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Canada

  • Daniel Léveillé: le choc des glaçons

    Ce mois ci, Artdanthé fait venir Ma gang de Montréal à Vanves, 10 compagnies de la scéne actuelle québécoise, avec des habitués (Daniel Léveillé, Julie Andrée T...) et des inédits par ici. Ca commence ce vendredi le 9 avec Behind de Marie Béland et La Pudeur des Icebergs. A cet occasion rediffusion d'un texte (initialement mis en ligne le 28/2/2007, merci de votre indulgence!)

    Les cinq danseurs de Daniel Léveillése présentent sur scène au naturel. L'expression est un peu désuête, mais pour le coup semble tout à fait adaptée: notre grande semaine de la nudité intégrale en danse (après Maria Donata d'Urso et Boritz Charmatz), s'achève sur une note comme presque naturiste. On s'imagine bien ces garçons musclés plonger droit et stoïquement dans des lacs glacés.

    medium_4_icebergs.jpgA defaut de pouvoir jamais être anodine, une nudité donc "morale" de premier abord. La preuve en est que le Théatre de la bastillen'a pas jugé nécessaire-comme cela avait le cas pour Ann Liv Young-d'interdire le spectacle aux moins de 18 ans. Conclusion: à la Bastille on peut être tout nu, l'important c'est d'être tout nu chas-te-ment. Et il y a "pudeur" et "icebergs" dans le titre, c'est dire qu'on se situe à l'opposé de la lascivité des cocotiers. Avant de fermer la parenthèse, relevons qu'il n'y avait hier que des adultes dans la salle, ce qui ramène bien interdiction d'il y a quelques mois à sa stricte fonction gesticulatoire.  

    D'ailleurs rien de sexuel ni d'"explicite": on se touche très peu, ou alors virilement, et pour des portés droits et vigoureux, qui s'achèvent en bruyants lâchers. Le corps de l'autre encombre un peu. Et le plus souvent on danse chacun son tour, ou parfois à deux en echo. On court raide, on saute- très haut- on s'immobilise accroupi, essoufflé. Puis on revient attendre en fond de scène, au garde-à-vous, comme pour un exercice militaire. Tous ces mouvements juste un peu adoucis par un fond de Chopin. Mais tout du long on se regarde, sévèrement, impassiblement, yeux dans les yeux, avec intensité...Peut être la trouve-t-on là, la première clef qui nous permet de rêver cette pièce, ce contraste entre la nudité-source de tous les dérapages possibles-et la sévérité des regards, ces regards qui désamorcent toute vulgarité, et ouvrent un espace d'interrogation et de mystère.
    Une demoiselle rentre en scène, dans le même uniforme, pour rejoindre les messieurs. Mais la surprise est de courte durée. Il est vrai que l'armée ouvre depuis déjà longtemps ses rangs aux femmes. Et cette femme ci tient ici exactement le même rôle que les hommes, pas de regard déplacé ni de gestes ambigus. La nouvelle venue ajoute plutôt un type physique suplémentaire à cette palettes de physionomies masculines déja contrastées, une fesse un peu plus ronde et moins musclée. Des athlètes et le style de danse est à l'unisson, haché, découpées en répétitions, en actions courtes, rapides, vigoureuses, des sprints arrêtés, des poses d'atlêhtes antiques-pourquoi soudain pense t on à Montherlant? 

    Mais on aurait tort de s'en tenir là, bien que la plupart des fournisseurs professionnels de pensée en papier qu'on a lu  se sont arrêtés à cette rudesse (pour ceux qui ne s'en étaient pas tout simplement arrétés à la nudité). Car se glissent entre les scènes des instants d'hésitations, d'abandon, des moments de soudaine vulnérabilité, qui font basculer la pièce vers l'intensité. Un danseur frissonne soudain, ou considère son propre corps, étonné. Une danse de groupe s'esquisse, les possibilités se multiplient, on ne reste plus droit comme un I mais on se prostre. Les mêmes motifs sont repris, mais avec plus de brutalité: le partenaire n'est plus porté mais rejeté à l'autre bout de la scène. Un amas de corps se forme- plus résigné, plus serein peut-être que celui de Herses. Par ces renversements gradués on vient de dépasser la démonstration et le maniérisme pour entrevoir bien plus loin.

    Bref on est même persuadé qu'ils peuvent danser autre chose, habillés. On devra attendre deux semaines pour le vérifier, au festival Artdanthe.

    C'était la Pudeur des Iceberg ♥♥de Daniel Léveillé au Theatre de la Bastille, et c'est jusqu'à demain.

