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Julie Nioche, d'âme et d'eau

Dés qu'on voit on regrette d'avoir été prevenu d'avance du concept. Que ceux qui veulent vivre pleinement l'expérience que Julie Nioche propose ne lisent pas ce qui suit....

On regrette donc de ne plus pouvoir être surpris. Comme ce qui ne surprennait plus disait l'essentiel, et que des significations plus subtiles ne pouvaient apparaitre ensuite que plus difficilement. Mais, bizarrement, c'est par la poésie des sons qu'on se laisse d'abord quand même séduire: le bruissement des robes, la chute mate de la goutte d'eau... Car voilà: les robes sont de papier, et l'eau peu à peu les délite. Voilà au moins pour ce qui se laisse voir de plus évident. Mais si le dispositif est original, quelles idées sert-il? Il est question de l'identité de chacune des quatre danseuses. De disparition et repères perdus. De fragilité. De féminité. Et l'on sait que le vêtement de tous temps à la fois opprime et protège. Qu'il soit rigide  ou, comme ici, léger. Pour autant, poser la simple équation nudité = libération (=vie=vérité) serait par trop simpliste, aussi réducteur qu'une commémoration de mai 68 sur la plaine des lieux communs.

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Visuellement, les impressions sont fortes. Ambiguës aussi. Nous laissant suspendus entre fascination et impatience. Les danseuses se suivent en soli. Chaque solo affirme un rythme et un style propre, comme si le respect de la personnalité de chacune des interprètes devait l'emporter sur la cohérence de l'ensemble. Au risque que cette succession nous laisse par moments perdu, par effet de dispersion. Toutes restent enfermées dans les strictes limites marquées au sol par un beau dispositif scénique, que l'eau envahi. Le blanc sage des robes suggère d'inépuisables interprétations. Sur le visage de la première danseuse, un masque fait écran, nous fruste. Bien que l'on comprenne que c'est justement dans cet obstacle que réside l'enjeu. Avant que son histoire ne culmine en un déluge libérateur, qui fait, sous le papier prêt à se rompre, la chair se gonfler de vie et d'humidité. La seconde femme rêve yeux fermés. La raideur semble se concentrer en résistance, les pieds s'engluent dans une terrible marée noire. Puis la frénésie prend des échos de désespérance. De plus en plus, l'eau est d'encre. Par tâches, trouble le blanc. Le réfléchit. La troisième femme écarte larges les bras. Cambrée, yeux au ciel, comme dans l'apprentissage de nouveaux langages. Ou en extases. La quatrième, aveugle, déambule, essuie le choc de jets de sceaux d'eau. Avec une violence qu'on ne sait comment prendre. A chaque fois: un combat, une transformation, tout au long de la dissolution du faux tissu. On ne sait si elles accompagnent ou subissent ce dévoilement. Mais à l'issue de chacune de ces trajectoires, même la peau libérée du carcan de papier, chacune de ces femmes retombe au sol, semble tout autant vaincue qu'à moitié nue. Évasions sans succès, ou trop cher payées. Une assistante revient imposer à nouveau à chaque sujet une armure fragile, en de délicats agrafages. Mais fastidueux.

Nous laissant avec le sentiment d'avoir chaque fois tout à recommencer ? Mais si le déroulement nous déroute, en commun de toutes ces singulières propositions se laisse voir à fleur de peau beaucoup de pudeur, une grande délicatesse. Même malgré parfois la violence des gestes. Et tout au long, une belle justesse et sobriété. Et les corps s'imposent avec évidence. S'épanouissent plutôt plus généreux que selon les carcans esthétiques: d'autant plus beaux de vérité, simplement. Surtout, en conclusion, après leurs réaminations et rabilllages les quatre femmes se mettent soudain, à exister ensemble. Les regards s'animent et se croisent. Sous une pluie nouvelle, les tissus se disolvent encore mais un groupe se crée.

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Leur rencontre crée un lien avec nous, crée un sens. Alors que les lumières tombent, il y a un trés beau et court dernier moment, où toutes ensemble avancent vers nous, pour s'évader du cadre. Tout se joue au dernier instant.

C'était Matter, de Julie Nioche, au Nouveau Théâtre de Montreuil, avec Mia Habib, Rani Nair, Julie Nioche, Bouchra Ouizguen, dans le cadre des Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine Saint Denis.

Guy

Photos avec l'aimable autorisation de Jérome Delatour-images de danse. Toutes les autres sont ici

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extrait et interview, sur arte

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