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Allio-Weber: le Discours et la Méthode

On ne sait vite plus où l'on est, d'où l'on regarde. Et, tout le long, quelle est la nature de ce qui est montré. Le couple d'acteurs s'enlace, en petite tenue, au milieu du public, la position est décalée par rapport à nous mais aussi l'un par rapport à l'autre. Ils se cherchent, empruntés, mais rien ne semble s'emboîter, ces deux là ne savent plus comment embrasser, voire simplement comment être. Forcement insatisfaits. Amputés de quelque chose? De quoi au juste? Mais on anticipe. Le plus déstabilisant est encore à venir, avec déja un discours de marketing humanitaire d'un saisissant réalisme. Êtes vous prêt à donner 35 €? Le rapport avec le public prend un tour on ne peut plus direct. Lui, a le ton adapté: sérieux, digne, compréhensif, un poil mouillé. Elle, vient nous chercher du regard au plus près sans s'être rhabillée- argument de vente basique. L'argumentaire est répété ad nauseam. Sur écrans vidéo les figurants apparaissent et se multiplient, pour reproduire et affadir à l'infini le discours, le vider de son contenu. Les intentions ont disparu, ne reste que la méthode. Mise en évidence, sans indulgence. Lessivé, on est prêt- mais sans plus savoir pourquoi- à mettre la main à la poche pour débourser les euros demandés. L'entreprise est en tout cas d'une provocation salutaire. Cela ne fait que commencer...

Pourquoi se porte on candidat à l'amputation? L'actrice plantée au micro déroule son argumentaire. Un argumentaire on ne peut plus cartésien. Sans un mot plus haut que l'autre, sans effet choc, sans affect, et pourtant une implacable violence est à l'oeuvre. Il est question du corps et de son intégrité, mais le corps n'est pas utilisé pour le discours. Seuls les mots: froids, et forts. Plus efficace que les provocations visuelles d'un Rodrigo Garcia. Les figurants en video font fonction de spectateurs, de jury populaire, dédoublent en miroir nos interrogations. Puis désertent un à un l'écran pour nous rejoindre dans la réalité. Le spectaculaire est refusé. Le vrai public est interpellé: "Autoriseriez vous Mlle S. à se faire amputer?" On s'attendrait presque à pouvoir voter comme dans les vieux spectacles de Robert Hossein. On balance, à l'image des figurants sur le trampoline... On prend le plaidoyer au sérieux, ne se demandant même plus ce qui ne tourne plus rond pour en arriver à se poser de telles questions. La forme est quant même, surtout, d'une sécheresse extrême, sans concession. Au bord de la non -représentation. On est décontenancé, au bord de la frustration... Quelques incidents surgissent pour s'évader du réel: un geste, soudain une chanson. Mais on applaudit, convaincu par l'audace et l'intelligence du propos.

On se dispute à la sortie pour maintenir que la pièce n'est pas manipulatrice. Notre interlocuteur nous soutient que tout est présenté de manière tendancieuse, pour amener à des conclusions préparées, et dans la direction du politiquement correct. De notre coté, on assure que la beauté de l'exercice est de remettre le dilemme moral à l'ordre du jour. Presque du Corneille post moderne. On loue le parti-pris de sobriété dépassionnée du plaidoyer de la volontaire pour l'amputation. La subtilité de ce beau texte. Deux jours plus tard, notre contradicteur prend un malin plaisir à nous faire partager sa découverte: la source internet  du texte qui a été repris quasi mot pour mot dans la bouche de l'actrice. Ce texte même qui avait suscité notre admiration. Malaise. Rien dans le programme ne renseignait sur les origines du discours. A-t-on été pour de bon manipulé? Ni plus ni moins que public cible du discours humanitaire incklu dans le spectacle?  Difficile à dire. On balance encore. A y repenser, le monologue n'a été présenté ni comme un témoignage, ni comme une fiction littéraire. Juste comme un matériau ambigue, laissé à notre interprétation. Mais on était plus à l'aise, avec les lettres authentiques de Samuel Daibler, présentées pour qu'elles étaient. Et libres aprés de s'intégrer dans le tout de la création. On est prévenu contre les discours. Mais quelle est la méthode?

C'était Un inconvenient mineur sur l'échelle des valeurs de Patricia Allio et Eléonore Weber, avec Marc Bertin et Charline Grand, à la Grande Halle de la Villette, avec 100 Dessus Dessous.

