Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

  • Entretiens avec Katalin Patkaï - 1er Episode

    Dans cet épisode: Masculin/féminin- Préparation- Transmettre les intentions- Jim Morrison- Le Père- Les collaborations- Des débuts- Se souvenir de X' XY'?

    Guy : Katalin, tu es chorégraphe et danseuse contemporaine. J’ai pu voir la plupart de tes pièces, nous en discuterons évidemment, mais je voudrais aussi comprendre qui tu es, toi. Et ce que c’est d’être une artiste aujourd’hui. Mais commençons par parler de tes créations. Je vois une forte cohérence dans les thèmes que tu y traites : en particulier le thème du masculin et du féminin…
    Katalin : Je pense qu’il y a une cohérence, encore que les choses se soient précisées au fil du temps. Au début je pensais travailler sur le thème du masculin. Le sujet est devenu le féminin. Ceci dit, le chemin se fait tout seul. J’évite d’analyser après coup, mon rôle c’est de faire. Et c’est à d’autres de s’approprier le travail, et de l’analyser. Je reçois souvent des retours, des critiques, qui relèvent les intentions que j’avais effectivement au départ. C’est au moment de la préparation que j’ai un désir, une idée forte et précise de ce que je veux dire. Alors j’écris beaucoup. Ensuite, au moment de la création, il se crée un décalage, qui peu à peu devient énorme. Quand finalement je vois la pièce, elle s’est métamorphosée. C’est comme quand tu fais un enfant !


    Guy : On va quand même essayer d’analyser ensemble! Au départ de chacune de tes créations, il y a donc toujours une phase d’écriture ?
    Katalin : Oui. C’est une nécessité pour moi. Je prends l’ordinateur et j’écris sur plusieurs pages le pourquoi, comment… Le cas de MILF était typique. J’ai beaucoup écrit, sur la femme, sur la condition de la femme. Daniel Jeanneteau qui m’a soutenue pour cette pièce, me disait que c’était trop documenté, trop théorique, que je n’étais pas une sociologue. Pourtant ça me sert beaucoup, pour digérer, même si j’ai parfois des retours d’interprètes qui trouvent que mes intentions ne sont pas claires. Quand on passe à la création, cette phase d’écriture est finie et je ne reviens pas dessus. J’utilise juste des cahiers sur lesquels je dessine, où j’écris de courtes phrases pour reformuler, pour préciser.


    Guy : Tu me disais, avant de commencer l’enregistrement, que tu cherchais un nom écrit dans ta tête… Tu fonctionnes visuellement ?
    Katalin : Oui, complètement. Si je vois un mot écrit, je m’en souviens. Si on me le dit, il s’efface. J’ai des images mentales de mes mises en scène, et je les travaille. Au départ, c’est venu par le dessin. Aujourd’hui je dessine moins qu’avant. J’ai fait des dessins pour Jeudi -ma dernière pièce- de choses que je n’arrivais pas à expliquer à Justine Bernachon, à Ugo Dehaes. Quand je dis à Justine: « tu vois, on est complétement fondu entre nous… », ça peut lui parler…ou pas. Je me suis rendu compte que pour se faire comprendre des interprètes, il faut des dessins. Peut-être qu’il y a des gens qui arrivent à se faire comprendre sans, ce n’est pas mon cas. Il faut épuiser différents moyens de communication : le dessin, la parole, montrer en live…

    Guy : Tu évoques la difficulté de se faire comprendre. As-tu entendu, sur telle ou telle pièce, des critiques ou des retours que tu as jugés injustes ?
    Katalin : Une fois après une représentation de X’XY qui était l’une de mes premières pièces, un spectateur très énervé avait dit quelque chose d’assez violent comme : « c’est quoi cette femme qui se prend pour égale ou supérieure aux hommes ». Mais en fait, je comprends ce qu’il a voulu dire!

