L’histoire que raconte Marlowe, on la connait bien: le duc de Guise, la saint Barthelemy, la Reine Margot (merci Dumas, merci Chéreau!)…. On parvient à s’accrocher à l’intrigue (si l’on y tient), même ce texte déstructuré, caviardé de familiarités, secoué dans tous les sens, avec une ironie, une désinvolture, une aisance plutôt revigorante. Henri de Navarre ne parait ici pas si éloigné des chiens de Navarre (essayés et approuvés ici même). Sens et thèmes résistent à ce traitement: hypocrisie des jeux de pouvoir de tous temps, valse des pantins sur les trônes, religions instrumentalisées… . Mais s’il n’y avait que cela, ce serait juste moraliste, édifiant...
Il y a plus : l’énergie, de six jeunes gens qui bondissent de rôle en rôle en retournant leur veste, littéralement, burlesques, cette fois papistes, l’instant d’après parpaillots. Mais là encore ce serait (juste) distrayant, sympathique. Ce qui me fascine ici, c’est l’art et la manière de représenter du début jusqu’à la fin la violence sur scène, sans la reproduire, sans la montrer… Du massacre dès le titre, assassinats, batailles, viols, exterminations, intimidations, tortures, attentats…. Sans trucages ni coups semblant échangés, mais tout en allégories et distance, jeux de mimes et procédés. De quoi en rendre l’évocation supportable, toujours inquiétante. Les linges blancs, maculés de rouges à grands coups de pinceaux, on rit jaune. Les batailles sont muettes, les passes à distance, on expire en silence, corps tombant à terre, juste des cris hors champs. Et surtout avec une grande évidence, même si elle stylisée: la soif de sang des bourreaux, jamais apaisée. Tout est très précisément chorégraphié. Sous le faux négligé du texte, apparait une grande rigueur dans le rythme et dans les gestes, au service d’un vrai théâtre visuel. Pour dessiner, au-delà du prétexte de l’intrigue, du contexte, un portrait froid et pessimiste de l’humanité, de la jouissance inextinguible que lui procure la violence…
C’était Massacre à Paris de Christopher Marlowe, mis en scène par Irène Favier, au Théatre de Vanves (où il n'y a pas que de la danse) jusqu’au 19 novembre.
Guy
photo avec l'aimable autorisation du théatre de Vanves