Il faudrait pour le plaisir, ne revoir la pièce qu'avec les yeux. Le texte du nobel Harold Pinter, ciselé mais ouvert, est avant tout ici bien habité par le jeu. Dans cet espace invivable, encombré de cartons et de projets mort nés, où tout est cassé, Davis- SDF à l'identité floue- est hébergé par deux étranges frères. La mise en scène, cruelle, nous emmène hors des leurres de leur langage, pour montrer l'âpre évidence des luttes de territoire, dans toute leur physicalité. Les enjeux dits - d'absurdes histoires de gardien, de cabane à construire, de maison à rénover... - se perdent dans l'indéfini. Ainsi en va-t-il de la vanité des entreprises humaines. Le pitoyable, et peu sympathique, Davis parle beaucoup pour tenter d'exister, joue et perd, se perd dans la relation entre les deux frères, entre leurs deux polarités: dominant, dominé. Aucune interprétation n'est imposée ici, mais mais sans doute rien ne changera jamais, la radio cassée comme l'un des frères, le sceau au plafond qui se remplit sous la fuite. Avec habileté, rien n'est clair ici, mais l'essentiel est dit.
Le Gardien d'Harold Pinter mis en scène par Eric Supply, vu le 15 janvier 2016, à la Manufacture des Abbesses.
Jusqu'au 24 janvier
Guy