    Guy : C’était violent…. Mais peut-être avait-il bien saisi le fond de ton propos !
    Katalin : Oui. Au début je voulais parler de l’homme dans mes pièces. Mais à l’époque j’étais en rivalité avec les hommes, comme pour prétendre moi-même être un homme. Aujourd’hui j’ai changé, j’ai une position plus clairement féministe, je la revendique.

    Guy : Même si ta position évolue, le thème du genre féminin est présent dans toutes tes pièces. Le plus souvent tes interprètes sont des femmes.
    Katalin : C’est allé crescendo. J’ai commencé par créer un solo pour un homme (Spatialisation sonore pour un danseur), ensuite un duo homme-femme (X’XY), puis un trio avec deux femmes et un homme, qui était donc mis en minorité (Appropriate clothing must be worn), et après, il n’y a plus eu que des femmes. Dans Sisters il y avait six danseuses ; c’était le sommet de la pyramide. Une pyramide un peu croulante. Aujourd’hui encore, on me dit que malgré Sisters j’ai de la chance d’être reprogrammée aux Rencontres Chorégraphiques de Seine Saint Denis pour Jeudi. Mais je ne considère pas Sisters comme un échec, même si l’expérience a été difficile. Et il n’y a que des femmes dans Rock Identity, et dans Milf, Jeudi, mes deux dernières pièces.

    Guy : « Sisters », on y reviendra…. Je repense à « Rock Identity », tu y joues le genre - ou tu te joues du genre - en interprétant des personnages masculins, des légendes du rock, sans renoncer à ta féminité. Par exemple, tu danses Jim Morrison les seins nus. Ramènes-tu ces personnages vers ta féminité ?
    Katalin : Non, c’est plutôt moi qui vais vers leur masculinité. Mais peut-être que cela revient au même. A l’époque, j’étais encore dans une logique de rivalité. Je crois que je voulais montrer qu’une femme pouvait être autant une bête de scène qu’un homme, avec autant de sauvagerie et de charisme. Je pense à mon père, il avait énormément de charisme. C’était un très bel homme. Je veux comprendre le mystère du charisme. Comment on le fabrique, s’il tient à l’individu ? Quelqu’un comme Jim Morrison, au-delà de sa personnalité profonde, réfléchissait à tout ce qu’il allait faire en public. Il sculptait son personnage. Mon père, Ervin Patkaï, était sculpteur. Peut-être que moi-même je fais moins de la danse que de la sculpture en mouvement, à partir de postures…

    katalin patkaï

    Guy : Ton père est mort prématurément, alors que tu étais jeune je crois…
    Katalin: J’avais 14 ans. J’ai fait une psychanalyse, qui n’a rien donné, je pense. La mort de mon père est toujours un sujet très sensible pour moi. Il était un personnage, un immigré hongrois, avec une histoire héroïque. Petite, je ne me rendais pas compte qu’il était beau ; il y avait quelque chose de dérangeant chez lui. Il avait beaucoup d’accent, je sentais chez lui une friction avec la culture française qui n’était pas la sienne. Il m’a transmis le don du dessin, dès mon enfance. Ma mère et lui se sont séparés. Il buvait, beaucoup d’hommes buvaient à l’époque, surtout chez les gens de l’Est, qui ont la main lourde ! Après son décès, ça a été une période très douloureuse pour moi, avec des non-dits dans ma famille. Ma sœur, qui est un peu plus âgée, le jugeait sévèrement. Moi, je l’idéalisais et, de son vivant, j’avais pris son parti ; j’en voulais à ma mère qui était dominée. Je me rends compte que j’étais injuste vis à vis d’elle. J’étais une pré-adolescente et mes rapports avec mon père devenaient compliqués, avec des conflits. Je le provoquais, il me frappait. Je ne voulais pas pleurer et il y allait d’autant plus fort pour me faire céder… Il mangeait des piments hongrois, je voulais l’imiter et ça me brûlait. Il se consacrait tout entier à son travail, comme moi aujourd’hui, mais lui ça l’a détruit. Il gagnait de l’argent avec le 1% des bâtiments publics en réalisant des œuvres dans des établissements scolaires, c’était un plasticien assez reconnu… Moi, je ne gagne pas un rond! Aujourd’hui je continue à admirer mon père, mais je comprends mieux ma mère, une femme effacée. Cependant je ne comprends pas qu’on puisse se sacrifier comme elle s’est sacrifiée pour mon père, au prix de son propre épanouissement.

