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cedric Orain

  • Nue

    texte mis en ligne pour la première fois le 18/06/2009, Strip Tease est rejoué au Théatre de la Bastille du 3 au 17 décembre.

    Il y a, à la fin, un moment vertigineux, éperdu: robe abandonnée, le corps dénudé tournoie autour de la barre de strip-tease, repête en boucle les mêmes figures, persiste à s'offrir, se plie et se déplie, s'expose, s'entête et s'épuise de fatigue, et force notre désir à s'épuiser aussi, vaincu par l'empathie. Le regard demande pitié pour le nu...

    Striptease© Denis Arlot.JPG

    C'est- tous doubles sens autorisés -l'exposé le plus pénétrant auquel on ait assisté au sujet du strip-tease. Le professeur Céline Milliat-Baumgartner (1) fait la part belle aux travaux pratiques. L'actice emmène l'auditoire où elle veut, d'un bout à l'autre suspendu à ses lèvres. Avec l'habileté d'abord de le rassurer en se laissant passer pour une ravissante decerébrée, de suciter son hilarité complice, avant de le questionner à chaud sur ses motivations... La prise de pouvoir s'effectue en douceur! La conférencière annonce en un clin d'œil appuyé la problématique obligée: « c'est long, hein ! ». D'évidence, tout est ici question d'attente! Si la démonstration est généreuse, les exemples pertinents, la théorie n'est pas sacrifiée pour autant, documentée aux meilleures sources, le petit Georges Bataille bien assimilé. La langue caresse patiemment des évidences, mais qui sont bienvenues. L'effeuillage étant donc l'art de détourner le regard de l'obscur objet du désir. Cet objet restant par essence inaccessible, au cours du dévoilement toujours plus loin vers les profondeurs du corps reculé. Et de re-diriger ce regard vers les signes qui exacerbent l'érotisme, laissent les pensées s'emboiter: plans rapprochés sur les longs gants noirs de Rita Hayworth devoilant des mains lisses, sur une croupe tendue et soulignée par le tissu, sur des cambrements aigus et des talons aiguilles, sur des méches de cheveux soudain incontrolés, vers la convergence jupes courtes de jambes dénudées, sur un regard chaviré ou des lèvres entre-ouvertes, sur la rougeur d'une joue ou à fleur de peau une perle de sueur, sur le glissement d'un string le long de chevilles écartées, le dessin d'un sein ou la naissance d'une toison comme un chemin en biseau, l'ombre d'un teton dressé dans l'imaginaire et l'obscurité confondus, le contre-champ flagrant et implicite d'une pose impudique, l'aperçu entre-ouvert de chairs à contre jour. . Jusqu'à la brève contre-démonstration, faite et parfaite, que le cul sous une lumière cru, n'a (sur le plan du désir) pas grand chose à montrer: un vrai cul-de-sac. Mais que du récit naît l'érotisme: avec une chanson gorgée de promesses, par l'évocation en frisson du mythe du strip-tease originel- un accident de nudité qui aurait laissé spectateurs et danseuse médusés, vaincus par l'inconcevable, érotisés par l'innatendu, privés de volonté...

    stript.jpg

    Tout est très sensuellement montré et démontré, remis à neuf, virginisé. Et à intelligemment déshabiller le regard du spectateur, c'est au bout du compte la strip-teaseuse- et la question de la réalité de son désir - qui s'en retrouvent occultées. « Foufoune Darling », « Lili la Pudeur »: on écoute la lithanie de ces noms de scène exotiques qui semblent autant de cache sexes sémantiques... Dites, « Mademoiselle Céline », en montrant tout de votre corps, ne gardez vous pas le plus précieux de votre pouvoir, de votre mystère?   

    C'était Striptease, création et jeu de Céline Milliat-Baumgartner, texte et mise en scène de Cédric Orain. Dans le cadre de Trans, au théatre de la Bastille, ce soir encore. Précédé de Manque et de Blanche Neige.

    TRans se poursuit avec Un presque Rien, Quel chemin reste-t-il que celui du sang ?, laboratoire, Phèdre, pauvre folle , Hamlet (fragments), Toujours le même fantasme.

