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Théâtre - Page 4

  • En ébullition

    Des bulles ce soir au théatre du rond point. rediffusion du texte du 22 juillet dernier

     

    On s’y risque, et voilà. .. Allons-y, pour quelques soirs tout serait permis, dans cet espace protégé d’un été clandestin. Pour les instigateurs aussi,  une petite bulle d’impunité, pour un ballon d’essai. Pour non seulement montrer le nu féminin (ce qui n’est pas si original), mais rechercher quelque chose de plus risqué que l’érotisme, pas loin de la pornographie, fût-elle même un peu philosophique. Considérée comme le vrai sujet de la pièce et non un moyen au service d’un récit. Avec préméditation, et vite multirécidiviste, le metteur en scène fout ses cinq comédiennes à poil (on se permet aussi ici un vocabulaire plus relâché que de coutume), mais pas que…. Ou leur permet-il de se mettre à nu, et plus si affinités? Là est l’enjeu  (en partie). La question de la volonté et du lâcher prise est vite illustrée par le glissement d’un corps, inerte ou complice, qui s’abandonne mu par d’autres aux suggestions, hypnotisé par des fantasmes chuchotés et la main dans la culotte. La proposition va droit au but, avec un minimum de préliminaires. Le doigt pile sur l’ambigüité du désir et les ruses de la volonté. L’imaginaire est entrouvert- boite de pandore- pour ne plus se refermer. La drôle de leçon d’anatomie qui suit sous lumière crue (là c’est mes yeux, là c’est ma chatte, là c’est mon coude, là c’est mon téton…), ne désamorce rien. Ni en version habillée, ni en version nature. Les objets bien que nommés et montrés se ré-érotisent aussitôt à température ambiante. Ils résistent même au rire. Les interprètes n’ont pas froid aux yeux, ni  ailleurs, les mots osent et coulent, doux, moqueurs ou crus.

    Si les sens sont réchauffés par la chair douce et tiède, du recul dans la mise en scène permet à un coin de l’esprit de rester froid, analytique. De seins en fesses, la pièce suit son chemin par association d’images et frôlements d’idées. Un irrésistible séminaire universitaire freudien sur le thème de la pulsion s’enchaine ainsi par un strip-tease à un casting odieux, les filles instrumentalisées et humiliées d’une voix doucereuse, jusqu’à l’explosion. Coup de froid, interrogation lucide quant aux dérapages sur la pente de la sexploitation. Dans la grande diversité des genres qu’il explore de pièce en pièce, le travail de Laurent B. est toujours plastiquement évocateur mais de façon lisible… et il n’a pas peur de se poser les bonnes questions. Déjà lu entre les lignes du programme de salle, l’avertissement avant le début de spectacle devrait porter sur la possible culpabilité du spectateur-voyeur plutôt que sur l’éventualité d’être choqué. Entre le metteur en scène et ses belles actrices (dans tous les sens possibles), s’agit-il ce soir de la libération de fantasmes masculins, ou féminins… ou partagés? D’autres épisodes montrent beaucoup mais éludent cette question,  mais un tableau parfait et indiscret- l’évocation d’une jouissance féminine première, mythique, dévorante et irrépressible, qui emporte tout sur son passage- permet la réconciliation. Rien à rajouter.

    C’était Bad little bubble B. de laurent Bazin avec  Cécile Chatignoux, Céline Clerge, Lola Joulin, Mona Nasser, Chloé Sourbet vu à la loge dans le cadre de Summer of loge.

    Guy

  • Premier degré

    Orson Welles a écrit qu’il  préférer voir des pièces de théâtre interprétées dans des langues qu’il ne comprenait pas : il pouvait ainsi mieux apprécier le jeu des acteurs.  Ainsi ce soir Waterproof n’a ni queue ni tête.  Tant mieux, j’en suis d’autant plus libre. Les faits: il s’agit sur un mode plutôt badin, peut-être opportun, d’un anniversaire (celui des 5 ans du lieu ?). Trois candidats s’activent (mais pour quoi ?) : chants, poésie, récits décalés,  un tir de barrage de loufoquerie et d’indétermination. Je pense à aux nombreux appelés et aux peu d’élus dans cette voie, je pense à l'actualité mais je ne pense pas vouloir interpréter plus avant par là. L’arbitre lâche des diagnostics en forme de non-sens, ouvre des crevasses, mais je ne veux pas réfléchir à l’incommunicabilité. C’est drôle et je veux juste gouter un peu de légèreté.   

