étoile du nord
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Des choses cachées
Elles sont de celles qui retournent les pierres, ouvrent le sol sous leurs pieds, font deviner les ombres de choses cachées dans des cavernes depuis des éternités, nous emmènent. Oui, elles nous emmènent en un ailleurs qui n'est déjà plus le lieu proche de la scène, ouverture sur un écran de cinéma peut-être, à un degré d'étrangeté plus lointain. Y règnent dans les ruines d'autres lois, d'autres attirances entre êtres, d'autres pesanteurs, des résistances. Les mouvements s'empêchent et se libèrent, se stabilisent en étreintes inertes. Elle s'y meuvent au ralenti, comme à l'envers, vers l'origine, premières femmes sur la lune, pourtant le vent violent dans les cheveux. La musique y râpe, puis panique, surprend leurs chutes et leurs fuites. Elles y dilatent l'imaginaire, se jouent des codes, troublent ensemble des gestes de mélodrame et de danse, esquissent un art total, vivant et plastique. Elles se libèrent de leurs peaux pour se peindre, creuser les rites et couleurs, devenir ornements. Elles se livrent à l'archéologie de nos souvenirs partagés, à l'inventaire de drôles d'accessoires et de reliques de notre civilisation, signes et vestiges éparpillés. Sous le tapis de danse, derrière le rideau de théâtre, la nature est retrouvée, tout semble commencer.Ornement de Anna Massoni et Vania Vaneau vu le vendredi 4 novembre au théâtre de l'étoile du nord en ouverture d'avis de turbulence.Guyphoto de Jordi Gali avec l'aimable autorisation de l'Etoile du Nord -
En couleurs
Le lendemain soir de ce mercredi noir, l’affect s’engourdit, sidéré, les pensées ruminées. Difficile de faire page blanche et de s’ouvrir à d’autres imaginaires. Mais la danseuse est en noir elle aussi, debout. Elle s’agite de bas en haut, et grimace, prise d’irrépressibles convulsions, comme possédée. Le diable au corps. Mon état s’incarne en ses mouvements, elle m’aide à me purger des humeurs morbides et pensées en impasse. C’est un passage. Devant elle, alignés au sol, des vêtements de toutes les couleurs, qui m’évoquent de mystérieux folklores. Un par un elle les ramasse, danse, s’en pare. Elle se charge de signes et traditions. Le corps disparait jusqu’au visage voilé sous les étoffes mais tourne à n’en plus finir, toujours vivante. Elle semble la prêtresse de nouvelles mythologies, un ange multicolore, à elle seule le monde entier. Pour réconcilier en son corps toutes les civilisations, pacifiées la barbarie loin derrière. Quand elle cesse et repose, glisse et renait hors des tissus, au terme de cette cérémonie, il n’y a plus qu’une humanité. Le noir laisse la place à l’apaisement. La pièce s’intitule « Blanc », vient du Brésil, née d’interrogations sur la rencontre des cultures blanches, noires, indiennes. Aujourd’hui après le deuil, c’est une cure de couleurs.
Blanc Teaser from vania vaneau on Vimeo.
Blanc de Vania Vaneau, vu le 8 janvier au festival Open Space à l’Etoile du Nord
Guy
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Aveuglé
A travers l’effraction de l’oubli, je la voyais émerger des origines, ce nu(e) muet la découvre futuriste, forme frêle projetée dans un avenir glacé. Avec la même intensité, la même etrangeté. Sa nudité m’aveugle, et les lumières qui explosent en flashs, déchirent l’obscur, bien plus vite que nos pensées et font fuir les épileptiques. Lentement des torsions l’étirent encore, impudique, le corps scanné d’un laser vert. Pour l’identifier, la cataloguer, la réduire ? Impossible bien sûr, l’insaisissable s’enfuit vers l’asymptote de la nudité.
Nu(e) muet de Camille Mutel, vu le 18 octobre au théatre de l’étoile du nord.
Guy
Photo (droits réservés) avec l'aimable autorisation de la compagnie Li Luo
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Sujet imposé
Le sujet de cette création, dont je vois ce soir la première partie, est la naissance. Rien ne m'aurait permis de le deviner. A la voir, cette danse constituerait un travail avant le travail, une préparation, une mise en condition... Je lis le sujet et je l'oublie, n'ose pas me raconter une autre histoire. Reste, et c'est déjà beaucoup, de l'ivresse et de la fascination, devant des mouvements résolus et répétés, d'un corps bien campé au sol. Il y a de la force dans l'acceptation d'autre chose, cela je le ressens.