    katalin patkaï

    Guy : A propos d’équilibre homme/femme, tes interprètes sont donc des femmes mais tu collabores souvent pour la mise en scène avec des hommes: Yves-Noël Genod, Ugo Dehaes, …
    Katalin : C’est vrai… C’est un équilibre. Ugo est mon opposé : aussi carré que je suis bordélique. J’en ai besoin. Je gagne du temps. Cela dit, je suis très contente de MILF que j’ai chorégraphié seule, spécialement de la dernière version présentée au Générateur de Gentilly. Je revendique cette pièce, même si la création a été douloureuse en raison des rapports avec une interprète qui ne comprenait pas mon travail. Peut-être cela aurait-il été moins douloureux si j’avais eu le soutien d’un homme. Mais nous étions quatre femmes et j’étais interprète en plus de mon rôle de chorégraphe.

    Guy : Tu es en train de me dire qu’il faut un homme pour réussir à faire travailler des femmes ensemble !
    Katalin : C’est compliqué ! Je n’ai pas de problème avec la majorité des interprètes. Mais dans le schéma mental de certaines femmes, il faut un homme pour incarner la stabilité, l’autorité. C’est vrai que je suis souvent prise au piège par des interprètes qui me demandent dans quel sens exact je veux aller durant la création, mais je ne peux pas vraiment répondre à ces demandes. Sinon leur relire le texte d’intentions que j’ai rédigé au départ. Je ne parviens pas toujours complètement à les rassurer.

    Guy : On rencontre tous ce problème. Quand je donne des formations, j’incite des stagiaires à trouver des solutions par eux-mêmes en les aidant avec de la méthodologie mais que certains demandent des recettes toutes faites.
    Katalin : Je mène un projet de café associatif à Pantin, j’organise des appels à projets pour des ateliers et des animations, mais j’ai du mal à avoir des propositions spontanées. Je suis obligée de rassurer les participants, d’être plus dirigiste. Parfois au cours de mes créations, j’ai un interprète qui ne rentre pas du tout dans mon travail, qui ne sait pas quoi donner ; c’est douloureux pour lui aussi.

    Guy : J’ai le sentiment que quand tu mets seule en scène, le résultat est plus riche et touffu, et quand tu travailles en collaboration avec quelqu’un qui t’apporte un autre regard, c’est plus concis, resserré, narratif…
    Katalin : C’est meilleur, tu veux dire ?

    Guy : Non, c’est différent. On sent cette différence entre tes deux dernières pièces : « MILF », qui est une pièce très riche, et « Jeudi » créé avec Ugo Dehaes, qui est plus concentrée. Et malgré les digressions apparentes d’Yves Noël Genod sur « C’est par pour les cochons », la pièce est assez homogène.
    Katalin : « Rock Identity » aussi, que j’ai créé seule, est une pièce très rigoureuse… Mais c’est une pièce qui m’a pris beaucoup de temps ! Le dialogue permet d’aller plus vite, éclaire les choses. « Rock Identity » est prêt maintenant. Je l’ai commencée en 2006, rejoué en 2009 à la Loge, Je n’y toucherai plus. Comme les peintres, on est bien obligé de s’arrêter un jour. Pour « MILF », j’étais dans le brouillard, à cause d’une interprète. Aude Lachaise a repris le rôle plus tard, et cette dernière version est à peu près stabilisée. Et Jeudi, c’est fini ! C’est dû à l’efficacité d’Ugo, alors que moi j’aurais toujours voulu rajouter un truc. Cette efficacité, ça me fait du bien!

