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justice

  • Shakespeare, pleine mesure

    Parvenu dans la salle du bas, on traverse comme à chaque fois la scène pour rejoindre son fauteuil. Mais on est accueilli ce soir sur cette scène par des jeunes gens qui y dansent, jouent de la guitare et des oeillades langoureuses. 5c253727713ad0541e02345447c02e02.jpgBelle troupe qui chante à l'unisson, dont trois rousses qu'un ado dévore des yeux. Belle invitation, évocation un peu canaille, mais assez sage à tout prendre, des bas-fonds de Vienne.

    On s'y amuse, dans ces bas-fonds, mais pas pour très longtemps. Car le Duc décide de quitter Vienne et laisser les pleins pouvoirs à son régent, Angelo, que celui ci remette de l'ordre dans les moeurs et la cité. Que la loi soit y appliquée dans toute sa rigueur originelle. Première mesure prise pour l'exemple: condamner à mort le jeune Claudio au motif de fornication.

    Difficile d'attaquer de manière plus extrême, on peut après ce départ en force considérer dans quelles situations la justice doit s'oublier pour accepter la tentation du pardon. Avec une intrigue qui se complique, car, comme souvent chez Shakespeare,les masques se flouent ou tombent: le pur et dur Angelo n'est pas si pur que cela, d'une humanité même odieuse à force de passions secrètes. Tandis que le Duc, allégé du poids de l'autorité, revient incognito observer les résultats de l'expérience: c'est un air connu et repris dans maints contes. Dilemme sur Dilemme, chez chacun des personnages s'affrontent en un combat aux ressonnances érotiques la rigidité des principes et la fragilité de la condition humaine. En premier lieu chez Isabella, soeur de Claudio, mise en situation de céder aux avances d'Angelo et ainsi pécher contre ses voeux de nonne. Mais pour la bonne cause: sauver par là la tête de son frère. Chacun des protagonistes se partage, confronté à la décision. C'est dialectique et joué sur le rythme d'une réthorique jamais pesante et trés moderne, on croirait par moment voir du Montherlant.

    Avant Hamlet, le Roi Lear, Othello et consorts à la rentrée, le T.N.O. prend le risque de laisser un peu de place dans cette intégrale Shakespeare à des jeunes compagnies. Sans convaincre à tous les coups- on a vu peu avant ici un Conte d'Hiver entrepris avec un peu trop de naïveté. Mais en permettant d'excellentes surprises. C'est ce soir le cas: passé la nervosité un peu palpable des premières minutes, l'enthousiasme paye. Car il est ici justement question de générosité, d'appétit de vivre et d'aimer malgré les lois et les règles. La pièce commence en drame, mais c'est le pardon et la tolérance qui ont le dernier mot, dans une très belle conclusion, sage et appaisée. D'une thématique, c'est assez inhabituel chez Shakespeare, nettement chrétienne.

    C'était Mesure pour Mesure de William Shakespeare, mis en scène par Béla Grushka, en alternance jusqu'en février 2008 au T.N.O., dans le cadre de l'intégrale Shakespeare.

    Guy

  • Baudelaire: l'éternel procés

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    Baudelaire est à terre. A genoux, défait, prostré, il fouille sa plaie du tranchant de ses mots, pendant que de l’ombre, émerge une future mariée. Sans visage, inaccessible. Sa montée silencieuse répond à l’implacable descente au cœur de l’âme dévastée de Baudelaire, dont la litanie déchire un silence devenu palpable. La blancheur virginale de sa robe est portée par l’acquiescement muet du fond noir. Le noir neutre de l’institutionnel, de la morale, celui de la décence. Derrière des paravents, les ombres jetées de la bêtise et de l’hypocrisie, sur fond gris. Au premier plan, Baudelaire lumineux se détache de l’obscurité qui emprunte ici au noir de l’exigence. Celui de l’absolu, de la solitude et du dépouillement. A ses côtés, juste une petite table,  pour l’élégance. Entre ces deux conceptions du noir, deux cubes de scène pour le décalage permanent des niveaux de discours, car on ne s’adresse au poète que de haut. La justice d’abord, par le biais du procureur Pinard, puis les institutions, à travers « la jeune file assassin de l’art », celée sous son voile nuptial. La société, ses pairs, en groupes de vautours, toujours de biais. La pièce, emportée par un texte implacable prend toutes les allures d’une mise à mort. Le dialogue entre le procureur et le poète, celles d’un duel impossible, entre création et morale. Jeté hors la loi, hors le monde dans sa solitude et son isolement, le poète expie, vulnérable, presque enfantin dans sa souffrance.

    C'était Le Procés des Fleurs du Mal de Philippe Blondeau, mis en scène par Georges Zaragoza, avec les Compagnons d’Eleusis au Théâtre Municipal d’Epinal, vendredi 9 mars, dans le cadre du printemps des poètes, 150 ans après les faits.

    Isabelle Viéville Degeorges