théatre de genevilliers
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Après la sidération
L'état de suspension entre le désir et sa réalisation, l'impossibilité d'agir, voila où errent ces 3 sœurs, lointaines héritières de celles de Tchekhov. Parviendront-elles à s'accorder sur le devenir de la maison bretonne dont elles héritent, pourront-elles construire quelque chose sur ses ruines? Du psychologique, le sujet s'étend au politique. Au prologue, les 3 femmes se voient chacune assigner en monologue un point de vue à incarner, une attitude, face à la vie. Le procédé est classique, mais ici asséné radicalement. Les personnages et situations peinent ensuite à prendre vie, à échapper au piège de la dialectique, malgré le feu du jeu d'acteur, en un contraste bizarre avec un beau décor de ruines très construit et si réaliste. Mon attention peine à résister à un texte roboratif avec d'étranges embardées vers le drame familial. Ou suis-je rétif par principe à ces variations noires sur l'agonie des utopies, préférant croire aux minutes de danses qui peuvent sauver le monde? Je goute pourtant ensuite à une heureuse surprise: voir la pièce se saborder elle-même par des crises de folie, des brusques et brillantes saillies d'humour qui la rendent plus attachante, le texte moins prévisible. Et je pars sur une bonne impression, celles des dernières minutes, quand tout est sauvé par une belle litanie des envies. un feu d'artifice des désirs en une scène libératrice. Cette année allons voter.Sidérées, écrit par Antonin Fadinard, mis en scène par Lena Paugam, vu au théâtre de Gennevilliers le 20 janvier.GuyPhoto de Christian Berthelot -
Paysage théatral
Sur ambiance de crépuscule, les artistes arrivent avec bagages en résidence au Swamp Club. No man’s land éloigné de tout, de la société. Bien accueillis, et sotto voce, ils semblent résignés à ne s’y étonner de rien, à en oublier ce qu’ils sont venus créer. De mystérieuses menaces rodent pourtant à l’extérieur (le monde réel ?): bruitages anxiogènes, plan d’urgence et tout le monde bien à l’abri dans le tunnel, dehors fumées couleur radioactivité. Tandis, tout le long, qu’un quatuor à corde commémore Schubert et Chostakovitch, tel l’orchestre du Titanic. S’il s’agit d’une métaphore de la situation des artistes, le constat est bien dépressif, bien qu’égayé de dialogues réalistes et ahuris que l’on devine issus d’improvisations. C’est discrètement drôle, ouaté de brume, et désengagé, impeccablement esthétique en arrière fond, mais lent, lent… On dirait les Chiens de Navarre au ralenti, et surtout lorsque un comédien apparaît en costume de taupe géante. Le monde fume, bonne nuit.
Swamp Club de Philippe Quesne au T2G- Théâtre de Gennevilliers, jusqu’au 17 novembre.
Guy
photo de Martin Argyroglo avec l'aimable autorisation du T2G
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Muets
Une voix tente de témoigner, dans l'obscurité. Sans qu'aucune image ne vienne distraire notre écoute: c'est de la part du chorégraphe une première marque de respect. Mais cette voix ne peut exprimer que l'impuissance. Le récit n'est ni daté, ni situé, il ne fait pourtant aucun doute qu'il est vrai. Les évenements se devinent seulement, en douloureux évitements, on ne sait dans quel continent, par des visions situées au bord du champ de vision, l'indicible invisible. C'est une église qui brûle au loin, les réfugiés qui fuient, les corps au bord de la route, aprés. La barbarie abolit le sens, fige les mots, neutralisés, blancs, sans sens. L'irréalité le dispute à l'horreur quand la vie ne tient à plus rien, privée de sa valeur. Au hasard d'un barrage sur la route la survie elle-même échappe à toutes explications. Le crime contre l'humanité est un crime non seulement contre la chair, mais aussi contre l'esprit et la raison. Dans le prolongement de loin, le sujet auquel Rachid Ouramdane s'attaque n'est pas la violence politique en elle-même, mais l'incommunicabilité de cette expérience par ceux qui l'ont vécu.
Les mots sont empéchés: la danse prend le relais. Essaie. Ici est évité tout ce qui pourrait ressembler à du voyeurisme. Cette démarche va à contre courant du sensationnalisme ambiant. Au rebours de l'urgence de tout montrer sans réflexion ni distance. Se dresse un mur de lumière, dirigé contre nous. On voit des ombres qui errent dans l'entre-deux. Des êtres sans direction, sans visage. Il n'y a plus de sens. Ces déambulations déreglées durent longtemps. Notre attention est éprouvée, à raison. Les corps se désarticulent, lentement se renversent. Sans résilience ni remission? On ressent que ces contorsions renvoient par échos aux séquelles de la violence, évoquée par ses conséquences, jamais exposée. La compréhension ne se satisfait pas simplement de bons sentiments: des danseurs fléchissent, s'effondrent et se laissent glisser au sol, froudroyés par le passé. D'autres s'efforcent de les soutenir mais en vain, ils échappent à leur soutien. C'est que notre empathie ne va pas de soi: cette mémoire de l'indicible semble impossible à transmettre, à porter. D'autres témoignages d'autres pays reviennent suspendre le mouvement. Une femme tourne sur elle même, ne peut s'arrêter, emportée par ce dont elle ne peut se libérer, jusqu'à l'insoutenable, s'enflamme. L'oeuvre est difficile, dérangeante. Attachée justement à nous faire ressentir qu'en ce domaine nous ne pourrons jamais tout à fait comprendre. La violence ici la plus évidente est faite par la lumière, insupportable et aveuglante: tel est aussi l'effet des vérités que nous préférons éviter. Partout la barbarie avance, écrase tout sur son passage. Le geste est quant à lui fragile, pudique, il survit par notre seule attention, nous devons continuer à le regarder.