    Guy : Tu danseras à nouveau des soli sur scène ?
    Katalin : Non… Si, juste un spectacle avec mon fils Ernesto.

    Guy : Ce sera plutôt un duo.
    Katalin : Oui ! Concernant les vrais soli, plus je suis sûre de moi physiquement, à même de comprendre l’aspect corporel des choses, plus je trouve cohérent de faire plutôt travailler les autres. Je commence à mieux voir ce qui est approprié pour tel interprète, jusqu’où il peut aller. Je repense à Marie-Jo Faggianelli, qui est géniale, une grande travailleuse. Elle sait parfaitement quoi obtenir de l’interprète. Elle m’a rendu un très grand service en me faisant danser pour la première fois. Elle m’a embauchée comme scénographe, en 2005, mais elle-même avait tellement d’idées en matière de scénographie que je n’avais rien à lui apporter sinon en tant qu’accessoiriste. Elle m’a alors donné des cours de danse… et ses danseuses sont parties car elle ne pouvait pas les payer, je suis alors devenue son interprète! A l’époque, je menais en parallèle une résidence à « Mains d’Œuvres ». Mon premier projet pour Ugo Dehaes en 2000 avait attiré l’attention. Je travaillais avant comme scénographe en Belgique, où j’avais rencontré Ugo qui travaillait pour Meg Stuart. Je lui avais proposé le projet - Spatialisation sonore pour un danseur - et il avait dit oui ! Il me faisait confiance, j’étais donc coincée et j’ai mis un an à finir le projet. A ma sortie des Arts Décoratifs, j’ai dû vendre une sculpture de mon père pour arriver au bout du projet financièrement. J’ai créé la danse pour Ugo, c’était une chorégraphie peut-être un peu naïve. J’ai aussi créé la bande son. Daniel Jeanneteau a vu la pièce et bien plus tard il m’a accueillie en résidence, c’était une rencontre importante pour moi, il y a de belles rencontres dans ce métier.

    Guy : Que reste-t-il d’une pièce dix ans après ? Que peux-tu me dire de « X’XY», que je n’ai pas vue ? Peu de ceux qui nous liront l’on vue sans doute. C’est le paradoxe de notre discussion que d’évoquer des œuvres qui sont par nature éphémères. Disons que nous en parlons autant pour préparer l’avenir que pour se pencher sur le passé !
    Katalin : C’était une pièce chouette. Un bon cru. Avec une bonne équipe. J’étais insouciante, avec beaucoup de foi en l’avenir. Je dansais avec Mickaël Phelippeau. Nous utilisions une grosse mousse pour décor. La pièce intriguait. Les gens se demandaient qui était cette fille qui se dénudait beaucoup… Il s’agissait pour moi de montrer l’affrontement physique entre l’homme et la femme. A forces égales. J’ai joué la pièce en 2004 à « Mains d’Œuvres », et à « l’Etoile du nord » où Christophe Martin m’avait programmée. J’avais la foi de la jeunesse, aucune timidité, j’étais allée le voir. Je ne connaissais pas encore les codes, les hiérarchies…, les hiérarchies qu’il ne faut pas forcément respecter. Mais ma naïveté avait payé. Ce qui m’a quand même aidé c’est que j’étais en résidence à « Mains d’Œuvres ». Cela rassurait. Maxence Rey, qui s’y occupait de la danse, m’y avait invitée après avoir vu ma première pièce. A l’époque il s’était créé un syndicat des chorégraphes, je n’étais pas très militante, mais j’ai quand même assisté à une réunion. Certains se plaignaient des difficultés pour jouer. Comme j’étais très naïve, j’avais dit « mais non, on est super bien accueilli, il n’y a pas de problème… » Quand j’y repense ! Maintenant je comprends mieux les intérêts des uns et des autres. Pour autant je ne voudrais pas travailler dans un autre milieu. Mais il faut connaitre et comprendre ce milieu pour ne pas être malheureuse.

    katalin patkaï

    Guy : Je n’ai pas d’observation - et pour cause - à propos de la pièce "X'XY", mais on se rattrapera avec la suivante, « Appropriate Clothing» que, pour le coup, j’ai vue. Mais avant de créer « Appropriate Clothing » tu as, je crois, participé à un programme international de performances.

