Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

  • Faut-il brûler Pina Baush?

    Bien que sûr que non, on ne va pas la brûler, c'était juste pour faire un titre. N'empêche que depuis quelques jours des voix se font entendre,  ouvertement agacées, et c'est nouveau. En premier lieu Rosita Boisseau qui y va de son solo dans Le Monde pour dénoncer les répétitions et les complaisance d'un système. Mais si essoufflement il y a, c'est avant tout celui du Théâtre de la Ville, sclérosé dans un système auto-référentiel, présentant essentiellement les mêmes chorégraphes années après années. Discours officiel: on est bien obligé d'inviter toujours les mêmes puisque forcement ce sont les meilleurs. Et cela tombe bien, puisque que le simple fait de passer au Théâtre de la Ville finit par valoir brevet d'excellence aux yeux du petit milieu parisien. D'autant plus pour des dates réservées un an à l'avance et devant des spectateurs prêts à s'entre-tuer pour récupérer un billet, pour voir ce qu'il y a de meilleur puisque c'est complet. C.Q.F.D.. Mais c'est la 26 eme année consécutive ou à peu prés que la grande dame de Wuppertal- ou la grande prêtresse de la danse occidentale ?-ou la star de Solingen ?- se présente dans ce lieu. C'est assez long pour que s'émoussent bien des passions. Pour une époque infidèle, la déesse est restée trés longtemps sur le piedestal. Lassitudes et agacements semblent se liberer d'un coup et sans complaisance, à la mesure de l'admiration quasi groupiesque qui jusqu'alors prévalait.

    Si tout dans le jugement tient aux attentes, décues ou non, il y a en tout cas dans Bamboo Blues de quoi se laisser charmer, pour peu qu'on reçoive la pièce candide, désarmé. Voire, en ayant gardé une âme d'enfant. Ce carnet de voyage en Inde prend les couleurs chromo des anciens illustrés pour la jeunesse, ou d'une brochure de voyage un peu retro. Au commencement il y a le vent, fraiche invitation au voyage. Avant de faire place à des assaults de nonchalances et de féminités, auxquels on ne tarde pas à succomber. L'exotisme est bon enfant, dans les yeux et sourires de ce groupe de tigresses indolentes qui ne montrent pas les crocs. La déesse aux nombreux bras- est ce bien Khali? -semble pareillement inoffensive. Paix et amour: au premier rang on se voit invité à laisser filer entre ses doigts un ruban parfumé, à se laisser poser sur le front un point rouge. Danseurs et danseuses paradent en sari, un peu plus second degré mais tout autant policés que dans un défilé de mode. Les bandes musicales s'enchaînent comme entre deux escalators. Les duos, plus que les groupes, jouent ensuite les utopies de l'harmonie. Les rapprochements se concluent en jeux, en orgies de tissus colorés, glissades d'amour et démonstrations de sensualité, mais idéalisés pour une représentation tous publics. Ce qui se passe- ou devrait se passer- entre les hommes et les femmes à ce stade intéresse manifestement avant toutes choses la chorégraphe, on en oublie par longs moments le décor et le continent.

    Pourtant, quelques notes de violoncelle plus tard, on plonge dans la passion bollywood: robe rouge, courses aveugles, polyphonie de querelles. De manière toujours trop distanciée pour permettre à quoi que ce soit de violent de nous surprendre. Histoire quand même de faire actuel, les tableaux se permettent des oeillades vers la modernité: courses en roller, angoisses de la mondialisation, danse du télétravailleur.... Il semble même suggéré qu'on ne dépeint pas ici un paradis terrestre, et ce jusque dans ce qui concerne les rapports entre les sexes. Mais après un passage par des ablutions intemporelles, on en revient aux exactes répétition de séquences de la première partie....éternel recommencement de l'éternel féminin dans l'orient éternel? Les danseurs courent sans se heurter, sinon du regard, sur leur chemin nul obstacle. Même quand il y a exubérance et vivacité, les mouvements recherchent harmonies, évidences, et fluidités. Sans s'attarder dans des originalités trop ostensibles. Il plane plus de sérénité et de rêverie que de blues dans tout cela. Mais le tragique n'est pas une obligation. C'est même, trop souvent, une facilité. On aurait même tout autant aimé Bamboo Blues, et ses rêves de bonheur, si Pina Baush avait été une débutante.

    C'était Bamboo Blues, de Pina Bausch, au Théâtre de la Ville, jusqu'à mercredi encore.

