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  • Métamorphoses

    Merci à François Pluntz pour ce texte:

    Tout en présentant pour la première fois une pièce en duo, avec Alessia Pinto, Sofia Fitas poursuit le chemin entamé dans ses œuvres précédentes, avec constance, cohérence et une profonde intégrité.

    Dès les premiers instants d’Experimento 4, je retrouve les éléments de son langage chorégraphique aperçus dans la pièce Que Ser ? Corps sans tête, emballés dans des vêtements sombres, figés dans leur obscure verticalité forestière. Timides rayons de lumière, vecteurs de mon regard ainsi aimanté en direction des mains et des doigts que l’imagination ne tarde pas à voir aussi bien en excroissances morbides et monstrueuses qu’en protubérances végétales ou coralliennes. Le corps ne se dévoile pas. La seule chair humaine offerte au regard est celle de ces quatre mains, qui soudain surgissent du noir dans un éclair incertain ou apparaissent au détour d’une épaule ou d’une hanche dans un mouvement aussi lent que celui d’un soleil levant. Chez Sofia, le visage n’existe pas, comme pour interroger une autre façon d’être homme ou femme, sans celui-ci.

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    Peu à peu les deux troncs humains, plantés à une distance respectable l’un de l’autre, abandonnent leur rigidité immobile ;  ça s’électrise, ça ondule, ça spasme. Sons épileptiques en accord. L’énergie sort de ces monolithes en saccades. Et ça se calme.

     Se produit alors ce que je n’avais pas vu dans les pièces précédentes de Sofia : le déplacement. Rien d’aérien néanmoins: écrasées par le poids de la gravité, les deux créatures devenues insectoïdes, rampent et se translatent avec lenteur vers leur point d’intersection. Elles se rejoignent, s’accouplent, fusionnent et donnent naissance à une nouvelle créature qui se fige, statique. Elles finissent pas se détacher l’une de l’autre pour repartir seules vers leur point d’origine, en ondulations reptiliennes.

    L’accompagnement sonore introduit les bruits de la mer et de ses vagues infinies (Mar Português ?) ou les sourds grondements telluriques d’un volcan en germe. Il renforce la puissance poétique de la pièce qui me laisse face au sentiment d’assister à la naissance du monde. Je remonte l’échelle du temps, là où terre et eau n’ont pas encore bien choisi leur territoires respectifs ; là où apparaît la vie et là où elle se transforme peu à peu, source de toutes les métamorphoses possibles, là où le minéral, le végétal, l’animal se mêlent encore dans un magma indistinct et provisoire, d’où un jour émergera l’humain.

     Dans une absence totale de procédés spectaculaires et aguicheurs, Experimento 4 nous transporte dans le monde des origines et nous met face au devenir incertain d’un vivant en transformation permanente. Les procédés employés plutôt minimalistes forcent à l’attention: la force d’évocation de la pièce n’en est que plus remarquable.

    François

    Experimento 4 – version courte, de Sofia Fitas, interprétation Sofia Fitas et Alessia Pinto, vu le 22 mars 2016 au théâtre le Colombier de Bagnolet, dans le cadre du festival Les Incandescences

    Photo de Ségolène Gessa avec l'aimable autorisation de la compagnie

  • HS (Épilogue aux entretiens avec Katalin Patkaï)