Noli me tangere from Les Décisifs / Clara Cornil on Vimeo.
Noli Me tangere de Clara Cornil, vu le 18 octobre au théatre de l'étoile du nord .
Guy
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Mesuré
On raconte que l’art de Kazuo Ohno, mort centenaire, s’embellissait au fur et à mesure que son corps avançait en âge, qu’il pouvait à la fin danser encore sublime juste de son bras, de sa main, d’un doigt. Maxence Rey ce soir bouge peu, ne bouge pas, ou presque, non plus son partenaire. Tous deux assis sur leurs chaises, dans le prolongement des Bois de l’Ombre, nus tous deux et masqués, dans la lignée de Sous ma Peau.
Gestes économisés, le corps s’exprime fort de peu.
Altérité 2ème approche, performance chorégraphique de Maxence Rey et Christophe Bonzom, vu le 16 mai 2013 à l’Etoile du Nord dans le cadre de la carte blanche à Maxence Rey.
Guy
La pièce sera dansée à l'Etoile du nord le pour la présentation de saison le 28 septembre.
photo de Delphine Micheli avec l'aimable autorisation de la compagnie.
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Etats de nues
Vous n’avez encore rien vu, et je n’avais encore rien vu de sous ma peau, au moment de l’extrait montré en janvier dernier. En 9 mois la gestation a fait son œuvre. J’avais alors vu, de ce trio de femmes, l’identité remise à zéro par la mise à nue. Une idée d’absolu. Masquées et anonymes, corps vierges et découverts. Des poses assises en clair obscur glissaient légères vers des affirmations de soi allusives, minimales, s’abstrayant de la vulgarité ou de la pudeur. Le corps se lisait lent, évoluant doucement dans un état d’érotisme suggéré, qui sait? Mais elles se transformaient déjà, par des exercices de monstruosité ou de laideur, au point d’abolir même la laideur. Les masques tombaient alors sur une interruption, ils tombent ce soir sur d’autres mystères. Des masques sous les masques, et plus encore.
Je croyais la ligne bien tracée depuis ce début, mais ce soir les mues continuent, d’autres peaux sous la peau première, je sais que je ne sais plus. La pièce s’élance, mais dense accumule les sens, la danse les ambivalences. Leurs identités se reconstituent, se perdent, s’affirment à nouveau mais chaque geste s’accumule, à double sens, nos sens chavirés. Elles s’animent et se jaugent, s’étalonnent, s’affrontent en rivalités aveugles, enfin se fondent ensemble, se consolent en toute sororité. Où est-ce un charnier? Hiératiques, visages effacés tels des mannequins dans une vitrine, elles tremblent l’instant d’aprés, vulnérables et terriblement humaines. Après des balancements organiques, elles sont saisies d’emballements mécaniques. Clins d’œil sous les archétypes féminins, couche sur couche. Au millimètre. Les états charnels dessinent peu à peu en subtilité une belle, ample, fresque du premier sexe, vers l’émancipation: dernier masque arraché c’est le visage qui a le dernier mot, avec fierté et humanité. Cette pièce n’est pas féministe, elle est sans doute politique, en toute subtilité. Je suis laissé confus, et impressionné. Dans l’admiration et la perplexité. Je n’ai pas tout vu. Faut-il avoir le regard d’une femme? Pourtant j’étais prévenu. J’avais vu plusieurs fois et avec plaisir les bois de l’ombre et jamais vu la même pièce. Cette pièce là, je la reverrai, et chaque fois elle aura encore fait sa mue.
C’était Sous ma peau de Maxence Rey, vu en filage à l’Atelier Carolyn Carlson, créé à L’Etoile du Nord jusqu’à ce samedi.
Guy
photo: Aléida Flores Yaniz avec l'aimable autorisation de Maxence Rey
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Tous metteurs en scène!
