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aude lachaise

  • Ceci n'est pas un stand up

    Aude Lachaise excelle dans l'art du décalage, du contrepied (Vérification faite, on a déjà écrit cela il y a 2 ans, mais on est bien obligé de le répéter puisque de pièce en pièce elle persiste). Donc la chorégraphe use, l'air de rien, de stratégies obliques pour traiter des sujets qu'elle a choisi. Des sujets même potentiellement sérieux. Pour commencer, ceci n'est pas un stand-up. Même si le festival de danses d'auteurs qui le programme, non catégorisant, ne s'interdit rien. Les codes du stand-up constituent ici juste un point de départ. Est ainsi déjouée par l'excès et la charge une relation performer /spectateurs qui serait trop convenue: entrée en musique pour claquer des mains et taper du pied, accent improbable, bavardage et fausses confidences, banalités sur le "vivre ensemble", le féministe, le racisme, et autres consensus obligés... Tout mis à terre, déconstruit, on peut alors passer aux choses sérieuses. Mais légèrement, en toute hilarité, avec les interventions hors normes de Susana Cook et Paula Pi. Les discriminations liées au orientations sexuelles, aux identités... le sujet, pas évident, passe comme une lettre à la poste. La proposition secoue les genres, dans tous les sens du terme, entrainée par une jubilation du mouvement qui emprunte beaucoup au music hall. Le décalage culturel est à l’œuvre: Phil Spector, Tina Turner et les Temptations sont décortiqués avec autant de pertinence que Karl Marx et Simone de Beauvoir. Pour beaucoup, la montagne reste haute, et la rivière profonde. Après tant de spectacles appliqués et pesants, c'est une bouffée d'oxygène. La politique est une chose trop sérieuse pour ne pas la laisser à ceux et celles qui savent nous réjouir.

     

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    Outsiders, la rencontre / Aude Lachaise from manège, scène nationale-reims on Vimeo.

    Outsiders, la rencontre, par Aude Lachaise, vu au carreau du temple le 1er février dans le cadre du festival Faits d'hiver.

    Guy

    Photo d'Alain Julien avec l'aimable autorisation de faits d'hiver

     

     

  • Belle déprime

    Cette pièce n’est-elle pas très noire-ou est-ce moi-même qui suis déprimé ? Ce soir, plongée tout droit dans le sujet désabusé de la perte d’intérêt pour le travail, avec par le plus grand des hasards le cas d’un chorégraphe démotivé. Son entêtement à rater mieux. Mais si l’humour est la politesse du désespoir, l’art du décalage est ce qui sublime la pièce d’Aude Lachaise. Brouillage des frontières pour une proposition étiquetée danse où l’on n’arrête pas de parler, intrusion du modern jazz dans le genre contemporain, quasi-synchronisation entre les voix des uns et les corps des autres, dérapage contrôlé d’un récitatif d’une précision chirurgicale en une comédie musicale métaphysique et exubérante. C’est délicieux. L’understatement joue à cache-cache avec l’affect, l’angoisse s’évacue en danse jusqu’à l’épuisement des corps, avec de belles surprises visuelles. La déprime adulte dérive en de savoureux moments de régression infantile. Bien heureusement : Aude Lachaise pratique un art d’une insoutenable légèreté.

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    En souvenir de l’indien d’Aude Lachaise , vu le 24 septembre 2015 à l’Atelier de Paris Carolyn Carlson dans le cadre des Plateaux.

    Guy

    Photo par Sarah Oyserman avec l'aimable autorisation de la compagnie.

    lire aussi Marlon

  • Kataline sous le regard du Cygne

    Une histoire de femmes, essentiellement? Avec Kataline, Isabelle, Viviana,  Julie, Beatriz, Anna, Camille- Lucile, Gemma, Aude, Paloma, Lisa, Katia, Erika et les autres... Au fil des numéros de ce Cabaret des Signes signé Kataline Patkaï s'exprime la féminité, et à la quasi unanimité. C'est à noter, même s'agissant d'un domaine d'expression artistique où artistes et publics penchent majoritairement de ce coté. Unique exception de la soirée: un quart d'heure d'Ugo Dehaes mais qui symptomatiquement danse sa performance- Forces Leech- en rampant, littéralement piétiné, sa partenaire sur lui debout perchée: woman on top.

