Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Faire part d'une agonie annoncée

Dans le lit au centre: l'agonisante, ce lit posé dans cette chambre sombre et nue, dépouillée mais que l'on situe quand même au XIX° siècle, une époque où la mort (ainsi que la naissance) n'était pas encore sous-traitée par les familles aux hôpitaux.... LA MORT: le gros mot est prononcé, et dès le titre, sans plus de précautions. Avec Je suis morte  Isabelle Esposito poursuit avec courage ou inconscience son parcours artistique sur un chemin solitaire et escarpé. A l'accompagner on jouit pourtant de points de vue qui valent le déplacement. Mais pour cela il faut un peu oser: dans notre univers mental desacralisé, et borné par l'illusion du droit au bonheur et du risque zéro, l'obsénité artistique la plus impardonnable consiste bien à montrer la mort plutôt que le sexe. 

JSM -IMG_9294-2.jpeg

Tout bien pesé, on rit alors beaucoup, au moins en dedans. On rit en silence, la respiration en sursis de la mourante tenant lieu de bande son. Ce silence, on l'accepte aussi. Pâle et diaphane, yeux fiévreux, Maxence Reyest une impeccable agonisante, aux râles inguérissables et aux gestes finissants. En cet instant elle n'est pas seule, plutôt bien entourée, dans l'entre deux. Entourée de morts et vivants. Ce n'est au début pas si facile de distinguer les uns d'autres. De sa place, au milieu. Parmi tous ces personnages, lesquels sont donc les fantômes de ses rêves et regrets? Et parmi eux lesquels sont les derniers accompagnants- frère, soeur, docteur- ceux-là pas au mieux de leur forme, du moins dans le regard de la mourante. Les endeuillés surgissent d'une porte noire et béante, leurs gestes souffrent saccadés et leurs pas tremblent. Les fantômes nés de ses délires ultimes, sont quant à eux souvent des bons vivants, doubles bondissants, qui batifolent, se taquinent et se poursuivent dans le plus simple appareil. Dans ces deux mondes dont elle est le point de rencontre, et sous ces deux lumières, le malaise se dissipe par l'effet libérateur d'un burlesque grinçant. Cette dé-dramatisation ne tourne jamais au ridicule, pourtant. De temps en temps la presque morte s'extrait de sa situation, pour s'adresser à nous posément droit dans les yeux. Ces moments nous permettent de relâcher quelque peu la tension, et aussi de nous faire prendre conscience qu'il s'agit pour le reste d'un pur théatre sans texte. Muet mais jamais ennuyeux, parfaitement chorégraphié et joué avec jubilation- certains matérieux déja travaillés dans vieille nuit ici réordonnés. Le tout est d'une claire et irréprochable construction.

 

JSM Plateau-9705.jpg

Sans ostentation, donc un beau pas vers la réalisation de l'idéal interdisciplinaire. Déja à ce stade, car je suis le témoin privilégié d'un premier filage, l'oeuvre a alors encore un mois devant elle pour s'affiner. Isabelle Esposito semble résolue à gommer de la pièce tout ce qui lui semble encore trop naturaliste en état... Pour ma part je suis heureux du premier résultat, les yeux ouvert sur l'insaissable qui se délite, l'âpre fugacité de souvenirs sitôt condamnés. Yeux ouvert sur la mort vue en face sans tricher ni happy end, mais avec lucidité et tendresse, pour exorciser les peurs et cicatriser les regrets. Elle est morte bientôt mais reste vivante... jusqu'au dernier instant.

Ce sera Je suis morte, mise en scène, chorégraphie et texte d'Isabelle Esposito, artistes interprètes : Christophe Cuby, Thomas Laroppe, Anthony Moreau, Isabel Oed, Maxence Rey, Alexia Vidals, vu en filage le 26 février, créé à partir du 25 mars à l'Espace 1789 de Saint Ouen.

Guy 

lire aussi: vieille nuit 

photos de Christophe Rivoiron avec l'aimable autorisation d'Isabelle Esposito

Commentaires

  • Cher Guy Degeorges,

    Merci d'avoir appelé l'attention de vos lecteurs sur la pièce d'Isabelle Esposito à l'Espace de Saint-Ouen.
    Je suis déjà allé dans ce théâtre, mais sa programmation est tellement primesautière que l'on a du mal à la suivre.

    Je suis morte est certainement l'une des pièces les plus fortes qu'il m'ait été donnée de voir depuis quelques saisons.
    Forte non seulement par son écriture et le jeu des acteurs, mais surtout par sa dramaturgie qui ose aborder les
    les situations fondamentales de la vie et de la mort. Non par le truchement d'une «histoire», mais en faisant le saut direct
    dans l'insoutenable présent. Il y a dans ce drame un remarquable balancement entre l'intensité du moment
    et l'écoulement du passé et du futur. L'attente de la mort semble couper la bande son du bavardage social.
    Les interventions muettes du médecin, par exemple, en deviennent caricaturales. Le passage des autres
    personnages muets qui traversent la scène en témoins impuissants ou dépassés par la gravité de l'instant
    sont admirablement distribués. Par moment je pensais à cette phrase de Joe Bousquet :
    « quoi qu'on dise, le silence est plus éloquent ». Pourtant il n'y a aucune complaisance morbide dans ce drame,
    même une sérénité amusée, une sorte de joie d'outre-tombe qu'exprime bien le personnage principal.
    Le seul reproche que je ferais concerne son monologue. Il me semble qu'une parole venue de cet entremonde
    doit avoir un autre style. Mais cela n'enlève rien à cette œuvre chaleureuse, d'une grande sincérité
    et d'un courage rare par les temps qui courent.

    Amicalement,
    Michel Ellenberger

  • Réponse à Monsieur Michel Ellenberger

    Cher Monsieur,

    Je vous remercie de vos mots. Ils me sont précieux.

    Sincèrement.
    Isabelle Esposito

Les commentaires sont fermés.