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chaudron

  • Manque: le principe d'incertitude

    Ce soir encore, Sarah Kane nous emmène jusqu'à un point de non-retour: discontinuité, renoncement à l'intrigue, à un lieu et à un temps determinés, dissolution des personnages... Juste quatre voix, quatre corps, quatre semblants de personnalités réduites à quatre intitulés: "C", "M","B","A". Quatre voix qui disent surtout ce qui fait mal. Il y a bien des pièges à éviter pour réussir à nous emmener jusque là, jusqu'à l'épure. Le danger de trop de pathos, ou trop d'abstraction.... 

    Mais ce soir on y arrive, et on y reste: sûrement question de rigueur, d'honnêteté dans la mise en scène. De musicalité aussi: cette musique est parfois aigre-douce, d'une ironie glacée. 259234562.jpgLe texte semble s'étonner lui même, violemment banal et toujours au bord de son abandon. "C", "M","B","A": les mots s'échappent, comme de situations devenues irréelles, nous frappent au coeur quelques instants et échouent à redéfinir ceux qui les prononcent. Pour nous ramener, à force de dialogues avortés, au coeur du sujet: la perte de l'identité, la perte du sens, l'incommunicabilité. Pourquoi va-t-on toujours voir du Sarah Kane? Et écouter cette obstination à toujours dire le presque insoutenable.... Mais plus les mots osent et avouent, se libèrent, moins ils construisent et signifient...  Au moins désormais savons-nous que nous ne sommes pas seulement ce que nous disons.

    Sur l'étroite estrade carrée au milieu de la scène, les personnages,-ou quoi d'autre que soient les corps que l'on voit- sont contraint à la proximité, à la redécouverte les uns des autres. En vain. Ils peinent à se toucher. Ils ne s'échappent de l'estrade qu'incomplètement, en tombent un peu au delà du bord dans quelques sobres tentatives d'extase ou de destruction. Se découvrent. Sans rien à perdre ni à cacher. Puis se dévoilent et se touchent enfin. Nous touchent peut être plus que les mots. Mais la chair est froide désormais, d'autant plus qu'exposée. Vulnérable et vraie. Que deviennent nos actes, nos paroles, quand s'évanouit ce qui les tient ensemble? La camarde, vêtue de noir, tourne autour de la scène pendant ce temps, commente de chansons. Tire les rideaux, règle son compte à cette pauvre humanité, dispense sans ciller terre, eau, sang.

    C'était CRAVE (MANQUE) ♥♥♥♥ de Sarah Kane, m.e.s. par Sophie Lagier, avec Vincent Bouyé, Corinne Cicolari, Nathalie Kousnetzoff, Magdalena Mathieu, Christophe Sauger, au Théatre du Chaudron (Cartoucherie). Jusqu'au 24 avril.

    Guy

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  • Lear, simplement

    Noir et bruits blancs. Le décor est posé. Ou plutôt il roule, monumental, d'un coté à l'autre de la scène, poussé par un corpulent sisyphe. Une cage de bois et de fer et dedans les personnages enfermés. Tout est annoncé: l'errance et la folie qui emprisonne l'être en lui-même. C'est 38096198c1d7ba62961915791699ea1f.jpgdès cet instant presque gagné. Confirmation quand survient- comme toujours quand Shakespeare (1564-1616) est joué pour de vrai- un moment précieux où l'on se perd, gagné par la démesure du texte: ce soir de lents moments égarés sur la lande en compagnie d'un fou et un vieillard aux orbites vides.

    Le Roi Lear est là, dans un rêve de sang et de larmes, que ne peuvent apaiser que la mort et l'oubli. La pitié n'y peut rien. Le jeu est noir et ardent, exagéré comme il se doit. Même si les frontières du superflu sont parfois frôlées d'un sein ou deux, l'essentiel est que l'espace shakespearien s'impose ici bel et bien, entre la fragilité des corps et le tonnerre des voix.  