    Guy 

    photos par Denis Arlot, avec l'aimable autorisation de la compagnie Jean Michel Rabeux

    Ailleurs: Rue 89

    (1) Vue dans Le Cas Blanche Neige et d'autres mises en scène de Cédric Orain: la Nuit des rois, Notre Père

  • L'envers du corps

    D'abord elle nous rassure en toute banalité, familière, en bleu de travail passe la serpillière sur le tapis de danse. L'odeur citronnée du détergent ne nous surprend pas.

    photo les charmilles.jpg

    photo par Denis Arlot avec l'aimable autorisation de la compagnie Rabeux

    Puis, elle se lave d'un gant, nue comme un ver, d'un nu clinique, blanc. C'est pour mieux nous déciller: nous inviter à lire sur la surface du corps non les prémisses de l'amour mais ceux de la mort, toujours à l'affût. Alors l'étrangère s'adresse à nous, avec les maladresses volontaires de l'accent, nous emmène voir de l'autre coté, nous attire d'un ton plat, par confidences. Jusqu'à nous perdre dans de troubles souvenirs d'enfance, peu à peu le malaise nous y surprend. De l'être c'est le plus sensible et éphémère qui est dévoilé, retourné à vif, ouvert par ses mortels déchirements: corps maladifs, accidentés, souffrants, diminués, mutilés. Corps désirés pourtant, toujours à deux doigts de la mort. Ainsi se révéle une beauté surprenante, aux frontières de vrais interdits, en ces endroits s'ose peut-être une véritable obscénité. L'entreprise est d'une audace entêtante, sans le besoin de la charger d'effets, de montrer à tout prix. La voix reste lente et mesurée, le cœur bat de coups sourds et amplifiés, le sang impose sa présence, d'une lourde et noire consistance, presque figé, coule, teinte la chair, trouble le blanc. Le texte est dur et tendu, les mots choisis au scalpel nous font une violence sans appel, nous font glisser sans heurts vers l'insoutenable, presque jusqu'à l'étouffement.

    Dehors au grand jour on revit, on respire. L'averse n'a tempéré que pour quelques heures les chaleurs de l'été. Dans le quartier de la Bastille  sourires et peaux halées s'exposent en grand pour s'ouvrir aux rencontres, ou pour leur propre contentement, avec une innocente impudence: corps aveugles, vivants, en sursis et joyeux.

    C'éait Les Charmilles, d’après Les Charmilles de Jean-Michel Rabeux, adaptation et mise en scène Cédric Orain, avec Eline Holbø Wendelbo, au théatre de la Bastille, avec Trans.

    Guy

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  • Toujours des formes en court

    Pour commencer par la fin de ces courts, Le Bruyant Cortège s'ébranle mais sans nous, laissés sur le coté du chemin. On sourit triste, une fois de plus, en le regardant défiler. La fête est désenchantée à dessein, l'agitation vaine. C'est forcé, vu le sujet: l'invocation moderne d'un Dyonisos libérateur, par des contemporains en mal de fantasmes. Mais le Dieu hermaphrodite n'apparaît en seins et postiche que pour aussitôt désintéresser ses adorateurs. Une allégorie trop parfaitement déprimante.

    Elle est plus drôle, paradoxalement, la proposition d'avant. Un chapitre des 120 journées de Sodome, sous la forme d'une lecture en costume et robe de soirée. Le phantasme est ici présenté d'une manière plus distancié: les recits de coprophilie sont articulés on ne peut plus chic. Mais le plat qui nous est proposé est quand même indigeste à force. Peut-on vite se blaser de tout, même de l'obscénité élégante? Une fois le premier effet de contraste amorti? Une fois le premier plaisir passé d'entendre le verbe "baiser" employé à l'imparfait du subjonctif? On re-decouvre que Sade écrit bien, mais on n'apprend rien de plus sur le texte, en fin de compte. C'est néanmoins grinçant et gonflé, et au moins de sentir le public ne pas trop savoir comment réagir. On aurait préféré cela plutôt que la voix d'Alain Delon en guise de bande son du dernier Piétragalla. On est en tous cas par principe rassuré de pouvoir entendre de telles choses sur une scène.

