Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Jan Fabre peine à jouir.

Vu avant avignon...article mis en ligne le 4 avril 2009

 

C’est à se demander pourquoi on s’entête à en écrire quelques lignes: avec cette Orgie tout le monde semble plus que tolérant: carrément content. Complet le Théâtre de la Ville, hilare le public, unanime la critique… A rebours du contentement général, juste la voix divergente du voisin de gauche, et c’est tout pour le moment….

 

La proposition plaît, c’est un fait. Soit vue au ras du cul, soit déchiffrée avec des grilles de lecture plus sophistiquées. Mais plait dés la première scène, d’interminables simulations de masturbation. Les rires fusent: c'est gagné! Malgré la tyrannie des rires, on tente de s’accrocher. Sans trop d'illusions, et bientôt même sans trop l’envie de s’insurger. A quoi bon? Vient-on se mêler de donner des leçons aux amateurs de comique troupier, de films de bidasse, d’Hara-Kiri, au pire de Canal +, aux inconditionnels de Bigard et Gerra ?

Mais en rester là c’est un peu court. Et plutôt condescendant vis-à-vis des amis qui semblent avoir aimé. Qui peut être diront que Jan Fabre n’est pas vulgaire: qu’il faut plutôt comprendre qu’il dénonce la vulgarité. Pourtant…De la critique à la reproduction, le trait est mince.

Alors on cherche un cran plus haut. On lit Le Monde. Un papier d’une remarquable ambiguïté, aux conclusions laudatives, mais dont chaque ligne semble plutôt dénoncer… C’est très fin et très écrit, on dirait un article de maitre-chanteur. En revanche, pas surprenant qu’à Libé on ait aimé. Dans les deux quotidiens on décrit les outrances sur un mode épaté, mais on s’attarde moins sur le faire que sur les intentions. C’est que Jan Fabre dénonce: attention message!

 

 

3406059889_e9da7d4cb4_m.jpg

 

Que dénonce-t-il au juste? Un peu de tout, et rien vraiment, justement. C’est là que le bât blesse. A la manière d’un Rodrigo Garcia en équilibe entre progressisme et réaction, haro sur le racisme et la pornographie, la mode et le consumérisme, l’argent et Abou Grhaid, les beaufs et le Klu Klux Klan, le nez dans la coke et l’impérialisme, et tout à l’avenant. Problème: à force d’arroser tous azimuth, cette indignation nous semble suspecte.

Mais enthousiasme plus d'un, et c’est là sûrement une première explication du succès: beaucoup auront retenu de ce tir de barrage de l’audace et de l’engagement. On s'interrogera en vain sur la sincérité de l'artiste, impasse!

 

Seconde source de malaise: l’exécution. Pas de doute, Jan Fabre sait y faire. On le ressent en particulier quand la danse s’échappe de la prison du discours. Respiration, l’instant d’un beau chorus de soprano, ou lors un moment de pure chorégraphie: un final furieux qui met à mal les canapés. La pièce est travaillée, très appliquée. Quitte à convoquer- comme on dit aujourd’hui- tout les trucs, les codes et les styles. Tous les incontournables y sont. Jeux de mots connivents (entre « jouir » et « come », pour finir avec « Come Together »), ambiance cabaret et déchaînement punk rock, valse rétro et comédie musicale décadente, scénettes trash obligatoires: culottes sur les genoux, fusil dans l’anus et zizi dans les rayons de la roue du vélo. Beaucoup d’images semblent empruntées à droite et à gauche, des accouchements vus au Théâtre de la Mezzanine, des scènes d'humiliations dans les prisons irakiennes déja théatralisées ailleurs..., autant d'images que le chorégraphe sans doute n'a pas copiées, mais que surement d'autre déja ont montrées. Ce soir Jan Fabre suit la tendance plutôt que de la créer. Une suprême subtilité: le Christ en croix est traité avec plus bienveillance que d’acharnement: c’est bien joué. Il y a plus d’audace aujourd’hui à jouer le Soulier de Satin qu’une Orgie. Tout cela est impeccablement enchaîné, sonorisé, éclairé, chorégraphié, scénographié. Donc plébiscité… Une deuxième explication pour ce succés?

 

Mais comment ne pas voir que cette orgie sent la lassitude, du premier au dernier instant. Ce projet ne jouit jamais, ne fait jamais jouir, malgré le simulacre en ouverture, ne fait que semblant de s’exciter en effets appuyés et faux semblants, joue l’accumulation des images, épuise toutes les positions, en vain. Débande, obsédé par le pessimisme de son propos, l’omniprésence de la désillusion. Et les engagements contractuels de Jan Fabre vis-à-vis du lieu, rien qu’un peu ? La provocation tourne à vide, n’y croit plus, s’égare dans le désert idéologique du post-tout et du nihilisme.