    Waterproof du collectif Hubris mis en scène par Raouf Raïs, vu à la Loge le 3 juillet 2014, dans le cadre du Summer of loge jusqu’au 19 juillet.

    Le festival continue du 15 au 7 juillet avec Sophie de Christine Armanger et Les Cahiers du Connemara de Laurent Bazin.

  • Le dégout

    Contribution bienvenue au blog de l'écrivain Catherine Rihoit

    La salle est pleine ce matin-là au Théâtre de la Comédie Nation. Des collégiens de Créteil, amenés par leur professeur, viennent voir le Misanthrope dans la mise en scène de Laetitia Leterrier. La troupe joue la pièce depuis trois ans et s’apprête à la donner pour la seconde fois en Avignon au Théâtre Notre Dame. Mais ce matin-là, c’est une représentation spéciale à l’intention des jeunes qui va se dérouler.

     Depuis le début de l’aventure, la jeunesse nombreuse dans l’assistance a réagi très positivement au parti pris de mise en scène, qui peut surprendre et même parfois hérisser les aficionados de Molière. En effet, le salon où chacun se pousse du col et dit du mal des autres dans le jeu futile et délétère d’affirmation sociale si insupportable pour Alceste est transformé en émission de téléréalité. S’il semble astucieux de voir là l’équivalent contemporain des salons de l’ancien régime, c’est manifestement vécu comme une évidence par la nouvelle génération, qui n’a aucune idée du monde de l’époque et s’intéresse fort peu à ces vieilles histoires, le seul fait que Molière soit au programme suffisant à le classer a priori dans la catégorie « barbant ». Et si ce n’était pas au programme, ils n’en entendraient même pas parler…

     Alors comment faire pour leur transmettre Molière ? Faut-il le mettre au goût du jour, est-ce là intelligence ou facilité ?

     

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     Les collégiens sont fort agités avant le début de la représentation et ils le sont encore au début du spectacle. Le côté « téléréalité » plaît tout de suite : ils rient beaucoup, et on se dit d’abord que ce n’est pas forcément pour les bonnes raisons. Mais au bout d’une demi-heure, un silence religieux règne. Le dilemme d’Alceste (comment vivre dans un monde qu’on trouve dégoûtant sans en être atteint au point de se dégoûter soi-même de la vie et de dégoûter les autres de soi) leur parle très évidemment, le héros hérissé comme un cactus leur est un frère.

     Le pari : comment transmettre les grands textes à un public qui n’y est pas d’emblée réceptif et les verrait sans grand regret et même avec  soulagement partir à la poubelle (soyons actuels, la culture française n’est qu’un musée…) est donc gagné, comme le montrent les applaudissements enthousiastes à la fin du spectacle.

     Quelques semaines plus tard, mon petit fils de 17 ans m’appelle pour me dire que son oral de bac français s’est bien passé. Il a eu Andromaque. Sa parole jusque-là verrouillée s’est libérée juste à temps et c’est, dit-il, parce que je l’ai emmené voir Le Misanthrope –ce Misanthrope-là. Quand à son frère un peu plus jeune, il veut faire son stage d’études au théâtre - ce théâtre-là - dans quelques mois.

     Ce que j’essaie de dire, ce n’est pas qu’il s’agit d’un Misanthrope pour ados. Mais d’autres Misanthrope se donnent ici ou là, alors pourquoi celui-ci ? Sa vertu particulière, au delà mais aussi à cause de la générosité des comédiens,  consiste en sa faculté de renouveler les spectateurs et d’amener au théâtre, quand il est temps de les y intéresser, des êtres dont le goût se forme.

