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  • Histoires de familles

    Est-ce politique? Oui, non, peut-être… (Moi je dis d’abord: et après ?) Mais la spectatrice avec qui nous discutons à la sortie de ce triptyque est dépitée, aurait voulu un théâtre plus proche de ses attentes (je comprends: de l’actualité). Certes, la troisième pièce, encore en construction, ramène l’héritage des acteurs de mai 68 à une affaire de famille. De même que les personnages de Brecht, auteur pourtant politique par excellence. Mais ne s’agit ‘il  pas ici d’une noce, avant tout? Quant aux personnages écrits par Largarce, tout à leurs relations sentimentales déçues, peut-on les faire vivre autrement?  

    Théâtre distancié ou incarné, mon propre plaisir est de recevoir le texte, d’abord celui de Brecht, vivant et de plein pied. Les acteurs s’agitent autour de la table de la Noce, avec un naturel aussi drôle et travaillé que celui des chiens de Navarre. L’énergie semble plus collective que dirigée, comme dans la confusion du quotidien. On rit, on danse, on boit, on fume. On s’aime ou l’inverse. On vit, au premier degré. C’est la fête, alors il faut s’amuser. Mais que peut-on bien faire, quand on est fatigué de danser, ou d’écouter les anecdotes éculées du père? Ce ne sera pas le plus beau jour de la vie de la mariée, bien sûr. Plus les bouteilles se vident, et plus les jalousies, haines, concupiscences et mépris percent sous les convenances. Les meubles de l’appartement du jeune couple se cassent les uns après les autres sous les assauts des invités, comme pour dénoncer la fragilité de leur union et des apparences qu’ils voudraient sauvegarder. Autant pour la recherche du bonheur. Au moins les mariés prennent-ils une (brève) revanche sur la société dans la réconciliation des corps…

     

    La Noce danse recadr├®e.png


    L’étude de caractère de Brecht est recadrée sans distorsion dans les seventies, avec E.L.P. sur la platine et fringues de rigueur. Mais l’action des Derniers remords avant l’oubli (1987) de Lagarce semble se dérouler un siècle plus tard. Plus question de se marier en robe comprimant une maternité honteuse, l’heure est déjà à la recomposition. Drôlement, les mêmes acteurs et actrices jouent les mêmes couples mais de personnages différents, qui ne souffrent plus de la même naïveté. Ou qui, sous notre regard, sont naïfs bien différemment même s’ils sont conscients d’eux-mêmes. L’énergie du jeu reste présente, en est tempérée. Pèse sur la pièce le poids insupportable d’évènements passés. Les années d’amour et d’amitié partagées autrefois dans cette maison de campagne par trois personnages, depuis séparés, maintenant inconciliables, entre indifférence et inimité. Pour des histoires d’argent et pour quelques heures, ils doivent se supporter. Mission impossible, ils gâchent le temps à ne pas dire, tenter de définir et dépasser leurs relations, seulement  pour prouver aux autres qu’ils sont incapables de changer, sous le regard impuissant des pièces rapportés, de facto hors du jeu. Mon plaisir là est surtout est de ressentir toute la force du théâtre pour montrer avec évidence des gens qui disent une chose et en pensent une autre…

     

    DERNIERS REMORDS_┬®sabine bouffelle_1480.jpg


    La famille en action dans la troisième pièce, une création collective en cours, trouve son ascendance en Mai 68. Le langage est plus contemporain, les liens familiaux plus complexes, la dynamique semble être portée par les retournements entre conservatisme et libéralisme… et le reste est venir.

    Ce théâtre parle de la famille, bien sûr. Est-il politique ? Je ne sais pas. Il semble se créer plus dans une dynamique collective qu’autour d’un propos prédéterminé. A chacun de se l’approprier. Mais au-delà du grand plaisir qu’il m’inspire dans l’instant, j’y trouve un peu matière à repenser ce qu’est et devient la famille, loin des slogans et manifestations, à l’heure où le politique s’en saisit pour faire évoluer la loi.

    C’était La Noce de Berthold Brecht, Dernier Remords avant l’oubli de Jean Luc Lagarce et Nous sommes seuls maintenant, du collectif In Vitro, mis en scène par Julie Deliquet.

    Vu au Théâtre de Vanves , et à revoir le 4 fevrier 2013.

    Guy

    photos avec l'aimable autorisation du théatre de Vanves

     

    Lire aussi: Rue89 et Le Souffleur.

     

  • Avec Bertolt Brecht, le blogueur se dédouble

    Merci au Tadorne, c'est un animal d’une espèce très sociable, qui vous accueille volontiers sur ses territoires, qu’ils soient virtuels, ou bien terrestres. Comme ce soir à la Joliette, pour une fois l’air de Marseille y flotte aussi doux qu’à Lisbonne. Le long du port ont été abattus les taudis, et des tours surgissent de terre. La Minoterie résiste à la démolition pour perpétuer ici une mémoire de pierre, de bois aux couleurs chaudes et de théâtre populaire. Un lieu, forcement, pour jouer Brecht.

