Je demande à ce que les assistants suspendent le globe terrestre par un fil à mi hauteur dans le lointain jardin de la scène, qu’ils disposent un coquillage coté face, et l’arbre vert à baies rouges dans le lointain cour. Selon mes directives, Olivia Lioret, l’interprète, devrait parcourir la diagonale de face cour jusqu’au globe en tournant sur elle-même - joyeusement- dans une main un poisson, dans l’autre un goéland. Les dés sont jetés, tout disposé pour une minute d’utopie de nature, en toute naïveté. Veronica Vallecillo, en meneuse de jeu, veille à la mise en place, choisit la musique: « What a beautiful world » par Louis Armstrong. Lumières, c’est parti. Et le résultat se matérialise, porté par la présence de la danseuse qui invente une émotion sur ce chemin. Cela s’échappe de la vague vision d’origine, l’image en direct s’impose dans toutes ses dimensions, c’est à la fois plus simple et emporté que je ne l’aurais imaginé…
Veronica Vallecillo s’est mise dans la peau d’une maitresse de cérémonie mi-guindée mi-deglinguée- par moment saisie de furieuses éruptions flamenco- pour nous initier au b.a.b.a. de la mise en scène et de la scénographie. Après quelques démonstrations et l’exposé des règles du jeu, les volontaires dans le public sont invités en toute bienveillance à jouer. A choisir parmi les 64 accessoires tirés de l’univers «trashic» en noir, blanc et rouge de la chorégraphe ceux à disposer sur le plateau, à donner les consignes à l’interprète. A l’imaginaire de chacun de s’exprimer. Ce n’est pas triste.
Le premier plaisir est d’écouter chacun des apprentis metteur en scène donner ses instructions, plus ou moins motivées, soit simples, soit d’une surprenante précision. A l’intérieur de chacun, les images sont déjà vivantes, construites. L’époque doit être anxiogène: beaucoup des propositions de ce soir tendent au tragique même tempéré de comique, le squelette rouge est souvent mis à contribution, dans des relations passionnelles avec l’interprète. A une occasion le squelette est vivant (il fallait l’inventer!) mais sitôt frappé de mort subite sous les yeux impuissants de son amoureuse. A la scène suivante l’assistant passe un mauvais quart d’heure sous les assauts de l’interprète armée d’une épée et d’un pistolet. Je me sens un peu plagié quand un autre spectateur après moi utilise globe, poisson et goéland, mais après réflexion je ne porterai pas plainte.
Le second plaisir est de découvrir en direct l’image en mouvement, toute la vie et les inflexions inattendues qu’insuffle l’interprète à l’image de départ, pour nous renvoyer un objet artistique que chacun interprétera à sa façon.
Mais le plaisir le plus intense est de lever la main et proposer soi-même. Croire que nous sommes tous artistes, un peu…
C’était La construction d’une image vivante, happening pédagogique par Veronica Vallecillo, encore ce soir à L’Etoile du Nord à 19h00 dans le cadre de Jet Lag.
Guy