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aurelien bory

  • Aurelien Bory tisse Taoub

    Après avoir la veille éprouvé toute l'aridité de la danse de Merce Cunningham, on était assoiffé d'humanité. 9651f132449ea379043d6e5702c6857a.jpgEn manque de rencontres et de sens. Le salut est venu de la plage de Tanger, là où entre sables et eaux atlantiques s'entraînent les acrobates, entre amis et en famille, depuis toujours ou presque. Toujours est devenu aujourd'hui, Tanger s'est déplacé à Paris, la tradition s'est enrichie de modernité. Et les artistes marocains ont remis en question leur pratique, avec la complicité essentielle d'Aurelien Bory, qui emmène ces douze acrobates jusqu'à leurs plus belles limites poétiques. Il y a en effet ici bien plus à voir que des figures généreuses et héroïques, qui puiseraient dans le fond universel des arts du cirque. Il y a avant tout la manière dont les performances physiques placent et déplacent les corps- et les coeurs- les uns par rapport aux autres, et par rapport à l'espace du monde. Ainsi les redéfinissent. Il y a la manière dont rêves et souvenirs sont à peine montrés, entre passé et avenirs, sont plutôt suggérées.

    Tout est évoqué avec presque rien. Avec une remarquable modestie de moyens: ce grand tissu, quelques lumières, un peu de vidéo. Il suffit d'un déploiement et le tissu dessine un paysage infini, des dunes de sable jusqu'à l'horizon, ou une créature floue aux mouvements imprévisibles, un théâtre d'ombre ou de marionnettes, une robe démesurée jusqu'à un comique absurde, la toile où se projettent les images d'une ville marocaine. Car ces artistes ne viennent pas de nulle part: ils apportent avec eux sur scène les évocations de leur histoire familiale, sociale, régionale. Histoires en mutation: sur les vêtements blancs traditionnels sont projetés des habits occidentaux, comme autant d'interrogations. Les chants se teintent par moment de rythmes modernes, et les deux filles de la troupe occupent une position privilégiée, vers le haut, portées et soutenues par les garçons, en décalage avec la position de la femme dans la société marocaine

    Au fil des spectacles, Bory sait diriger notre regard, tout en nous ne faisant pas dupe, mais complices. Pour une nouvelle innocence, partagée. Les illusions d'optiques nous sont déja souvent connues, mais prennent sens dans l'histoire ici racontée: une fille portée dans les airs comme par un tapis volant, un corps séparé en deux qui cherche à se reconstituer, le dialogue entre un personnage et son ombre, les tentatives d'adaptation de deux garçons pour reproduire des figures renversées par les images vidéos. Toujours la difficulté d'exister, mais ici dans des contextes culturels particuliers. Et ces personnages-acrobates ne cessent jamais d'être eux-mêmes: les brefs instants d'attente, plein d'humilité et de vérité, ne sont pas les moins beaux .

    Tout parle ici, mais sans discours, de rencontres, de solidarités, de pudeur, de respect de l'autre. Quand les filles yeux bandées marchent en confiance dans les airs sur une forêt de mains tendues et d'épaules, quand tout le groupe s'unit pour faire s'envoler l'un et l'autre toujours plus haut, quand les corps fiers se croisent pour sauter sans se heurter. Tout parle de rencontre, de tissu (Taboub en v.o.) et de liens, de la rencontre entre Aurélien Bory et les artistes marocains, entre les hommes et les femmes, entre l'histoire et l'avenir, entre l'acrobatie traditionnelle et le cirque moderne, entre l'Europe et le Magreb. Pour un véritable idéal de fraternité humaine qui concilie rencontres et identités.

    C'était Taoub  ♥♥ , d'Aurélien Bory avec le Groupe Acrobatique de Tanger, à la Grande Halle de la Villette jusqu'à debut janvier, et en tournée aprés.

    Guy

    Et à lire aussi: Plus ou moins l'infini, ainsi qu' Erection chez Clochettes

  • Plus ou moins l'infini: la ligne claire

    Flagrante rupture avec l'attitude narcissique, emphatique, sacrificielle, frontale, impudique, à laquelle nous habituent les danseurs. Les artistes circassiens ici s'effacent modestement au profit du geste, pour que celui ci soit simple, efficace, évident, absolu. Droit, net comme les lignes, qui tracent la direction de la pièce. Le corps n'est qu'un moyen du spectacle, en concours avec accessoires et lumières, et non plus son sujet central. Ce n'est pas un hasard si la pièce débute et s'achève en l'absence d'artistes sur scène, sur la mise en mouvements de simples tubes de métal, combinés en figures géométriques qu'animent les lumières. Troublante personnalisation de l'abstrait, tant le mouvement suffit à imposer l'idée de la vie. Les artistes prennent leur place quand même, d'abord une main, puis une tête qu'un corps sans tête poursuit. Les visages restent absents presque, pas des personnages vraiment, juste de fragiles silhouettes. Au service de l'image. Au même plan dramatique que perches, bâtons et ballons. On pense à la puissance expressive, de "La Linéa" ou celle de certains des dessins les plus épurés de Moebius. Attitudes raides, costumes strict comme ceux des musiciens de Krafwerkt, humour et stylisation géométrique.

    Poursuite des lignes de la nostalgie vers le futurisme : malgré le modernisme et les clins d'oeil aux cultures populaires de l'ère moderne -Star Wars, Atari, Space Invaders jusqu'à Matrix-, malgré les mises en situation de personnages confrontés à leurs propres images, réduites à l'essentiel numérique, pour des parties de jeux sur écran, malgré ces mises en abîmes qui- ne serait ce le traitement burlesque- pourraient évoquer le trouble d'une violence banalisée/virtualisée, le cauchemar de rapports humains anesthésiés en 2D, on pense à l'esprit du cinéma muet. En voyant ces acrobates qui progressent à contre courant sur les lignes mouvantes, qui accrochés à leur perche resistent au vertical contre la gravité, sans témoigner de la moindre indignation, sans effort apparent, sans trahir d'émotion. On pense, inévitablement à Buster Keaton, l'immortelle incarnation de la dignité humaine confronté à l'adversité. Le Buster Keaton de Steamboat Junior, fétu de paille au coeur du cyclone, mais frayant son chemin obstiné, chute après chute, contre les élements. Une calme et résolue révolte, d'un absolu géométrique, corps contre lignes, grain de sable, le propre du genre humain.

    C'était Plus ou moins l'infini , conçu et scénographie par Aurelien Bory-Compagnie 111, mis en scène par Phil Soltanoff, au theatre de la Ville.Sur invitation de BNP Paribas, ce qui démontre que le spectacle vivant sait parfois chercher l'argent là ou il est.

    Guy

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