    Comme son titre ne l’indique pas, « La bonne âme du Se-Tchouan» est une pièce écrite en Finlande par un écrivain allemand en partance pour Hollywood. Et l e s chinois ont ce soir un accent provençal prononcé. On en conclut que la fable racontée ici a valeur universelle. Qu’en tous temps il est tout sauf évident de choisir entre le bien et le mal, lorsque l’on est d’abord contraint par la misère. Confrontée à ce problème, Shen Tsé, pauvre prostituée au bon cœur que les Dieux ont soudain gratifié d’un joli pécule, a trouvé une stratégie. Pour garder les moyens de faire un peu de bien, elle se dédouble en un cousin aussi imaginaire qu’impitoyables en affaires. Et lui cède la place, quand il s’agit d’assumer de dures positions à l’encontre de tous les miséreux qui s’abattent sur ses dollars comme une nuée de sauterelles.

    618037503.jpgCe dédoublement de personnalité, source d’inépuisables rebondissements, en évoque un autre: celui qui affecte le Maître Puntilla du même Brecht. Le meilleur des hommes quand il est ivre, le pire des patrons quand il est à jeun. Dans les deux pièces la leçon est la même: impossible de concilier morale humaine et propriété privée. Mais la comparaison entre la version qu’ Omar Porras avait donné de Puntilla en janvier dernier au théâtre de la ville, et la Belle Ame que l’on voit ce soir, embarrasse. Toute l’énergie semble ici se disperser dans les transformations successives du décor, un superbe ensemble de palissades de bois que les acteurs ré-agencent en de nouvelles combinaisons scène après scène. On est vite étourdi par cet incessant jeu de construction, sans réussir à comprendre ce qui est mis en place. Alors même que quelque chose ne semble pas décoller suffisament, dans l’interprétation. C'est que le catéchisme social du lauréat du prix Staline 1955 se fait pesant à la longue, il aurait fallu mettre en jeu beaucoup (et à la fois) de folie et de précision pour le faire passer en force. Et réussir un équilibre plutôt antinomique entre empathie et cynisme. Mais ici on décroche. Distancié pour de bon, trés loin. Et toujours le décor n’en finit pas de se transformer, en vain, fait écran. L’encombrement de l’espace visuel nous épuise les yeux, au détriment du reste. L’affaire dure quand même deux heures trente, et on sent le Tadorne –qui pourtant a couru de bien plus longs marathons- piquer du nez à nos cotés. Réveillé par des interludes dissonants façon Kurt Weil, joliment soufflés par un trio de cuivres (il faut bien un peu meubler pendant que les palissades sont démontées). On est surpris de sentir soulagé à la dernière scène, alors seulement quand le plateau est nu et l'esprit dégagé. On se lève, et –surprise ?- c’est à la pause que le meilleur théâtre fait irruption. D’un coup le Tadorne est bien reveillé. On lui rend la parôle...

    Je n’ai même pas le temps d’applaudir. La troupe démonte le décor, le plie, le case, le reconstruit. En un tour de magie (celui du théâtre !), les comédiens tombent leurs tuniques chinoises pour se vêtir de costumes de mariages. Alors que des salariés du Théâtre de la Minoterie apportent quelques friandises (savoureux sushis et autres combinaisons de fruits), nous voilà projetés dans l’opulence des bourgeois. Les artistes s’approchent pour nous parler et nous inclure dans un jeu de rôles étonnant où l’on couve le spectateur pour éviter qu’il ne se tire après les deux premières heures (décevantes) de la « Bonne ame du Se-Tchouan ». Le moment est délicieux, comme suspendu entre fiction et réalité. Après un quart d’heure, nous devons  redescendre sur la terre brechtienne pour « La noce chez les petits bourgeois ». Le théâtre n’attend pas.

    La table du banquet de mariage est immense. Seraient-ils treize que cela ne m’étonnerait pas. Les insultes volent haut et bas, tout dépend d’où l’on regarde. Les costumes en couleurs forment une mosaïque d’humeurs où je me surprends à faire des combinaisons parfois hilarantes pour ne pas perdre le sens. Cette pièce, écrite par Brecht avant l’arrivée du nazisme, transpire la déchéance à l’image de ces meubles de salon qui s’émiettent comme autant de valeurs qui finissent sous le tapis une fois fait le ménage des convenances. Je ris, mais le niveau de tension est paradoxalement assez bas et la mise en scène de Haïm Menahem met à distance le contexte de l’époque. Il n’en profite d’ailleurs pas pour actualiser le propos, préférant s’en tenir aux bruits, à la fureur, aux corps désarticulés comme langage d’un groupe social à la dérive. Certes, mais le tout me paraît distancié à l’image de cette table qui nous éloigne, comme si Haïm Menahem semblait gêné par toute cette opulence de mots et de corps et pour tout dire un peu dépassé par le chaos généré par sa mise en scène. Cette frénésie qui n’autorise aucun temps mort ouvre le champ aux comédiens pour déployer leur talent quitte à laisser le public sur le côté. Étrange paradoxe que d’assister à ce mariage en lointain spectateur.