    Guy

  • Marie Coquil et Philippe Combes: retour aux sources

    C'est surement exactement ce qu'il nous faut, aprés tant de soirées tendues et perplexes, toutes pleines d'enjeux mais toujours trop concentrées, presque saturées, à écouter en danses Marguerite Duras ou Miguel Bénasayag, ou à endurer de fastidieuses démonstrations d'inanité, ou à explorer d'ambigues frontières conceptuelles. Ce soir on revient aux sources. Pour deux fois trente minutes de calme intensité, pour des danses qui avant tout s'intéressent au corps avant tout (s'agissant de danse, ce n'est, en fait, pas toujours une évidence...). Pour deux performances d'une beauté très spartiate, d'une beauté aussi nue que le crane des deux interprètes.

    119c.jpg

    En premier Nicolas Mayet, chorégraphié par Marie Coquil. Visiblement en marche vers une allégorie de la vie. Commencée suspendue, en long manteau style Matrix, pour finir dans un complet dépouillement. Le chemin est dessiné en rectangle tout autour de la scène. Ce chemin mène-t-il à la sagesse? Pourtant l'homme tourne, alternativement calme, vif, délicat athlétique, determiné. Une épée de Damoclès au dessus de la tête. C'est allusif et bien dosé, d'une simplicité bien étudiée, inspiré et inspirant, toujours retenu avant de trop suggérer.

    Delphine Lorenzo danse ensuite Dromos 2, de Philippe Combes. Même plus d'accessoires, ni de fil narratif. Et une feuille de salle on ne plus elliptique. A peine du violon. Juste, ou surtout, un solo, sur plateau nu, en collant neutre: c'est à prendre ou à laisser. On prend. La pièce joue le corps inconfort, se focalise sur de petits mouvements d'interrogations, attardés, pieds hésitants, torsions existentielles. Rien n'interpelle, tout intéresse. Ou plutôt invite à s'abandonner, à revenir au plus prés de l'essentiel. La danse est trés loin du spectaculaire, sans renvoyer à d'autres objets qu'à elle même. En recherches d'équilibre. Brisées par des accélérations inquiètes. Le tout prés du sol, sans envols. La danse vaut pour elle-même, mais là en vaut la peine.

     

    C'était A mor(T...) la mort, l'amour et l'éternel, de Marie Coquil, avec Nicolas Mayet, et Dromos 2 de Philippe Combes (Compagnie Cave Canem) dansé par Delphine Lorenzo, à L'étoile du Nord, avec le festival Avis de Turbulences.

    Guy

    photos: site de l'étoile du nord

    P.S. La compagnie de Marie Coquil s'appelle "Pour un Soir": la rencontre etait écrite!

    Re PS: Et il y avait, pour attendre à l'Etoile du nord, cette video en boucle de Muriel Bourdeau (dont on vit Box l'an dernier). Mais la video était passée à l'envers: c'était mieux.


    Fringues-toi
    envoyé par madbom
  • Matthieu Hocquemiller recolle les morceaux

    Doit-on venir aux répétitions générales. Où doit on filer des filages? D'un coté on est trés heureux d'être invité, et avec des gens qu'on a plaisir à rencontrer. De l'autre, il y a toujours un projecteur ou autre chose en panne et qui sera réparé pour la générale, les photographes au premier rang qui font du boucan, sur scène une concentration qui se laisse encore trop voir et des enchaînements qui flottent un peu, derriere  la arton390.jpgconscience de l'absence de public, de son attente et de ses frémissements, et surtout partout la présence du chorégraphe, absolument sympathique mais absolument flippé, qui s'excuse d'avance de présenter tout sauf la pièce car elle ne sera bien vraiment réglée que le lendemain, nous demandant de ne pas trop juger mais nous laissant voir quand même, nous laissant confronté à l'injonction paradoxale parfaite. C'est d'autant plus perturbant pour une pièce qui s'efforce de réussir une juxtaposition de formes vers la synthèse. Ce soir, l'énergie semble encore trop retenue. Le danseur joue de la masse, bonne idée. Mais fracasser une chaise et deux paquets de céréales, c'est trop, ou trop peu. En conclusion, on a pas vraiment vu "J'arrive plus à mourir". Mais on va en parler quand même bien sur, ou au moins on va essayer de parler de ses morceaux.