    Donc du début à la fin, la féminité se donne à voir en recherche, à commencer par l'adaptation d'un texte de Marguerite Duras. Forcement. Ses mots d'écrivain se démultiplient en 6 danseuses, 6 fausses sœurs: brunes, blondes, de toutes décades, physiques et  horizons. Duras, le texte, la danse.... D'emblée une question s'impose, sans trouver tout de suite de réponse: dans cette rencontre- ou dans cette introspection- comment un regard de la minorité masculine peut-il s'insinuer, s'installer? Forcement déplacé, comme un chien dans un jeu de filles? Revient le souvenir d'une brève visite lors d'un filage deux trois jours avant, dominé par la sensation de se retrouver par mégarde dans le vestiaire des dames. Presque autant que cet inconnu absolu, ce mâle étranger, qui, la même soirée, surgit en pleine répétition de ces sœurs en tenues de bain, profitant d'une porte mal fermée?

    Kataline dit: j'ai voulu adapter le texte de Duras, parce que c'est un auteur (Elle ne dit pas « auteure », d'ailleurs) qui a m'a marquée, comme il a marqué beaucoup de femmes. Même si des hommes tels que vous peuvent lire Duras, bien sur- s'excuse-t-elle opportunément (c'est une conversation qui a lieu quelques semaines avant, avec deux hommes justement : Jérôme et moi-même). Elle poursuit: Duras fait résonner en nous quelque chose de très violent, très sexuel. L'adapter c'est le moyen pour moi de travailler des thèmes qui me correspondent. Le désir selon toutes ses déclinaisons, l'engagement absolu, mais vers quelque chose que l'on ne peut jamais atteindre....

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    Sisters, d'après Marguerite D., ce soir on y est. Plutôt on y revient, pour un long extrait, après sa création plutôt précipitée lors du printemps dernier aux RCISSD.

    Je me relis....

    De ces notes d'alors, rien à retrancher: elles prenaient acte des thèmes déjà développés, ces thèmes ne se sont pas perdus en route. Depuis c'est le rythme qui a changé, s'est approfondi. Il y a plus de rondeur autour d'une violence toujours contenue. Avec les présences stabilisantes de nouvelles interprètes, telle Jesus Sevari. La créature monstrueuse, ambiguë, en construction ici- 6 corps fusionnés en une troublante chenille- respire mieux, les voix mieux ajustées. L'âpreté est intacte, mais les regards ont gagné en abandon, dans la chaleur du bois et de la pierre du studio du Regard du Cygne. Tout semble question de féminité, tout parait aussi autoportrait. Est-ce ici Kataline en maillots de bains? Un seul corps multiple et glissant, membres imbriqués et rapports, dans la lenteur pensante des étés de canicule, sous le soleil exactement. Le récit textuel et visuel renvoie à l'adolescence, à la naissance de la sexualité, à un suspend sensuel intense et en fuite. Comme à la recherche d'un instant particulier, on devine alors la chorégraphe plus attachée à la force des images- quasi arrêtées- qu'à celle des mouvements.

    Sur scène Kataline, toujours à la voix douce, trop douce, parvient pourtant à faire entendre les mots de Duras. Mais de dos. Six bouches s'ouvrent pour les reprendre, les répéter. Texte et gestes s'articulent, mais de ce texte l'homme est absent. Forcement? Ou est-ce plus compliqué? Kataline dit, en privé: quand j'ai commencé à chorégraphier, j'ai créé un solo pour un garçon, mais c'est peut-être de la femme dont dés l'origine j'avais envie de parler...Car après il y a eu un duo homme/femme (qui s'appelait X-XY', tiens, tiens...)- , puis un trio avec deux femmes et un homme (Appropriate Clothing Must Be Worn), et pour finir Sister qui est une pièce pour six filles... Elle dit: entre temps j'ai fait Rock Identity : un solo en trois parties qui s'inspire de figures du rock masculin. Des figures qui ne sont pas si mâles que cela: Morrison est très androgyne, Kurt Cobain aussi, Bernard Cantat l'est franchement moins... mais j'interprète ce dernier en talons aiguilles.