    (A suivre...)

    Propos recueillis au cours de 5 entretiens à Pantin et Paris entre le 4 juin et le 6 novembre 2014, mis en forme par Guy, relus et approuvés par Katalin en janvier 2016.

    Guy Degeorges remercie chaleureusement Numa Sadoul dont les entretiens avec les grands créateurs de bande dessinée l'ont influencé de manière générale et en particulier pour ce projet.

    Katalin Patkaï crée HS (mon royaume sur tes cendres) au Générateur de Gentilly le 8 et 9 février dans le cadre de faits d'hiver.

    http://www.katalinpatkai.com/

    Dans le prochain épisode: Terrains Fertiles- Bucarest-Pattes d'ours- Les chevaux- Appropriate Clothing must be worn- les clubs échangistes- l'humour et le sexe- Hitchcock et De Palma- Plastique et mouvement -Pas de regrets

     photo X'XY (crédit en cours)

  • Etapes

    Heat: fondent-elles, brulent-elles, ou entre deux? Il y a dans ces espaces suggérés quelque chose de subtil à saisir, un décalage. Des gestes qui s'évadent de la normalité. Une tasse de thé incarne le quotidien, mais troublé en lenteur, en toute langueur, par des déséquilibres, des pas de coté. La voix de Janis nous parvient déformée. Je suis sensible à cette perte de contrôle.
    Suivent deux propositions inspirées d'univers cinématographiques: la première consiste en exercices de style, non sans drôlerie. l'ébauche d'Homo Furens, suscité par Full Metal Jacket, bluffe d'engagement physique, et promet par ses ambiguïtés, la construction viendra en son temps.

    Heat (version courte) de Tamara Stuart Ewing, Les déclinaisons de la Navarre (Extrait) de Claire Laureau et Nicolas Chaigneau, Homo Furens (étape de travail) de Filipe Lourenço, le 9 janvier à l'Etoile du Nord -Théatre dans le cadre d'Open Space 4.

    Guy

  • Abus dangereux

    Rediffusion du texte mis en ligne le 29/01/2015. Alcool est rejoué à Confluences du 27 au 30 janvier 2016.

    Voir, écouter une telle performance, c’est déjà s’engager. Nadège Prugnard nous force à regarder le texte en face, alors même que l’actrice nous tourne le dos. C’est que cet Alcool est triste, honteux. Il ne guérit ni ne console, du sel sur les blessures. Cet alcool brule. Rien ne tempère ce monologue de l’ivrogne: un texte âpre et concret, ancré, entier, à forte densité. L’excès à l’opposé du bon gout. Le personnage éructe, beugle, fulmine, invective, se vautre. Il se répand en une furieuse musicalité- en cela l’actrice a du inspirer l’écrivain. Mais il y a plus ici qu’un traité de l’alcool, la performance glisse peu à peu du point de vue du personnage à celui de l’artiste, c’est de mots qu’elle nous invite à se saouler avec elle, l’intime et le politique accouplés. Les feuilles perdues jonchent le sol, ces mots luttent d’une autre manière, sensible et grinçante, contre la douleur et l’insoutenable. D'une manière moins toxique que la boisson, mais loin d'être inoffensive. Cette performance engage donc, loin de l’anodin et du cynisme en vogue, et c’est salutaire. Les temps sont durs et rudes: ce qui est tiède n'étanche plus notre soif de sens.

    na72.jpg

    Alcool de et par Nadège Prugnard vu à Confluences le 23 janvier.

