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rachid ouramdane

  • Muets

    Une voix tente de témoigner, dans l'obscurité. Sans qu'aucune image ne vienne distraire notre écoute: c'est de la part du chorégraphe une première marque de respect. Mais cette voix ne peut exprimer que l'impuissance. Le récit n'est ni daté, ni situé, il ne fait pourtant aucun doute qu'il est vrai. Les évenements se devinent seulement, en douloureux évitements, on ne sait dans quel continent, par des visions situées au bord du champ de vision, l'indicible invisible. C'est une église qui brûle au loin, les réfugiés qui fuient, les corps au bord de la route, aprés. La barbarie abolit le sens, fige les mots, neutralisés, blancs, sans sens. L'irréalité le dispute à l'horreur quand la vie ne tient à plus rien, privée de sa valeur. Au hasard d'un barrage sur la route la survie elle-même échappe à toutes explications. Le crime contre l'humanité est un crime non seulement contre la chair, mais aussi contre l'esprit et la raison. Dans le prolongement de loin, le sujet auquel Rachid Ouramdane s'attaque n'est pas la violence politique en elle-même, mais l'incommunicabilité de cette expérience par ceux qui l'ont vécu.

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    Les mots sont empéchés: la danse prend le relais. Essaie. Ici est évité tout ce qui pourrait ressembler à du voyeurisme. Cette démarche va à contre courant du sensationnalisme ambiant. Au rebours de l'urgence de tout montrer sans réflexion ni distance. Se dresse un mur de lumière, dirigé contre nous. On voit des ombres qui errent dans l'entre-deux. Des êtres sans direction, sans visage. Il n'y a plus de sens. Ces déambulations déreglées durent longtemps. Notre attention est éprouvée, à raison. Les corps se désarticulent, lentement se renversent. Sans résilience ni remission? On ressent que ces contorsions renvoient par échos aux séquelles de la violence, évoquée par ses conséquences, jamais exposée. La compréhension ne se satisfait pas simplement de bons sentiments: des danseurs fléchissent, s'effondrent et se laissent glisser au sol, froudroyés par le passé. D'autres s'efforcent de les soutenir mais en vain, ils échappent à leur soutien. C'est que notre empathie ne va pas de soi: cette mémoire de l'indicible semble impossible à transmettre, à porter. D'autres témoignages d'autres pays reviennent suspendre le mouvement. Une femme tourne sur elle même, ne peut s'arrêter, emportée par ce dont elle ne peut se libérer, jusqu'à l'insoutenable, s'enflamme. L'oeuvre est difficile, dérangeante. Attachée justement à nous faire ressentir qu'en ce domaine nous ne pourrons jamais tout à fait comprendre. La violence ici la plus évidente est faite par la lumière, insupportable et aveuglante: tel est aussi l'effet des vérités que nous préférons éviter. Partout la barbarie avance, écrase tout sur son passage. Le geste est quant à lui fragile, pudique, il survit par notre seule attention, nous devons continuer à le regarder.

    C'était Des Témoins Ordinaires, de Rachid Ouramdane, au Théatre de Gennevilliers, avec le Festival d'Automne à Paris. Jusqu'au 18 octobre.

    Guy

    Lire aussi le Tadorne, bientôt Marsupilamia, et Loin.

    Photo d'Erell Melscoet avec l'aimable autorisation du Théatre de Genevilliers

  • Ouramdane/Rambert: vers l'identité.

    Solo, soli: deux propositions où fusionnent les expressions du théâtre et de la danse, entre autres. Mais d'un exercice à l'autre l'efficacité fluctue. 

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    De la vision De mes propres mains le strict texte tend à s'estomper, même peine à exister. Manque-il de force, en deçà de l'évidence des mots du Début de l'A  ? Le texte est repoussé en périphérie du jeu, de la voix, des lumières, qui pour leur part captivent ensemble d'une main ferme. Nous tiennent, du récitatif ambulant et aveugle du début, au troublant dévoilement hermaphrodite du milieu, jusqu'au chant doux amer de la ballade qui clot. Mais on peine à retenir, en narration, de quoi il était question. Si le méta projet est de prouver qu'un texte créé il y a 15 ans pour un comédien homme pouvait se prêter à une autre identité sexuelle, voire rester d'un genre indifférencié, la demonstration est vite faite, et laisse en suspend. Le sujet en tant que texte même s'en retrouve plutôt sacrifié.

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    A l'inverse, le sujet de Loin..., de Rachid Ouramdane s'impose d'emblée. Essentiel et émouvant: la quête par l'interprète de son identité. Individuelle, familiale, collective, historique... Pour remplir les vides lancinants, tous les moyens sont bons ici, et jamais faux. En vidéo, Les images de pays d'aujourd'hui laissent deviner en flou les images des origines. Quant les images ont disparus, sont recueillis les témoignages des témoins survivants, en un français hésitant, pudique. Leurs souvenirs blessés, broyés par les enjeux politiques. Toujours restent des espaces béants, dans les angles morts de l'histoire sacrifiée, en Algérie, en Indochine. Quant il le faut, masqué, démasqué, Ouramdane tente de combler ces absences d'un monologue inquiet. Quand les mots font défaut, danse et gestes prennent le relais, révoltés mais et s'apaisent peu à peu, s'ouvrent sur des dimensions plus personnelles. Quand la mémoire individuelle s'épuise, les souvenirs survivent collectifs restitués par une omniprésente musique. Avec les Stranglers, Ouramdane recherche les héros disparus. Quand le monde mute, le théâtre comble en profondeurs nos amnésies, nous permet de nous reconstruire.

    C'était De mes propres mains/solo de Pascal Rambert avec Kate Moran, et Loin... de Rachid Ouramdane. Au théatre2genevilliers. Portrait/Portrait continue jusqu'au 22 mars, avec Les morts pudiques et Un Garçon debout.

    Guy

    Photos de Cybille Walter (De mes propres mains) et de Patrick Imbert (Loin...) avec l'aimable autorisation du théatre2genevilliers