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    C'est un angle d'attaque pour regarder Sisters... Lors de Rock Identity, Kataline, 100% femme et seins dehors parvenait à être homme, à être Jim Morrison. Est de même suggérée une part mâle cachée dans cette Duras dansé, cette femme surprise dans un moment flou de son identité, dispersée en doubles inquiétants, ses vêtements arrachés de l'une à l'autre, les corps de chacune traînés par les cheveux jusqu'à la conclusion: cette orgie de chairs rêvées, une exploration et une initiation, scène éminemment onirique et masturbante, dominée par l'absence du partenaire amoureux...On attend la suite.

    La thématique ainsi bien posée avec Sisters, le déroulé de la soirée peut se voir comme une suite de déclinaisons- déléguées à chacune des artistes et au gré des affinités- de la figure féminine en général et des choix artistiques de l'hôtesse en particulier... C'est varié et riches de respirations.

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    Ainsi avec Mystérious Skin, vigoureux solo de Julie Trouverie, qui trouve sa dynamique dans la dualité entre sauvagerie et sophistication, l'érotisme se trouvant au point de rencontre. C'est-à-dire que la créature se déchaîne en femme des cavernes vêtue d'un manteau de fourrure. Du titre le mystère est vite révélé, de même que la peau est mise à nue. Sur ses mouvements paniques les désirs ne peuvent qu'ouvertement converger.

     

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    La mise en situation de l'archétype social féminin est poussée ensuite bien plus loin avec un intelligent cynisme. La performance culinairequi vient est très particulière. Quatre belles femmes en robe de soirée, sexys et maquillées, s'offrent à déguster: sur dos et bras nus tranches de saumons et autres mets raffinés. C'est la réaction du public, confronté lors de cette performance à ces femmes objets, à ces biens de consommation haut de gamme, qui est intéressante.... Le regard masculin est pour le coup directement sollicité, mis au défi de prendre position. La main hésite à suivre les yeux, quant à la bouche...Est-ce que goûter, c'est tromper?

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    Plus- mais trop alors ?-de distance nous sépare de Krack, le duo de Viviana Moin et Jesus Sevari, l'une d'Argentine, l'autre du Chili, sur le mode des confidences dansées/parlées quant à la condition de l'artiste femme et étrangère. Hablas espanol? Si ce n'est pas le cas en l'état la rencontre reste frustrante, perdue sur la carte, mais c'est un travail encore en cours (à la prochaine occasion, se souvenir de demander à Mlle Patkaï, qui dirige ce duo d'«où » elle-même vient.).

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    Viviana Moin s'attaque elle aussi, avec Billy,au sujet de la sexualité. C'est à dire qu'elle l'aborde directement, sans prendre de gants. Brode à partir du récit d'une vision d'enfance possiblement tramautique, pour inventer des confidences drolatiques sur sa « vie de femme » (comme on dit dans les mauvais magazines) avec les hommes dotés d'un sexe-escargot. Scoop! Viviana nous réconcilie au son de Nina Simone autour d'une vision dédramatisée des relations entre les deux sexes. Nous sommes conviés par le rire.

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    Beatriz Setien Yeregui tente avec Beatriz chante l'expérience de l'exposé d'une femme démultipliée, en jouant simultanée des trois modes d'expression de la présence, de l'image, et du commentaire. Joue la candeur tranquille. S'agissant d'art conceptuel, c'est dans les premières minutes terriblement ennuyeux. Mais cela devient subitement terriblement drôle quand les niveaux de sens glissent ensemble, jusqu'à se télescoper en connivences, dans un grand écart entre Joseph Kosuth et chansons traditionnelles.

