Il est impossible de parler de la danse.
Ce n’est pas une raison pour en parler n’importe comment.
Ce n’est pas une raison pour en parler en employant des mots pré-pensés, qui se reproduisent ad nauseam de textes en textes, tels des pièges à connivence, des points de repères trop rassurants, vidés depuis longtemps de toute substance.
Ecrivons autrement.
Pensons autrement.
Pensons.
Je propose donc à mes camarades d’adhérer à la chartre suivante, et de proscrire désormais de nos textes autour du spectacle vivant les 7 termes suivants:
1.Questionner
N’écrivons plus : « en sortant de la scène, Eric Bernard-Jean questionne son rapport à l’espace fictionnel »
N’interrogeons que des êtres pourvus d’intelligence, donc susceptibles de nous répondre.
Laissons l’usage de ce terme aux professeurs et aux policiers.
2.Interroger
Même faute, Même punition
3.Champs
N’écrivons plus: « Pendant 5 heures, Eric Bernard-Jean entreprend l’épuisement des champs narratifs »
Laissons l’usage de ce terme aux agriculteurs.
4.Mettre à nu
N’écrivons plus : « La danse met le danseur Eric Bernard-Jean à nu et révèle son être intime »
Rendons l’expression à Edgar Poe et Charles Baudelaire.
5.Produire
N’écrivons plus: « Eric Bernard-Jean parvient à produire du rire avec de la danse » ou «le corps n’est produit qu’en se produisant »
Laissons l’usage de ces termes aux industriels.
6.Convoquer
N’écrivons plus« Avec Eric Bernard-Jean, la danse convoque l’ensemble des arts de la scène »
Laissons l’usage de ces termes aux proviseurs et aux Assedics.
7.Intime
N’écrivons plus: « La performance d’Eric Bernard-Jean traverse la notion d’intimité et ses différents modes de représentation dans le monde contemporain. »
Laissons l’usage de ce terme aux gynécologues.
Tolérons ces termes uniquement quand employés dans leurs usages premiers.
On continuera, à regret, à user des mots « corps » et « texte », trop lus, mais difficilement substituables.
En veillant à ne pas en abuser.
J’engage tous mes amis spect-acteurs, et au-delà à signer ce manifeste du 9 mars 2008.
Sont aussi les bienvenus avec nous dans cette démarche les journalistes professionnels, les artistes qui s’expriment quant à leurs travaux, les responsables de lieux, leurs porte-plumes et de manière générale tous les acteurs de ce milieu amenés à produire -pardon, à rédiger- des textes à propos du spectacle vivant.
Guy – Un Soir Ou Un Autre
Commentaires
Hélas, ta charte est encore bien trop permissive... Gérard Mayen est-il DOGMA ? Oui, même quand il écrit ceci :
"Ainsi quelque chose d'eux est constamment dérobé dans la texture d'une image qui déréalise leurs singularités et fait emblème subtil d'une réduction au marquage des attributs sexuels"
(trouvé ici : http://www.mouvement.net/html/fiche.php?doc_to_load=12165 )
Je propose cet amendement :
8. Tout verbiage ou ineptie sera aussitôt puni de mort, ou [c'est au choix] d'exclusion définitive de la presse culturelle et des ateliers d'écriture démago.
C'est peut-être hélas une partie de la presse culturelle qui se punit de mort elle-même...
Enfin, comme nous l'écrivait un camarade ce matin par mail privé, pour une fois on comprend (presque) la phrase.