Je demande à ce que les assistants suspendent le globe terrestre par un fil à mi hauteur dans le lointain jardin de la scène, qu’ils disposent un coquillage coté face, et l’arbre vert à baies rouges dans le lointain cour. Selon mes directives, Olivia Lioret, l’interprète, devrait parcourir la diagonale de face cour jusqu’au globe en tournant sur elle-même - joyeusement- dans une main un poisson, dans l’autre un goéland. Les dés sont jetés, tout disposé pour une minute d’utopie de nature, en toute naïveté. Veronica Vallecillo, en meneuse de jeu, veille à la mise en place, choisit la musique: « What a beautiful world » par Louis Armstrong. Lumières, c’est parti. Et le résultat se matérialise, porté par la présence de la danseuse qui invente une émotion sur ce chemin. Cela s’échappe de la vague vision d’origine, l’image en direct s’impose dans toutes ses dimensions, c’est à la fois plus simple et emporté que je ne l’aurais imaginé…
Veronica Vallecillo s’est mise dans la peau d’une maitresse de cérémonie mi-guindée mi-deglinguée- par moment saisie de furieuses éruptions flamenco- pour nous initier au b.a.b.a. de la mise en scène et de la scénographie. Après quelques démonstrations et l’exposé des règles du jeu, les volontaires dans le public sont invités en toute bienveillance à jouer. A choisir parmi les 64 accessoires tirés de l’univers «trashic» en noir, blanc et rouge de la chorégraphe ceux à disposer sur le plateau, à donner les consignes à l’interprète. A l’imaginaire de chacun de s’exprimer. Ce n’est pas triste.
Le premier plaisir est d’écouter chacun des apprentis metteur en scène donner ses instructions, plus ou moins motivées, soit simples, soit d’une surprenante précision. A l’intérieur de chacun, les images sont déjà vivantes, construites. L’époque doit être anxiogène: beaucoup des propositions de ce soir tendent au tragique même tempéré de comique, le squelette rouge est souvent mis à contribution, dans des relations passionnelles avec l’interprète. A une occasion le squelette est vivant (il fallait l’inventer!) mais sitôt frappé de mort subite sous les yeux impuissants de son amoureuse. A la scène suivante l’assistant passe un mauvais quart d’heure sous les assauts de l’interprète armée d’une épée et d’un pistolet. Je me sens un peu plagié quand un autre spectateur après moi utilise globe, poisson et goéland, mais après réflexion je ne porterai pas plainte.
Le second plaisir est de découvrir en direct l’image en mouvement, toute la vie et les inflexions inattendues qu’insuffle l’interprète à l’image de départ, pour nous renvoyer un objet artistique que chacun interprétera à sa façon.
Mais le plaisir le plus intense est de lever la main et proposer soi-même. Croire que nous sommes tous artistes, un peu…
C’était La construction d’une image vivante, happening pédagogique par Veronica Vallecillo, encore ce soir à L’Etoile du Nord à 19h00 dans le cadre de Jet Lag.
Guy
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Des esquisses, et plus
Ce samedi soir, Jean François Munnier lève le rideau sur trois pièces en résidence à l’Etoile du Nord, propose d’en voir des extraits, des commencements, et invite les artistes à s’exprimer. L’expérience est passionnante…et il est délicat d’en rendre compte. Invité à voir ces ébauches, « fragiles » forcement, on est condamné à la bienveillance.
Blanc Brut de Françoise Tartinville, duo masculin en interaction avec un mobile et une bande son lourde de respirations, m’impressionne par l’originalité des matières dansées. Des ondulations, l’expérience d’un temps ralenti, décalé, une incertitude caoutchouteuse, une impression de violence contenue. A ce stade mon attention flotte, avec le sentiment que cette originalité se déploie encore tout azimuth. Mais cette impression n’est pas naturelle à ce stade du travail? Les explications ensuite de la chorégraphe et de l’équipe sont bienvenues. Précises et déterminées. Elles me permettent de me rapprocher de l’œuvre, me préparent à la revoir, plus tard. A confronter mes ressentis aux intentions de base : la masculinité dans sa physicalité, ayant pu entrevoir les structures sous-jacentes, les relations entre chorégraphie, scénographie et bande son, issue de la respiration des interprètes.
