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transit

  • Transit: Berlue à Bercy

    Certains enfants restent figés sur place, bouche bée, dans leurs yeux grands ouverts un océan de curiosité et une pointe d'effroi. D'autres continuent à jouer, comme si de rien n'était: dans ce monde compliqué il faut beaucoup d'expérience pour faire le tri entre ce qui est normal et ce qui l'est un peu moins. Dans tous les cas les mamans prudentes s'empressent de retirer les marmots du milieu du chemin, où les quatre danseurs de Transit avancent chaotiquement, sur le pavé devant les chais de la place Saint Emilion, dans le village de Bercy. 

    e5e0ae99d85b484d4d54ad9d28701a1d.jpgLa première créature, grimaçante, trace sa route incertaine dans la réalité de ce début d'aprés midi, tire un filet de pêche, où les trois autres sont empêtrés. Tous quatre habillés de noir et maquillés de blanc, se débattent, tournoient et tombent. Tordus, muets, aveugles, hors d'atteinte. Gyohei Zaitsu, le crane rasé et interminable, la peau de ce crâne livide et marquée de la strie du filet, bouche rouge de sang. Maki Watanabe, saisissante d'intensité de chute en chute, en déséquilibre constant. Quatre noyés, en transit vers les enfers? Une procession de condamnés?

    En tous cas une vision dérangeante, telles qu'on voit rarement s'insinuer dans le quotidien rassurant d'une promenade familiale. Quelques passants osent s'arrêter, s'attardent à accompagner le groupe le long de ses divagations. La plupart des promeneurs soutiennent l'épreuve quelques secondes et quelques pas. Tentent d'apprivoiser la situation d'un sourire. Mais, chaque fois, ne peuvent faire autrement que de porter un jugement. Entre tous ces témoins, de brèves conversations incrédules, souvent ironiques et toujours un peu affolées, avant que de tourner les talons. On s'interroge. On condamne: c'est evidemment trop morbide, trop violent. Ou l'on autorise: d'accord c'est très bizarre, mais pourquoi pas, après tout ils ont bien le droit? Et quand on reste pour regarder, on reste muet alors, est ce par émotion? Pour une fois la danse va à la rencontre du monde, et le monde est obligé de lui répondre, ne serait ce que quelques secondes durant.

    C'était Transit , avec  Cinzia Menga, Cécile Raymond, Maki Watanabe, Gyohei Zaitsu, pour une improvisation dans le village de Bercy, avec entrez dans la danse.

    Guy

    P.S. : une photo d'un peu plus tard dans la même journée, avec l'aimable autorisation de la compagnie transit 

  • Transit: retour aux sources

    Vendredi soir dernier l'Espace Culturel Bertin Poiréefaisait cave pleine (pour ceux qui l'ignoreraient, Bertin Poirée est une enclave nippone au coeur du Paris bobo). Et peut-être même que parmi les spectateurs il n'y avait pas que des danseurs de buto. C'était au moins avéré s'agissant de cette jeune femme à la candeur bienvenue, qui demandait à l'entracte à un chorégraphe au français hésitant quelle histoire racontait au juste la danseuse prostrée au début de son solo, ou si elle cherchait quelque chose qu'elle aurait perdu par terre avant.

    medium_Cinzia_et_Cecile_-_Buto_18_1.jpgMais pour un public "initié", ce solo, celui de Cinzia Menga évoquait ce que l'on peut habituellement voir de sincère et de bon niveau dans cette même salle. Une performance à tout point de vue dépouillée, mis à part les "Grains de Sable"répandus sur le tapis de scène. Dans tout celà le plus original était le corps en lui-même- car c'est de corps dont il s'agissait avant tout, un corps proche de la nudité, un corps aux formes réinventées par la lenteur toute hypnotique des mouvements. Ce corps offrait en premier lieu juste un peu plus de rondeurs que celles que les danseuses s'autorisent généralement. Cela suffisait, exascerbé par le contexte, pour qu'il en devienne charnel à l'extrème. Surtout c'était un corps occidental, et non pas japonais, et sur les mêmes gestes notre regard en était changé.

    Le buto est né bruyamment il y a bientôt 50 ans, au Japon mais fruit des amours illégitimes et passionnées de forcesmedium_1er_fragment.jpg culturelles issus de divers points du globe, et de diverses disciplines. Juste retour aux origines, il est passionnant de voir aujourd'hui en France, aux cotés de Moeno Wakamatsu, de Maki Watanabe, Gyohei Zaitsu,de Yuko Ota, pour n'évoquer que la dernière génération(la 4° ou la 5°, mais on arrêté de compter), des artistes venus d'autres horizons, tels Camille Mutel, Inbal Fichman, Regina Georger, Moh Aroussi , Noura Ferroudj, Céline Angèle, Maléna Murua, Cécile Raymond...

    Ces trois dernières danseuses, de la même compagnie Transit, assuraient la seconde partie, et créaient la surprise. Un ouragan radioactif semblait avoir dévasté, durant l'entracte, la salle de spectacle, envahie désormais de divers reliefs de la société de consommation: sacs plastiques, canettes vides- ne manquait que le polonium 210. Espace habité par trois mutantes, primitives ou post industrielles, pitoyables survivantes de cataclysmes intimes ou planétaires, enlaidies, hagardes, gémissantes, habillées de rebuts en "Fragments", maquillées de projections vidéo et de sons en direct. Elles se tordaient, rampaient, déambulaient imprévisiblement, frayaient leur voie à travers les grappes d'un public privé de sièges et de tout point de repère, pour créer les nouveaux chemins de la laideur et de la beauté.

    Nous étions un peu bousculés, au propre et au figuré, pour regagner ainsi un peu de liberté d'esprit, ce qui n'avait pas de prix.

    C'était la Compagnie Transit, Bertin Poirée.

    Guy

    P.S. : et Kazuo Ohno a eu 100 ans, le 27 octobre dernier.

    P.P.S. du 25/2: On a rajouté, avec l'aimable autorisation de Transit, 2 photos (signées Estelle Fenech) de cette soirée.