Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Sarah Kane

  • Essais / Erreurs

    Hier soir, je suis témoin du massacre d'une œuvre de Sarah Kane, mise en pièces. Faut il en parler? Donner les noms ? En l'espèce, l'exercice critique s'apparenterait à de la délation. Et il y a toujours quelque chose d'irréductiblement odieux à dénigrer, confortablement installé sur son siège, l'aboutissement d'un travail artistique toujours long et impliquant. N'empêche c'est un cas d'espèce, dés le début cela s'engage mal. En omniprésente bande son: une litanie de reportages concernant des viols, meurtres et faits divers odieux. Etait-il nécéssaire de surligner ainsi le texte déjà si noir de Sarah Kane? Et comme les acteurs jouent plutôt faux et ne simulent pas mieux, on peine à s'intéresser à leurs dialogues et fellations. On ne prête plus attention qu'à la bande son: le best-of radio des exploits de Josef Fritz et consorts. Infligé sans recul : la nausée, et la pièce aplatie derrière, en exposé de nihilisme, de complaisance, de triste vulgarité.

     ...

    Restituer l'univers tout aussi torturé de Mishima- l'Arbre des Tropiques-, c'est une gageure. Comment être excessif sans être grotesque ? Tout le long, l'interprétation est sur le fil, en équlibre sur l'ironie. On est toujours au bord de prendre ses distances, mais à défaut d'être emporté on accepte la logique des personnages. On finit par les suivre dans le dédale de leurs tragiques relations, c'est déjà ça. Les corps se rencontrent avec mesure et justesse dans des situations à risque. Pour le reste, pas grand-chose à rajouter à ce que Mélanie en a déjà écrit, si ce n'est évoquer une scène perversement drôle où la fille de la maison étouffe ses perruches. Après cette représentation, je reviens la semaine suivante à l'Akteon  pour une autre pièce, celle là oubliable, et même immature. Mais sans doute faut-il continuer prendre des risques dans cette salle, qui ouvre en août pour des jeunes compagnies, et ainsi faire de belles découvertes, comme l'an passé.

     ...

     « Calderon » de Pasolini à l'épée de bois, c'est un cas de conscience. Sans doute, je vais voir cette pièce pour de mauvaises raisons. Je tiens « Rosaura » de Brigitte Seth et Roser Montllo Guberna, inspiré de ce texte-lui-même étant inspiré par La Vie est un Songe de Pedro Calderon de la Barca, pour l'une des plus belles pièces de danse que j'ai vue. Je désire revenir ce soir à la source, connaître l'histoire depuis le début, comprendre l'inspiration. Las. Ce que j'avais aimé en gestes dans Rosaura est, dans Calderon, noyé dans le texte. Ce que je voulais, c'était retrouver ce personnage émouvant, condamné à chaque réveil amnésique à se voir imposer une nouvelle identité, accompagner son combat entre folie et révolte, dans une situation aux résonances métaphysiques. Je suis ce soir projeté en arrière dans le contexte politique pesant et spécifique de l'Espagne aux derniers temps du franquisme. Et englué dans un discours marxiste en boucle, lancinant, pur jus 60's, bien avant ses remix Badiou prêts à télécharger. La langue de Pasolini est quant à elle poétique, mais perce toujours en arrière fond le soucis de démonstration. La dimension politique et sociale, inévitable déterminant, subordonne tout le reste, occulte la réflexion sur la nature du théâtre et de la réalité. Cela m'assomme, je perds pied. Pourtant rien à reprocher à la mise en scène. D'un tout autre niveau, précise et élaborée, qui installe à chaque épisode- à chaque réveil de Rosaura en jeune fille riche et surveillée, en prostituée misérable et méprisée, en mère folle et internement- , donc à chaque différent contexte d'oppression, de nouvelles couleurs, de nouveaux climats. Hasard, tendance ou invariant? Quoisqu'il en soit comme les deux autres pieces évoquées ici, il est question d'inceste. De personnages en transformations, l'interprétation est forte et généreuse, l'espace dominé. Pour un ensemble riche et long mais justement à la limite de l'indigestion. C'est un choix assumé.

