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rené loyon

  • The power of love

    Ce 8 mars c’est la journée de la femme, mais dans la pièce une journée particulière pour Sylvia enlevée par le Prince qui-coup de foudre- a jeté son dévolu sur elle. Un obstacle subsiste: Sylvia et Arlequin sont amoureux-enfin ils le croient tous deux. Une chose est sure: ils sont du même milieu. Tous-serviteurs et courtisans- complotent pour séparer Arlequin et Sylvia. Autour de ce canevas, toute la pièce danse sur le fil entre l’amour et le raisonnement. La langue est délicieuse, les sentiments cruels, la mise en scène respectueuse, le jeu équilibré. Ce qui me charme d’un côté, et me prépare à une lecture politique de la pièce.

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    Dans ce décor rouge cœur et velours, mais clos comme une cellule de prison vip, Flaminia mandaté par le Prince intrigue pour séduire Arlequin et détourner de lui Sylvia. Les premières tentatives de corruption sur Arlequin pour l"amadouer ont tourné court. Le prince de Marivaux non seulement ne veut pas user de violence, mais-avec un temps d’avance sur le Big Brother de Georges Orwell- veut être aimé. Et je dirais autant par Arlequin que par Sylvia. L’exercice du pouvoir passe donc ici par la séduction et la manipulation, les jeux de l’amour deviennent jeux de pouvoir, avec la même précision mathématique, étourdissants de virtuosité. Arlequin armé de son bon sens paysan se rebelle contre le carcan de conventions et les jeux de langage avec lesquels on veut le contrôler. Il marque même des points dans un brillant duel oratoire avec le Prince qui lui demande de céder sa place d’amoureux, en rappelant à celui-ci ses devoirs envers ses sujets. La stratégie du faible au fort. C’est Flaminia qui l’emporte sur lui, mais la jolie surprise est de comprendre celle-ci subtilement prise à son jeu. L’intrigante s’avoue dans ce jeu amoureux avec Arlequin autant vaincue que victorieuse. Merci de faire briller ces instants de sensibilité, sans occulter la richesse psychologique, et politique de la pièce.

    La Double Inconstance de Marivaux, mise en scène par René Loyon, vu le 8 mars à l’Atalante. Jusqu’au 29 mars.

    Guy

    Photo de Laurencine Lot avec l'aimable autorisation de la compagnie

  • Soudain un secret

    Bonsoir Marie,

    Un grand merci pour ton incitation/invitation à découvir Soudain l'été dernier. Il me fallait bien ça: j'ai toujours un peu peur de Tennesse Williams. Il y a tout ce texte, si abondant, tellement qu'on a parfois l'impression que les acteurs en sont à se battre contre lui.

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    A un point qu'on se doute vite que tous ces mots, ces redites, ces accumulations, ont pour fonction de cacher la vérité plutôt que d'expliquer des enjeux et des situations. Et évidemment, le sujet de la pièce, c'est le secret. Les secrets, au delà du seul mystère du meurtre de Sébastien. Catherine- ton personnage, le témoin du drame- finira par réveler contre tous ceux qui refusent d'entendre cette vérité et veulent la faire taire, jusqu'à envisager de la lobotomiser. Il y a d'ailleurs une belle trouvaille de mise en scéne: ce jardin (secret) de Sebastien, au coeur de la maison, que tous admirent sans le voir: il est représenté sur scéne par un mur de lumière de coté, l'inconscient aveuglant hors de portée... Et d'ailleurs à part cela il n'y a pas besoin de beaucoup de décors, tout en sobriété. La piece, cruelle et concentrique, est entière construite pour préparer la révelation finale délivrée par Catherine, elle se rassemble autour de cette attente. On se console de ce qu'il y a d'un peu pesant et pas coupé dans la première partie en se disant que cela est sans doute nécéssaire. Puis tout s'accélère, enfin il y a ton monologue, trés logiquement dans cette construction dramatique une belle récompense. D'autant plus qu'en toute sincérité (il y en aura pour me croire complaisant, tant pis pour eux!), tu y es excellente. Trés émouvante. Tu réussis à ne pas quitter la fragilité de Catherine, sa folie, tout en installant une autorité dans ce recit précis et halluciné. (Catherine est-elle folle en raison de ce traumatisme, ou à cause du déni qu'elle subit depuis? ...) La scène donc est intense et en même temps d'un calme immense, presque en suspension, dans l'oeil du cyclone. On entend les oiseaux, on devine une lumière aveuglante, on voit sur cette plage ces enfants nus, noirs et malingres, on assiste au drame qui se prépare, cet avenir écrit, soudain au passé. En même temps, dans ce terrible récit tout n'est pas nommé, l'indicible au centre, le récit prend une telle force que toutes les interprétations ne sont pas épuisées, et résonnent encore à travers nos préoccupations contemporaines, prés de la brûlure des tabous... Alors tout commence! Heureux que vous ayez déja pleins d'articles, ici, et là encore (ce dernier texte à déconseiller avant d'avoir vu la pièce:il en dit beaucoup trop), ma contribution est donc un peu décalée.