     Pourquoi se donner tant de mal pour transmettre ces grands textes à ce public ? Pour qu’il ne soit pas déjà dégoûté du monde…

                                                                                                       Catherine Rihoit

    Le Misanthrope de Molière mis en scène par Laetitia Leterrier est joué au off d'Avignon du 5 au 27 juillet.

    photo par Frederic Cottel avec l'aimable autorisation de la compagnie

  • Outrage au lecteur

    Vous ne lirez pas ici de critique de la pièce Outrage au public. Ni même d’avis, de note, de résumé, d’analyse, d’évocation, de ressenti… D’ailleurs pour quelle raison lisez-vous cette entrée du blog?  Par habitude, par hasard, en recherche de pièces à voir, en raison d’un intérêt particulier pour l’auteur, le metteur en scène, le lieu? Ou êtes-vous le compagnon d’une des actrices? Même l’une des actrices? Peut-être avez-vous déjà vu la pièce à la Loge. Désirez-vous alors être conforté dans vos impressions, ou voulez-vous les confronter, les remettre en question? Recherchez-vous ici des significations que vous ne seriez pas parvenu sur le moment à comprendre, sinon à construire? Recherchez-vous dans le doute, quelque permission de juger dans un sens ou dans un autre? Ou des stimuli pour tenter de revivre certaines sensations vécues durant la représentation? Si vous n’avez pas vu la pièce, il vous est cependant difficile d’ignorer qu’elle ne s’appuie sur aucune narration, mais qu'elle repose sur un texte en forme d’interrogation sur la forme théâtrale et sur la relation, peut-être intense, qui va s’établir entre vous et les interprètes. Mais ces informations ne peuvent vous permettre de vous faire une idée de la forme de cette performance, de sa consistance, de la manière dont elle va vous provoquer, avec quels effets. Ces lignes lues, vous restez donc avec toute la liberté, l’entière responsabilité, d’aller voir la pièce à la Loge, et de vivre cette expérience en toute indépendance.

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    Outrage au public, de Peter Handke, mis e scène par Joachim Salinger, vu à la Loge le 29 mai. Représenté du 3 au 6 juin.

    Guy

  • Question de valeurs

    C’est un lendemain d’élections, sans appétits, le monde sans dessus dessous, en panne de valeurs et de convictions. On peut au moins s’accrocher à un petit rien, à voir ce personnage incongru et burlesque, qui s’obstine à exister contre vents et marées depuis déjà des années. Sombre sautillante, personne ne l’attend, elle trotte où on ne l’attend pas, et surtout à côté. Sans fonction évidente, mode d’emploi égaré. Voire, ce soir elle descend les marches, sous les flashs tout sourire et tapis rouge. Le personnage s’est proclamé star, il suffisait d’y penser, il suffisait d’abord qu’elle y croie. Et nous aussi. Dès lors elle le vaut bien. Elle nous invite par gestes émerveillés à la rétrospective de ses œuvres, pour la voir à l’écran traverser des lieux sans les habiter. Reine du dérisoire et du dévalué, femme providentielle et dérisoire, son inutilité devient précieuse, on touche au vrai du vrai. Cette valeur n’a pas de prix, quand aujourd’hui le travail intellectuel-et pire artistique- se négocie au forfait, et que l’investissement dans sa réputation est un actif immatériel hors de portée. Elle vaut des tonnes d’humanité, digne comme ce baron, personnage récurrent des romans de Romain Gary. Il reste de petites raisons d’espérer.

    isabelle esposito

     

    La Star, rétrospective des ses œuvres en sa présence, d'Isabelle Esposito à Micadances, le 26 mai.

    Guy

     www.lastar.info

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    photo avec l'aimable autorisation de la compagnie.

  • Enfermées

    Le théâtre est le lieu obligé pour représenter les invisibles, dans les univers fermés, pour ainsi réparer. Je me souviens de quelques heures en maison d’arrêt, de ces sensations. Ces femmes ci, autant de ne plus voir au-delà des murs meurent de plus être vues du dehors, ni aimées. Le spectacle est forcément impudique. Par une mise en abime les détenues préparent un spectacle entre quatre vrais murs. Dès les premières scènes se joue la confusion entre les espaces, les différentes proximités: corps s’offrant à être aperçus, crus, par la fenêtre de la cellule, derrière les rideaux de la douche, évolutions en chorégraphie en mezzanine, et incursions de plein pied avec nous, à nous  entrainer. Pour quoi nous dire? Je ne prends pas tout dans ce texte, dans ce qu’il me semble s’autoriser d’infidélité dans le langage aux personnages. Je ne veux pas croire que la violence soit l’excès de l’amour. Je laisse de côté les thèses, la Passion, et le 11 septembre, mais reste la représentation si forte de cette violence omniprésente, la musique de Monk lancinante entre révolte et oppression, surtout je crois à ces 6 actrices superbes et généreuses, ces corps si fort, leurs soli si poignants pour exprimer la douleur d’être ici ou ailleurs, sans sensiblerie ni bons sentiments.