La démonstration en est faite à la fin sur le mode de l’auto –dérision, les performers proclament « Fuck Jan Fabre » en aveu pour couper l’herbe sous le pied des critiques.

 

Jan Fabre est…. « peut être » un génie, hésitait devant nous il y a peu un(e) responsable de lieu. Il y a ce soir plus qu'un doute. Il y a quelques semaines, on écoutait des anciens performers de sa troupe affirmer que la radicalité de ses méthodes vis à vis de ses interprêtes était justifiée par la beauté de ses productions : on en est encore moins persuadé. Mais qui s’en soucie? Jan Fabre continuera longtemps à faire les beaux jours du Théatre de la ville, du Musée du Louvre, du Festival d’Avignon... (On y trouvera plus de générosité cette année en allant voir Dave Saint Pierre ou Ouramdane ). Où il dira sans doute la prochaine fois encore plus franchement qu’il n’a plus rien à dire, et ce sera encore un événement.

La presse toujours laissera passer, le bobo s’y payera encore à bon prix l’illusion d’un peu de rébellion, de liberté d’esprit. Circulez !

 
C'était L'Orgie de la tolérance, de Jan Fabre, au Théâtre de la Ville du 31 mars jusqu'à ce soir.

 

Guy

Photo avec l'aimable autorisation de Laurent Pailler (Allez voir ses galeries!) :-)

P.S. encore un article mi figue,mi raisin, dans libération., ...mais Le Tadorne ecrit ce qu'il pense!

Commentaires

  • Parmi les pas contents, il y a aussi Raphaël de Gubernatis dans le NouvelObs : http://tinyurl.com/dgr74e

  • rosita boisseau n'a pas l'air emballée non plus http://abonnes.lemonde.fr/culture/article/2009/04/02/le-pire-spectacle-du-choregraphe-jan-fabre_1175801_3246.html

  • Oui Martine, comme je l'écrit plus haut, c'est ce que l'on croit comprendre en lisant l'article du Monde, mais plutôt entre les lignes, avec "pire" mis entre guillemets....
    Pourquoi?

  • Lu Raphaël de Gubernatis, qui lui non plu n'est pas tendre.
    Pour être honnête, il faut rectifier un point de son article (je n'ai pas réussi à lui laisser un commentaire): Jan Fabre daigne aussi parfois se soumettre lui-même à des conditions aussi extremes que ses interprêtes. C'était au moins le cas il y a 3 ou 4 ans pour une performance au Palais de Tokyo.

  • Très très belle critique Guy, tu résumes l'impression que j'ai de Jan Fabre depuis le début : de la fausse provocation qui se croit révolutionnaire pour un fond bien indigent...

    J'ai toujours été déçue que jusqu'à présent, le débat autour de Jan Fabre se fasse sur la question du tabou (peut-on montrer un acteur faisant pipi sur scène par ex) sans s'interroger sur sa démarche artistique et politique. Maintenant c'est fait, merci!

  • Quel sort va donc lui réserver Avignon? Fabre est le symptôme de la démission de pas mal de programmateurs qui caressent leur public dans le sens du poil...Cela dit, nous devons à Fabre d'avoir décomplexé des créateurs après l'édition chaotique d'Avignon en 2005 dont il était le directeur associé. Il a provoqué le "système" pour sortir des clivages entre théâtre à texte et théâtre métaphorique.
    Je me demande si Fabre avec son "orgie" ne poursuit pas sa provocation envers le théâtre français qui fait preuve d'une molesse générale face à ce gouvernement de "faucons".

  • Pas vu le spectacle et pas super envie de le voir... Jan Fabre a dit qu'il voulait dénoncer justement "a society of fake, undercontrol and based on fears"... L'éternel débat à mon avis est de savoir s'il faut toujours tout montrer à outrance ou être dans la suggestion. Perso je suis pour un théâtre du réel, mais une provocation suggestive ^^ J'aime Jean Michel Rabeux

  • Le problème est qu'ici précisément, pour les amateurs du genre, Fabre montre très peu, en vérité. Et qu'il ne dénonce pas davantage, tant il est dans le cliché, dans la dénonciation facile. On n'a pas besoin de lui pour dénoncer la société de consommation, cette dénonciation-là ça fait quarante ans qu'on nous la rabâche, on commence à connaître la musique. Par contre, quand il s'agit de proposer quelque chose, il n'y a pas grand monde sur les tréteaux.
    Conclusion : spectacle inutile, zappez !

