modifie. La solidarité fait le groupe, le cimente. À mesure que le processus de création du groupe se joue, les danseurs se transforment. Ils rient, ils pleurent, ils dansent, trépignent, connaissent la joie et la fraternité ; ils sont aussi chargés de tous les trésors que nous avons abandonnés, savent des passages secrets entre réel et rêve, enfance et sagesse que nous croyons avoir murés. Usage et raison mêlés n'ont jamais fait de nous que des moitiés d'hommes...
Une fois de plus, les Ballets C. de la B. touchent par leur justesse, la lisibilité du propos et la qualité de l'interprétation. Pourtant j'ai été déçu(e), je crois que Platel n'a pas été à la hauteur de son propos. on a un discours qui se veut drôle sur le caca, qui applatit plus qu'il ne se fait signifiant. Le choix du travail sur l'hystérie a le danger des évidences : c'est certes un état de corps qui permet d'explorer l'excès et les limites du corps mais attention au sens, il s'agit d'une névrose de symptômes organiques qui traduisent en réalité des troubles neurologiques, psychologiques ; c'est une pathologie de la simulation en quelque sorte. L'hystérie n'est pas une étape vers un état de transe, ce n'est pas la même chose, il serait temps de le comprendre.. Il faut du temps pour dépasser le profane, tout ce bavardage n'était peut-être que rite, celui des chorégraphes contemporains qui essaient de trouver du sens, englués dans notre contemporanéité certes plutôt hystérique, pour atteindre, enfin, le moment de grâce. Heureusement il y a cette scène finale, sur le magnificat où la transe se fait chair et orgasme, passage du profane au sacré. D'accord à 100 %, mais sans trop s'engager.
C'etait V.S.P.R.S. ♥♥♥♥♥ , d'Alain Platel et les ballets C. de la B., au Théatre de la Ville.
Guy ...avec surtout la participation non autorisée de Clochettes, d'Images de danse, et du Tadorne.