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Marcela Levi: Pour ou contre In-Organic

Marcela Levi crédit Claudia Garcia.jpg

Contre

C’est de la danse contemporaine, c’est aussi une conférence, presque. A la place des mots: des poses, et des objets chargés de signification. Voire saturés. Marcela Levi met à contribution les signes masculins et féminins. A commencer par sa propre nudité, et des talons aiguilles, des barrettes à cheveux, un interminable collier de perles qui s’enroule en robe avant de se transformer en lasso. Et face mâle, une virile tête de taureau, bien lourde à porter, mise en mouvements par coups de reins vigoureux.

D’une certaine manière, Macela Levi se place en dehors de sa propre performance. Abuse des effets de lenteur et de répétition pour mieux la démonter. Et dénoncer ainsi toute la violence sociale qui au Brésil est associée aux rôles sexuels, le discours aidant: «He likes it, she likes it, and that how it is ». Le discours se fait féministe et militant. Evident. Il se trouve que c’est la journée mondiale contre les violences faites aux femmes, on se sentirait coupable de ne pas acquiescer.

Il n’empêche. Si c’est de la danse, celle-ci manque de force et de générosité. Si c’est une leçon de sociologie, celle-ci manque de subtilité. Trop appuyée et laborieuse. La lenteur souligne les actions, sans pour autant plus les éclairer. Quasi- minéralisées. Il est symptomatique que l’on puisse, ainsi que Jérôme le fait, raconter à peu prés tout ce qui est donné à voir. Mais tout est dit quand tout est montré, imaginaire bloqué. Pour surtout mettre en évidence les pièges d’une danse contemporaine où toute danse est évacuée, au profit de situations imposées, de messages univoques, symbôles trop dévoilés. Il se trouve que c’est aussi aujourd’hui le centenaire de Claude Levi Strauss, c’est d’une pensée, complexe, puissante, ouverte, dont nous avons besoin.
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Pour
In-organic. Il bien est entendu, et le trait d'union l'assure, qu'il n'est pas question d'inorganique. Car il n'y a rien de minéral là-dedans. Il s'agit de ce qui est organique au dedans, je dirais viscéral.
Marcela Levi, ce frêle petit bout de femme nue, à peine plus haut sur ses talons presque aiguille, produit en solo des miniatures, des petits bijoux de précision. Chez elle toujours les mêmes quatre couleurs : blanc, rouge, noir, peau. On se doute que Marcela Levi n'est pas une fille facile. Elle tisse et défait dextrement les symboles. Un filet de colliers de perles raboutés d'un coup devient fil, comme un jet séminal ; s'enroule en corset puis, dévalant ses courbes d'une caresse, vient enserrer ses chevilles comme un lasso séquestre une vache. Des épingles à cheveux peuvent aussi figer une bouche. Ce qu'il y a de viscéral en Marcela Levi, c'est sans doute son énergie mâle, le désir de cette énergie, d'allier force mentale féminine et force physique masculine.
Elle aime affronter le public qu'elle regarde (ou couvre) avec une placide assurance. Comme symbole de son désir et de sa force, une tête de taureau qu'elle porte à bouts de bras comme un trophée, ou contre ses reins aux va-et-vient vigoureux pour mieux la posséder tout en possédant les autres. Nue ou soudain rhabillée - comme domestiquée -, génisse et taureau, dominatrice et dominée, elle-même trophée quand son profil se fige, bouche ouverte, elle admet et affronte les fatalités de son espèce, violentes et ancestrales. Car elle raconte aussi des histoires. L'histoire des vachers machos du village d'à-côté, ou quelque chose comme cela ; d'une belle voix brésilienne si caressante, comme un baume sur la dureté de son pays. L'histoire aussi d'un photojournaliste qui fait carrière sur la misère du monde. "C'est ainsi, il aime ça, elle aime ça. Yeah !" Ce leitmotiv rêveur, répété avec un petit sourire entendu et satisfait, presque gourmand, alterne avec un refrain bruyant, de sabat, d'obscène obsessionnel par sa mécanique.
L'exact objet de la démonstration nous échappe, mais on comprend tout de suite de quoi Marcela parle. Mettant à profit la sensualité de son corps pour mieux subvertir les représentations machistes, elle emploie un procédé classique de la performance féministe. Pour autant, son féminisme est d'aujourd'hui ; il n'est plus question de seulement présenter l'homme comme un bourreau et la femme comme une victime. Entre domination et séduction, acceptation et révolte, Marcela Levi sème le trouble et produit de ce fait, sans doute, la performance la plus érotique des Inaccoutumés.

