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  • Aux Antipodes

    C’est la question du regard posé sur l’artiste étranger. Le considère-t-on en fonction de son héritage culturel, ou selon son universalité qu’il porte? Faits d’hivers invite cette année des chorégraphes d’Australie, avec la complicité d’Angela Conquet. Mais sont-ils représentatifs des courants qui traversent leur pays, ou le choix de la programmation répond-il à nos attentes de public parisien ?

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    Phoebe Robinson, l’interprète de Transit de Sandra Parker, s’installe en donnant l’impression d’être nulle part, donc partout chez elle. Avec des gestes à l’affut, qui se cherchent, comme pour se saisir d’instants cachés. Explorations de soi de la pulpe des doigts, vers le front, la main, le bras: le corps se mesure à son envergure, se définit, se réarticule. Je suis étonné de la pulsation impalpable mais si présente qui règle ses mouvements. Les yeux aussi, intenses, semblent en recherche. Sur l’écran derrière elle les nuages passent et restent le gris, le bleu. Comme chez nous, comme ailleurs. La danse s’interroge encore dans une douce solitude. Apparait alors l’image d’un arbre aux antipodes. C’est un contexte, presque déjà d’un continent, au son d’une musique de pionniers. Les mouvements se taisent, le corps est coi, ils reprennent, cassés. Je vois des mouvements universels, mais aussi un dialogue avec l’immensité autour d’elle, dans un pays à explorer.

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    D’où semble venir Matthew Day, peroxydé des cheveux aux baskets? Il s’agite de mouvements répétitifs, les muscles pris de tremblements nerveux, s’installe dans un inconfort instable. Je retrouve dans son opiniâtreté à s’écarter des chemins bien tracés et à rendre au corps son étrangeté la même obstination sourde que met en œuvre la portugaise Sofia Fitas. D’une position tordue à l’autre, dans un parcours malade, les transitions sont imperceptibles. Il joue avec nos nerfs, on comprend qu’il n’y pas d’issue, sauf à ce qu’il nous entraine dans sa folie. Il nous fascine et nous enferme. Abstraite des grands espaces, la danse se concentre dans la psychée.

    C’était Transit de Sandra Parker avec Phoebe Robinson et Cannibal de Matthew Day, vu à Micadanses dans le cadre du festival faits d’hiver.

     Guy

    Photos d'Almory Culvenor (1) et d'Heindrun Lohr avec l'aimable autorisation de faits d'hiver.

     

  • Noir, est-ce noir?

     

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    Noir ce n’est pas noir (c'est argenté peut-être ?), les corps se dessinent par reflets, la matière s’efface et que reste-t-il? Les êtres? Je vis une expérience sensorielle singulière. Au commencement, l’obscurité est parfaite, tous repères dissous, aveuglés vers l'infini. C’est une mise en condition. Il est ce soir utile de renoncer à voir, désapprendre et mériter ensuite. Patience. Les danseurs se laissent juste deviner. Ils s'extraient du néant. Même plus de lumière plus loin, ils ne seront jamais vraiment révélés. Sinon en négatif au sens photographique du terme. Comme à travers un miroir, couleurs inversées. Une huile noire recouvre seule les corps, recouvre le plateau, recouvre tout. Ces corps m’apparaissent donc comme jamais, c’est-à-dire à la fois irréels et précis, leurs formes magnifiées. Une évidence oubliée revient au jour: on ne connait jamais la réalité de la matière mais ce que nous en renvoie la lumière. On croit voir la surface mais sans connaitre l’intérieur. Ils viennent donc d’ailleurs, étrangers, fascinent et inquiètent. Ils viennent d’un passé très lointain, ou de plus loin encore. Metalliques, extra-terrestres. Leurs mouvements me saisissent, et la danse n’est pas le propos. Je vois migrations et malédictions, errances. ils se dorent, glissent sur l’huile noire, spectaculaires. Est-ce une facilité? Je préfère me dire que de cet autre côté, les lois de la gravité n’ont plus court. Ni la raison. Dans cette perte d’équilibre et de contrôle, crescendo sous les flashs, je vois violence et sauvagerie, désir et impudeur, les corps luttent, se portent et se mêlent. Le recit est trouble, incertain, j'en suis presque insatisfait, mais perçois les échos d'une  histoire sous une forme que ni film ni photos ne pourraient capturer, les mots un jour peut-être. Il y a tant à faire ce soir avec l'obscurité et ces corps qui y sont livrés, et pour nous tant à deviner. Je vois cette pièce comme un commencement.

