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Danse

  • Un peu de sauvagerie dans un monde de douceur

    Les MILF reviennent au Générateur de Gentilly jeudi et vendredi soir. Je rediffuse la note du 29 avril 2014.

    Elles sont quatre qui jouent des femmes dans tous leurs états, en mode sucré/salé… Plongées avec nous dans l’humeur rêveuse, le bien-être d’un après-midi langoureux, dans la tiédeur dominicale du printemps enfin retrouvé. Et cela compte aussi d’être bien accueillis par Anna d’Annuzio en extravagante. D’ensuite s’installer confortablement étendus sur des peaux de bêtes.

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    Méfiance. Les bêtes, bien vivantes, plus ou moins apprivoisées, peuvent nous y surprendre. Les sirènes ramper jusqu’à nous pour partager parfums et secrets. Sans toutefois aller jusqu'à nous dévorer (je ne parle que du ressenti des hommes, quoique…), ce n’est qu’un spectacle. N’empêche: sous la surface, douceur du ton et charme des chairs, il y a plus grave, plus intense, voire plus cruel. Une zone où l’Eros peut submerger tout le reste. Cette part débridée se devine, reste toujours dans l’ombre. C’est cette profondeur, cette perspective qui pour moi tend chacun des tableaux, piquante ambiguïté, dès le prologue qui voit le corps de ces Sisters s’emmêler, les caresses s’aventurer jusqu’à la troublante frontière entre familiarité de gynécée et sensualité avouée. Le mur de plastique noir de fond de scène se gonfle et se déchire, accouche de femmes qui glissent et s’éparpillent. Se révèle un échafaudage, immeuble sans façade devant nos yeux attentifs, qui abrite leurs évolutions, fantaisies, conflits, complicités et abandons. En haut, une ménagère n’est surement pas ce qu’elle semble être. Une Marylin fait voler sa jupe plissée. Une femme juste vêtue d’une fourrure se laisse entrainer vers le bas. Et toutes les visions troublent à l’avenant… Sur ce théatre vertical, la chute n'est jamais loin. Danger.

    Katalin (Patkaï) a abandonné le « e » de son prénom, mais non la recherche du genre. Pièce sur pièce, la chorégraphe creuse inlassablement le sillon de ses thèmes et obsessions. Cela la range dans la catégorie des créateurs qu’il est passionnant de suivre, et pour lesquels le fond préexiste à la forme. La danse n'est qu'une étiquette, le corps un impératif. Son interrogation sur la féminité se renouvelle, que celle-ci passe par un dialogue avec la littérature (Sisters d’après Duras) ou sa mise en évidence par son complement et opposé (les figures mâles du rock dans Rock Identity).

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    Pas de jeunes filles en fleurs ce soir, si ce n’est une Eve sans feuille qui s'envole sur sa balançoire. Plutôt des mères, mais qui restent femmes. Qu’on ait vu la chorégraphe, il y a 2/3 ans, sur scène avec dans les bras une création bien matérielle n’est surement qu’une coïncidence. Le titre MILF signifie: Mother I’d Like to Fuck, pour mettre crûment les points sur l’acronyme. Comment, en s’appropriant ce terme pornographique, dire plus clairement au nom des femmes à ce stade de leur vie, leur volonté de reconquérir, ou réinventer leur sexualité? Concilier toutes leurs identités, ambitions et désirs. Etre artiste qui déclame Shakespeare, ou mariée en robe blanche, ou femme au foyer, et vivre son désir, quitte à le laisser exploser en bruyants orgasmes ou le tempérer les fesses plongées dans un réfrigérateur vintage. L’humour à froid déjoue les évidences.

    En dernière analyse, le désir se résout dans l’instinct, l’animalité. Les femmes prennent visage de biches, de sangliers, alors que la ménagère travaille la viande sans ménagement. On ne revient pas visiter la ferme des Cochons apprivoisés-mais où l’on voyait déjà un lapin se faire dépouiller- on oublie les utopies rousseauistes, pour des réalités plus crues et élémentaires. On assiste à des combats de mâles, à coups de bois de cerf. Le genre tangue, ébranlé. Il serait intéressant de vivre ce spectacle parfois sauvage, parfois vert, en pleine forêt, avec dans nos narines l’odeur de la terre. La lecture de la belle brochure du spectacle, une œuvre à part entière, nous emmène déjà dans ces territoires là. En attendant, et en guise d’adieu, chacune revient susurrer des confidences de Milf aux oreilles des spectateurs. On les garde pour soit. Il fait décidément chaud.

    C'était MILF de Katalin Patkaï, vu au Studio-théatre de Vitry.