    Mon tout parle du deuil de l'avenir, les parties sont constituées par autant de debris du monde qui reste. Les paradigmes sont ébranlés et les danseurs peinent à s'y raccrocher, tombent en belles glissades le long du toit de la maison. Se laissent aller à quelques pas de danse déglinguée et mains dans les poches, nous évoquent Joe Cocker à Woodstock, comme un pied de nez aux dernières utopies et idéologies du progrès. Ils se vautrent faute de mieux dans le consumérisme, infantilisés, renversant partout le pop corn, gavés de gelée rose jusqu'à la régurgitation. Encore un peu punk ou rock ou disco, bien que plutôt anesthésiés, trompent l'ennui en positions sexuelles dignes des pieces de Kataline Patkai, se laissent théoriser et commenter par Miguel Bénasayag. Même si à écouter le philosophe on reste sur sa faim, au moins ses interventions sont-elles intelligibles, et au coeur du sujet....

    Ce sujet est perilleux. Rodrigo Garciaest déja passé par là pour nous en dégouter. Ronan Cheneau et David Bobbé, bien que plus subtils quant à la mise en forme, ont achevé de nous déprimer. Heureusement, il y a ce soir des raisons d'espèrer. Déja dans les textes, d'un tout autre niveau. Dits au bord du gouffre et les yeux fermés, il y a dans ces mots l'ébauche de sourires même tristes, d'une élégance plus tout à fait desespérée. Déja de belles étincelles. Et quand tout est dit du marasme, reste ou nait l'envie de danser. Même avec inquiétude. Tout va mal peut-être, si le temps ne va plus en avant. Le théatre nous le fait juste constater, on veut croire que la danse peut nous sauver. 

    C'était "J'arrive plus à mourir" de Matthieu Hocquemiller, avec Elise Legros, Evguénia, Cyril Viallon et des entretiens en video avec Miguel Benasayag. C'était à Mains d'Oeuvres.

    Guy

    P.S. : A voir ici, le photos du gars bruyant au premier rang

  • Allio-Weber: le Discours et la Méthode

    On ne sait vite plus où l'on est, d'où l'on regarde. Et, tout le long, quelle est la nature de ce qui est montré. Le couple d'acteurs s'enlace, en petite tenue, au milieu du public, la position est décalée par rapport à nous mais aussi l'un par rapport à l'autre. Ils se cherchent, empruntés, mais rien ne semble s'emboîter, ces deux là ne savent plus comment embrasser, voire simplement comment être. Forcement insatisfaits. Amputés de quelque chose? De quoi au juste? Mais on anticipe. Le plus déstabilisant est encore à venir, avec déja un discours de marketing humanitaire d'un saisissant réalisme. Êtes vous prêt à donner 35 €? Le rapport avec le public prend un tour on ne peut plus direct. Lui, a le ton adapté: sérieux, digne, compréhensif, un poil mouillé. Elle, vient nous chercher du regard au plus près sans s'être rhabillée- argument de vente basique. L'argumentaire est répété ad nauseam. Sur écrans vidéo les figurants apparaissent et se multiplient, pour reproduire et affadir à l'infini le discours, le vider de son contenu. Les intentions ont disparu, ne reste que la méthode. Mise en évidence, sans indulgence. Lessivé, on est prêt- mais sans plus savoir pourquoi- à mettre la main à la poche pour débourser les euros demandés. L'entreprise est en tout cas d'une provocation salutaire. Cela ne fait que commencer...

    Pourquoi se porte on candidat à l'amputation? L'actrice plantée au micro déroule son argumentaire. Un argumentaire on ne peut plus cartésien. Sans un mot plus haut que l'autre, sans effet choc, sans affect, et pourtant une implacable violence est à l'oeuvre. Il est question du corps et de son intégrité, mais le corps n'est pas utilisé pour le discours. Seuls les mots: froids, et forts. Plus efficace que les provocations visuelles d'un Rodrigo Garcia. Les figurants en video font fonction de spectateurs, de jury populaire, dédoublent en miroir nos interrogations. Puis désertent un à un l'écran pour nous rejoindre dans la réalité. Le spectaculaire est refusé. Le vrai public est interpellé: "Autoriseriez vous Mlle S. à se faire amputer?" On s'attendrait presque à pouvoir voter comme dans les vieux spectacles de Robert Hossein. On balance, à l'image des figurants sur le trampoline... On prend le plaidoyer au sérieux, ne se demandant même plus ce qui ne tourne plus rond pour en arriver à se poser de telles questions. La forme est quant même, surtout, d'une sécheresse extrême, sans concession. Au bord de la non -représentation. On est décontenancé, au bord de la frustration... Quelques incidents surgissent pour s'évader du réel: un geste, soudain une chanson. Mais on applaudit, convaincu par l'audace et l'intelligence du propos.