Guy

P.S. : Réactions contrastées sur France Culture  http://www.radiofrance.fr/chaines/france-culture2/emissions/toutarrive/fiche.php?diffusion_id=63926

Commentaires

  • Pourquoi ce texte sur internet provoque-t-il le malaise?

  • C'est le fait d'utiliser un texte sans en indiquer les sources

  • Joël Pommerat a fait de même avec "Cet enfant"; lire ici: http://www.festivalier.net/article-18036356-6.html#comment28704586

  • Je ne comprends pas ce genre de méthodes, c'est au mieux de la désinvolture...
    Ce qui m'a contrarié pour la piece d'Allio Weber, c'est de découvrir la source aprés, que la part de création originale ne soit pas celle que j'avais pensée alors.
    Cela ne gache rétrospectivement le plaisir.

  • Une simple précision:

    La feuille de salle indiquait que le texte avait été écrit à partir de matériaux documentaires.
    La part de création consiste justement dans ce projet à mettre en jeu l'agencement d'un propos à partir de documents existants. Ainsi le texte autour du télémarketing humanitaire est-il également tiré d'un questionnaire type utilisé sur une plateforme de téléphonie.

  • Merci Morgann pour cette précision, mais qui etait absente des crédits détaillés sur la page consacrée à la performance dans le programme de 100 dessus dessous, ainsi que de sa déclinaison à l'identique sur le site internet, auxquels je m'étais référé pour vérification.

  • Cher Guy, comme pour toi il me semble, « un inconvénient mineur sur l’échelle des valeurs » me laisse une drôle d’impression. Je ne reviendrai que brièvement sur deux aspects de la performance. En premier lieu, permets moi de revenir sur la trame, le fil d’Ariane de la pièce, la manipulation. Sans m’appesantir plus sur la manipulation première de la pièce que constitue l’absence de référence explicite dans le programme officiel sur l’origine du texte, je préfère revenir sur le principe même des spectacles l’ayant pour sujet. Ce qui est formidable avec cette idée c’est qu’une fois lâchée sur une scène, celle-ci justifie tout. Elle à une force universelle. Que le spectacle soit bon et on y voit une juste réflexion sur ces principes, que celui-ci soit moins bon et on y voit également une réflexion sur ces principes. Si je vois dans le spectacle (dans sa deuxième partie surtout) la simple lecture d’un texte trouvé sur le net conduisant à des questionnements un peu lourds et tellement communs (voir corrects), c’est que je n’avais pas l’intelligence de comprendre qu’il s’agissait justement d’une manipulation devant me conduire à comprendre que j’étais manipulé. Si à l’inverse je vois un texte inspiré, probablement retravaillé par les artistes, joué avec conviction et me conduisant à d’intimes réflexions c’est que j’ai compris la démonstration des artistes sur la manipulation ! Dans tous les cas on gagne, CQFD ! C’est le « rien ne le prouve pas » théâtral visant à annihiler toute critique, jetant par avance l’anathème sur les sombres abrutis qui pourraient ne pas adhérer.

    Dans un deuxième temps je reviendrai sur la mise en scène de ces deux spectacles. Deux spectacles car à mon sens il y en a bien deux. Le premier est intéressant et troublant, de la danse (que tu as très bien esquissée) au marketing humanitaire. La mise en scène y est dynamique, direct, percutante. Les performeurs y sont animés, habités, quel plaisir ! Puis le deuxième spectacle commence… Passés les premiers moments d’intérêts pour le sujet, tout s’évapore, fuit, disparait.. La tension accumulé en début de spectacle s’échappe, l’artiste s’enferme dans son texte. Elle déclame (avec talent), isolée dans son texte elle devient classique, prévisible, interminable, lui disparait, se tient en retrait. Pendant ce temps la mise en scène suit également cette descente dans les stéréotypes classiques de la mise en scène se voulant contemporaine, mi big-bazar, mi Robert Hossein (bien vu Guy) nous sombrons… Bientôt le texte lui aussi n’est plus qu’un ramassis de lieux communs, de réflexions lourdes et de questionnement du niveau terminale A… Peut-on tuer par amour, manger une personne peut-il être un acte d’amour, Mlle S. a-elle le droit de se faire amputer, ce qui est bien pour toi peut-il être mal pour l’autre, Le blanc n’est peut-être pas que blanc, l’envers de l’endroit, ma gauche de ma droite, bla bla bla, bla bla bla… Il fallait partir après avoir donné «trente cinq euros » et ne pas se retourner, surtout ne pas se retourner car ce soir la, il fut bien question d’amputation, celle de l’originalité, de la sincérité.