    Quand Katalin Patkaï crée HS en février dernier au Générateur, il me faut un peu de temps pour prendre conscience qu'il s'agit en un sens de la conclusion de nos entretiens initiés pas loin de deux ans auparavant. Je me demandais pourquoi cela avait pris tant de temps, même après sur des heures d'enregistrements plus d'heures encore de transcription, de collage et de rédaction pour tenter d'être plus fidèle que le texte. Puis le projet qui reste en pause, passé en arrière-plan des vies et envies de l'une et de l'autre. Enfin à l'approche de la création d'HS, K. qui revient, relit et corrige sans rien censurer, juste les formes et rien du fond. Car il y avait là pour elle bien plus qu'un moyen de promotion: une nécessité de sincérité qui tenait à la pièce ... Plutôt j'ai pris conscience que les entretiens en constituaient la préparation. Non seulement parce que cette pièce en gestation, K. m'en parlait tout au long des entretiens, même quand nous n'avons pas Ernesto dans les pattes. Non seulement en raison de la logique qui venait peu à peu au jour dans ce cheminement artistique, partant des pièces au sujet du genre, des femmes, des mères (M.I.L.F.), de l'innocence (Jeudi), jusqu'à l'aboutissement d'aujourd'hui. Je comprends maintenant que parler sans retenir faisait partie du travail de création d' HS. Il fallait ce temps là. Ce que K. livre sur scène avec cette pièce est la chose la plus intime qui soit: le fruit de sa chair, et l'amour le plus absolu qui puisse exister. L'enfant. La mise en scène, les textes, la drôlerie, ne peuvent faire diversion, masquer ce fait. Le travail de mise en scène est ici nécessaire, il n'est pas essentiel. Ce travail dessine juste un cadre autour de ce qui est important, au vrai travail, celui de l'accouchement. L'enfant chahute, s'échappe des jupes de sa mère, prend son vélo, roule son chemin autour de nous et fait exploser le cadre de la scène. Il grandit déjà et bientôt cet instant ne sera plus. Ni la pièce. Tout fuit, incertain. C'est cela le plus important et après cela il n'y a plus de secret qui tienne en paroles, ou sur scène K. où ose, dit son age- plus fort que de se mettre à poil- parle de son père. Des proches la lisent et la comprennent mieux. De mon coté, il me faut un peu de temps. Attendre quelques semaines plus tard, de revoir K., et comprendre. Sans doute comprend-elle de son coté qu' HS, dans sa radicalité, comme un don impudique qui porte en lui sa fin, sera peu compris. Mais il suffira qu'il soit assez aimé.

    HS créé par Katalin Patkaï le au Générateur de Gentilly dans le cadre de Faits d'hiver, sera joué à nouveau au Regard du Cygne le mardi 22 mars à 14h30 dans le cadre du festival Signes de Printemps

    Guy

  • L'imitation des saints

    L'effet le plus troublant, même avant l'in-actualité du sujet, c'est déjà de ne pouvoir savoir à quel degré recevoir ces exercices d'hagiographie, sucrés-salés, entre canon et irrespect. Il y a ici des signes de grand sérieux: Christine Armanger fait preuve d'une érudition sans fautes dans ces récits très incarnés des martyres de Sainte Agathe et Saint Sébastien (à cette étape). Et d'un coté la chair est intensément engagée dans l'imitation, avec flèches et tenailles, de l'autre les vidéos tutorielles témoignent d'une délicieuse désinvolture, détachée. Ou est ce de la pudeur? On flotte dans les zones frontières entre sacré et érotisme. Modernité et tradition. Déconstruction et réenchantement. Ça sent l'encens. Et le parfum également?
    Je ne poserai pas de questions à Christine Armanger, de peur qu'elle me réponde. On y croit, ou non. Certains mystères ne doivent pas être éclaircis. On la prie juste de continuer.

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    Edmonde et d'autres saint(e)s de et avec Christine Armanger,  étape de travail vue à Micadanses le 16 mars 2016

    Guy

    Photo de Salim Santa Lucia avec l'aimable autorisation de la compagnie.

  • Tirer le fil

    Tout est là, sur le plateau tel qu'en pensées, et en apparent désordre: vêtements, livres (beaucoup), accessoires et fleurs séchées, et souvenirs invisibles. Tout sera utile, ou non. Ou une autre fois. Cette conférence dansée évoque le flou du sensible, ce qui est fragile, qui va et revient, les extases possibles, le temps qui s'étend de la création. Elle ouvre un livre, lit un texte, regarde une image et en libère un geste. La danse émerge de l'informulé des inspirations, les pensées se matérialisent. Le corps s'autorise, la chorégraphe se cherche dans l'espace, erre et explore, une musique exaltée l'emporte. Le mouvement juste vient.

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    Tressage de Gaëlle Guéranger, vu en présentation professionnelle à Micadanses le 8 mars 2016.

