Ce samedi soir, Jean François Munnier lève le rideau sur trois pièces en résidence à l’Etoile du Nord, propose d’en voir des extraits, des commencements, et invite les artistes à s’exprimer. L’expérience est passionnante…et il est délicat d’en rendre compte. Invité à voir ces ébauches, « fragiles » forcement, on est condamné à la bienveillance.
Blanc Brut de Françoise Tartinville, duo masculin en interaction avec un mobile et une bande son lourde de respirations, m’impressionne par l’originalité des matières dansées. Des ondulations, l’expérience d’un temps ralenti, décalé, une incertitude caoutchouteuse, une impression de violence contenue. A ce stade mon attention flotte, avec le sentiment que cette originalité se déploie encore tout azimuth. Mais cette impression n’est pas naturelle à ce stade du travail? Les explications ensuite de la chorégraphe et de l’équipe sont bienvenues. Précises et déterminées. Elles me permettent de me rapprocher de l’œuvre, me préparent à la revoir, plus tard. A confronter mes ressentis aux intentions de base : la masculinité dans sa physicalité, ayant pu entrevoir les structures sous-jacentes, les relations entre chorégraphie, scénographie et bande son, issue de la respiration des interprètes.
La présentation d’ Edging me laisse perplexe. Je reçois beaucoup d'explications, trop d’explications, avant l’extrait, après l’extrait. Je reste dubitatif lorsque l’on m’explique que le sujet n’est venu qu’en second, après le désir de rencontre entre les trois créateurs. Je ne fais pas les liens entre ce sujet- la rétention du plaisir au bord du paroxysme, et sur un plan social et politique la surcharge d’information et l’impossibilité de l’action, avec ce à quoi j’assiste ce soir: la réaction d’un corps prostré à une pièce de noise music jouée à fort volume. Les choix exprimés- montrer le vide du plateau, faire entendre la musique dans le noir- ne me paraissent pas consistants à ce stade, porteurs de significations. Trop tôt pour en juger? La pièce sera ce qu’elle sera…
Renversement : les premières minutes claires obscures de Sous ma peau, de Maxence Rey, installent déjà la sensation d’un achèvement, dans l'esprit si ce n'est dans la forme. Le sujet s’impose sans faux semblants: la féminité exposée par sa nudité. Ce sujet est d’entrée pleinement assumé, de la suggestion à la crudité. Ce sujet est bien sur dangereux par excellence, entre les pièges de l’esthétisme et ceux de la vulgarité. Mais ces premières minutes me paraissent atteindre aussitôt quelque chose au-delà de l’impudeur, laisser entrevoir « sous la peau » des identités pourtant insaisissables, mouvantes, protéiformes. Trois corps assis, en quasi immobilité, et je retrouve l’étrangeté évocatrice des Bois de l’ombre, au bord du gouffre de l’effarement. Les visages sont confisqués par des masques blancs et des perruques uniformes, mais pour laisser les corps s’exprimer, chacun dans sa singularité, corps qui évoluent bientôt et se déforment dans tous leurs états, de l’épure au fantasme. Jusqu'à la monstruosité?, Déja les dernières secondes et l’une des danseuses s’avance au bord de la scène en arrachant son masque…et nous abandonne sur cette interrogation.
Après ces vingt premières minutes, les explications de l’équipe sont redondantes, de pure convivialité. Sous ma peau sera une pièce forte, trouble, étonnante.
C'était les turbulents, présentation d'étapes de travail de Blanc Brut de Françoise Tartinville, Edging de Guillaume Marie (Chorégraphie et interprétation), Igor Dobricic (Conception et dramaturgie) et Kazuyuki Kishino (Création musicale), Sous ma peau de Maxence Rey, à l'Etoile du Nord.
Guy