    La troupe de ce Roi Lear est enrichie par la présence d'acteurs handicapés mentaux, d'un professionnalisme aussi irréprochable que celui de leurs partenaires, si l'on pouvait en douter. Mais l'important est que ces acteurs, de par leur manière d'être si singulière, de par leur jeu si particulier, font naître sur scène quelque chose de précieusement différent, qui nous entraîne au coeur du texte de Shakespeare. Comme guidés par des passeurs de génie. Ce soir le théatre est le lieu qui nous permet d'accéder à notre propre humanité, par la grace de ce que l'autre offre de lui-même, si semblable et si singulier à la fois.

    C'était Le Roi Lear de William Shakespeare, adapté par J.M. Rabeux et Sylvie Reteuna, mis en scène par Sylvie Reteuna au Théatre du Chaudron, avec le  collectif Trans.

    C'est jusqu'au 7 juillet.

    Guy

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  • Emmène moi...

    C'etait ce soir la seconde reprise du spectacle, après le Théâtre de la Bastille , et "Trans"au théâtre du Chaudron après.

    medium_claude-degliame.jpg Autant dire que tout le monde a déjà tout écrit. Alors...

    "Emmène moi au bout du monde", au Théatre de la Bastille,d'aprés Blaise Cendrars (1887-1961), m.e.s. de Jean Michel Rabeux, avec Claude Degliame

    Soir après soir jusqu'au 22 octobre

    Guy

  • Tragedy Médée

    Ce "Médée Matériau" de Sophie Rousseau réussit son pari exactement là où "Europe, Tragedy" avait échoué. En s'essayant à la relecture d'un mythe, riche et complexe, en tentant de l'explorer en plusieurs entrées.

    Mais alors qu'"Europe Tragedy" perdait le public en route, avec une suite en mozaique, laborieuse et heurtée, d'une incohérente horizontalité, dans ce Médée Matériau nous est proposé un récit traité à différents niveaux, déclinés en simultané: parlés, joués, mimés, ou commentés de manière ironique et distanciée. En temps réel, et tout en profondeur de champ. En s'aidant d'une scénographie à surprises.

    Mise en pratique dés l'indispensable prologue: un narrateur nous démêle opportunément l'intrigue de la toison d'or et les origines du drame de Médée. Mais-surprise- façon stand-up avec de gros effets comiques: roulements d'yeux et accents appuyés. Dans le même temps et le même espace, deux actrices jouent l'évocation sanglante et frontale de l'infanticide. ce qui ne donne pas matière à rire, loin de là. Le ton est donné, décalé, tout en contre-pied, dans la force, la densité et l'ambiguité.

    Plus tard, la partition se fait encore plus riche et subtile. Médée déclame sa vengeance en une tirade tragique: raconte que sa rivale revêtira sa propre robe nuptiale, pour s'embraser. Contre-chants multiples: c'est Jason qui grimé enfile la dite robe, et derrière lui la fille du roi de miner à nu en échos les mêmes gestes, comme dans un parfait ensemble de ballet, tandis qu'en quatrième plan la nourrice maquillée en clown remet à distance ce tableau par un commentaire muet et parodique.

    Des quatre acteurs, jamais aucun ne reste passif, et en retrait. Chacun joue sa partie et qui semble s'imposer dés lors- comme l'on a rarement vu sur scène- et sans jamais gêner l'ensemble- ce qui nous semble plus rare encore.

    La phrase d'Henrich Müller est une matière lourde et pâteuse, que les interprètes doivent bien mâcher avant de nous la proposer. On en était un peu dégoûté, cette troupe là nous permet d'y retrouver goût et consistance.

    C'était hier soir, toujours au festival Trans, au Théâtre du Chaudron, et cela est repris jusqu'à dimanche prochain.

    Guy

  • Tragedy Artaud

    Encore sous le charme de Marie Vialle, on retourne dans la salle, et on se console d'abord en s'imaginant enfin assister à un spectacle d'avant-garde d'il y a trente ans. Enfin, d'après l'idée qu'on s'en fait: on était trop jeune alors pour avoir vu ça pour de vrai.

    Sans remonter si loin, pas plus tard qu'en mai dernier on les (La Traversée-Cedric Orain) avait vu jouer "La Mort", de Georges Bataille dans "A court de forme". Hier et ce soir ils investissent  "Trans" pour s'attaquer cette fois à Antonin Artaud (1896-1948): "Ne vous laissez jamais mettre au cercueil".

