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  • Montrer ou pas?

    En tant que spectateur, j'ai quelques préventions contre les étapes de travail, ouvertures de résidence et autres chantiers, qui consistent à montrer au public, aux professionnels, aux critiques... des propositions de chorégraphes à un état intermédiaire. Ces démarches ont surement un intérêt dans l'économie de la danse. Mais il y a là un double danger. D'abord montrer un travail encore immature, trop "fragile" à ce stade, et laisser le spectateur, tout bienveillant qu'il soit, sur une impression défavorable. Et, ou, tuer d'avance l'effet de surprise que devrait réserver l'œuvre en son état achevé: il y a des pièces qu'on a la "fausse" impression de connaitre par cœur avant qu'elles ne soient finies.

    Mais "l'Open Space" (Jean François Munnier a un talent certain pour les titres) de ce soir échappe au moins au premier écueil. Parce que les trois chorégraphes qui présentent leurs travaux en cours nous convainquent que leur démarche est motivée, structurée. On peut spéculer - mais à ce stade on s'interdit tout jugement critique- si l’on aimera ou non les œuvres à venir, mais on reconnait ici moins trois vrais projets.

    Ceci posé, il est intéressant de vivre ce soir une expérience que la représentation d'œuvres finies ne permettrait pas. D'abord, évidemment, dialoguer avec les créateurs à un stade où tous les choix ne sont pas faits, les options ouvertes: Louis Barreau explique la méthode d'essais et d'erreurs qu'il utilise, Matthias Groos parle du travail entre danseur et acteur moins aguerri autour du même solo, Fernando Cabral évoque ce qui a chez lui crée la nécessité de travailler sur l'affect, l'effondrement. Et les dialogues en "bord de plateau" ne sont après tout pas si fréquents, même s'agissant de représentations d'œuvres plus ou moins stabilisées. Ensuite, ce qui reste habituellement hors champs devient ici, involontairement, inévitablement, spectacle: la concentration de l'interprète qui s'échauffe, les réactions visibles du chorégraphe à l'extrait montré, les improvisations de l'animateur durant les échanges pour relancer ou recadrer les chorégraphes. Enfin, les trois propositions composent -accidentellement ?- ce soir un mini festival sur le thème de l'émotion. Pour Fernando Cabral, nécessité, elle s'impose intense, dès le titre et dans les corps malmenés, et les mouvements troublés. Plus en retenue, Gaëlle Bouilly et Matthias Groos développent leur création à partir de la puissance évocatrice de l'absence. Et Louis Barreau, pourtant visiblement passionné, prétend s'en abstraire pour transposer Bach en mouvement, les danseurs "s'émancipent de leurs affects pour tentent de ne devenir que des medium de sensation et de forme". Je suis perplexe.

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    C'était Open space 6 le 19 janvier à l'Etoile du nord avec à des versions non définitives de AD BEATITUDINEM de Louis Barreau, - UN SATELLITE D’UN SEUL ÊTRE de Gaëlle Bouilly et Matthias Groos Cie 29x27,  UNE ÉMOTION - UNE PIÈCE MATÉRIALISTE de Fernando Cabral.

    Guy

    Autre programme ce vendredi 27 : Santiago Codon Gras , Nach, Etienne Rochefort

    Photo: une émotion (Alexandra Dreyfuss)

  • Voyager sans bagages

    Le projet, d'évidence, est de nous emmener ailleurs, dans un rêve qui permet de nouvelles sensations, d'autres couleurs. Il faut, symboliquement, franchir d'abord la porte, surtout accepter de perdre les repères de tout ordre. Renoncer aux lois de la physique et de la gravité- ainsi permettre aux échelles de tenir toutes seules dans les airs-, laisser le temps flotter hors linéarité, renoncer à la logique dans l'enchainement des événements … Et très spectaculairement, à l'instar d'Alice de Lewis Caroll, se laisser surprendre par le renversement des proportions des personnages en jeu, prélude à d'autres mutations. A l'œuvre, en subtilité et douceur, les techniques du théâtre et de la danse, des marionnettes et de l'illusion. L'habilité, et le paradoxe, de cette proposition est de produire un beau spectacle pour petits et grands, comme on dit... avec des matériaux oniriques potentiellement anxiogènes, voire érotiques. Voyager sans carte ni bagages n'est pas sans dangers. Au minimum de se transformer soit même. On rencontre ici des créatures monstrueuses mi-végétales mi-animales, des soldats sur fond d'explosions, une femme géante prête à engloutir l'imprudent dans son ventre. Mais l'humour et la délicatesse permettent au spectateur d'accompagner les personnages à toutes ces étapes, comme autant d'expériences, telles celle du travestissement des hommes avec des robes du plus bel effet. N'ayons pas peur.

     

    Paysages intérieurs de Philippe Genty, vu le 17 janvier 2018 au 13 -éme art

    Jusqu'au 21 janvier

     Guy

  • Un banquet

    Ce serait comme l'un de ces repas de famille élargi à l'occasion par exemple d'un mariage, ou celui de la fête annuelle au bureau, ou le repas d'une association, du quartier... Autrefois, on disait un banquet. Il y aurait les gens que l'on connait, ceux que l'on ne connait que de vue, et ceux que l'on connait pas du tout. Ce soir dans la salle de la Loge on s'attable, spectateurs et acteurs. On se passe les plats, c'est une première occasion pour que les langues se délient, dans une réserve bienveillante, polie. Dans tous ces repas, il y a ceux qui restent discrets, et ceux-toujours les mêmes- qui à voix haute prennent la parole. Ici les acteurs. Comme il se doit, ceux-ci portent des toasts, mais qui glissent peu à peu du domaine des remerciements et banalités à des matières plus étranges, plus intimes. Peu importe le sujet- mais peut-être n'il y a-t'il ici un seul sujet possible: le rapport de soi aux autres, à la société- ce qui est immédiatement troublant est la manière dont nous recevons ces paroles dans un entre-deux entre fiction et vérité. Le décalage crée une qualité particulière. Une communauté de plein pied s'est créé ipso facto autour de cette grande table, en confiance et empathie, et ce que nous entendons de la bouche de ces filles et garçons prend valeur de confidences, de témoignages authentiques, de choses vues et entendues. Ainsi ce premier récit- mais trop construit pour être vrai- qui porte justement sur la perte du langage. C'est qu'il s'agit ici surtout de dérèglements, de lassitudes sociales, d'inaptitudes à s'adapter à un contexte professionnel, de tentatives de reprise du contrôle par le sabotage. De ces constats, dits avec une amère drôlerie, passe-t-on à la construction d'une utopie? Et les spectateurs peuvent-il participer à celle ci? Des pauses nous sont réservées, pour savourer les plats, pour discuter. Ce qui déjà est inhabituel et intéressant. Ma voisine de gauche est une professionnelle de la programmation, elle garde-je crois- une distance analytique. Ma voisine de droite (sans doute de gauche, sans doute dans la vie une actrice) réagit et s'indigne, semble parfois au bord d'intervenir. Une chose est sure: nous ne nous ne levons pas à l'invitation d'un des orateurs de nous approprier les marchandises de la supérette d'à coté. L'expérience-même singulière, même politique- reste une expérience théâtrale.

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    C'était Petits effondrements du monde libre- repas utopique, écrit et mis en scène par Guillaume Lambert, vu à la Loge le 10 janvier. Jusqu'au 18 janvier

    Guy

    photo- GD