    Guy

    Photo par Aurore Monvoisin avec l'aimable autorisation de la compagnie

  • Faisons-nous peur

    A-t-on vraiment eu peur, comme il était promis sur l'affiche? On a en tout cas beaucoup rit, ce qui revient un peu au même. Stéphane Azzopardi ne lésine sur rien, avec le même abattage que dans le trépidant Tour du monde en 80 jours. Il pose une intrigue archétypale qui rassure (légende, adultère, accident, culpabilité, malédiction, folie, sacrifice, rédemption) et secoue avec le rythme, les effets et les retournements de situation. 4eme mur explosé, spectateurs figurants, accident de voiture, tour de magie, accessoires qui prennent vie, apparitions et disparitions.... tout y est, et en 3 D. En bicyclette, si on s'arrête de rouler, on tombe: donc ici jamais de décélération, les personnages bondissent de lieu en lieu et de scène en scène en traversant les éléments du décor tournant. C'est la grande réussite de ce théâtre d'emmener en instantané et en toute lisibilité les spectateurs enthousiastes dans ces imaginaires en mouvement.

     

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    La dame blanche de de Sébastien Azzopardi Et Sacha Danino , mise en scène : Sébastien Azzopardi  vu le 1er mars au théâtre du Palais Royal.

    Guy

  • Le jaune et le blanc

    Je retrouve ici à ce point de son avancée un même projet, mais ce soir d'une autre manière, allant du rouge d'avant au blanc, du clair obscur à la pleine lumière, de la chair à l'épure, de la suggestion à la démonstration. Camille Mutel, d'évidence, poursuit dans ses pièces la recherche asymptotique des zones dérobées de l'érotisme, se confrontant à la possibilité, ou non, de représenter le désir jusqu'à son assouvissement. A cette étape, loin de l'onirisme d'Etna- dernière pièce en date- l'audace suit d'autres chemins. La proposition de ce soir fait tout autant écho au travail récent de la chorégraphe dans le cadre de (Nou) dirigé par Matthieu Hocquemiller qu'à ses propres créations. Le décor mental du Japon est posé, non seulement par les images urbaines d'Osamu Kanemura, mais dans le mode même de la pièce, sa respiration. Est-ce ici le pays de Mishima plutôt que celui d'Hijikata? La rencontre des deux corps dénudés des danseurs se tente dans un cérémonial érotique méticuleux, qui épuise tous les usages que l'on peut faire des œufs. Étrange alliance de crudité et de délicatesse, que la voix inattendue, organique, d'une chanteuse vient troubler à contre courant. Je songe aux créations précédentes, et aux sentiments d'irrépressibles surgissements qu'elles inspiraient, et je reviens ici face à une proposition plus mise à distance, plus cérébrale, mais qui appelle à la connivence. Le travail se donne à voir: travail sur le temps étiré du rituel avec la préparation minutieuse des accessoires, travail sur l'espace et la lumière, qui souligne le vide consistant entre les êtres jusqu'au rapprochement des dermes, travail sur le mouvement des 2 corps qui matérialise les dynamiques de l'attraction, de l'hésitation et de la rencontre. Le jeu de correspondances est dense: rencontre du masculin et du féminin comme du jaune et du blanc de l'œuf, symbolisme de cet objet et évocation de l'oiseau dans la danse, rôle détourné du chant qui relaye l'indicible....

    Je vois là un objet artistique neuf et surprenant, beau et glacé cependant, qui ose mais en inspirant un sentiment de contrôle. Qui me paraitrait presque trop sérieux s'il n'y avait dans l’œil et sur les lèvres des interprètes cette étincelle de plaisir et d'ironie.

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    Rencontre avec Camille Mutel autour de la création Go, go, go, said the bird (human kind cannot bear very much reality) from micadanses - Faits d'hiver on Vimeo.

    Go, go,go, said the bird (human kind cannot bear very much reality de Camille Mutel , vu le 8 février au Générateur de Gentilly avec le festival Faits d'Hiver.

    Guy

    photo de Paolo Porto avec l'aimable autorisation de la compagnie