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  • La blonde et l'infini

    Au commencement : le silence, une lumière crue, un fond blanc, un être nu. C'est un solo absolu.

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    Au point zéro de la danse: sa nudité. Ni académique, ni triviale, ni érotique: de l’origine. Sa posture nait de rien, elle dépouillée et rien de caché, puisque rien ne semble y préexister. L’âme reste hypothétique. Juste, ses gestes la définissent, le premier instant et chaque instant d'aprés. Puis s’oublient, allégés de toute volonté de faire une histoire, de laisser des traces. Seule. Ses gestes surprennent. Elle frappe la terre, fouette les airs. Comment croire que tout ne se crée pas dans l’instant? D’où en elle? Les mouvements naissent comme animaux, buto. Bras, jambes, torse, ignorent toute convention, toute utilité motrice, sociale. Ils inventent de nouveaux appuis, des enchainements inédits. Pas de narration, d'émotions, de sentimentalité. Il nous faut renoncer. Un point de repère: s’évidence, sans tricheries, d’une pure anatomie. Les os, la chair, la peau, relâchements et tensions. La vie et la respiration. On voit des transmutations. Dans une forêt invisible, un chat, une biche, un poisson, un oiseau qui envole. Elle chante. Ample. Sa voix tenue suspend le rythme, prolonge le silence. Quelle musique en elle, quand elle se tait? Elle reprend. Elle s’invente. Les mains montrent, surprennent, tremblent. Le corps oscille, des fulgurances. Le temps se déroule, sans retour en arrière.

     

    Brusquement, du dehors, le fracas du monde fait irruption. Un bruit mâle, guerrier, percussif. Mais sitôt oublié, comme on aurait ouvert, puis refermé une fenêtre. Il n’a jamais existé. Elle poursuit en dedans, semble danser dans l’ivresse. Titube et apprend à naitre, retourne au silence, regarde l’invisible, s’échappe et bondit à faire bouger le ciel. L’ange blond, bras tendus, dort, nue, sans sens ni morale, se passe d’âme.

    c'était Blondes have no soul de Pé Vermeersch, vu à l'Avant Scène, théatre de Colombes

    Guy

    photo avec l'aimable autorisation du théatre de Colombes.

    lire aussi: Making the skies moves

  • Jeux dangereux

    C’est une tradition de théâtre bien ancrée, que de jouer avec les échanges de rôles entre maitres et valets, les faux semblants, des écarts étourdissants entre apparences et motivations des personnages, quiproquos et renversements de situation…. Mais dans cette intrigue éclairée à la bougie, Marivaux pousse ce principe jusqu’à un rare niveau de sophistication. Surtout de cruauté. Tentons de résumer l’argument de l’épreuve: le riche-et si trouble- Lucidor tire toutes les ficelles de la pièce pour éprouver Angélique, sa bien-aimée. Il manipule avec force billets de faux et vrais soupirants afin de savoir si la jeune femme va leur résister ou non, sans se déclarer lui-même, quitte à la désespérer. La société ici représentée est moralement désespérante, l’argent mène le jeu de l’amour jusqu’à le vider de sa substance avec/malgré tout le brillant de la langue, chaque personnage agit et parle à rebours de ses propres sentiments, jusqu’à l’intolérable et la perte de soit. Il faut donc beaucoup d’habileté à la mise en scène, aux comédiens pour nous en faire rire, malgré tout. Par le rythme, ils y parviennent. Par une mise en abyme très perverse, les masques des acteurs de cette pièce dans la pièce finissent par leur coller autant à la peau que dans la pièce suivante: les acteurs de bonne foi (celle-là tout à fait irracontable).

     

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    Il est d’autant plus réjouissant de découvrir, à la fin de l’épreuve, l’ingénue se rebeller, délicieusement physique, envoyer tout balancer dans le décor, et siffler la fin du jeu, quitter le rôle de victime. Le corps reprend alors ses droits, fait danser Marivaux. C’est un beau moment de pure vérité, le corps ment moins que les mots.