    Dix contre un que l'an prochain on aura droit à Lautréamont.

    Grimaces douloureuses. Déclamations grinçantes. Diction klingon. Chutes sonores. Poses torturées. Stridences distanciées qui prennent à rebrousse poil.

    On regarde et on écoute quand même, dubitatif, et du bout des oreilles. Mais il y a tant de trouvailles et d'idées, medium_Artaud_Jeanne_d_arc.jpgd'énergie maîtrisée, que l'on finit quand même par se demander pourquoi au juste on arrive pas vraiment à aimer. Et dés lors c'est trop tard on s'est laissé prendre au jeu.

    Jusqu'à admettre que ce n'est qu'à coups d'outrances visuelles et vocales qu'il est possible de rendre compte du monde d'Antonin Artaud. Folie, révolte et souffrance, corps et esprit corseté, emprisonné, médicalisé, éprouvé par les institutions. Curetage à vif du fond commun de désespoir de l'humanité.

    Pour évoquer justement la douleur et le dégoût d'Artaud, il faut bien accepter de regarder-on en revient là- un théâtre de la cruauté au fond des yeux. Que ces deux actrices incarnent en se livrant au saccage de la beauté. Avec rage et précision.

    Puis soudain on comprend. Pourquoi on a finit par rentrer dedans. Pourquoi cela nous paraissait en un sens familier. En se souvenant en quelle haute estime Hijikata et les fondateurs de la nouvelle danse japonaise tenaient Antonin Artaud.On est content, on a découvert ce soir un cousin éloigné du Buto.

    La soirée se concluait en nocturne, avec Europe Tragedy. On aurait du prendre au premier degré les fausses-vraies confidences des acteurs au début du spectacle: considérons qu'il s'agissait hier d'un travail en cours.

    Avec, pour un sujet mythologico-biblique si obscur et qui appelait dans la forme un peu de clarté, trop de ruptures de ton et rythme: faux départ, lectures savantes et pédagogiques, fausses sorties, adresses au public, maladresses faussement improvisées, longs récitatifs, corrida de Dieu antique en bovidé, nu douché au baquet, et pour conclure soudain, le viol d'Europe, insoutenable.

    On reviendra les voir quand le travail sera achevé. Pour de vrai ou non.

    Guy

    P.S. Tout cela reprend ce mardi soir, plus surprenant qu'un huitième de finale

  • Marie Vialle - Contes cruels

    Marie Vialle chante clair et haut dans le noir, joue nue du violoncelle tout en récitant le premier conte de Pascal Quignard. Malgré toutes ces actions simultanées, au début il n'y a presque rien, sinon de l'étonnement. C'est qu'il faut laisser le temps au verbe de naître. Puis tombent peu à peu des cintres les vêtements, alors que s'élèvent les mots et les notes qui l'enrobent.
    Plus la conteuse se retrouve vêtue, plus le récit prend chair et couleur, et sa voix de l'assurance.

    Les contes, comme il se doit, sont cruels, nous font re-goûter aux émotions qui accompagnaient nos frayeurs enfantines, nous plongent dans un passé ré-imaginé et imprégné de magie, envahi par les expressions exacerbées des désirs, du dépit, de la culpabilité, et de la jalousie. Perte de l'innocence, meurtre et amour, pactes imprudents.

    Le débit s'accélère. Insensiblement, de récitante, Marie Vialle devient actrice, investit de ses mouvements tout l'espace scénique, s'incarne enfin en protagoniste, bientôt victime de sa narration.

    Le récit s'emballe en boucles, balbutie, s'affole. Comme dans tous les contes de tous temps, la faute originelle contient en elle les germes de sa punition, que nous anticipons malgré nous avec une impatience cruelle. L'heroine gardera-t-elle  "Le Nom sur le bout de la langue"sans parvenir à dire ce mot pour se libérer, sera-t-elle emportée par le diable à jamais? Pour que meure avec elle, dans sa bouche restée muette, toute mémoire, tout récit, toute fiction?

    On ne révélera surtout pas, si l'histoire finit mal, ou pas....

    C'était hier (et ce soir) au festival Trans au Theatre du Chaudron.

    Mais après cela, la soirée était loin d'être terminée...

    Guy