    Guy

    P.S.: Et Daniel Lévéillé nous propose une belle vidéo, ici

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  • Dave St Pierre: enfin un peu de genérosité...

    Vu avant Avignon: texte pour la première fois mis en ligne le 31 décembre 2008

    La vraie question, c'est d'oser ou non y aller à fond. Vite, Dave St pierre y répond. Plein les yeux. D'abord en installant la confusion, jusqu’au fond de la salle, et même de la convivialité. Retard, public électrique et jauge saturée, les sièges disputés au public par les danseurs: quinze gars et filles, tous drôles et gentils même quand ils vous escaladent pour se frayer un chemin. Seul sur scène pendant ce temps un gars à poil vocalise dans les aigus, façon bambin. La glace est rompue, mais ce n'était pour nous juste qu’un échauffement. Un peu plus tard les hommes s'habilleront de perruques blondes- et de rien d'autre- pour partir à l'assaut de la salle. Pour grimper les rangs et investir les genoux des spectateurs en poussant des cris de barbies surexitées. Sans que quiconque ne se sente agressé, en apparence. Tandis que sur scène les filles se poursuivre et s'empoignent, se crêpent le chignon, s'arrachent quelques sous-vêtements en piaillant. Rangs et scène sans dessus dessous, il devient de plus en plus difficile de prendre des notes dans ces conditions. Il fait déjà plus que chaud, on est en condition. Assez pour recevoir un morceau de danse à l'uppercut: d'une femme aux gestes déçus, échouant à susciter la tendresse d'un partenaire impassible. La solitude est entêtante. C'est bref et d'une douloureuse intensité, aussitôt rompue par l'arrivée d'une entertainer qui vient railler la danseuse et brocarder un tel étalage de pathos, si déplacé. Pas le moment de faire sa crise. L'hôtesse se propose de présenter à l'anglo-saxonne, avec toutes les bonnes vieilles ficelles, la suite du show, se traduisant elle même en un français à bas budget. Bien sûr les mots n’apprendront rien.

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    Photos par Dave St Pierre, avec l'aimable autorisation d'Artdanthé.

    Toute la dynamique du spectacle se tend sur ces allers-retours, entre séquences muettes et poignantes, et scènes bouffonnes quand la pudeur dénudée se réfugie derrière des pieds de nez. A l’indicible d'indispensables diversions, quitte à parfois charrier temps morts et mauvais goût. Mais même alors, la provocation reste généreuse, toujours débordée. S'agissant de danse les effets sont directs, les mouvements y vont franco, avec choc, chutes et fracas. Rien de délicat. Gestes à vif et vigoureux, engagés dans l'émotion. On repense aux propositions si physiques de T.R.A.S.H. vues ici même, mais qui auraient pris sens. Ici, plus lentement, une fille esseulée danse comme une noyée, court d’homme en homme sans qu’aucun ne sache l'aider. Là les couples pathétiques peinent à se rejoindre, tentent des compromis contrariés, se replient. Chacun perd espoir et équilibre, retourne la violence contre soi-même, avant de partir rejoindre les foules sentimentales. Avec régularité, la présentatrice revient soulager la tension en un déferlement de gags ouvertement bon marché, manipule le public consentant. Mais dérape cul nu dans le gâteau d'anniversaire, montre par son triste acharnement à s'y vautrer que sa propre distance ne tient qu'un temps. Le cynisme noyé dans le ridicule et l’obscène. Et les garçons reviennent à poil et en perruque, minaudent à plaisir, régressent et font les folles: c’est que la tendresse n'ose s'afficher que dans le travestissement. Une fois rhabillés, les hommes retrouvent voix graves et grave virilité, dans les gestes guerriers d'une danse de rugbymen. Finie l'empathie. Puis, alignés, se giflent eux-mêmes, encore et encore, sans s'épargner, nous laissant pétrifiés, jusqu'à ce qu'un spectateur ose protester. Stop. C'était juste le signal qu'ils attendaient pour mettre fin à la flagellation…. Fallait-il que la pitié vienne de nous? La tendresse se résout entre artistes et public. Le soulagement arrive enfin en conclusion… Mais il y a pourtant quelque chose de tout aussi funèbre qu'érotique dans ce moment splendide, où garçons et filles s'abandonnent ensemble à des glissades nues sur sol huilé, sensualité offerte jusqu'au sommeil apaisé. Les êtres innocents et renoncés, se blottissent à la fin les uns contre les autres. Ce dérapage final est tout aussi poignant et incontrôlé que le reste. Place à la paix et la pénombre.