    J’aurais bien aimé que l’on ne m’enlève pas le pain de la bouche

    C'était, de Bertolt Brecht et mis en scéne par Haïm Menahem: La Bonne Ame du Se-Tchouan (raconté par Guy) et La Noce chez les Petits Bourgeois (raconté par Pascal Bely).

    On peut tout relire, ici!

    Au Théatre de la Minoterie,  jusqu'au 17 mai.

  • Brecht avance masqué

    Peut on assister à une pièce de Brecht sans s'empoisonner d'avance l'esprit avec la sempiternelle question de la distanciation? Avec plus d'appréhension encore dés lors que l'on comprend que les comédiens porteront des masques.... 8f57b96b98c3895337088b19daab9011.jpgMais on oublie toutes inquiétudes dix minutes après le commencement, juste le temps de se souvenir que cette fameuse distanciation brechtienne ne fût sans doute à l'origine appliquée que relativement, même à en relire Roland Barthes. Qui voyait dans le théatre de Brecht un art permettant un certain recul permettant des prises de conscience, non un art froid et désincarné. Mais peut être ce débat est il oublié, et si les acteurs portent ce soir des masques, c'est qu'ils jouent une farce. Dans une tradition de comedia dell'arte. Avec un esprit de caricature, des voix déformées, des costumes bariolés, des accessoires loufoques, des courses, des chutes et des chansons.

    La farce est toute au service d'une morale sociale, on s'en serait douté. Le patron Puntilla, quand il est soul, est le meilleur des hommes. Quand il est saoul seulement. Car à jeun il redevient ce qu'il est simplement: un patron. Capable de tout, et seulement du pire évidemment. Le truc du personnage à la double personnalité, source de riches péripéties, ne devait pas être nouveau même len 1940 lorsque la pièce fût écrite. Mais il prend ici une signification trés politique: on aura beau être un homme bon, on sera toujours un mauvais patron. Le plus surprenant avec Omar Porras est que l'exposé de cette dialectique n'est jamais pesant ni ennuyeux. L'énergie tornadesque ici mise en oeuvre, avec une précision vocale et chorégraphique sans défauts, permet que les opposés se recontrent. Après 2H20 de beau spectacle, on est devenu marxiste à 100 %, et tout le peuple du Théâtre de La Ville à nos cotés. Quand bien même, on ne peut être insensible à l'éternelle actualité du texte. Le Valet Matti en conclusion appelle de ses voeux des temps heureux où chacun sera son propre maître. On peut attendre longtemps.

    C'était Maitre Puntila et son valet Matti de Bertold Brecht, mis en scène par Omar Porras, au Théâtre de la Ville.  Avec Jean-Luc Couchard (Puntilla) et Juliette Plumecocq-Mech (Matti), etc... Complet jusqu'au 26 janvier.

    Guy

  • Carnet de Baal

    Et si le meilleur de Bertolt Brecht (1898-1956), c'était Kurt Weil? Même si Baal (1919) montré ici est une oeuvre de jeunesse, avant l'Opéra de Quatre Sous.Mais ici déjà, ou rajoutés après, beaucoup de chansons tristes, des complaintes de cabaret medium_file_155_big_gaff_baal.jpgque Kurt Weilaurait pu composer, style spreech-gesang décadent, des histoires de filles perdues mais pieuses et de marins. 

    Mais qui est Baal? Cela serait trop long, trop fastidieux à expliquer. Disons seulement que sur scène il y avait une douzaine d'acteurs, et deux musiciens, un dispositif scénique impressionnant: à gauche de la scène, enchevêtrés, un bistrot et son comptoir, une chambre, un grand mur tagé- pas celui de Berlin-, une cabine téléphonique, un piano, une batterie, une baignoire, un lit, un banc public, un salle à manger, à droite un grand espace vide où errer, bref beaucoup de moyens et de budget pour du théâtre social. Mais un théâtre- de quelle couleur, celui là ?- qui a le bon goût ce soir de ne pas trop se prendre au sérieux, le jeune Bertolt n'était pas encore devenu tout à fait Brecht en 1919, et le metteur en scène -  Sylvain CREUZEVAULT- a refusé de prendre en compte les versions postérieures de la pièce.

    Il reste aujourd'hui de l'essai un peu incohérent- juxtaposition de scènes- juste ce qu'il fautd'outrance, de provocation-tant pis pour le premier rang-, de grincements, de sauvagerie, de confusion, de grotesque et de débraillé. On rit beaucoup, potentiellement, enfin pour peu qu'on puisse en juger au vu d'une première partie seulement (non pas qu'on se soit vraiment ennuyé, mais trois heures et demi c'était beaucoup trop long, biologiquement, et il y a a nouveau demain Moeno).

    A voir encore beaucoup de soirs au Theatre de l'Odeon - Ateliers Berthier. Pas la vraie salle dans le quartier de l'Odéon mais l'atelier réformé, boulevard Berthier. C'est à dire la salle où le théâtre de l'Odéon s'était réfugié les années quand l'Odéon- le vrai- était en travaux. Et qu'ils n'ont pas voulu ou osé fermer quand l'Odéon a rouvert à nouveau. On en parle, c'est Baal au Festival d'Automneet c'est plein à craquer, évidemment.

    Guy