  • "Spectacle inutile, zappez": phrase dans l'air du temps!

  • Il ne reste plus qu'à me pendre avec les boyaux de Fabre...
    Cela dit, si elle est en l'air du temps, elle ne s'était pas encore déposée sur un écran, la preuve par Google :
    "Informations Aucun résultat trouvé pour "Spectacle inutile, zappez""
    Non mais ;-)

  • ... Oh, je n'avais pas vu que le commentaire était de notre cher ami à plumes. Alors j'ajoute : conseiller de zapper un spectacle, c'est très mal. Les bons citoyens que vous êtes doivent y aller quand même, quitte à se faire ... grave, pour se faire une opinion par eux-mêmes. Sinon, où va-t-on ? Tout droit à la dictature. Et d'ailleurs Sarkozy, etc. etc. etc. ;-)

  • Mes bons amis, la vie est trop courte et le temps un cadeau. Donc ras le bol des impostures, n'y allez pas!
    Sauf si vous tenez à passer 7 soirs sur 7 à vous faire une opinion de tout!
    Et, oui Neige, vous en revenez à l'ambuiguité essentielle: le théatre est l'art de la suggestion...qui filtre avec le réel.

  • J'irais car ce sera dans le cadre du festival d'Avignon, rare lieu où l'on peut formuler une opinion sans se faire insulter. Ce sera l'opportunité de débattre entre spectateurs, ce que manifestement les parisiens du Théâtre de la Ville ne savent plus faire.
    Quand au "spectacle inutile, zappez", on ne peut pas à la fois critiquer Fabre et utiliser la même rhétorique que lui pour le critiquer.

  • Personne ne m'a insulté suite à ma réaction, je n'ai eu, en privé, que des doux reproches...
    C'est vrai que le Théatre de la Ville ne se prête guère à la discussion: il n'y a même pas d'espace pour ça aprés le spectacle!

  • Pareil à Guy, je n'ai entendu aucune insulte par ici. Je crois même que Fabre a oublié de faire dire "Fuck the Parisians !" à ses comédiens. On n'aime pas trop les Parisiens dans le Midi, à ce que je vois. Pour ma part, je suis un croisement de la Bourgogne et de la Franche-Comté, ayant vécu à Belfort, Valence et Paris. Vaguement Français, donc ; mais Parisien ou provincial ?
    Si je conseille de "zapper" Fabre, c'est qu'il est grotesquement surmédiatisé et que ma voix est infinitésimale. Pendant ce temps, il y a des artistes aussi intéressants que Fabre dont personne ne parle, à part le Tadorne, Un Soir ou un autre, etc. Voilà ma seule préoccupation.

  • Non pas forcément zapper... Il faut voir pour connaître si l'on ne connaît pas. Maintenant pour moi Fabre fait un peu toujours la même chose, et je ne suis pas d'accord pour dire qu'il montre très peu, en revanche c'est vrai qu'il rabâche un discours éculé... Pas sûre non plus que ca mérite un débat, même si c'est toujours frustrant qu'il n'y en ai pas. Jan Fabre dit aussi "j'ai envie que les gens sortent changés de mes spectacles, qu'ils prennent conscience des choses..." je trouve cela inoui de passer par la souffrance des comédiens pour cela... encore une fois, il faut aller voir "Le corps furieux" de JM Rabeux qui se rejoue en juin à la Bastille et qui parle aussi de notre société décadente avec bien plus de finesse, de poésie et tout autant de subversion...

  • Faisons court : j'ai toujours pris Jan Fabre pour un imposteur ! (il n'est que de lire les notes d'intention ou les interviews : on patauge dans le cliché…) Quant à son imagerie, elle ne me touche pas. Ce qui me troue, c'est que depuis le début, on s'interroge encore sur la "provocation" (dans son cas, c'est un vrai tic). Marcel Duchamp, c'était quand déjà ? 1913 ?
    Tant qu'à faire, je préfère les potacheries réjouissantes de Dave St-Pierre. Et de loin.

  • Là, par contre, je n'irais pas sur ce chemin. Jan Fabre n'est évidemment pas un imposteur ! Il lui arrive de se planter, fait du bon et du moins bon, comme (presque) tout le monde. Pina Bausch a fait des choses géniales mais s'est aussi beaucoup répétée ; on ne retiendra d'elle que les choses géniales. Pareil pour Fabre, qui du reste est sans doute pris aujourd'hui au piège de la notoriété, des sollicitations et des commandes qu'on ne peut pas refuser, etc. C'est dans ces conditions que le ratage guette.

Les commentaires sont fermés.