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  • Un voyage intérieur

    On y rentre intrigué, installé en une confiance vigilante, comme pour monter dans un wagon qui s’engouffrerait dans le tunnel d’une attraction. Mais pas de sensations fortes ici, c’est un train fantôme d’émotions douces. Drôle de ballade. Assis dans un fauteuil roulant, yeux bandés, impuissant pourtant sans être angoissé, à se demander si ainsi handicapé c’est de soins dont on aurait ici besoin. Pourquoi pas ? D’attention et d’écoute, qui s’en plaindrait? Ce rendez vous déjà pris, il n’y a pas de file d’attente, pas de stress, pas d’urgence. On se laisser aller. Comme dans un confessionnal, chez son psy, son médecin, ici dans ces nouvelles mains, anonymes et bientôt bienveillantes. La chambre est obscure. Pas de contours, pas de lieu. On s’abandonne aux bruits d’abord, toutes oreilles dehors, aux voix et musiques dans la nuit, en état d’hyper sensibilité. On est prêt à tout sentir et écouter dans cette calme confusion, en soi d’abord, en profondeur. Les accompagnateurs jouent doucement à juste n’aller pas trop loin, aux frontières de l’intime. Des frôlements, de la douceur, de la proximité et de la chaleur. Les questions sont ouvertes, les secrets sont partagés ou non, en liberté. La confiance s’instaure, on s’accommode de ses réticences. Le corps s’abandonne toujours au voyage guidé: assis, debout, couché… mais l’esprit se libère et s’allège, fait lui même ce spectacle dont le spectateur est le héros.  

    Quand le bandeau tombe des yeux et que tout enfin est dévoilé, en toute honnêteté, le théâtre de l’action est bien plus petit qu’en ressenti, que vu en soi-même auparavant. On découvre la photo de son visage, de son sourire parmi des centaines, des milliers, on est pris alors d’un étrange sentiment de fraternité. Le voyage est bienveillant, n’a laissé entrevoir que ce qu’on y avait emporté. On en ressort libéré d’un peu de poids.

    C’était The Smile off Your Face, d’Ontroerend Goed, vu aux plateaux du CDC du Val de Marne.

    Guy

  • Dix ans : ailleurs mais maintenant

    Dix ans c’est le temps de l’oubli, souvent. Des souvenirs épars, des rêves et du vent. Ce qu’il en reste, de 10 ans de danse à Mains d’œuvres ? Ca dépend... A chacun ses 10 ans. Pour ma part moins de dix: cela commence vers fin 2006, devant Perrine Valli.  Aussitôt étonné par cette sage- ou pas si sage- géométrie. Une première leçon de patience.  Ou encore: cela prend feu l’hiver auparavant, alors je n’avais pas encore cédé à l’utopie d’écrire (pour essayer d’un peu moins oublier). Avec Kataline Patkaï-, Appropriate clothing... Il faut imaginer la violence du choc pour quelqu’un de peu préparé à ce que se permet la danse contemporaine: c'est-à-dire à peu prêt tout.  Et ici à ce point de vue si détaché, d’une lenteur clinique, sur les gestes de l’érotisme. Tout est donc possible: je reviens…

    Rarement déçu par la suite- un puzzle de sensations- et toujours étonné. 10 ans ne font pas un bloc, un récit ou fil, mais une addition de tous ces moments, de ces libertés, de ces dons d’artistes qui échappent à mes attentes. Les robots de Geisha Fontaine et Pierre Cottreau qui fondent  un nouvel ordre, ou désordre, inquiétant en noir et blanc. Le délire baroque de Jesus Sevari. Les fleurs et la fraicheur de Marie-Jo Faggianelli.  L’absolue étrangeté de Sofia Fitas, son corps recombiné. La drôlerie grinçante d’Isabelle Esposito. La gravité d’Olivier Renouf. Le magnétisme de Maxence Rey. Le trouble de Camille Mutel. L’ironie de Leila Gaudin…

    Je crois que ce que l’on trouve ici, à Mains d’œuvres, c’est le temps. 10 ans, font bien plus.  Pour les artistes le temps de créer. Un temps essentiel, élastique, dilué, muri, perdu, en extension, accéléré…  Je pense à Éléonore Didier qui transporte dans ses pièces même toute la substance de ce temps que ne peuvent mesurer les chronomètres, qui dissout d’audaces nos impatiences.  Car pour le spectateur c’est un temps d’ailleurs: j’ai l’impression inexplicable d’être à Mains d’œuvres loin de tout et du reste, en dehors et libéré, dans ce lieu familier, brut de béton, moins intimidant qu’un espace de représentation.  Pas prêt d’être rattrapé par quoique ce soit, à pouvoir n’y rien faire d’obligé pendant des heures. Avec le temps de rencontrer et d’échanger : des écrits croisés avec Jerome Delatour, Pascal Bely…  Angela Conquet m’invite dans son cercle des regards, pour discuter avec les chorégraphes en amont. Je ne sais ce qu’ils en font… pour ma part j’apprends alors encore à regarder, yeux ouverts tout accepter, et gouter à la drôlerie des incompréhensions et des appropriations (la liberté).

    10 ans. Qu’en reste-t-il ? Le courage de laisser les souvenirs s’envoler comme des tourbillons de feuilles mortes. Surtout la confiance, l’envie, le désir, d’y revenir, d’y découvrir. 10 ans de plus.

    Guy Degeorges- contribution pour 10 ans de danse à Mains d'Oeuvres