    Plein de bises, Isabelle t'embrasse aussi, qui de même a adoré comme tu jouais, et me souffle "que les fumées de cigarettes dessinent un ciel noir et blanc digne d'un film de la MGM". Dernière chose: si tu peux me trouver des photos libres de droit, je prends volontiers.

    Guy

    P.S. pour qui d'autre me lit, c'est mis en scène par René Loyon, au Théatre de la Tempête, jusqu'au 13 décembre.

    P.S. du 27/11 : photo d'Antonia Bozzi avec l'aimable autorisation de Marie D. , et à lire, l'article de Martine

  • Inusable Antigone

    Sophocle parle à 2 500 années de nous. D'un monde qui n'est plus, mais dont les tourments pourtant nous troublent, encore. Donc, est-on sensé jouer et voir jouer son Antigone comme de l'ancien ou du moderne? C'est un dilemme-piège: On doit surtout jouer Antigone tout court. Pourquoi pas de la manière dont Réné Loyon la met en scène: sobre et in extenso, sans coupes, ni facilités, ni gadgets. Scénographie minimale, costumes sobres, lumières concentrées. Denudée de repères temporels. De ce traitement la pièce ressort affutée, d'une beauté un peu séche. Qui s'impose à nous peu à peu, le temps que l'écoute se fasse à ces partis-pris. Des esprits routiniers pourront s'offusquer de la traduction vigoureuse et leste de Florence Dupont. Contresens. Le pire des anachronismes consisterait à faire parler Sophocle en français du XIX°. Quitte ne pas jouer Antigone en grec ancien comme devant des spectateurs d'époque ressucités, autant utiliser des mots contemporains et directs. Qui nous interpellent aujourd'hui, mais aussi d'une certaine manière comme si nous étions des contemporains de Sophocle. C'est que les acteurs jouent en proximité, le choeur nous prend à témoin, avec familiarité, s'adresse à nous en qualité de citoyens de Thèbes. Nous appelle à prendre position. Mais ce théatre, de quelle manière peut-on d'aujourd'hui l'écouter et le comprendre?

     

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    (Pour ceux qui ne seraient pas allés au théatre depuis 500 avant JC, il faut resumer l'intrigue: Créon, nouveau Roi de Thèbe, interdit qu'une sépulture soit donné à son neveu et traitre à la cité, Polynice. Ceci pour des motifs moraux et politiques mais à l'encontre de toutes les règles et traditions sacrées. Antigone, soeur de Polynice, désobeit, et accomplit les rites funéraires pour son frère. Créon condamne Antigone à mort, contre tous les avis persiste dans sa décision. Son obstination entraîne les évenements les plus funestes...)

    On peut donc écouter la pièce comme elle n'a pas été écrite, selon notre sensibilité contemporaine: comme un éloge de la révolte et de l'insoumission. Contre un ordre politique jugé arbitraire. Le monde est désacralisé, la légimité contestée, c'est morale contre morale désormais, Antigone se sacrifie pour une cause. On peut sinon considérer la pièce en puriste: ne reconnaitre que l'hubris de Créon, qui entend placer son propre jugement dessus des lois divines, qui rompt ainsi un ordre immuable, ouvre grandes les digues de la violence et des calamités- Malgré de dérisoires précautions: laisser Antigone mourir de faim plutôt que de la tuer, afin de ne pas être contaminé par le meutre. Et puis on peut ne pas choisir, et jouir de toutes les significations imbriquées. Ce théatre fondateur introduit sur la scène le dilemme moral, et ses affrontements en arguments et émotions. Le procédé donnera matière à des siècles de théatre dramatique. Et on peut regarder les personnages vivre dans leurs excès, douter et souffrir au delà de leurs principes. Tous, du roi au garde, sont vivants, Antigone et Créon dos à dos dans la folie, les autres entrainés dans la destruction, l'intensité du jeu confère à tous de la psychologie et de la profondeur. On peut prendre et comprendre cette  Antigone comme l'on veut, ce n'est pas la moindre des qualités de cette mise en scène.

    C'était Antigone de Sophocle, traduit par Florence Dupont, mis en scène par René Loyon avec Jacques Brucher, Marie Delmarès, Yedwart Ingey, René Loyon, Adrien Popineau, Claire Puygrenier. Au théatre de l'Atalante. Jusqu'au 31 mars.

    Guy

    photos de Laurencine Lot avec l'aimable autorisation de Marie Delmares