     

    Misterioso-119 , texte de Koffi Kwahulé et mise en scène de Laurence Renn Penel, Vu au théâtre de la Tempête le 14 mai. jusqu'au 8 juin.

    Guy

  • In vino veritas

    Autour de la table de famille, à chaque verre bu tombe un masque: cette création creuse le sillon des pièces de Brecht et de Largarce reprises par la même compagnie. La progression dramatique est vieille comme le théâtre, et d’une efficacité toujours redoutable. Années 90: une douzaine de personnage sont réunis pour le raout familial dans la maison de campagne: le grand père réactionnaire, le couple rescapé de mai 1968, la sœur un peu coincée, le voisin du cru, l’impossible pièce rapportée (chef d’entreprise)… La structure de la pièce apparait circulaire, cruelle et en spirale. Tous d’abord barricadés de conventions et d’enthousiasmes forcés,  mais peu à peu les résistances s’émoussent, à chaque tournée au jeu de la vérité les personnages rendent un peu plus les armes. Ils ont le vin mauvais. Et le rire jaune. Par petites touches reviennent au jour les espoirs déçus, les grandes et petites lâchetés, le grand soir au Chili qui fit long feu et le triste retour, les blessures familiales jamais refermées. Ne restent de ces passés en puzzle qu’amertumes, détestations et nouveaux préjugés, à présent la consolation de bien modestes utopies rurales. Que lèguent-ils d’espoirs à leurs héritiers en rase campagne? C’est la cohésion chorale des acteurs dans cette création collective qui m’épate, l’appropriation et création de chacun des personnages, assez typés pour tous trouver leur place, assez profonds pour ne pas se laisser épuiser. Qui nous posent cette question: par nos actes quelles valeurs laisse-t-on?

    Nous sommes seuls - Collectif in vitro.JPG

     

    Nous sommes seuls maintenant, création collective de la compagnie In Vitro mise en scène par Julie Deliquet, vu au théâtre de Vanves le 3 février

    Guy

  • Elle nous brûle

    A ses pieds un fouillis de bande magnétiques ou de pellicule, matériau hautement inflammable, trop plein de mémoire et fils brisés, matière noire de rêves noyés. Le texte est orphelin (d’orpheline ?). Texte, sans auteur, s’il n’est improvisé hautement imprévisible, torrentiel,  irrépressible. Ce texte surgit sans préavis, s’enivre de coq à l’âne et d’associations libres, révèle névroses familiales et pulsions, sur l’inconscient, et le notre, le couvercle est arraché. L’actrice s’évade d’un nez de Cyrano, le corps se laisse posséder de tous ces personnages, s’enroule dans la pellicule, dessine de gestes une histoire plus de sens que de logique. Soudain le père surgit, la performance me déborde jamais vue, Marie Payen me sidère d’intelligence, de justesse et d’intensité.

    jEbRûLE de Marie Payen vu au théâtre de Vanves le 14 janvier.

    Guy

  • Pourpre (lettre ouverte)

    Chère Christine

    C'est passionnant pour moi d'avoir pu voir trois moutures successives de Pourpre, et d'avoir chaque fois été surpris par les évolutions du projet.

    Surpris par l'effacement progressif des codes du burlesque, une prise de risque qui déplace à chaque fois la dynamique du spectacle, et les oppositions qui le traversent. J'en étais décontenancé.

    J'ai été très impressionné par la densité que prend ta présence, ton corps, de plus en plus, ce mouvement qui part du jeu pour aller vers la danse (pas dans un sens académique).  La force qui fait évoquer par d’autres chroniqueurs  le buto, l’état de stupeur, de somnambulisme

    C'est en tous cas intense, sur une voie grave et sobre, tu t'approches (mais est-ce atteignable ?) de la quintessence d'un érotisme dans la radicalité, pur (dur !). Quelque chose de dangereux. Loin des vulgarités des clins d’œil et des évidences. Je crois que c'est très difficile à réaliser, car il faut être sobre et être impudique à la fois, être à fond  en faisant peu, émettre puissamment sans excès de mouvement, être unique mais générique.