La présentation d’ Edging me laisse perplexe. Je reçois beaucoup d'explications, trop d’explications, avant l’extrait, après l’extrait. Je reste dubitatif lorsque l’on m’explique que le sujet n’est venu qu’en second, après le désir de rencontre entre les trois créateurs. Je ne fais pas les liens entre ce sujet- la rétention du plaisir au bord du paroxysme, et sur un plan social et politique la surcharge d’information et l’impossibilité de l’action, avec ce à quoi j’assiste ce soir: la réaction d’un corps prostré à une pièce de noise music jouée à fort volume. Les choix exprimés- montrer le vide du plateau, faire entendre la musique dans le noir- ne me paraissent pas consistants à ce stade, porteurs de significations. Trop tôt pour en juger? La pièce sera ce qu’elle sera…
Renversement : les premières minutes claires obscures de Sous ma peau, de Maxence Rey, installent déjà la sensation d’un achèvement, dans l'esprit si ce n'est dans la forme. Le sujet s’impose sans faux semblants: la féminité exposée par sa nudité. Ce sujet est d’entrée pleinement assumé, de la suggestion à la crudité. Ce sujet est bien sur dangereux par excellence, entre les pièges de l’esthétisme et ceux de la vulgarité. Mais ces premières minutes me paraissent atteindre aussitôt quelque chose au-delà de l’impudeur, laisser entrevoir « sous la peau » des identités pourtant insaisissables, mouvantes, protéiformes. Trois corps assis, en quasi immobilité, et je retrouve l’étrangeté évocatrice des Bois de l’ombre, au bord du gouffre de l’effarement. Les visages sont confisqués par des masques blancs et des perruques uniformes, mais pour laisser les corps s’exprimer, chacun dans sa singularité, corps qui évoluent bientôt et se déforment dans tous leurs états, de l’épure au fantasme. Jusqu'à la monstruosité?, Déja les dernières secondes et l’une des danseuses s’avance au bord de la scène en arrachant son masque…et nous abandonne sur cette interrogation.
Après ces vingt premières minutes, les explications de l’équipe sont redondantes, de pure convivialité. Sous ma peau sera une pièce forte, trouble, étonnante.C'était les turbulents, présentation d'étapes de travail de Blanc Brut de Françoise Tartinville, Edging de Guillaume Marie (Chorégraphie et interprétation), Igor Dobricic (Conception et dramaturgie) et Kazuyuki Kishino (Création musicale), Sous ma peau de Maxence Rey, à l'Etoile du Nord.
Guy
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Cabaret Roméo
Il y a, au coeur, la scène du balcon. Juliette encablée qui se tortille d'amour, en suspension, Romeo qui en bas sort mais revient encore, pour prolonger entre eux l'instant de cette promesse qui s'évapore. Comment puis désirer ce que je possède déja? Tout le mystère est dit, survit au risible de la passion exposée, et à la ronde des personnages grinçants qui entourent ces amants. Ils sont à la fois acteurs, commentateurs, manipulateurs, tentent de nous divertir en soulignant à gros rires et traits de fard, les artifices et illusions. Passion empéchée, tragique conclusion: tout est dit d'avance. N'empeche. La naiveté, passion l'emporte, même distraite par un désordre bouffon, perruques, morceaux de bravoure, rires et chansons, videos au gout du jour, dans une profusion toute shakespearienne. Toute chose se transforme en son contraire, mais on en revient à l'essentiel. Ce couple sous la loupe porte jusqu'au sacrifice notre soif d'absolu et de révolte, c'est, tout mis à part, d'une belle simplicité.
C'était Roméo et Juliette de William Shakespeare, m.e.s. par Julien Kosellek. au théatre de l'Etoile du Nord.
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Quand Florence regarde Viviana...
Début de soirée: c'est un plaisir de partager un moment avec Florence et sa famille. Florence est une amie d'avant retrouvée depuis peu. Nous faisons ensuite le chemin jusqu'à L'étoile du nord, pour le festival Jet Lag, sans même à avoir, en partant de chez elle, à changer de trottoir. Florence, curieuse et cultivée, est peu familière avec la danse contemporaine. Bien que donc voisine, elle vient ce soir à L'Etoile pour la première fois. Et endosse avec un sourire entendu le costume de la candide. Cela m'enthousiasme de lui proposer cette découverte. Dans le même mouvement, je comprends à quel point son regard peut être pour moi déstabilisant. Déja, à essayer de lui expliquer ce que Viviana Moin est susceptible de faire sur scène, je m'embrouille, je me perds dans l'anecdote. J'ai l'impression de vendre ou de sur-jouer. Partager ce qu'on aime, c'est déja s'exposer. Avec plus de vulnérabilité que derrière un clavier.
En première partie: Claudia Gradinger. Pour dix minutes d'extraits de sa nouvelle pièce. A l'énoncé du titre et à la vue des objets sur le plateau, difficile d'ignorer qu'il s'agit tout le temps de la Suisse, au moins en toile de de fond. Pour le reste, ce que dit prudemment Florence à l'entracte cristallise mes impressions encore destructurées, mon ressenti qui flotte. Florence reconnait les qualités physiques de la danseuse, et tout ce qui relève du pur mouvement. Mais s'ennuie de la profusion d'accessoires, de mots et de symboles, sans être parvenu à y trouver de la lisibilité. Florence s'amuse bientôt d'entendre une personne du metier formuler grosso modo la même analyse. Pour ma part, j'espère que la piece vue intégralement aurait laissé un souvenir plus construit.