    C'étaient quelques sorties et frustrations théâtrales, de mi-août à mi septembre.

     Guy

  • 4.48: Sarah Kane en vie?

    Le suicide est un acte essentiellement paradoxal. Dans 4.48 Psychose, Sarah Kane dit cela on ne peut mieux: "I have become so depressed by the fact of my mortality that I have decided to commit suicide."Elle mettra effectivement fin à ses jours en 1999 dans un hôpital. A l'âge de 28 ans. Les 4. 48.jpgraisons du geste telles qu'exprimées par le personnage dans la piece ne pourront être jamais les bonnes- plutôt ce ne seront sans doute pas les vraies. Mais pourtant tout est là, avoué à vif, ressenti: en ce qu'il dit et ce qu'il ne dit pas, 4.48 est donc un classique immédiat et posthume. Qu'il est possible de massacrer à force de distance. Ou de porter à un niveau rare de beauté et de desespérance à force de crudité. Ici, et même avec gravité, la mise en scène fait jaillir au jour tout ce qu'il y a d'insolent, de vif, de drôle, d'amoureux dans le texte. C'est un choix intéressant, au coeur même des contradictions de cet appel à l'aide ou cet adieu vindicatif au médecin, au père, à l'amant, à Dieu. L'interprétation se fait à deux voix avec de précieux moments de silence où les corps se mettent en danger. Se livrent à quelque chose entre une danse de mort et une danse de séduction, une concession aux pulsions du sexe et de la vie. On en douterait de l'issue.

    C'était 4.48 Psychose de Sarah Kane, mis en scène par Benjamin Tanguy, avec Jennifer Dapilly et Clémence Labatut, au Théatre des deux Rèves. Lundi et mardi encore.

    Guy

  • Manque: le principe d'incertitude

    Ce soir encore, Sarah Kane nous emmène jusqu'à un point de non-retour: discontinuité, renoncement à l'intrigue, à un lieu et à un temps determinés, dissolution des personnages... Juste quatre voix, quatre corps, quatre semblants de personnalités réduites à quatre intitulés: "C", "M","B","A". Quatre voix qui disent surtout ce qui fait mal. Il y a bien des pièges à éviter pour réussir à nous emmener jusque là, jusqu'à l'épure. Le danger de trop de pathos, ou trop d'abstraction.... 

    Mais ce soir on y arrive, et on y reste: sûrement question de rigueur, d'honnêteté dans la mise en scène. De musicalité aussi: cette musique est parfois aigre-douce, d'une ironie glacée. 259234562.jpgLe texte semble s'étonner lui même, violemment banal et toujours au bord de son abandon. "C", "M","B","A": les mots s'échappent, comme de situations devenues irréelles, nous frappent au coeur quelques instants et échouent à redéfinir ceux qui les prononcent. Pour nous ramener, à force de dialogues avortés, au coeur du sujet: la perte de l'identité, la perte du sens, l'incommunicabilité. Pourquoi va-t-on toujours voir du Sarah Kane? Et écouter cette obstination à toujours dire le presque insoutenable.... Mais plus les mots osent et avouent, se libèrent, moins ils construisent et signifient...  Au moins désormais savons-nous que nous ne sommes pas seulement ce que nous disons.

    Sur l'étroite estrade carrée au milieu de la scène, les personnages,-ou quoi d'autre que soient les corps que l'on voit- sont contraint à la proximité, à la redécouverte les uns des autres. En vain. Ils peinent à se toucher. Ils ne s'échappent de l'estrade qu'incomplètement, en tombent un peu au delà du bord dans quelques sobres tentatives d'extase ou de destruction. Se découvrent. Sans rien à perdre ni à cacher. Puis se dévoilent et se touchent enfin. Nous touchent peut être plus que les mots. Mais la chair est froide désormais, d'autant plus qu'exposée. Vulnérable et vraie. Que deviennent nos actes, nos paroles, quand s'évanouit ce qui les tient ensemble? La camarde, vêtue de noir, tourne autour de la scène pendant ce temps, commente de chansons. Tire les rideaux, règle son compte à cette pauvre humanité, dispense sans ciller terre, eau, sang.

