Les poupées, au masculin ou féminin, se font ces temps ci très présentes sur les scènes contemporaines, depuis Brigittte Seth et Roser Montlo Guberna en passant par Christina Ubl, jusqu'à cette piece de Frédérike Unger & Jérome Ferron. Moqueuses allégories de la condition de l'artiste? Pour autant doit se montrer assez patient pour regarder une danseuse aligner implacablement, une par une, soixante-deux poupées barbies nues sur le plateau, tandis que sa partenaire tente de venir à bout de son solo dans un espace ainsi réduit à sa portion congrue?
Sûrement, car cet envahissement de l'espace par la blonditude en série détermine toute la suite des évènements. Qui s'imposent aux deux plus grandes poupées vivantes, livrées sans aucun accessoires elles non plus. Enfin plus exactement habillées de fausses fleurs pour une entrée adaptée à ce sacre du printemps. Puis bientôt simples Venus pour arpenter la scène, impavides et sur pointes imaginaires: c'est une littérale exposition de la beauté plastique du titre. Et froidement méthodique: de face, de dos, de profil. Après, se rhabillant- première rupture- à dessein très pauvrement: couleurs de mauvais gout et survet' déchiré aux fesses-pour le solo de l'une, en progression enchainée par basculements au sol, gestes exagérés de poupée et sourire figé. Eclipsant la laideur vestimentaire s'impose alors justement la beauté du geste. C.Q.F.D.? De même pour le solo de l'autre, d'un classique élégant et glacé, modèle de beauté formelle, calibré tout prés de l'irréprochable et pas loin du parodique.
Incongru entre ces deux soli, un déshabillage encore, arrêt sur image pour une nouvelle exposition assumée. Noir, lumière et toutes deux encore immobiles en nudité, avant échange des mêmes fringues au rabais. Après ces danses le x-ième et dernier passage par l'exhibition préludera à son inéductable décadence en une version grinçante: sous-vêtements couleur-chair qui dessinent une grossière caractérisation sexuelle, quasi-industrialisée, masques maquillés de cils et rouge à lèvres d'un vulgaire obscène. La dépersonnalisation, en une féminité réduite à son plus triste stéréotype: c'est le prix à payer pour s'intégrer incognito chez les poupées barbies. Leur transformation ainsi parfaite en femmes-objets, les deux danseuses progressent entre petites poupées sans renverser celles-ci, de gestes stéréotypés en poses imposées d'un triste imaginaire de séduction. On échappe pas aux poupées de plastique, qui à la fin dansent par images grotesques et saccadées jusque sur le fond d'écran. Les vraies danseuses n'ont alors plus qu'à ramper, avec un embarras qui les rendraient presque à nouveau humaines, dans l'espace que les lumières transforment en un milieu onirique et cauchemardesque. Bilan: seulement 6 ou 7 barbies renversées.
Sur le thème de la dictature qu'exercent les images de la beauté, dictature exercée sur celles qui tendent à s'y conformer tant que pour ceux qui les regardent faire et s'aliéner, la démonstration est sans failles. Elle s'appuie sur la mise en oeuvre d'une séduction irrésistible au premier degré, pourtant ambiguë dés la première seconde, pour amener à une prise de distance lors de l'apothéose en douche froide. L'exercice n'est pas d'une originalité ébouriffante, mais pour le moins efficace, affûté, cohérent. Portée par ce scénario sans temps morts la danse entendue au sens strict est loin d'être anecdotique. Pour terminer, le rapport conceptuel avec "Le sacre du printemps"de Stravinsky -version un peu psychédélique et arrondie d'échos- semble ténu. Mais cela fonctionne, étrangement.
Sur le papier au moins c'était une bonne idée d'enchainer avec ensuite avec "Ta femme en kit" de la compagnie bobainko, car la thématique à priori voisine: les stéréotypes de la femme idéale. Mais on fut moins convaincu. L'exploration méthodique de divers modes de la culture musicale populaire: chanson sentimentale, valse violoneuse, comédie musicale bas de gamme, punk, rap, etc... nous semblait un peu gratuite et surtout dispersée, malgré de beaux effets de robes à paniers. Et on y a entendu une adaptation en français de "Tell it like it is". Sacrilège. Disqualification. Seul Aaron Neville a le droit de chanter "Tell it like it is".
C'était Show case #"1 - Beauté plastique ♥♥♥♥♥de Fredérike Unger et Jérome Ferron, avec Frederike Unger et Emily Mézière-Compagnie Etant Donné à l'Etoile du Nord. Suivi de "Ta femme en kit" de Domitille Blanc, Aurélie Burgeot, Vanessa Morisson et Marie Rual. Jusqu'à samedi encore.
Guy
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Commentaires
C'est fou comme certains poncifs se télescopent. J'ai parlé dernièrement des perruques, il y a aussi le coup du bas sur la tête. On retrouve presque exactement le même costume que sur ta dernière photo dans le Pixel Babes de Nicole Seiler (http://www.theatre-arsenic.ch/site_arsenic/fiches/images/images_06_07/Nicole_Seiler8.jpg)
Autre exemple du bas sur la tête chez Marco Berrettini, L'Opéra sans sou, si (http://www.theatre-arsenic.ch/site_arsenic/fiches/images/images_06_07/melkprod2.jpg). Deux exemples au seul théâtre de l'Arsenic, saison en cours. Le bas sur la tête, c'est vrai que c'est super contemporain-audacieux-transgressif, le petit bourgeois que je suis en est ébranlé à chaque fois.
- A moins que bas et poupées sexy soient vendeurs ? Je m'interroge ;-).
Ca doit être dans l'air du temps! Et tu as manqué une perruque, chez Saskia Jolbling (a lire bientôt ici même). Mais je vais une fois encore être moins sévère que toi: au moins dans "beauté plastique", le coup du bas sur la tête s'intégrait bien à la narration. Cela n'était pas follement original, mais au moins cohérent.