Ensuite... L'entrée en scène de Viviana Moinbalaye toute rationalité. Et toute convention spectaculaire. Viviana est habillée d'un collant rose, d'un chapeau importé d'un folklore suspect, et d'un dispositif improbable qui évoque un soutien-gorge. Elle n'a peur de rien. Ca passe ou ça casse. Sur un ton entendu, elle fait allusion à de mystérieux évenements. Cocasses et effrayants. Fait d'une simple allusion exister des personnages bizarres . Puis s'abandonne à une danse frénétique, s'offre en sacrifice dans un rituel trafiqué... Je n'ose jeter un regard de biais à mon amie et voisine de fauteuil. A tort: plus tard Florence me racontera avoir été emportée, aprés quelques secondes d'incrédulité, dans le monde singulier de Viviana, avec ses connivences hallucinées et imaginaires à tiroirs. Peut-être est-ce la voix de Viviana qui déjoue les résistances, pour nous faire accepter des implicites absurdes, des évidences retournées. L'énergie sans retenue aussi nous emporte dans le mouvement, de cette rencontre avec une licorne bleue pour des accouplements frénétiques et compliqués. Ce dont je ne discute pas encore avec Florence, car je n'en prendrai vraiment conscience en ces termes que deux ou trois jours plus tard, c'est toute la cohérence du travail de Viviana, de pièce en pièce, dans la suggestion de nouvelles mythologies, artificielles, partagées, "mondialisées". Pourquoi cela me semble-t-il si important d'entreprendre cette construction maintenant? Plus enthousiasmant en tout cas, que sur les scènes la pandémie de danses dépressives.
Mais pour le moment la licorne fait sécession en deux complices, et cela m'évoque irrésistiblement (de Fred) le petit Cirque. Une fois les acteurs décostumés, se montre désormais l'histoire du spectacle en train de se faire. Jusqu'à la remise en question de la possibilité même du spectacle, suspendu entre un tout convaincu, et juste des élements accumulés auxquels certains personnages ne croiraient plus. Ce parti-pris est périlleux. Me laisse sur le fil. Cela peut être vu comme de l'à peu prês improvisé, de la désinvolture. Deux, trois spectateurs ainsi nous abandonnent. Florence reste, heureusement. Suit une séquence de marionnettes, dans un délicat équilibre entre fiction (les poupées) et commentaires (les acteurs). Il y a dans le texte des fulgurances, et des outrages dans les gestes. Par instants je m'amuse, d'autres instants je m'ennuie. C'est Florence qui me rattrape, car je l'entends qui rie. La suite réconcilie, et rassemble les personnages au bord de la démission, pour une chanson hilarante avec guitare et castagnettes. Pour conclure dans une recherche de ce que peuvent être les limites acceptables de la performance, la recherche du danger: Viviana saigne-t-elle?
C'est la sortie. Seul je digererais tranquillement, mais à cet instant j'en suis reduit au doute: Florence me rassure. Ou se montre d'une politesse extrème. Entreprend une analyse complête et amusée de la chose, descriptive, accepte le souvenir des sensations plutôt que la stricte recherche du sens, insiste sur ce qui l'a surpris. Réussit à me convaincre que je peux ne pas être le seul à m'emerveiller de propositions incongrues telles celle ci. Je sais et je dis que la création est jeune de quelque semaines seulement, et, inutilement, lui cherche presque des excuses, plutôt que de revenir sur son intelligence et sa vitalité. Je dis-ou est-ce Florence? Je ne sais plus...- que plus travaillée cette pièce eut peut-être perdu de sa force. Quelque jours plus tard je pense l'inverse, que le meilleur est à venir, il faudra qu'on en rediscute...
C'était MON COUCOU, TELL ET MA SUISSE [EXTRAIT - CREATION ] de CLAUDIA GRADINGER et ESPIRAL - CREATION - de VIVIANA MOIN avec Arnaud Saury et Laure Mathis (réalisation de la licorne de G. Kortsarz.) à L'étoile du nord.
photos (D.R.) avec l'aimable autorisation de Viviana Moin
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