Au Palais Royal, on redécouvre tout ce qui fait le charme discret du théâtre privé: les ouvreuses à pourboires et les grands escaliers, les spectateurs bien habillés dont des dames à visons, les rideaux très rouges et les dorures au plafond, le sentiment de s'y glisser sur la pointe des pieds et les places à 46 € en orchestre. Et sur scène, des acteurs comme à la télé jouant très pros des pièces à texte, textes qui respectent la règle d'or selon laquelle il faudra tôt ou tard absolument tout expliquer au spectateur. Si l'on préfère un spectacle qui laisse un peu à imaginer, mieux vaut aller voir ailleurs des personnages se taire et danser.
Ce qui n'empêche pas que l'intrigue- située au sein d'une famille américaine des fifties -emprunte maints détours narratifs, et ménage des révélations graduées: on ne va quand même non plus tout expliquer dés le début. Les flash-back et sauts en avant s'enchaînent habilement et on ne se lasse pas d'admirer le plateau qui tourne, les murs qui montent et descendent pour transporter l'action en flux tendus de Brooklyn à Hollywood. Il y a de l'argent sur scène, et intelligement utilisé. Du talent et du métier aussi, avec des rôles caractérisés sans équivoque, sans pour autant renoncer aux nuances du jeu. Gérard Lartigau s'aventure plus vers le boulevard que ses camarades, sans que le contraste ne gène pour autant. Ceux qui sont venus pour rire peuvent retourner chez eux et choisir dans leur intégrale Woody Allen pour une soirée dvd: ce Puzzle est aussi guilleret qu'une pièce d'Harold Pinter. Proposant une vision tout aussi noire et cynique de la nature humaine. La famille est un piège, les hommes suivent d'autres femmes que les leurs, les femmes suivent l'argent, l'argent sourit aux hommes qui ont su fuir la famille. Restent, amers, les femmes abandonnées ou les hommes qui n'ont pas eu le courage de les fuir, chacun replié sur ses misérables secrets et le deuil de ses rêves. Dans cette histoire rien ne surprend vraiment, mais tout fascine, assez méchamment. Vue par les yeux désabusés d'Alma, la fille intellectuelle et bohème, plus narratrice que véritable personnage de cet "second hand memory", celle qui a choisi de partir, et de vivre librement sa marginalité. Une rescapée.
C'était (la centième) de Puzzle de Woody Allen, adapté par Stéphane Azzopardi, mis en scène par Annick Blancheteau et Jean Mouriere , avec Michel Aumont, Geneviève Fontanel, Gérard Lartigau, Julie de Bona, Anne Loiret, Sébastien Azzopardi, Marie Le Cam, au Théatre du Palais Royal
Guy