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    Les Vraoum's concluent en sourires la soirée avec leur girl's band au second degré, mais c'est Isabelle Esposito, qui aura proposé la figure féminine la plus audacieuse, et sans doute la plus prometteuse, quitte à dérouter une bonne partie du public, hommes et femmes confondus. En créant avec la Sombre Sautillante un personnage desexué d'un corps hasardeux, qui marmonne à tâtons, esquisse une progression incertaine de gestes ahuris et poussiéreux au milieu d'objets désenchantés. Dans la ligne désespérante, exaspérante et rigoureuse de Vieille Nuit, à l'autre extrémité de la gamme.

    C'était le Cabaret des Signes de Kataline Patkai: Sisters(extrait) de Kataline Patkaï, Reprise de la pièce créée en 2008 aux Rencontres Chorégraphiques de Saint-Denis, Avec Kataline Patkaï, Aude Lachaise, Jesus Sevari, Erika Zueneli, Julie Trouverie, Lisa Nogara, Krack (étape de travail) de Kataline Patkaï avec Viviana Moin, Jesus Sevari, Kataline Patkaï, Performance culinairede Kataline Patkaï avec Katia Petrowick, Paloma Moin, Camille Clerchon, Anna D'Annunzio, Lisa Nogara, Les Vraoums spectacle/concert de Maeva Cunci, Virginie Thomas, Pauline Curnier Jardin, Aude Lachaise, Forces-Leech de Ugo Dehaes - Avec Ugo Dehaes et Gemma Higgin Botham, La sombre sautillante(étape de travail) solo d'Isabelle Esposito, Beatriz chante solo de Beatriz Setien Yeregui, Billy , solo de Viviana Moin, Mysterious skin
    Solo de Julie Trouverie.

    Au Regard du Cygne.

    Guy

    Photos de Jérome Delatour- Images de Danse avec son aimable autorisation, sauf photo de la performance culinaire (DR) avec l'aimable autorisation de Kataline Patkaï

    Merci à Kataline Patkaï pour son accueil lors de nos premieres discussions.

    Lire: Images de danse

  • Aude Lachaise: un Marlon nommé désir

    C'est bien joué. Elle nous a pris à contrepied: ni bal, ni danse ni tango, ou si peu, et tant de mots. Au pied des lettres, a one-woman show. Pour aborder des sujets dont la danse parle souvent mais presque tout aussi souvent sans en parler vraiment: l'amour et le désir. "Sexe", "cul"... les mots crus sont lachés, avec toutes leurs sonorités. Savourés avec gourmandise, decortiqués, avec une naïveté feinte mais quand même désarmante. De quoi faire ensuite accepter de la lucidité à haute dose.

     

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    Juste des mots joués: tout se tend et se developpe à partir de cette frustration initiale dont la danseuse s'amuse à nous distraire. Et y réussit. A force de pirouettes et reflets dans un oeil d'or. On écoute: seduit et agacé, amusé dans l'attente d'une danse qui ne vient toujours pas. Ou juste à l'improviste: à travers un self- portrait drolatique et pâmé d'Aude en Audition. Mais- rendons à Cesar ce qui est à Cesar- une fois le sujet bien posé, le corps revient dans le jeu, suit les mots, pour un traité des parties molles, une invitation à la contact improvisation. Texte et corps également maitrisés: deux visages de la séduction et un partout pour le score...La mayonnaise prend.

    Mais a- t on parlé de Marlon Brando, sinon par allusion ? Ni Superman ni Don Juan, plutot son ombre, un invisible partenaire, nous sommes tous des Marlons.

    C'était Marlon, de et avec Aude Lachaise, à Point Ephémère à Paris, sur les quais. Ce vendredi encore

    Guy

    photo de ? par Dominique Gilliot avec l'aimable autorisation de Point Ephémère.

    voir aussi les images et les mots hors cadre de Jerome Delatour