    On se dispute à la sortie pour maintenir que la pièce n'est pas manipulatrice. Notre interlocuteur nous soutient que tout est présenté de manière tendancieuse, pour amener à des conclusions préparées, et dans la direction du politiquement correct. De notre coté, on assure que la beauté de l'exercice est de remettre le dilemme moral à l'ordre du jour. Presque du Corneille post moderne. On loue le parti-pris de sobriété dépassionnée du plaidoyer de la volontaire pour l'amputation. La subtilité de ce beau texte. Deux jours plus tard, notre contradicteur prend un malin plaisir à nous faire partager sa découverte: la source internet  du texte qui a été repris quasi mot pour mot dans la bouche de l'actrice. Ce texte même qui avait suscité notre admiration. Malaise. Rien dans le programme ne renseignait sur les origines du discours. A-t-on été pour de bon manipulé? Ni plus ni moins que public cible du discours humanitaire incklu dans le spectacle?  Difficile à dire. On balance encore. A y repenser, le monologue n'a été présenté ni comme un témoignage, ni comme une fiction littéraire. Juste comme un matériau ambigue, laissé à notre interprétation. Mais on était plus à l'aise, avec les lettres authentiques de Samuel Daibler, présentées pour qu'elles étaient. Et libres aprés de s'intégrer dans le tout de la création. On est prévenu contre les discours. Mais quelle est la méthode?

    C'était Un inconvenient mineur sur l'échelle des valeurs de Patricia Allio et Eléonore Weber, avec Marc Bertin et Charline Grand, à la Grande Halle de la Villette, avec 100 Dessus Dessous.

    Guy

    P.S. : Réactions contrastées sur France Culture  http://www.radiofrance.fr/chaines/france-culture2/emissions/toutarrive/fiche.php?diffusion_id=63926

  • La Zampa en Apnée

    Nicolas, de Marseille, nous a accompagné dans La Tombe du plongeur

    la tombe du plongeur.JPG

    Le titre est à lui seul une promesse. La promesse de voir et de vivre une performance de danse toute en tension. Le plongeur est à la fois l’homme qui se jette dans le vide et celui qui nage sous l’eau: la respiration se bloque, puis l’apnée, la chute, l’angoisse, la mort. Le matériau est là, brut, à porté des danseurs qui voudront bien l’aspirer, comme on aspire en remontant à la surface une bouffée d’air qui va réanimer tout le corps. La vie et le sang affluent à nouveau, le cœur reprend sa course, la danse peut commencer… Des bruits de coups, d'un corps qui tombe, l’obscurité, lentement, presque imperceptiblement s’évanouie pour nous laisser gêné et mal à l’aise face à cet homme tabassé à mort. Le but est clair et tout le monde comprend où l’on veut nous emmener. L’homme va mourir, il est le plongeur. Lui est gracieux, sa danse est saccadée, violente, parfois sensuelle, jamais vulgaire. Elle, sa partenaire, est plus abrupte, plus prévisible. Sur la scène des écrans viennent, sous la forme de montages video, attirer notre œil. Ces scènes courtes de plongeons, passées et repassées, parfois à l’envers, donnent du rythme, et aussi la musique. Durant le spectacle de multiples idées sont là, les images projetées sur les murs nous suggèrent une sensation étrange d’isolement. Nous sommes dans une grotte et ces images sont le reflet des lumières que la surface de l’eau projette sur les parois. Nous sommes à l’intérieur, nous descendons. La danse revient dans un jaillissement de lumière, aveuglante, notre danseur court seul au milieu de la pièce, sur place, les lumières éclatent, disparaissent, reviennent, le bruit. Je me souviens encore de tambours, d’une tombe renversée, de danse, de bruit, d’images, de tambours, d’une tombe renversée, plus de danse, plus rien, je ne me souviens plus. Je sors, je suis à l’extérieur, je remonte. La performance se termine, les gens applaudissent.

    La%20zampa%20-%20La%20tombe%20du%20plongeur%201.jpg

     

    Le tout est très esthétique peut-être trop, à vouloir marquer l’œil on en oublie d’imprimer le cœur. Je reste à la limite, à la surface. Parfois trop explicite, parfois inutile, la mise en scène est comme le reste, un peu lointaine, un peu prévisible. Sans non plus tomber dans le pathos ni le sentimentalisme, l’ensemble reste cohérent et rythmé. Esthétique mais loin, trop loin de l’essentiel et les quelques moments de grâce ne suffisent pas à faire un spectacle complet et aboutit. Une œuvre prometteuse.

