Les années Reagan, les années sida... la pièce de Tony Kushner se date là, millésimée, mais s'en évade. C'est l'un des points forts de cette mise en scène, de s'arracher à cette temporalité, aux lieux, au final de parler plus des anges que d'une Amérique. Sur un fond de crises: de souffrance, de justice, de spiritualité. Ces personnages, surtout des hommes, essentiellement des homosexuels, sont essentiellement interprétés par des actrices, ce décalage laisse du jeu dès le départ. Une fois solidement caractérisés, le ton juste, ils échappent pourtant à des contours trop nets. Au fil du texte-fleuve, généreux, les lieux surgissent et s'effacent d'un coup de projecteur, éphémères, sans que la clarté des multiples lignes narratives n'en soit troublée. Tant que reste éclairé le plus important: le chemin-assez onirique- que les personnages font vers eux-mêmes, autant vers l'intime que le politique. Et le reste autour bouge sans cesse, tout particulièrement me grisent ces moments où je peux m'égarer entre ce qui tient de la convention scénique et des hallucinations qui guident les protagonistes: de l'apparition du fantôme d'Ethel Rosenberg au diorama mormon. L'un des enjeux majeurs du théâtre est de nous faire accepter de nous déplacer, et tout autant de laisser libres, même ivres, dans ce déplacement.
Angels in America de Tony Kushner; m.e.s. par Marcus Garzon, vu au Théatre de l'Ecole Normale Supérieure le 24 juin 2017
Guy