    Mais c'est avec Notre Père, que l'audace prend un vrai sens, au delà de l'exercice de style, et pour un résultat admirable. Les thèmes abordés sont des plus sombres, difficiles, dangereux: la mort et le deuil qui pourrit en plaie ouverte, les désirs tout autant lancinants, ambigus et inavoués, les liens qui se tissent entre toutes ces douleurs. Et quelque part, inommée, l'ombre de l'inceste. On pourrait être rebuté: on est pris à la gorge. Sans doute car, à l'inverse d'autres propositions de cette soirée, le choix est fait ici d'une intense sobriété, tous moyens concentrés sur l'obscurité et la lumière, sur la voix à vif et le corps exposé, épurés à l'extrème, de Celine Milliat Baumgartner, rejointe par  Marc Mérigot. Qui nous emmènent en direction du gouffre, avec le beau texte de Cédric Orain, toujours à la frontière de ce qui peut, de ce qu doit, ou non être dit, et une mise en scène d'une impitoyable précision.

    C'était Notre Père de Cédric Orain, avec  Céline Milliat-Baumgartner et  Marc Mérigot, Les 120 journées de Sodome de Sade adapté par Eram Sobhani, et Le Bruyant Cortège de Julien Kosellek, au Théatre de l'Etoile du nord.

    Jusqu'au 10 mai, avec chaque semaine deux autres nouvelles propositions, dans le cadre d'A court de forme.

    Guy

  • Deux nuits, des rois

    Que notre boussole nous ait guidé jusque dans la salle de l'Etoile du Nord ou plus bas dans celle du Théatre du Nord Ouest, on débarque de toute manière sur les rivages d'une imaginaire Yllirie. Libre et naufragé. C'est dire que l'on entre dans le b6cab4885daf41539748acf8f5b50a1f.jpgpays de l'illusion, et de toutes les possibilités. On perd pied dans les sables mouvants de l'imaginaire amoureux, où chacun ose se rêver, sans interdit de rang ou de sexe, dans les bras de l'être aimé. Lui même reconstruit selon tous nos désirs. 

    L'intendant Malvolio se voit plus grand qu'il n'est, imagine sa noble maîtresse Olivia à ses pieds pour qu'il puisse mieux s'élever lui-même. Viola-Octavio, fille travestie en garçon, est aimée de cette même Olivia. Pour cette Olivia encore le Duc Orsino se languit, mais Viola travestie en secret n'a quant à elle d'yeux que pour le Duc. Qui en Viola ne voit que le garçon Octavio, un garçon chéri, mais un garçon quand même. De cet écheveau de désirs lancinants et frustrations ambiguës, personne ne sort indemne. Et surtout pas Viola, écartelée entre ses rôles et ses identités sexuelles, sérieusement névrosée. Il ne faudra pas moins que le retour d'outre tombe de Sébastien, son frère jumeau, pour que Viola puisse se dédoubler en deux sexes opposés, pour la satisfaction conciliée du Duc et d'Olivia. Remise au clair des genres masculin et féminin, attestée de visu par une mise à nue finale- sur la scène de l'Étoile du nord on s'en serait douté- mais si timide et triste, qu'elle ressemble à la mort de l'amour. Au moins entre temps Toby le bon vivant, oncle d'Olivia, aura copulé joyeusement avec Maria la servante, Sir Andrew naif et puceau aura courtisé Olivia mais sans désir 39196a342684be7c9c73741e781d86ce.jpgflagrant, à l'inverse d'un certain Fabien aimant Sebastien-le frère jumeau- jusqu'à se faire battre pour le défendre.

    Si on nous lu jusqe là, on conviendra qe la pièce est trop impossible et embrouillée pour qu'on puisse la jouer littéralement. Nicole Gros au T.N.O. s'y essaie pourtant, et bien évidemment n'y réussit qu'à moitié. La moitié très réussie tient aux personnages comiques-Toby, Sir Andrew et le Bouffon- qui emportent leur partie à force de verve et de chansons. Alors que les autres personnages, cantonnés au registre de la gravité, s'épuisent à se heurter sans succès au scabreux et à l'invraisemblable des situations. En premier lieu la pauvre Viola, ici travesti tétanisé. Résultat: tout cela se traîne un peu, à force de trop de sagesse.