C'était In- Organic de Marcela Levi, à la Ménagerie de Verre.
Photographie par Claudia Garcia, avec l'aimable autorisation de la Ménagerie de Verre

 Lire ausi Paris Art et les coupures de presses sur le site de Marcela Levi

Commentaires

  • Et alors, Guy, vous concéderiez que c'est un point de vue moraliste ou tout au moins moralisateur à l'égard de la danse contemporaine, le vôtre?

  • Vous trouvez?
    Ce n'était pas mon intention en tous cas.
    Comme tout un chacun, lorsque je ne "sens" pas un spectacle, je le reconsidère dans une démarche analytique...mais la morale n'a pas grand chose à voir la dedans. Sauf quand je juge estimables les intentions de Marcella Levi.

  • Je suis sûr que votre intention est aussi estimable que les siennes.
    Et pourtant une démarche analytique de votre critique laisse voir un certain souhait de réglementation concernant ce que devrait ou pourrait être la danse contemporaine de vos rêves et la pensée que vous jugez necessaire. Et là-dedans je crois que la morale a une place assurée.

  • Aimer: souvent, commenter: toujours, reglementer: jamais!

  • Sergio,
    Je vous rassure : je connais ce Guy depuis un petit bout de temps maintenant et il n'a aucune moralité.
    Sur mon blog, la discussion est partie dans une autre direction : http://imagesdedanse.over-blog.com/article-25806796.html
    J'aurais préféré parler tauromachie, mais tant pis...

  • Jérôme et Guy

    Je crois que c'est plus facile de réussir à parler tauromachie pour qui parle contre, surtout si on parle contre d'une façon dogmatique. Peut-être si vous changez les positions dans le prochain pour/contre la corrida arrivera à images de danse.
    À l'instar de In-organic, acceptation et révolte réunies ça sème le trouble.

  • En fait, comme j'en ai parlé off avec Guy, je m'intéresse surtout aux relations symboliques entre femme et taureau dans la civilisation méditerranéenne. Que vous regardiez du côté d'Io, de Pasiphaé ou d'Europe, le taureau symbolise toujours (évidemment me direz-vous) la force virile et la domination masculine. Une exception peut-être, mais j'ai des doutes, dans la civilisation minoenne : une célèbre fresque de Santorin semble montrer deux acrobates femmes (à peau pâle) placées en queue et en tête du taureau, cette dernière lui tenant même les cornes, tandis qu'un acrobate homme (à peau brune) a sauté sur son dos. Ce serait un cas très intéressant de domination symbolique d'un taureau par une femme. La tauromachie féminine est assez récente, elle remonterait aux années 1830 environ et, apparemment appréciée du public, elle a longtemps rencontré une hostilité virulente des toreros et des chroniqueurs (v. Sandra Álvarez Molina, Tauromachie et flamenco, L'Harmattan, 2007, p. 47-48 - merci Google http://tinyurl.com/3jkn4q !)

  • C'est vraiment intéressant. De ce que j'ai pu voir, cette fresque minoenne a été nommée Bull Jumping et les trois figures humaines représenteraient un(e) seul(e) et même jeune en train de sauter dessus un taureau en mouvement dans ce qui serait un jeu ou rituel religieux.
    http://wsu.edu/~dee/MINOA/BULLJUMP.HTM
    Là il me semble que ça ne serait si inouï puisque les filles ont toujours aimé sauter sur et jouer avec les phallus.
    Est-ce que l'on pourrait parler d'un aspect ludique de In-organic?

  • Ludique, je ne pense pas. Ou alors Marcela Levi nous prend pour un taureau... Qu'en pense Guy ? (Je crois que Guy n'a pas accroché et ne nous dira rien de plus ;-) )
    A propos de la scène de taurokathapsia (n'est-ce-pas... http://fr.wikipedia.org/wiki/Saut_au-dessus_du_taureau), l'auteur que vous citez a une hypothèse intéressante, que les jeunes filles seraient habillées en homme. Bizarre mais pourquoi pas... Je vais consulter les actes du colloque L'acrobate au taureau, les découvertes de Tell el-Dab'a (1999), qui fait état de découvertes de fresques semblables sur la côte égyptienne. Sans doute y trouve-t-on l'état de la question. Comme toujours, interpréter ce genre de peintures sans textes sur lesquels s'appuyer est très hasardeux...

  • Ouf!
    Je suis un peu dépassé par la profusion de commentaires sur ce post... un peu dépassé tout court, on y verra plus clair en 2009 (et dans 2009, il y a "neuf").
    Une suggestion quand même, quand on parle taureau lire Montherlant: et sa Pasiphaé, singulièrement...

    http://unsoirouunautre.hautetfort.com/archive/2006/07/19/pasiphae-mais-on-s-y-fie-quand-meme1.html

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