    C'était La Tombe du Plongeur, de Magali Milian et Romuald Luydlin (La Zampa) , au Nouveau Théatre de Montreuil, avec les rencontres chorégraphiques internationales de Seine Saint Denis

    Nicolas

    photo par Erik Damiano avec l'aimable autorisation de La Zampa

  • Miet Warlop: la Halle aux Vêtements

    On a des scrupules, on se gratte la tête, on s'efforce, encore on cherche, bon public.

    L300xH225_jpg_Miet_Warlop_5bis-73b61.jpgDécidément, non. Sans appel. On ne trouve rien à voir, ni à ressentir, ni à comprendre. La semaine d'avant, on pouvait être éxcédé par la pièce de Neuer Tanz, avec les gars qui déballaient des cartons de livres, et pourtant concéder qu'il y avait matière à en parler. Mais là on voit une jeune femme qui sur scène étale des vêtements, et l'on arrive même pas à s'énerver. Ca fait deux ans et plus de deux cents billets que l'on cherche de soirs en soirs de l'émotion et du sens, ou que le sens et l'émotion s'imposent sans qu'on aie à chercher. On dit merci chaque soir, mais là donc on voit une jeune femme qui avec des fringues crée des personnages inexistants. Ne fait rien de plus que de jouer à la poupée, même s'il n'y a pas de poupée, juste au plus le concept de poupée avec des vetements autour. Cela reste trés personnel, evidemment. Ses amis imaginaires restent silencieux, les vrais gens qui la regardent coincés dans leurs propres vêtements sont quant à eux vivants, mais tout autant neutralisés. Elle remplit un sac, donne des envies de voyage et de ne plus être là, arpente la scène, s'arrête, ostensiblement concentrée, pour montrer qu'en ce moment même: elle crée. A le bon goût de mettre un terme à la performance sans utiliser la pile entière de vêtements. Fin, on va se rhabiller, cela ne dit strictement rien, sinon trés platement le pire de la contamination du spectacle vivant par l'art contemporain.

    C'était Grote Hoop/Berg: propositie 1: Reanimeren de Met Warlop dans la Grande Halle de la Villette, avec 100 Dessus Dessous.

    Guy

    photo tirée du site de 100 dessus dessous

    P.S. du 25/05: merci à 100 dessus dessous qui nous signale le podcast de France Culture qu'on peut écouter ici: http://www.radiofrance.fr/chaines/france-culture2/emissions/toutarrive/fiche.php?diffusion_id=63926 .

    Ce qui prouve qu'on peut trouver à parler de la performance de Miet Warlop pendant 3'20".

  • Neuer Tanz: Rien de Neuf

    Il y a de plus en plus d'artistes sur toujours les mêmes scènes pour à peine plus de spectateurs, chaque semaine une nouvelle chaîne de télévision pour diffuser des rediffusions, et jour et nuit du bruit partout, des dégueulis d'information en ligne pour copier/coller les mêmes rumeurs et/ou communiqués mille fois répétés et cent moins souvent vérifiés, des gratuits dans le métro avec des articles de cinq lignes et des journaux payants- au bord de la cessation de paiements- qui ressemblent de plus en plus à des gratuits, des contrôleurs de gestion qui formatent les f_239.jpgnouveaux produits culturels les yeux dans les yeux des hommes de marketing eux scrutant à coups de sondages quotidiens l’âme d'un public sous influence des publicitaires, et dans les librairies deux fois plus de nouveaux titres chaque année qu'il y a trois décennies et toujours un peu moins de livres vendus (sauf le goncourt qu'on achète pour ne pas le lire). On dit, en riant jaune, que les seuls encore à vivre décemment de leur metier dans le monde de l'édition sont les transporteurs, qui chaque semaine livrent aux libraires de pleins camions de nouveautés et en remballent autant d'invendus: c.a.d les nouveautés livrées le mois d'avant et à peine sorties des cartons.