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    Heureuse façon, réconciliée après quelques semaines énervées, d'en finir avec 2008...Bonne Année à tous !

    C'était Un peu de tendresse bordel de merde! de Dave St-Pierre, avec 15 interprètes, au Théâtre de Vanves , dans le cadre du festival Artdanthé.

    Guy

    Quelques échos outre atlantique et domestiques: ici et là.

  • Marie Chouinard: la vie des animaux

    C'est vite vu: ce soir le vocabulaire chorégraphique va plus chercher ses inspirations coté zoo et basse-cour que dans le catalogue académique. Ce Faune  ne s'envole pas vers le poétique, il trace son chemin à coups de sabots, de mouvements hachés, tout contrefait et tourné en dedans, sur un seul 586661700.jpgplan, de gauche à droite de la scène et retour, ni profondeur ni mouvement vers le haut, bête sans ambiguïté. Le collant est hérissé, évoque de plutôt loin les photos de Nijinski. Faute de nymphe disponible, la créature finit par faire l'amour aux cônes de lumière, sa corne repositionnée où il faut, dans un élan masturbatoire et espiègle. On ne sait au juste ce que Marie Chouinard a choisit de retenir de ceux qui l'ont précédés, pour exécuter ces deux pièces de répertoire, et ce qu'elle a choisi d'oublier de toute la tradition pour revenir à plus archaïque, mais le résultat est drôle et perturbant.

    Pour le Sacre, l'habituelle thématique sacrificielle est laissée au bord du chemin, pourquoi pas? Ce printemps s'éveille en pleine nature, évidemment. Les danseurs-animaux s'agitent tous azimuth, chacun dans sa prison lumineuse, mais sans barreaux. La lumière, en l'absence de décor- comme pour le Faune-, structure et découpe l'espace au cordeau. Moulinets, sauts et parades tout y passe, nerveux et saccadé. Jusqu'aux démonstrations d'art martiaux, façon grand maître mimant la prise du chat ou de l'oiseau. Quelques espaces lumineux finissent par se croiser, pour des rencontres assez troublantes: un mâle en rut se frotte à une femelle bardée de cones pointues. Les autres bestioles continuent solitaires à se dépenser up-tempo, les espaces-lumières s'allument et s'éteignent, on commence à se lasser, et même de Stravinsky. Les danseurs évoluent vers le collectif, mais un peu trop tard, puis le printemps se transforme franchement en saison des animaux amoureux. Le faune de tout à l'heure s'est-il glissé parmi eux incognito? C'est, en tout cas, le retour des cornes en érections. Se sent on menacé dans notre virilité? On frôle en tout cas la sur-dose de symboles phalliques. Tout cela, jusque dans la rudesse des gestes, est masculin à l'excès. Est ce l'expression du complexe de castration érigé en système chorégraphique?

    C'était Prélude à l'aprés-midi d'un faune et Le Sacre du Printemps, ♥♥♥♥♥♥ de Marie Chouinard, au Théâtre de la Ville. Jusqu'au 6 avril.

    Guy

    photo du site internet du Théatre de la Ville

  • Pouliches: Manon fait du cheval

    Pouliche, bien qu'en talons aiguilles, elle s'ébroue, piaffe et rue, s'arqueboute contre le mur, se roule au sol, arpente le manège à quatre pattes. Remarquable métamorphose, à un tel point qu'on ressent l'épaisseur molle de la chair, évidente, d'une lourde nervosité, lentement agitée de mouvements abêtis. Quelque chose à l'intérieur gronde, peut être quelque chose d'aussi banal qu'une sourde animalité. En tout cas rien de sexuel, ou alors qui ne pourrait intéresser que les vétérinaires.

     

    Mais il n'est pas indifférent d'être confronté à la bestialité chez l'autre, et par contrecoup chez soi même. Pourtant quand la pouliche progresse au sol, les gestes semblent alors plus humains, tels ceux d'une acrobate. Ici d'une lenteur et d'une application si grossière et obstinée que toute transcendance est lestée. Les postures s'étirent au delà du convenu. Et en deviennent originales. On reste comme figé dans l'univers d'un cirque sinistre- après les chevaux bridés l'écuyère triste-, tout le clinquant disparu, reste la pénibilité fascinante du geste athlétique. Le doublage vidéo nous propose une version en gros plan, plus littérale, assez terreuse de ces exercices. Puis la jument remontre le bout de ses naseaux. Impressionnant. L'exercice évite le piège de l'imitation. Il choisit le parti bien plus efficace de l'évocation: c'est donc d'emblée original et troublant.