    Avec cette pièce, où en sera tu  à Confluences ?

    Bien sur à  bientôt

    Guy

    Pourpre de Christine Armanger, est joué le 8 et le 9 décembre au festival Péril Jeune à Confluences

     

    Teaser Pourpre from Compagnie Louve on Vimeo.

  • Plein la Gueule

    Une contribution de mon ami Marc Hivernat:

    Il m'arrive rarement de prendre le temps et le soin de parler des spectacles que j'ai la chance (et moins encore la malchance…) de voir ! Mais la création de LA GUERRE, TITRE PROVISOIRE, à laquelle j’ai assisté dernièrement, force autant le respect et la réflexion que l'admiration car le théâtre - cet art de nous « re-présenter » le réel - prend ici tout son sens et puise toute sa force pour nous en mettre plein la gueule, les yeux, les oreilles et la tête !

    théâtre


    La situation de départ (des plus simples, ce qui est souvent un gage de réussite et d'intelligence) est celle d’un huis-clos entre deux protagonistes : d’une part, Serge, correspondant  de guerre en mission, affectivement et technologiquement coupé du monde, reclus dans la chambre dévastée d’un vague hôtel planté au milieu des décombres d'une ville (imaginaire mais pourtant bien réelle) et d’autre part la Caméra, sa vieille compagne de route mais aussi ce media qui l’observe, cet outil qui l’enregistre pour finalement devenir le témoin morne et le confident  médiatique de ses propres turpitudes et réflexions.

    L’excellence est ici au rendez-vous… à tous points de vue !

    D’abord, parce qu’il y a le texte de Miguel Angel SEVILLA, auteur contemporain  dont la réflexion intelligente, l’écriture malicieuse et le style ciselé produisent tous ensemble un verbe si organique qu’on ne fait pas que l’entendre. On le voit, on le boit et on le respire aussi tant il emplit littéralement  l’espace du théâtre. Ses mots nous percutent comme autant de balles perdues, souvent les plus redoutables.

    Ensuite, parce que cette création est le fruit d’une collaboration fusionnelle entre son auteur, son interprète et son metteur en scène. Le dispositif scénique conçu et dirigé par Gabriel DEBRAY (avec le très beau travail technique d’Anton LANGHOFF au son et de Jacques BOÜAULT à la lumière) est aussi efficace que sensible et tout entier dévolu à dégoupiller les situations du drame comme des grenades, tirer des rafales de vérités toutes crues sur le public et atteindre chacun en plein cœur avec des mitrailles de doutes et de confessions intimes. La guerre, les medias, la politique, l’endroit et l’envers, l’amour et l’amitié, le sens et l’illusion de la vie… tout y passe ! C’est fort et percutant, rude et touchant, et le tout sans tricherie, même si l’on sait que c’est « pour de rire » (ce dernier n’est d’ailleurs pas exclus même s’il est amer) comme diraient les enfants qui « jouent à la guerre ». Sauf que, justement, on est au théâtre : le seul endroit où le mensonge et l’illusion sont des vérités !

    Enfin, il faut saluer la performance (car c’est bien là le mot !) de Vincent VIOTTI qui, dans le rôle de Serge,  non seulement révèle toute l’humanité, fragile et contradictoire, d’un type tout en  intimité, planqué sous la carapace d’un baroudeur de guerre à qui on ne la raconte pas, mais sait aussi, et d’une façon incroyable, servir sa partenaire, la Caméra, au point de la rendre quasi humaine…

    Bref, l’ensemble est juste et  vrai, affolant et intelligent, malin et séduisant, écœurant et brillant mais je n’en dis pas plus… vous verrez bien ! Car vous irez voir ce spectacle. Il faut aller voir ce spectacle : outre la satisfaction d’une soirée réussie, c’est un devoir civique mondial, un impératif d’hygiène mentale, une question d’éthique personnelle. Vivre la guerre au spectacle, c’est tout le mal que je vous souhaite !

    Marc

    La Guerre titre provisoire de Miguel Angel Sevilla, m.e.s. par Gabriel Debray au Local les vendredi/samedi/dimanches du 29/11 au 22/12.

    Photo par Michèle Laurent avec l'aimable autorisation du théâtre