S'ils touchent terre, les circassiens de Mathurin Bolze-dans la Grande halle de la Villette- tombent-ils en enfer? Ils ont d'abord manqué d'être aplatis par la descente inexorable du plafond- souvenirs de vieux feuilletons-, avant d'embarquer ensemble sur cette petite planête qui s'élève et pas moyen d'en descendre en route. Il s'agit plutot un radeau de fortune, une terre en miniature, aux mouvements aussi incompréhensibles que ceux de la vraie terre, sur laquelle il faut vivre quand même. Si les lois de la gravité y deviennent toutes relatives, les lois du coeur y perdurent, avec les mêmes élans mais magnifiés: amour, humour et disputes. Solidarité aussi. Le tout en gestes et reconstitué sur quelques mêtres carrés précaires et sans cesse remodelés, animés par la poésie virtuose et imprévisible des cinq acrobates. Tout s'y exprime avec une précision légère. On est d'abord fasciné par le vide vertigineux de 50 centimetres de haut dans lequel ils manquent de tomber (un vide aussi illusoire et spectaculaire qu'au bord de la falaise du Roi Lear). Le radeau ensuite s'envolera bien plus haut pour de plus fortes sensations. Pour affronter la haute mer et enivrer les gestes. Les fausses chutes sont d'une irresistible tristesse, les gags merveilleux et mélancoliques. Les plages lentes font place à des accélérations frénétiques. Tout enfin se déglingue dans ce Titanic pret à basculer en free jazz. Quand tout tangue, où va-t-on, comment vit on?
Dans le ventre d'une autre baleine culturelle, le 104 endormi, Maria Donato d'Urso , elle non plus ne touche pas terre. Ne touche pas l'eau plutôt en suspend en dessous d'elle, son corps cruellement échoué sur un étrange navire de trois mats et de voiles. La toile vaporeuse à la fois nous la dérobe et l'expose. De ses gestes ecartelés elle fait se renverser les trois axes aux angles aigus qui la traversent, en de nouvelles combinaisons instables et impossibles. Les bruits sont lourds et la toile respire, projetés sur cette toile les mots sont blancs et ces mots rêvent. La lenteur rêgne, la langueur inquiète, sans repos. Lus en linéaire les mots convainquent moins que lorsque que projetés: alors un poème dermatologique. C'est pourtant une belle et laconique performance, enivrante et surprenante, dans la continuité et le difficile renouvellement de ses précedentes mises en situation.
Danseurs, acrobates, tous sont ici des athletes de la beauté.
C'était Du Goudron et des Plumes, m.e.s. par Mathurin Bolze à la Grande Halle de la Villette, jusqu'au 25 avril, et pleine peau- strata etude de Maria Donata d'Urso avec un texte de sophie Loizeau au 104, pour la cloture de Concordan(s)e.
1ere photo: (Christophe Raynaud De Lage) avec l'aimable autorisation de la Villette
2eme photo (LAURA ARLOTTI) avec l'aimable autorisation de Maria Donata d'Urso