    C'était CRAVE (MANQUE) ♥♥♥♥ de Sarah Kane, m.e.s. par Sophie Lagier, avec Vincent Bouyé, Corinne Cicolari, Nathalie Kousnetzoff, Magdalena Mathieu, Christophe Sauger, au Théatre du Chaudron (Cartoucherie). Jusqu'au 24 avril.

    Guy

    lire aussi : Neige à Tokyo

  • 4.48 Psychose: Sarah Kane assassinée

    Deux ou trois très longues minutes pour à peine commencer, à regarder les spectateurs d'en face, faute que le regard ne veuille vraiment se fixer sur les acteurs plantés au milieu de la scène. C'est déjà le temps de laisser un fantôme rôder. Celui de Sarah Kane (1971-1999), accompagné par l'écho obsédant de la même pièce: 4.48 Psychose, vue dans le même lieu, il y a un an ou deux. La pièce était alors mise en scène par Bruno Boussagol et c'était l'une des plus belles choses qu'on ai vues au théâtre.

    Mais ce soir hélas tout embarrasse: raideur et récitation monocorde. Le refus des conventions scéniques, de toute incarnation, tourne court faute d'intention convaincante. De la radicalité éventée. Le texte de Sarah Kane est ce soir découpé en morceaux entre trois récitants. Blanc, atone, sans enjeu, désincarné. Alors qu'on se souvient du souffle de l'actrice qui il y a un an expulsait d'elle ce texte comme un râle de souffrance, jusqu'au déchirement. Un ultime appel à l'aide que la logique psychotique d'avance mine.

    Ce soir des déplacements sans rimes ni raison. Au tout prendre le plus intense: les ampoules, qui s'allument et s'éteignent, comme des eclipses de la conscience. Alors que l'on ne peut oublier la vision de Nouche JOUGLET-MARCUS dos allongée sur une table pour y jouer quand même, et une heure durant. Avant la mort, le renoncement au mouvement. C'était un postulat de mise en scène d'une rare audace, mais terriblement pertinent, l'exposition clinique d'une chair pitoyable que l'esprit déja abandonnait.

    Ce soir la pièce s'anime vaguement sur la fin. C'est un injurieux contresens alors qu'est évoqué le suicide du personnage, et celui de l'auteur. Alors qu'on est encore gagné par le frisson qui il y a un an agitait le corps à l'abandon, après un dernier passage par le noir, avant le basculement dans les ténèbres.

    C'était 4.48 Psychose de Sarah Kane, ce soir mis en scène par Jean Antoine Marciel - Compagnie Oghma, au Lavoir Moderne Parisien.

    Guy

  • Un seul être vous manque.... Sarah Kane

    On voulait voir "Manque" de Sarah Kane...

    - Désolé la réprésentation est annulée, sauf si vous êtes un groupe... Êtes-vous un groupe?

    - Non, je ne suis pas un groupe...

    Extrait de l'argument: "Manque est une pièce à quatre voix. Quatre voix intérieures qui disent la vie et le désir, et les forces qui les empêchent"

    Manqué. Parce-que l'on était pas quatre, on est donc resté à l'extérieur, empêché. Vivant quand même, mais n'osant plus désirer. Avec une seule voix intérieure, à imaginer ce qui aurait été dit de désespérant du texte de Sarah Kane. Disparue à 28 ans, suicide par pendaison, dans une clinique londonienne. Ça promettait pourtant. Mais comme l'on n'était pas un groupe, ce soir là le texte n'a même pas existé.

    Cela dit, dehors sur le trottoir, c'était triste quand même...