    Pendant ce temps, les dix de Neuer Tanz déballent des centaines de livres pour les disposer sur le sol, jusqu’à pleine occupation du terrain. Avec méthode et frénésie. Pour dessiner au pied de la lettre le vide ou le trop plein d'un paysage culturel désespérant? Ou illustrer littéralement le dicton, selon lequel moins on a de culture plus on l'étale? C'est en tous cas rien de plus que cette activité qui est donnée à voir, ou- pire encore- ce qui en découle en terme de variations chorégraphiques, répétitives jusqu'à l'écoeurement. L’espace visuel est envahi de signes inintelligibles, livres qui jamais ne seront lus. L’espace sonore saturé d’une techno roborative, superposée sur dix platines. Les manutentionnaires y posent à tour de rôle une note de trompette, dos au public façon Miles Davis dernière manière, plus préoccupé de tendances que de musique. Les va-et-vient des personnages dépossédés, sourires figés, entre livres et cartons se transforme en pas de danse sans sens, qui gagnent leurs voisins par contagion. Ce qui est tristement posé est l’impossibilité de l'identité. "I don't want to be anybody" chante l'un avant de ressembler aux autres. La singularité est une maladie mortelle, qui lorsqu'elle fait à terre une victime fige un instant la communauté dans l'effroi et le silence. Mais une femme fatale agonise dans l’indifférence générale, le temps d'une pause sur un mode piano-bar.

    L'exposé est implacable, et tout autant indigeste. Ceux qui avaient trouvé le temps long durant la pièce d'Arco Renz tout à l'heure ne connaissaient alors pas leur bonheur. Arrive enfin le moment où tous les livres sont déballés, la scène entière envahie. Alors le vague espoir d’une sortie du purgatoire. Que quelque chose de vrai survienne. Un commencement. Mais les dix entreprennent aussitôt de tout remballer dans les cartons, tout aussi systématiquement: on prend la triste mesure du temps qui reste, autant qu'on a déja enduré. La démarche tient de l’acharnement. On repart comme aprés avoir subi la fastidueuse démonstration de faits dont on était d'avance convaincu.

    C'était Das Chrom + & Du, de VA Wôlfi (Collectif Neuer Tanz), à la MC93 de Bobigny, avec les Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine Saint Denis.

    Guy

    photo du site des rencontres chorégraphiques

  • Arco Renz: 80 minutes

    Les néons fluctuent, installent une ambiance très David Lynch. Une manière comme une autre d'abolir le déroulement du temps, avant toute chose. Puis, lumières, et deux danseuses, deux présences douloureuses et crispées, en post-nuisettes transparentes, qui peinent à exister et s'étirent bras tordus. Deux secondes et on a compris: ce sera de la danse organique. On devrait donc aimer. De même qu'on aime Cindy Van Acker.

    Sauf que c'est long.

    C'est beau, mais c'est long.

    C'est même très long.

    Les lumières flottent, la musique aussi. Les danseuses jouent chacune de leur coté l'allégorie de la naissance. On pense à deux poussins qui émergeraient de leur coquille. On trouve ça très buto, mais c'est sûrement personnel. Si quelqu'un prend des photos, elle seront splendides. Deux, trois spectateurs votent avec leurs pieds. Beaucoup plus se plongent dans la performance yeux fermés. Des sons craquent. Pour tromper la temporalité, on relit le texte de la feuille de salle. Les textes des rencontres du 9-3  (signés Gilles Amalvi) sont bien écrits cette année. C'est suffisamment rare (s'agissant de textes pour des feuilles de salle) pour être relevé. Un peu nourri par ces lignes, on recherche de l'oeil des enjeux, jusqu'à guetter au ralenti et au raz du sol les correspondances qui se jouent dans ce faux duo....

    Bref, c'est long.

    _u4n0240.jpg

    Jusqu'à ce qu'une stridence ne réveille tout le monde. Bien joué. Mélanie Lane est en position d'attaque, vive et révoltée. Très princesse guerrière. L'image évoque une affiche de film de science fiction, ou une couverture de comics. Elle bombe le torse, part et s'envole, belle et altière. On aime. On ne sait pas si on aurait autant aimé si l'on ne s'était pas autant ennuyé avant. Puis des ruptures et des interactions entre les deux danseuses: on décroche à nouveau. Suit Lisbeth Gruwez, en solo. Plus sauvage, voire féline. Remarquablement âpre, singulière. C'est plus original, on reste plus à distance. Pourquoi? L'amour ne se commande pas.

    C'était Il2, d' Arco Renz, avec Lisbeth Gruwez et Mélanie Lane à la MC93 de Bobigny, avec les Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine Saint Denis.