    C’était L’Épreuve de Marivaux, mise en scène par Agathe Alexis, avec Robert Bouvier, Marie Delmarès, Nathalie Jeannet, Guillaume Marquet, Franck Michaux, Maria Verdi, suivi de Les Acteurs de bonne foi (Mise en scène - Robert Bouvier)

    A l’Atalante jusqu’au 29 décembre.

    photo de Fabien Queloz avec l'aimable autorisation de la compagnie


  • Tout est dans le titre

    Arrivé en retard, sans avoir pris connaissance du thème et des intentions, c’est le titre de la pièce, seule information préalable, qui guide mon regard, influence le début de mon expérience. Making the Skies move Promesses d’étonnement, mention du mouvement, suggestions de spiritualité, l’idée que les actions du corps- ou de l’esprit- influent sur son environnement. Ce titre utopique me met également en condition d’accepter que l’essentiel ne pourra être vraiment vu ici… Premiers instants… Oui: il est déjà clair que cette œuvre est de celles qui suggèrent plutôt qu’elles ne montrent. Il apparait vite qu’il s’agit d’un concert dansé… La musique de Messiaen, interprétée par un pianiste, est au premier plan. Par moment occupe tout l’espace, de toute son invisibilité. Les deux danseuses s’effacent alors, reviennent ensuite, en interaction intense. La musique se suspend parfois, mais même il semble que les mouvements silencieux lui font encore écho. Puis le piano véhément entraine à nouveau les danseuses dans l’urgence.


    Peu à peu libéré de la tentation de vouloir comprendre, je ressens que cette danse est libérée de toute expression de l’égo, des contingences. Je pense au buto. A cause du souvenir que Pé Vermeersch aurait été influencé par ce mouvement? Ou à voir certaines postures: jambes bien campées (mais d’autres figures  pourraient tout autant démentir cette filiation)? Avant tout à cause de cette sensation qu’en permanence les corps ne s’expriment pas, mais qu’ils sont  traversés. Par des forces, des énergies qu’ils amplifient, pour suggérer, dessiner l’invisible. Au-delà des gestes, courses et oscillations, les réactions inattendues aux flux sonores, vives et dynamiques, je perçois une attitude: discipline et humilité, honnêteté dans la brusquerie, exigence. Chez les deux danseuses souvent à l’unisson, presque jamais l’une vers l’autre, une franche précision à rebours de l’esthétisme, vers le sensible. Je peux rêver le titre jusqu’à vouloir voir le ciel bouger de par leurs actions. Dans l’espace autour d’elles, des suggestions: des objets comme autant de reflets, plaques et suspensions de diverses couleurs et textures, aux formes et  proportions inattendues, en transformation, une pluie de tiges qui tombe du ciel, comme celle fichée dans les cheveux de Pé Vermeersch.  

    A la sortie, quelques mots échangés avec la chorégraphe, à propos de ce beau titre. Dans son esprit, le ciel n’est pas si haut, il commence à porté de main. Il s’agit de l’espace autour de soi, que les mouvements du corps viennent affecter. Un espace plein, composé de couches, comme celles qui habitent la musique de Messiaen…. Je pense maintenant au titre de la pièce de mardi prochain Blondes have no soul 

     C’était Making the skies move, de Pé Vermeersch  , autour de l’oeuvre pour piano d’Olivier Messiaen interprété  par Jan Michiels et dansé par Pé Vermeersch et Angela Babuin, à l'avant scène-théatre de Colombes.  

    Pé Vermeersch présente à l’avant scéne-thatre de Colombes Blondes have no soul, « œuvre pour nudité, silence et blancheur »  ce mardi 22 novembre et Het Orgelt « trio spirituel évoluant au gré d’un orgue et des mélodies de Messiaen » à l’Eglise Saint Pierre Paul de Colombes ce jeudi 24 novembre.

    lire aussi: blondes have no soul

  • Du sang, pas de larmes.

    L’histoire que raconte Marlowe, on la connait bien: le duc de Guise, la saint Barthelemy, la Reine Margot (merci Dumas, merci Chéreau!)…. On parvient à s’accrocher à l’intrigue (si l’on y tient), même ce texte déstructuré, caviardé de familiarités, secoué dans tous les sens, avec une ironie, une désinvolture, une aisance plutôt revigorante. Henri de Navarre ne parait ici pas si éloigné des chiens de Navarre (essayés et approuvés ici même). Sens et thèmes résistent à ce traitement: hypocrisie des jeux de pouvoir de tous temps, valse des pantins sur les trônes, religions instrumentalisées… . Mais s’il n’y avait que cela, ce serait juste moraliste, édifiant...