     

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    C’était Bouncing Universe in a Bulk d’Eric Arnal Burtschy, au théâtre de Vanves dans le cadre d’Artdanthé

    Guy

    Photos de Laurent Pailler avec l'aimable autorisation du théatre de Vanves

  • Observations de l'humanité

     

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    La Sombre Sautillante est une clocharde, elle est une princesse, un enfant.

    La Sombre Sautillante bondit hors des cases, des classifications, et de près nous ressemble.

    La Sombre Sautillante chevauche dans les rues un matelas en mousse.

    La Sombre Sautillante voit notre monde en évidence: le papier des magazines, l’amour sur le visage des stars sur les affiches, le monde pour ce qu’il est et ce qu’il semble.

    La Sombre Sautillante pleure sur la musique d’Aretha Franklin, danse avec celle de Peggy Lee.

    La Sombre Sautillante, naive et burlesque, finit par exister.

    La Sombre Sautillante vit avec une bassine de matière plastique rose.

    La Sombre Sautillante vagabonde dans les rues, entre scène et écran.

    La Sombre Sautillante pourrait sembler désœuvrée, mais c’est une œuvre à elle toute seule.

    La Sombre Sautillante est en fait très occupée, d’une toute petite voix.

    La Sombre Sautillante solidifie, casse la mélancolie.

    La Sombre Sautillante nous fait voir l’humanité.

     

     

    La Sombre Sautillante, conçue et interprétée par Isabelle Esposito, vue à l’espace 1789, s’est installée jusqu’au 10 février au Grand Parquet

     

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    Guy

     

     

    Photo d'Igor Gabolovki

     

  • Pour qui sonne le glas

    La salle est bondée, surchauffée. Arrivé peu avant l’heure je ne trouve à me placer qu’au fond tout en haut de la salle, en point de vue neutre, détaché. Mais l’’attente collective me rend nerveux, cette fébrilité.

    Le tambour sonne monocorde, lourd. Des silhouettes apparaissent et arpentent la scène d’avant en arrière, avec gravité et sans affect, sans marques d’individualité. Inexpressives. Elles se succèdent les unes aux autres, répètent les mêmes parcours. J’imagine des soldats, des prisonniers dans une cours de promenade. Leur nudité se porte comme un uniforme. La lumière blêmit les corps. Ils se dupliquent: 6, 9, 18, ni seuls ni ensemble, mais chacun asservi à un ordre invisible, à un mouvement perpétuel, comme des machines dont on ne sait si elles ressentent. Le nombre et la coordination impressionnent. Mais vus de si haut, de si loin, depuis une heure peut-être, c’est à peine une humanité, incertaine, des fourmis nues. Nous spectateurs sommes serrés, tendus, séparés, suspendus dans l’attente de quelque chose qui viendrait rompre la monotonie de ce ballet sévère: un évènement, une narration. L'energie couve et inquiete. Je guette chaque petit geste, toute infime variation que je pourrais  interpréter. La répétition m’épuise, je lutte avec mon carnet et mon stylo.

    Enfin un autre cycle s’ouvre, les bras se lèvent pour cacher les yeux. Avec d’autres mouvements, la danse nie toujours l’individu. Les corps- les danseurs se groupent par sexe- se croisent sans jamais se rencontrer. L’avenir est bouché, et je refuse de distinguer en bas la condition humaine. Le tambour s’alourdit d’autres bruits. Les corps semblent enfin se libérer, exprimer quelque chose d’en dedans. Puis ils tombent comme des mouches, balayées par un vent invisible.

    Fausse sortie: ils reviennent en petits soldats du début, la musique de plus en plus oppressante. Enfin ils font groupe (sont-ils moins seuls pour autant ?), s’émeuvent et s’égarent, en une rave frénétique, une orgie spasmodique, toute collective, avec des figurations de coïts aussi mécaniques que les défilés du début. Je ne vois ni espoir ni liberation. Toujous mus. Mais l'energie fuse. Autour de moi des spectateurs en état de siège, qui suent toujours ou s’étaient assoupis, mais qui à la fin se lèvent pour applaudir comme un seul homme. Ovation.

    Je ne la ressens pas mas la comprends, l’efficacité de cette synthèse entre les effets de masse du ballet classique et les concepts contemporains, répétition et nudité. Un peplum post moderne. J’ai reçu des ondes de choc, je n’ai pas vu l’humanité.

    C’était Tragédie, d’Olivier Dubois, au 104

    Guy

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