    Guy

    Photo de Mélanie Lane avec l'aimable autorisation de Vincent Jeannot- Photodanse 

     

  • Sous le Soleil de Bercy

    13H50: comme l'an dernier à la même époque, on entre dans la danse à Bercy. En plein air. Il a plu hier, demain il pleuvra. Il devrait pleuvoir aujourd'hui aussi. Mais, pourtant, le ciel est juste menaçant. Tant qu'il ne pleut pas encore, les organisateurs décident d'avancer de dix minutes Tourlourou, de Carlotta Sagna. C'est bien à propos, puisqu'on lit que la pièce évoque un compte à rebours...Toulourou...: du texte, beaucoup de texte! Trop de texte, qui se disperse à ciel ouvert. Même si- comme on nous le fera remarquer plus tard- face au mur de béton de l'UGC Bercy on aurait pu s'imaginer être dans une salle du C.N.D.. La diction anglo saxonne de l'interprète-  Lucy Nightingale- éloigne encore un peu plus les mots de leur signification. Sur les gradins, les mêmes dames de tous âges qu'on voit dans tous les lieux où on voit de la danse. Et puis des familles, ou des moitiés de familles- du genre qu'on ne voit jamais dans ces endroits. Des enfants qui ouvrent des yeux ronds. On est plus occupé à être contrarié de l'incompréhension que l'on croit comprendre autour de soi, qu'à essayer de comprendre soi même la pièce. Plus haut, quelques jeunes lancent en passant des "c'est nul"- et d'autres observations nettement plus grossières à l'attention de la soliste. On applaudit des deux mains au projet d' Entrez dans la danse, et à la démocratisation culturelle en général. Mais on se dit quand même que ce n'est pas gagné. De la performance reste des miettes, quand même de beaux morceaux, exécutés par l'interprète en tutu et treillis. La danseuse fait de belles choses entre deux discours, perchée sur une cible carrée, se tord et chute, martiale et déterminée, au son du tambour. Mais on a absolument oublié ce qu'elle avait dit au début. On flashe quelques photos floues d'elle avant que la batterie ne s'épuise avant terme. Bref, la photo c'est une affaire de pro, ou d'amateurs très organisés, dommage en passant pour Jérome qui s'est défilé. Les deux garçons qu'on a amenés s'ennuient un peu. Essaient de voir la culotte de la danseuse sous le tutu. Fin: on en ressort convaincu qu'il y a des performances qui sont peut être remarquables en salle mais impossibles dehors, et d'autres inversement. Pause. Il fait beau, on mange des glaces.

    15H30: danse ensuite Andréa Sitter, qui elle aussi parle beaucoup. Et pour cause, puisque le projet d'Im Kopf est de dire ce qui se passe dans la tête de la danseuse. Mais maîtrise mieux son texte et son affaire. Pince sans rire, elle part à l'assaut du public sur les marches des escaliers, fait des effets de tablier. Joue sur la confusion des mots. Mais on est pas sûr que les allusions aux subventions, et ainsi de suite, passionnent grand monde ici. Mais au fond, on en sait rien. Ni des révélations que ces deux performances auront suscitées, ou pas. En tous cas, les photographes, pros ou non, s'en donnent à coeur joie. De tout là haut, deux, trois gouttes de pluie, et c'est tout. Que du soleil après.

    16H00: programme en main, guidé par les gentilles hôtesses, on fait son chemin dans le village de Bercy. Il y a foule. Dans les passages entre les chais, des danseurs prennent par surprise les regards des passants. On se dirige vers le parc. On s'arrête prés de la maison du lac. Il y a beaucoup de monde, des gens qui sont venus pour le jardin, des gens venus pour la danse, des gens qui ne se souviennent plus. Les deux garçons partent s'écorcher les genoux dans les buissons du labyrinthe. Il fait bon. Alors que jouent les garçons, on s'abandonne à quelques minutes de torpeur allongé sur l'herbe (ne pas laisser les mamans lire ce post). On est réveillé par un peu plus de silence. Rosalind Crisp  danse. C'est toute la beauté de la chose: personne n'a compris quand elle commençait à danser, certains croyaient qu'elle s'échauffait, d'autres ne l'avaient même pas remarquée. Elle danse donc sans crier gare, sans faire de bruit, sans scène ni costume. Et continue tout aussi absurdement. Fait la nique aux photographes. Un enfant hilare, l'imite et fait des roulades. Elle s'en saisit, le fait tournoyer, il rie au éclats. On sourit de ces petits riens. On avait déjà vu Rosalind Crisp en salle une fois, pour se souvenir de la performance d'alors comme quelque chose de très respectable... et terriblement sérieux. Mais ici et maintenant, sur l'herbe, sans début ni fin et en toute insouciance, c'est leger, parfait, tout simplement. Fin quand même, et applaudissements. Assez nourris pour réveiller d'autres spectateurs encore endormis, qui se demandent quand elle va commencer. On discute, on promet de revenir tout à l'heure voir les zonards celestes de Fabrice Dugeid, qui construit à coté un étrange édifice.