  • Pourquoi l'incompréhension d'un propos provoque-t-elle tant de haine? Lorsqu'on passe complètement à côté d'un spectacle, est-il systématiquement besoin d'affirmer qu'il ne s'agissait que de lieux communs? Ne pouvez-vous simplement admettre que vous n'avez pas compris et que la mise en scène ne vous a en effet pas permis de comprendre ? Ce qui serait une vraie critique. Je n'ai pas du tout la même perception concernant les enjeux que soulevaient les questions dans ce spectacle. Rien de ce que vous dites ne prouve que vous en avez compris quoi que ce soit: sur la remise en cause radicale du droit à la différence et de l'idéologie libérale par exemple, cette histoire d'amputation volontaire est plus que pertinente. Et d'ailleurs, à quelle sorte d'originalité vous référez-vous? Solliciter le spectateur avec des questions en nombre, c'est une conception de la dramaturgie assez rare justement. Qu'il y ait un certain didactisme des questions, à mon sens complètement assumé dans ce spectacle, oui, cela s'appelle un parti pris. Ce didactisme nous conduit à penser de manière inédite et c'est ce qui fait sa force. Vous n'êtes apparemment pas ou plus habitué à ce qu'un spectacle mette en mouvement une pensée. La vôtre peine d'ailleurs à s'exprimer si ce n'est dans l'invective. La question de ce qui est ou n'est pas original n'a pas beaucoup d'intérêt cela dit. J'ai beaucoup aimé le début, comme vous, et ce début n'a justement rien de particulièrement original. Quant à la sincérité, elle me paraît intacte dans cette démarche, je comprendrais qu'elle puisse irriter, mais franchement, cessez de vous sentir manipulé au seul prétexte qu'on vous sollicite un peu. Vous semblez passer brusquement du sentiment d'être manipulé à celui du pur rejet, ce qui est compréhensible mais insuffisant. Je ne comprends rien à cette histoire de texte trouvé sur internet. Peu m'importe, ce témoignage est d'une force redoutable, travaillé par des contradictions extrêmement complexes, et les questions qui suivent en modifient peu à peu et très finement la perception. Je me souviens qu'il y a en effet quelques questions concernant l'amour et la dépossession. Mais elles sont peu nombreuses comparées à toutes celles qui nous font cheminer dans les multiples contradictions de la propriété de soi.

  • Haine ? Qui parle de haine ? Vous pas moi.
    Je n’ai, Madame, de haine pour personne et mon propos ne me semble pas témoigner le moins du monde d’une quelconque haine. Que ma déception soit à la hauteur des attentes qu’avait fait naitre en moi la première partie, oui, mais de la haine : jamais !
    Plus que de donner votre vision du spectacle vous préférez attaquer le spectateur et la vision qu’il en a. Manipulation, encore une fois ! Je suis donc Haineux, je n’ai rien compris à la remise en cause radicale du droit à la différence et de l’idéologie libérale et je ne suis plus habitué à mettre ma pensée (qui peine d’ailleurs) en mouvement. Soyons bref, mi-demeuré végétatif, mi fasciste pro-libéral, le procès en sorcellerie à rendu son verdict, je suis nul et haineux, condamné à me faire amputer du droit à la critique. Amputation que vous vous proposez de faire sur le champ puisque vous me donner la seule critique que j’aurais du faire : « Ne pouvez-vous simplement admettre que vous n'avez pas compris et que la mise en scène ne vous a en effet pas permis de comprendre ? Ce qui serait une vraie critique » Merci, mais je fais les critiques que je veux, je revendique le droit à la différence moi aussi, quand bien même ma différence serait de ne pas vous plaire ou d’avoir les idées courtes.
    Je peux comprendre que vous ayez apprécié le spectacle (ce qui fut partiellement mon cas comme vous l’avez justement noté) et trouve même dans certains de vos arguments matières à réflexion. Pour finir je vous propose, si vous souhaitez continuer la discussion, de demander à Guy de nous mettre en relation afin de ne pas polluer plus le site.

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