Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

musique - Page 2

  • Benny Golson whispers

    Ce murmure là de saxophone, d'une virilité contenue, d'une volubilité tranquille, c'était- il y a 20 ans- d'une terrible efficacité pour titiller de vibrations troublantes le sexe opposé, pied au plancher, fenêtres ouvertes et volume poussé haut sur le radio cassette. Cette musique là était assez originale pour faire intellectuelle, alors assez vieille de déja 30 ans de plus pour être parée de la qualité mystérieuse des choses historiques, assez entendue pourtant pour permettre à chacun de se raccrocher à quelque chose de vaguement familier (Car ce Blues March  avait servi pendant une éternité de générique sur Europe 1 à l'émission de Fillipachi et Tenot). Quelques kilomètres ensuite, pour se faire pardonner les assauts à la hussarde des baguettes d'Art Blakey, on envoûtait sur l'autre face avec Whisper Not, un sourire esquissé, une caresse, un baiser. 

    Benny Golson.jpg

    Ce soir Benny Golson ressouffle Whisper not, en notes sinueuses et colorées. La mélodie se laisser couler tout en médium, sans jamais que le musicien ne force, avec tout au plus quelque grognements graves et jamais d'échappées aigues. Si l'on craint que le tenor ait avec l'âge perdu un peu de coffre, on peut réécouter les vieux enregistrements: la puissance, surtout la manière sont les mêmes qu'à la fin des années cinquante. Le style depuis épuré de quelques échauffements rythm' blues, qui avec le recul apparaissent comme des facilités de l'époque hard bop. Sax posé, Golson raconte le triste jour de 1957, partagé avec Dizzy Gillespie à l'Appollo, de la disparition d'un musicien à l'âge de 26 ans, et offre son hommage au trompettiste: "I remember Clifford". Les années ont vécues mais Benny Golson a le temps, seulement 80 ans, et plus du tout besoin d'épater. Au saxophone il continue à dialoguer avec les ombres, et les notes s'évadent du passé. L'invocation de fantômes aux noms illustres fait partie ce soir de la visite. Mais aucun de ces hommages n'est gratuit, chacun le pendant d'un thème musical hanté de souvenirs mélancoliques, colorés. Tel Stablemates une de ses première compositions, que, raconte-t-il, son ami Coltrane fit enregistrer par Miles Davis. Les ballades sont vives, jamais mievres, piquantes et subtiles. Les phrases de Golson flottent, véloces mais détachées, en un sens modestes. Le leader délégue tout le panache à la trompette, avec le soin de faire briller les notes haut comme il faut, l'explicite du tempo à la section rythmique franco-américaine, attentive et respectueuse: piano discret, contrebasse veloutée, cymbales ouatées.

    S'émerveillent ce soir au Duc des Lombards quelques dizaines de rescapés, d'amoureux de l'inactualité, qui imaginent ou se souviennent delicieusement d'un temps libre et insouciant, quelques mois avant l'arrivée fracassante du free jazz, de Coleman, de Dolphy pour qu'ensuite tout change à jamais. D'un temps où cette musique ne se posait pas encore la question d'être ou non militante. D'un temps tout simplement où cette musique était écoutée. De moments inutiles et sublimes, pour un soir recréés. Durant lesquels on se sent tout à fait bien, surtout si on est deux.

    C'était Benny GOLSON (ts), Pierre-Yves SORIN (b), Alain JEAN-MARIE (p), François BIENSAN (tp), John BETSCH (dms), au Duc des Lombards.

    Guy

    Photo de Benny Golson (D.R.) avec l'aimable autorisation du Duc des Lombards.

  • Xavier Le Roy n'est pas un chef d'orchestre

    Depuis un peu trop longtemps on n'avait pas réussi à sourire devant une scène, à force de toujours y voir souffrir de la danse contemporaine. Merci à Xavier Le Roy d'entrouvrir un espace au comique, dans cette étude sur les rapports entre gestes et musique. En incarnant ce soir un chef d'orchestre, qui de son corps dirige le Sacre du Printemps. Bonne idée: les musiciens en action sont des acteurs à part entière (On se souvient de Jean Pierre Robert!). Si beaucoup de danseurs (Patkai, Ingvartsen, La Zampa, ...) s'emparent de la gestuelle des rockers, il y a aussi de la matière à développer du coté des classiqueux. Mais se faire un Sacre, c'est une prise de risque, tant la pièce de Stravinsky (1882-1971) est, chaque saison, vue, revue et réentendue. Rien que le printemps dernier Daniel Leveillé exhumait sa version, plus tard on applaudissait Ferron et Unger pour avoir détourné le thème. Et c'est loin d'être fini, ce printemps va refleurir par soudaines embellies jusqu'à l'été prochain, il faut pour commencer qu'on pense à réserver Emmanuel Gat au CND (avec JD s'il n'a pas oublié).

    Leveillé nous avait un peu déçu, c'est que le Sacre est si fort musicalement qu'on parait souvent faible à juste l'accompagner: il faut s'y opposer pour s'imposer et marquer sa différence. Ou bien prendre cette musique à bras le corps. C'est le choix de Le Roy, et cet homme, dégingandé, a des bras démesurés. La musique est le sujet central, l'enjeu obsédant, dans une démarche toute contraire à celle entreprise dans Lointain où la musique se situait à coté de la danse, créait une distance. Le chef d'orchestre est seul ce soir, pour incarner la musique, avec elle ne faire qu'un, seul face à d'invisibles musiciens. Mais face à nous en vérité: c'est donc nous qu'il interpelle de la main, de la tête, du pied. Pour un étrange jeu à trois, où nous spectateurs sommes deux à la fois, vrais spectateurs et faux musiciens. Et il devient vite évident que ce chef n'en en pas un et ne cherche même pas à faire semblant. Les soit-disant gestes de direction d'orchestre s'extrapolent bientôt en danse, en un code élaboré. Le processus est inversé car c'est la musique qui produit ce mouvement. 

    Le comique jaillit vite d'une expressivité exagéré. Quitte à frôler parfois Fantasio version Mickey. Les enfants sont d'ailleurs ce soir inhabituellement nombreux dans la salle du Centre Pompidou. Pourtant ils semblent peu concernés, somnolent un peu. C'est peut-être typiquement la catégorie de spectacles dont les parents branchés imaginent qu'ils passionneront leurs enfants si éveillés. Délicat pour ces derniers d'apprécier ces jeux de miroirs et de connivences. On regarde Xavier Le Roy, qui s'offre toujours entier, le corps commandé par les asymétries rythmiques de Stravinsky, tout en toujours affectant de les apprivoiser de la main. On songe qu'un authentique chef d'orchestre serait tout autant mu de l'intérieur par une musique pré-existante avant d'aider l'oeuvre à accoucher au jour. On se surprend marquer du pied la mesure, anticiper les notes et les accents à venir, imaginer les mouvements qui vont suivre, spectateurs et virtuels musiciens dirigés à notre tour. Par Le Roy, medium expressif, qui réussit à nous animer, la boucle est bouclée.

    C'était Le Sacre du Printemps ♥♥♥♥ dansé par Xavier Le Roy, au Centre Georges Pompidou, avec le Festival d'Automne à Paris.

    Guy