    16H30: les garçons ont survécu au labyrinthe et aux écorchures, on repart avec eux vers la place de l'UGC. On arrive en avance, c'est la fin d'un atelier de danse contemporaine, de Sophie Meary, avec adultes et enfants réunis en une ronde. Les deux garçons trépignent, n'y tenant plus, se précipitent rejoindre le groupe, entrent dans la danse pour de bon. Et se livrent avec délices à des improvisations. Heureux dix minutes durant. Retour sur les gradins joues rouges des nouveaux danseurs contemporains.

    16H50: Place au solo de Sabrina Giordano, chorégraphiée par Johan Amselem. Titre: "A quoi je tiens". Est ce à une orgie de consommation, franchement régressive? Une journée (de bonheur) au grand magasin? Elle y va à fond en tous cas, piercing, techno et du mauve partout, ose le sac à main d'un mauvais goût absolu. C'est vif et drôle, assez turbulent, plutôt inattendu. Surtout concret, ancré dans le quotidien. Du contemporain mais qui parle à tout le monde. Surtout quand la danseuse se barbouille de nutella. Une fillette indignée lui hurle "Tu es sale", sans discontinuer. Les garçons adorent, et sont scandalisés. Un débat suit, plutôt pour les parents, mais vite expédié. On fait connaissance. Les garçons sont fatigués et veulent rentrer. Moins de soleil, mais il ne pleut toujours pas, on repart en direction de la maison du lac.

    17H40 (ou plus tard, on ne sait plus, on ne sait pas): on arrive tard, beaucoup trop tard, de retour dans le parc. Les zonards célestes ont déja commencé, ou sont prêt de finir, difficille à dire ça a l'air trés improvisé. Il sont beaucoup à danser sur l'herbe, font des choses qu'on a du mal à voir et qui s'appellent des mémoires qui dansent. Il nous vient des images de Woodstock avec des personnages d'époque. Ils ont l'air heureux. Pas déplacés ici. Raccord. Cela ressemble à du Buto, mais ce n'est pas du buto. Pourquoi? On ne sait pas, on sature, on ne voit plus, on est fatigué. On tient cinq minutes, les garçons tirent vers la maison. Forfait. Vivement l'an prochain.

    C'etait Entrez dans la Danse, par Mouvances d'art, dans le parc de Bercy et Bercy Village.

    Guy

    La journée en image sur Photodanse

  • Christian et François Ben Aim: Douce Transe

    En une heure (ou moins, ou plus) d'un temps abandonné, rien n'est heurté. Tout se suit, en épure: on ouvre les yeux, on résiste d'abord, mais jusqu'à accepter, simplement, désarmé. Aucune histoire n'est racontée, si ce n'est le passage graduel de l'individuel au collectif, vers des répétitions enivrantes et partagées d'où s'évadent de courtes variations, des esquisses de soli: on pense à John Coltrane- A love Supreme. Tout le reste aboli, de ce corps ou d'un autre s'exprime à cet instant la sérénité, des corps dévoués à la sensation: on se sent attiré, accueilli. Les mouvements répétés ensemble ne semblent jamais contraints, jamais forcés, parviennent à l'aisance du naturel, amples et relâchés: on se berce avec eux, on ondule, on oscille. 

    314486751.jpg

    Le résultat flotte intemporel, rythmé cependant, hors de tout contexte et en plein coeur: on rêve pour se demander si le sujet ultime de toute danse non narrative n'est pas le temps lui-même. Un temps qui se perdrait là tout à fait s'il n'y avait les repères d'un souffle d'accordéon, d'un pincement de corde, et du son des carillons, sans les aubes et crépuscules de lumières: renoncé, on se laisse aller à se griser aux couleurs. Quelque soit la vitesse, les mouvements semblent se balancer au ralenti, des vagues vont et viennent. Pourtant aucune mièvrerie: la danse est dynamique, l'engagement généreux, dans un doux paradoxe. La jubilation est pudique, sans la facilité d'un sourire, elle est féminine, on est gagné par la chaleur, juste ni plus ni moins que par un peu de bonheur. 

    C'était Amor fati fati amor, de Christian et Francois Ben Aïm-Compagnie CFB451, avec Caroline Allaire, Christian Ben Aïm, Aurelie Berland, Agnès Dufour, Eric Fessenmeyer, Anne Foucher, au Théatre de Vanves, avec Artdanthé.

    Guy

    Visuel: site de la compagnie