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Des choses cachées...

"Je dirai, puisque tu le veux, la rose. Qu'est-ce que la rose?

Ô rose !
Eh quoi ! Lorsque nous respirons cette odeur qui fait vivre les dieux, n'arriverons-nous qu'à ce petit cœur insubsistant qui, dès qu'on le saisit entre ses doigts, s'effeuille et fond, comme d'une chair sur elle-même toute en son propre baiser mille fois resserrée et repliée?
Ah, je vous le dis, ce n'est point la rose! C'est son odeur, une seconde respirée qui est éternelle!
Non le parfum de la rose ! c'est celui de toute la Chose que Dieu a faite en son été !
Aucune rose ! mais cette parole parfaite en une circonférence ineffable
En qui toute chose enfin pour un moment à cette heure suprême est née !"

medium_affiche_cantate.jpgSoyons franc, un peu: passé les premiers instants on renonce à vraiment saisir le sens de ce texte de Paul Claudel (1868-1955). Tant mieux: on abdique, et bientôt on se laisse emporter au fil des mots de "La Cantate à Trois Voix", yeux grands ouverts, au gré des images que ces voix nous évoquent. On accepte tout alors, de même qu'on a accepté de descendre et se laisser guider au plus profond le long des couloirs surplombés par voutes cachées sous l'église Saint Sulpice.

Pour entendre: "Ô paradis dans les ténèbres !
C'est la réalité un instant pour nous qui éclôt sous ces voiles fragiles et la profonde délice à notre âme de toute chose que Dieu a faite !
Quoi de plus mortel à exhaler pour un être périssable que l'éternelle essence et pour une seconde l'inépuisable odeur de la rose ?
Plus une chose meurt, plus elle arrive au bout d'elle-même, Plus elle expire de ce mot qu'elle ne peut dire et de ce secret qui la tire ! Ah, qu'au milieu de l'année cet instant de l'éternité est fragile, extrême et suspendu !
_ Et nous trois, Laeta, Fausta, Beata, n'appartenons-nous pas à ce jardin aussi, à ce moment qui est entre le printemps et l'été (...) Ah, l'important n'est pas de vivre, mais de mourir et d'être consommé !
Et de savoir en un autre cœur ce lieu d'où le retour est perdu, aussi fragile à un touchement de la main que la rose qui s'évanouit entre les doigts! (...)
Mais toi, mon âme, dis : Je ne suis pas née en vain et celui qui est appelé à me cueillir existe !
Ah, qu'il reste un peu à l'écart ! je le veux, qu'il reste encore un peu de temps à l'écart !
Puisque où serait la foi, s'il était là? où serait le temps? où le risque? où serait le désir? et comment devenir pleinement, s'il était là, une rose ?
C'est son absence seule qui nous fait naître"

Il fallait sans doute beaucoup d'inconscience ou de témérité à ceux d'Heautontimorouménos pour s'attaquer à ce monument. D'une poésie qui nous parait déjà si lointaine, rare, étrange, surannée, comme si le rapport au monde qu'elle induisait ici était hors de notre atteinte de bien plus que d'un siècle.

Mener à bien ce projet, ne serait ce que techniquement, inspire déja en soi le respect. Les trois interprêtes, et si jeunes pourtant, n'en paraissent presque pas intimidées. Elles dialoguent, chantent avec chacune leur timbre propre leur part de ce long poème. Citons les: Camille Cobbi, Clémentine Marmey, Clémentine Pons.

Leur chant d'abord importe, porté par ces trois corps, autour d'elle un espace sobre nourri d'une lumière mesurée qui laisse sa place au mystère, et le reste est une question de séduction. Entre mélancolie, amour, foi, ferveur, mysticisme, rapport à la terre, absence de l'être aimé, éternel retour des saisons, dans cette profusion de significations est fait ici le choix de la sensualité. 

Jusqu'à mi octobre, presque tous les soirs et pour pas moins de 12 spectateurs à la fois, à la Crypte Saint Sulpice.

Guy

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