     

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    Il y a plus : l’énergie, de six jeunes gens qui bondissent de rôle en rôle en retournant leur veste, littéralement,  burlesques,  cette fois papistes, l’instant d’après parpaillots. Mais là encore ce serait (juste) distrayant, sympathique. Ce qui me fascine ici, c’est l’art et la manière de représenter du début jusqu’à la fin la violence sur scène, sans la reproduire, sans la montrer… Du massacre dès le titre, assassinats, batailles, viols, exterminations, intimidations,  tortures, attentats…. Sans trucages ni coups semblant échangés, mais tout en allégories et distance, jeux de mimes et procédés. De quoi en rendre l’évocation supportable, toujours inquiétante. Les linges blancs, maculés de rouges à grands coups de pinceaux, on rit jaune. Les batailles sont muettes, les passes à distance, on expire en silence, corps tombant à terre, juste des cris hors champs. Et surtout avec une grande évidence, même si elle stylisée: la soif de sang des bourreaux, jamais apaisée. Tout est très précisément chorégraphié. Sous le faux négligé du texte, apparait une grande rigueur dans le rythme et dans les gestes, au service d’un vrai théâtre visuel.  Pour dessiner, au-delà du prétexte de l’intrigue, du contexte, un portrait froid et pessimiste de l’humanité, de la jouissance inextinguible que lui procure la violence…

     

    C’était Massacre à Paris de Christopher Marlowe, mis en scène par Irène Favier, au Théatre de Vanves (où il n'y a pas que de la danse) jusqu’au 19 novembre.

    Guy

    photo avec l'aimable autorisation du théatre de Vanves


  • le corps témoigne

    Des fleurs, et elle à terre. Enfermée d’une robe noire,  émaciée, yeux clos et sourire aux lèvres, reve son être ? Le silence, quelques mouvements: une joie intérieure qui irradie sous la lenteur de son envol. C’est l’état, non l’action que l’on ressent-pourquoi ?-, comme une irrésistible évidence. La robe tombe, le corps noué, et le tissu qui colle comme une seconde peau. A terre, comme dans la boue, son voyage de quelques mètres dans cette cave parisienne résonne comme le récit émerveillé de belles rencontres, d’autres voyages sur d’autres continents, dont elle aurait ramené des peuples invisibles, et leur bonheur d’exister, l’intensité. Par quels gestes ? Le corps témoigne, à la fois vulnérable et fort, se plie et se disloque, se heurte aux limites, meurt et renait. Doigts tordus, de douleur peut-être, le temps que des notes de piano s’égrènent. Pour nous permettre de deviner  à la fois la monstruosité et l’humanité, elle au milieu comme un fil tendu entre les deux. L’extase est dépouillée comme la peau nue, d’une misère absolue,  une offrande  comme seule expression de l’universel. Elle montre l’autre. Au sol, les fleurs. Elle donne.

    C’était La Femme Ailée de Jean Daniel Fricker et Céline Angèle, dansé par Céline Angèle, à l’espace Bertin Poirée

    Guy

  • Un (autre) voyage intérieur

    Tourne le train miniature, et tournent les disques... le chanteur prend le train pour une tournée, s’évade au son des essieux, loin de Brest... Next stop: Vladivostok, de l’ombre du plateau surgissent les couleurs du cabaret, les numéros des artistes de cirque. Ce voyage de 1983, consigné avec soin sur un cahier, est immobile, vécu dans une chambre, et cette nouvelle vie inventée, la précédente arrêtée nette. Le personnage, quant à lui, serait réel : Jacques Mercier, une gloire locale, ancien chanteur de cabaret. Atteint du syndrome dit de Korsakoff, d’un délire solitaire d’alcoolique, mais ici un phénomène théâtral partagé, avec pour symptômes divertissement et illusions.

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    Quoi de plus normal dans ce théâtre? Comme lui, spectateur émerveillé, je crois aux sauts extraordinaires de la puce savante- je la vois- ainsi que les décors dans lesquels évoluent les mimes. Ce sont les visiteurs de Jacques Mercier, dans sa chambre de Brest, qui paraissent inquiétants, irréels, et les artistes vrais, vivants, chaleureux, sur la scène. La femme d’ici dédaignée, Margot, parait si fade, mais son double imaginée, Sonia, si désirable… L’amour vit sa chance avant de se dissoudre sous les masques. Transsibérien, lac Bakail… les mots déjà emportent, loin du quotidien. Les paroles des chansons sonnent belles et étrangères, dans une  langue russe enthousiaste…et imaginaire ? On pardonne lenteurs et maladresses, comme autant de tendresses. Plus important, les acrobates subliment le réel,  s’élèvent, ouvrent la vie et la scène vers le haut. La vie est un songe, de toute façon.

    C’était Atavisme, de Philippe Fenwick , vu à l’Atalante.

    guy

     photo avec l'aimable autorisation de la compagnie Zou