    Julien Kosellek et Cedric Orain à l'Etoile du Nord contournent la difficulté en adoptant d'un postulat inverse: les rôles sérieux sont traités d'emblée avec une distance grotesque. L'illusion théâtrale-projecteurs manipulés par les acteurs, costumes surchargés de références et autres conventions bousculées- est mise sur le même plan d'évidence que l'illusion amoureuse. Stratégie gagnante en l'éspèce: on peut s'en amuser sans être obligé d'y croire. Le Duc se languit en emphase. Viola (Céline Milliat-Baumgartner), tremblante, exude à chaque instant de confusion. Olivia à sa vue semble être illico gorgée d'hormones. On échappe pas à des facilités, dont un medley beatles laborieux, ainsi qu'à des incursions déprimantes dans une ambiance de backroom glauque- peut-être la marque d'un nouveau conformisme. Mais tout n'est pas gadget, une gazelle de chantier se prête à des exploitations scéniques appropriées. Plus audacieux, pour suivre jusqu'au bout la logique de l'inversion, les rôles comiques se chargent d'une nouvelle gravité. Toby devient plus voyou et pervers que débonnaire, et Malvolio surtout, humilié par tous pour avoir prétendu aimer plus haut que son rang, retrouve ici un tragique émouvant dans l'exposé de sa souffrance.

    C'était La Nuit des Rois de William Shakespearemis en scene par Julien Kosellec et Cedric Orain, au Théatre de l'Etoile du Nord, jusqu'au 4 août. C'était La Nuit des Rois de William Shakespearemis en scène par Nicole Gros assistée d'Elise Rouby au Theatre du Nord Ouest, en alternance jusqu'en février 2008.

    Guy

  • Tragedy Artaud

    Encore sous le charme de Marie Vialle, on retourne dans la salle, et on se console d'abord en s'imaginant enfin assister à un spectacle d'avant-garde d'il y a trente ans. Enfin, d'après l'idée qu'on s'en fait: on était trop jeune alors pour avoir vu ça pour de vrai.

    Sans remonter si loin, pas plus tard qu'en mai dernier on les (La Traversée-Cedric Orain) avait vu jouer "La Mort", de Georges Bataille dans "A court de forme". Hier et ce soir ils investissent  "Trans" pour s'attaquer cette fois à Antonin Artaud (1896-1948): "Ne vous laissez jamais mettre au cercueil".

    Dix contre un que l'an prochain on aura droit à Lautréamont.

    Grimaces douloureuses. Déclamations grinçantes. Diction klingon. Chutes sonores. Poses torturées. Stridences distanciées qui prennent à rebrousse poil.

    On regarde et on écoute quand même, dubitatif, et du bout des oreilles. Mais il y a tant de trouvailles et d'idées, medium_Artaud_Jeanne_d_arc.jpgd'énergie maîtrisée, que l'on finit quand même par se demander pourquoi au juste on arrive pas vraiment à aimer. Et dés lors c'est trop tard on s'est laissé prendre au jeu.

    Jusqu'à admettre que ce n'est qu'à coups d'outrances visuelles et vocales qu'il est possible de rendre compte du monde d'Antonin Artaud. Folie, révolte et souffrance, corps et esprit corseté, emprisonné, médicalisé, éprouvé par les institutions. Curetage à vif du fond commun de désespoir de l'humanité.

    Pour évoquer justement la douleur et le dégoût d'Artaud, il faut bien accepter de regarder-on en revient là- un théâtre de la cruauté au fond des yeux. Que ces deux actrices incarnent en se livrant au saccage de la beauté. Avec rage et précision.

    Puis soudain on comprend. Pourquoi on a finit par rentrer dedans. Pourquoi cela nous paraissait en un sens familier. En se souvenant en quelle haute estime Hijikata et les fondateurs de la nouvelle danse japonaise tenaient Antonin Artaud.On est content, on a découvert ce soir un cousin éloigné du Buto.

    La soirée se concluait en nocturne, avec Europe Tragedy. On aurait du prendre au premier degré les fausses-vraies confidences des acteurs au début du spectacle: considérons qu'il s'agissait hier d'un travail en cours.

    Avec, pour un sujet mythologico-biblique si obscur et qui appelait dans la forme un peu de clarté, trop de ruptures de ton et rythme: faux départ, lectures savantes et pédagogiques, fausses sorties, adresses au public, maladresses faussement improvisées, longs récitatifs, corrida de Dieu antique en bovidé, nu douché au baquet, et pour conclure soudain, le viol d'Europe, insoutenable.

    On reviendra les voir quand le travail sera achevé. Pour de vrai ou non.

    Guy

    P.S. Tout cela reprend ce mardi soir, plus surprenant qu'un huitième de finale