C'était Des Témoins Ordinaires, de Rachid Ouramdane, au Théatre de Gennevilliers, avec le Festival d'Automne à Paris. Jusqu'au 18 octobre.
Lire aussi le Tadorne, bientôt Marsupilamia, et Loin.
Photo d'Erell Melscoet avec l'aimable autorisation du Théatre de Genevilliers
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Five days in March: ma voisine et Okada
La salle est comble pour Okada, avec la présence d'une importante minorité asiatique. Japonaise, on présume. Ce qui n'est pas le cas de ma voisine de gauche, elle plutôt gênée par le phrasé japonais surtitré.
Pas tant par le fait que la pièce soit jouée dans une langue étrangère- ma voisine, très parisienne, a l'habitude- mais par quelque chose d'indéterminé qui revient toujours dans la musique et le rythme des monologues, et dialogues. Une scansion courte, régulière, sans que ma voisine puisse apprécier ce qui dans ce ton serait ou non affecté, par rapport aux normes d'une discussion japonaise. Ma voisine cherche des correspondances dans les mots répétés en sur-titres, échoue. Alors comment voient-ils, entendent-ils cette pièce, les japonais autour de nous? On pourrait supposer qu'ils vivent en ce moment les mêmes sensations que nous-mêmes, quand ici-même nous regardions Le début de l'A. (de Pascal Rambert, le directeur du théâtre de Gennevilliers). Quand nous regardions la version française, pas l'adaptation japonaise surtitrée. Dans la mesure où la mise en scène partage le même parti pris de minimalisme. Mais l'analogie a ses limites: dans Le début de l'A. le jeu était retenu, milimétré, mais tout de même incarné. Ce soir les acteurs rentrent sur scéne sans jouer, puis racontent qu'ils racontent. Et ils bougent. Je repense à un autre voisin- ce soir absent- mais quelques mois avant séduit par le langage de leurs gestes. Cette gestuelle des acteurs est déconnectée du récit. Les mouvements hésitent, en déséquilibre, ânonnent, se repêtent. Avant- arrière. Debout-assis. Devant-derrière. Je comprends l'intention, je ne saisis pas le sens. C'est à dire que je conçois qu'il y ait là une manière d'envisager différement les rapports entre corps et texte, mais je ne ressens aucune des correspondances qui pourraient être initiées. Ma voisine de gauche en est presque oppressée, ressent ces mouvements comme étriqués, à l'échèlle de l'espace confiné de la chambre de Love Hotel dont il est question dans le récit.
A l'entracte ma voisine de gauche- quand j'écris "ma voisine de gauche", c'est un raccourci: il faut comprendre "la voisine qui est assise à ma gauche", sans aucune implication politique- lit le programme: Okada raconte qu'il a assisté, le jour de l'offensive de la coalition contre l'Irak, à un concert, comme le font les personnages de la pièce. Mais l'auteur écrit que la suite est fictive, dés le moment où la fille et le garçon qui se sont rencontré au concert s'enferment tous deux pour cinq jours dans un love hotel. Ma voisine, pragmatique, suppose que l'écriture de la pièce à quelque chose à voir avec la frustration de l'auteur qui est donc rentré seul du concert. Bien vu. La frustration est un puissant moteur de création.
La pièce reprend. Avec les mots la même musique. Avec les mêmes balancements. Quelques instants d'assoupissement. Ma voisine veille...............................................Reveil. On reprend. Pour être honnête, il y a plus ici que l'histoire d'un couple qui se fait plaisir durant cinq jours en mars dans la chambre d'un love hotel. On saisit vite l'opposition montrée entre le vécu hédoniste d'une génération, et les échos de l'histoire, la guerre vue à la télévision, croisée par hasard lors d'une manifestation. La dilution du collectif dans l'individuel. Le constat est juste, et franchement déprimant. Toshiki Okada est-il le David Bobée japonais? On comprend vite le principe du récit, on en revient insensiblement à surtout en observer la forme. On s'y fait. Des répétitions qui bercent, les acteurs vont et viennent pour raconter, des points de vue variés sur les mêmes évènements. Mais on reste trés loin de Pirandello, même adapté en Rashomon. A force d'être médiocres, les personnages en deviennent attachants, et à leur exemple on oublie la guerre au dehors. L'évocation des chambres sans fenêtres du Love hotel influe sur notre perception du temps, nocturne et dilué. Dans toute la salle il y a un seul spectateur, qui rit tout au long. Il est absolument le seul à rire, il n'est pas asiatique et c'est mon voisin de droite. Ma voisine de gauche ne rit pas, elle rumine sa prochaine attaque. Prend note de la désinvolture très étudiée des lumières. D'une simplicité affectée, à l'image de tout le reste. Nous sortons, pensifs, et prenons quelques minutes et quelques discussion pour arrêter notre jugement. "Prétentieux" dit-elle. Le couperet est tombé.
C'était Five Days In March de Toshiki Okada au Théatre de Gennevilliers.
photos par Naoki Onjo avec l'aimable autorisation du Théatre de Gennevilliers