    Guy

    photo de Daniel Aimé avec l'aimable autorisation de la compagnie

  • Le Gardien sans clés

    Il faudrait pour le plaisir, ne revoir la pièce qu'avec les yeux. Le texte du nobel Harold Pinter, ciselé mais ouvert, est avant tout ici bien habité par le jeu. Dans cet espace invivable, encombré de cartons et de projets mort nés, où tout est cassé, Davis- SDF à l'identité floue- est hébergé par deux étranges frères. La mise en scène, cruelle, nous emmène hors des leurres de leur langage, pour montrer l'âpre évidence des luttes de territoire, dans toute leur physicalité. Les enjeux dits - d'absurdes histoires de gardien, de cabane à construire, de maison à rénover... - se perdent dans l'indéfini. Ainsi en va-t-il de la vanité des entreprises humaines. Le pitoyable, et peu sympathique, Davis parle beaucoup pour tenter d'exister, joue et perd, se perd dans la relation entre les deux frères, entre leurs deux polarités: dominant, dominé. Aucune interprétation n'est imposée ici, mais mais sans doute rien ne changera jamais, la radio cassée comme l'un des frères, le sceau au plafond qui se remplit sous la fuite. Avec habileté, rien n'est clair ici, mais l'essentiel est dit.

    harold pinter,manufacture des abbesses,eric supply

     

     

    Le Gardien d'Harold Pinter mis en scène par Eric Supply, vu le 15 janvier 2016, à la Manufacture des Abbesses.

    Jusqu'au 24 janvier

    Guy

  • Voeux de bonheur

    Nous avons poussé les meubles et mis les boissons au frais, fait place nette pour les 30 invités, improvisé des banquettes avec lits et matelas. Et gardé juste la place pour les artistes qui se préparent: Stéphanie s'approprie le piano, Marie place les lumières, elles répètent quelques mesures des chansons. Marie avait conçu ce spectacle avec Stéphanie à la demande d'une médiathèque, pour la création le 14 novembre 2015. Le 13 novembre tout s'arrêtait, la première était bien sur annulée. De mon coté je ne suis depuis ce jour retourné au théâtre que 2 fois- dont une rue de Charonne- sans écrire une ligne. Mais ce soir, pas d'état d'urgence et remise à zéro, pour la nouvelle année. Le théâtre revient, elles jouent chez nous et la création est titrée "Rien que du bonheur?".
    Marie.PNGLes invités arrivent à l'heure dite, groupés et bras chargés: amis, voisins et futurs amis, dans une confusion plus ou moins contrôlée. Je pensais impossible de tous les faire assoir dans nos m2 parisiens. Je me trompais. Les premières mots et notes prennent place naturellement, sans laisser le temps à un 4° mur de se dresser. Où donc se cache ce bonheur dont tout le monde parle et qui se sauve, est-ce un cadeau, se mérite-t-il? Avec nous Marie cherche, de textes en textes, graves ou rieurs. Il y a au départ autant d'étonnement de la situation, sans barrière, que de plaisir à vivre ce moment. Un rien de timidité. Je devine du rire dans les yeux d'une jeune fille. Je vois un ami sourire en reconnaissant une chanson. Piano échauffé, les voix de Marie et Stéphanie se fondent. Marie nous transmet son énergie, vient à la rencontre, nous fait pétiller, ouvre. Le temps d'un texte jeté, hurle au mégaphone, entraine une amie dans une danse effrénée. Elle nous invite à nous bander les yeux, nous abandonner à l'unisson à d'autres rêveries.
    Et après, banquettes rangées, vient le temps de boire et rire, danser, s'embrasser à minuit. En 2016 tout est possible, tout est permis.
     
    Rien que du bonheur, de Marie Delmares accompagnée par Stéphanie Manus, chez nous le 31 décembre 2015.
     
    Guy
     
    pour inviter le théâtre chez vous: http://www.mariedelmares.com/