    2003654071.jpg

    Même si la démonstration appuie et dure un peu, même si le sens en reste un peu obscur. S'agit-il d'évoquer la femme sauvage, à en lire le programme? Pourquoi pas... On nous parle aussi de l'identité féminine: c'est réducteur sauf à n'en retenir parmi les mille potentialités que celle d'un anti-fantasme masculin. On nous parle aussi de sublimation du corps féminin: on la recherche ici en vain. Ou peut-être portée au second degré par la contrebassiste et la chanteuse lyrique, cette dernière d'une sophistication précieuse. Il est donc grand temps de jeter la feuille de salle à la poubelle, alors que la jument s'humanise ouvertement, en un long frémissement de plaisir, qui nous semble bien trop élaboré pour être chevalin.

     

    Suivi par des variations chorégraphiques plus familièrement anthropomorphiques malgré l'usage du harnais, et plus qu'allusives. Elle rie. Si on se lâche à scénariser, on tend à penser, à la vue de cette conclusion, que le précédent avatar de cette créature ne participait après tout que d'un jeu délibéré, et ouvertement pervers. Qu'il n'existe pas de retour innocent à la nature. Mais toutes les hypothèses restent ouvertes-tant mieux. Il parait que pour comprendre cette fascinante performance on peut trouver des pistes dans l'oeuvre de la photographe Cindy Shermann. 

    C'était Pouliches , de Manon Oligny(Manon fait de la danse),  dansé par Anne-Marie Boisvert, avec Mona Somm au chant et Anne Gouraudà la contrebasse, avec des videos de Thomas Israel, à Point Ephemere .

    Guy

     

    P.S. du 27/5: photo avec l'aimable autorisation de Thomas Israël

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  • Les Printemps de Léveillé

    Extraites du répertoire de Daniel Léveillé, deux pièces jetaient hier soir un regard 20 ans en arrière. Mais deux pièces, qui, de notre point de vue qui n'est pas celui de l'historien, résonnent- comme Herses- plus actuelles que bien des nouveautés. Sauf à considérer qu'il faille du texte ou de la vidéo pour être moderne.

    Or pas même de musique au début du premier solo, Traces N°2. Une lumière simple et une femme- Louise Bédard- un vrai personnage bientôt. Embarrassée d'habits trop grands. Dans ce silence qui de plus en plus pèse, l'interprète exécute brusquement des spasmes comme nerveux. S'installe l'illusion que ces spasmes saisissent malgré lui le personnage ainsi créé. Brèves interruptions, mais pour laisser s'exprimer l'angoisse d'un regard à la dérive. Un visage décomposé. Cris. L'invention hachée et brute d'un nouveau vocabulaire gestuel, violemment inédit. Que Gilles de La Tourette aurait pu composer. Langage sans compromis, qui vient chercher quelque chose très loin dans le corps, pour nous l'imposer. Cela continue. Stupeur et tremblements. Gène, et toujours aucune musique pour l'atténuer.

    C'est une révélation poignante quand, une éternité de 10 minutes plus tard sautillent les premiers accords de guitare de "The girl from Ipanéma", qu'on a entendu mille fois, mais jamais comme cela. Louise Cavallier déambule alors gauchement, comme une danseuse de buto. "But she doesn't see....?" La phase répétée par Stan Getzsur le registre brumeux mais léger du sax ténor installe un contraste pathétique avec ce qui est vu. Mais le dérangement n'en est pas atténué, ni happy end ni rémission.

    On ne parvient pas, après ces émotions, à s'intéresser vraiment au Sacre du Printemps qui suit. Malgré Stravinsky (1882-1971), malgré les toutes les trouvailles, malgré l'énergie et l'excellence des quatre danseurs, rhabillés de la Pudeur des Icebergs. La majorité de l'audience semble pourtant acquise ou conquise, de la pré-ado à couette du premier rang aux mamies expansives derrière. Mais cette pièce va beaucoup moins loin que Traces. C'est simplement de la danse, et les pas sont toujours placés, impeccablement, SUR le tempo.

    C'étaient, de Daniel Léveillé, Traces N°II (1989) -♥-interprété par Louise Bédard, puis Le Sacre du Printemps (1982), interprété par Frédéric Boivin, Mathieu Campeau, Justin Gionet, Emmannuel Prouix. Une fois encore à Vanves Théatre, avec Artdanthé.

    Guy 

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