    Guy

    Photos de Marc Domage avec l'aimable autorisation de Katalin Patkaï

     

    lire aussi: images de danses

     

  • Et pourtant ils tournent

    Carlson/Bartabas: belle affiche. J’attends une rencontre, de la beauté et de l’animalité. Mais la pièce, pour commencer, joue des dualités: opposition entre hommes (très hommes)-ils sont farouches et bruts- et femmes (très femmes)- toutes en robes et cheveux longs. Chevaux et écuyères forment aussi des couples, plus unis. L’espace s’organise d’abord en deux zones, partagé entre danseurs parqués au terme de courses dans un cercle intérieur, et cavaliers et montures qui tournent autour d’eux. La musique tourne déja.

    Pas d’échanges d’emblée entre danseurs et cavaliers, si ce n’est appréhension ou méfiance, aux lisières des territoires ainsi délimités. A l’intérieur, si une histoire est racontée entre danseuses et danseurs, celle-ci est loin d’être tendre. Les distances sont gardées, les rencontres brèves et nerveuses. Les femmes en abandon se jettent d’un seul geste dans les bras de leurs partenaires, portées, repoussées. En tension, sans résolution, ces motifs se répètent.

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    J’en oublie les chevaux et cavalières, qui tournent sans se lasser, comme les danseurs aussi au milieu. La partition de Philippe Glass s’entête en masses sonores et répétitions circulaires, matière à hypnotisme et crescendo.

    Je me sens gagné par le même détachement qui m’anesthésie lorsque que les moyens utilisés tendent à exacerber le spectaculaire. C’était le cas avec Olivier Dubois. Tous les corps se fondent dans le même mouvement aux allures de cérémonial, un ensemble (trop) parfait, et je ne me sens intéressé par personne en particulier, et ni par les chevaux. Les gestes encore sont répétés, amplifiés de corps en corps, la partition à l’unisson. Tout de même me touchent des traces d’émotions, mais d’une nature esthétique, je ne peux m’attacher à des personnages ni à une réflexion.

    Plus tard et pour le meilleur, les territoires s’interpénètrent, des chevaux investissent l’espace intérieur, les danseuses se dispersent autour en de nouveaux cerces de lumières. Les rencontres se produisent enfin, au plus près avec une sensation de danger. La musique est toujours omniprésente, soutient des paroxysmes. Les danseurs forment une sculpture de groupe, bras tendus, répercutée d’échos équestres. Quand des amazones poursuivent à cheval de leurs piques des danseurs en fuite, on devine une revanche des femmes, on peut construire un sens.

    C'était we were horses de Bartabas et Carolyn Carlson, à la grande Halle de la Villette.

    Guy 

    Affiche du spectacle, photo d'Agathe Poupeney

     

     

  • Corps et mots

    A terre. Elle, et tout Victor Hugo, en cinquante volumes éparpillés. Elle, son corps un tout ramassé, qui s’efforce à se déplier, peut-être souffre, à chercher. Un être à vue. La respiration anime son ventre, et tout alors depuis ce centre: remuent la peau tendue, les membres, les muscles, les chairs. L’âme est invisible et le visage caché, ou perdu. Les os saillent, les cheveux tombent à terre comme des pleurs. Densité et fragilité, complétude, et tout à remplir de pensées. Le corps est là, essentiel, et rien de plus. Lenteur dépouillée. Les livres l'attendent. Elle pourrait tout autant s’éteindre l’instant d’après.

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    Le corps tente de s’arracher au sol, mais elle se plie, se penche et les mains plongent, y ouvrent un livre. La bouche s’ouvre et les mots glissent, des interrogations métaphysiques. Une petite éternité. Les pensées s’envolent légères et planent, graves comme des ombres, en méditations. Le corps sensible dessine de mystérieux idéogrammes. Bientôt effacés. Elle reste une page à écrire: la peau blanche, le sexe sombre. En dehors l’animalité exposée, l’humanité des livres conservée en dedans, qui s’interroge et lutte. Des livres s'ouvrent et des mots à nouveaux. Une littérature grave, sans atours, mise à nue. Ces mots la rêvent, agitée, mais sans culpabilité ni regret. Corps et texte, nature et culture, peau et cuir, nudité et reliure. Ange et bête. Réconciliés? Elle se lève, cet équilibre, lentement conquis, est un vertige renversé, vaincu le pas d’après. L'ange tremble et porte le livre aux cieux. Où serait Dieu? Où est l’homme surtout ? Le temps n’est plus. Elle, attirée contre le mur de pierre, prisonnière ou sacrifiée. Une simple lampe l’éclaire. Brefs absolus. Rien n'est gagné. Je vois une lumière noire et c’est la nuit.

    C’est lumière noire dansé par Céline Angèle et mis en scène par Jean Daniel Fricker, textes de Victor Hugo, encore ce soir au festival Buto de l’espace culturel Bertin Poirée.

    Guy

    photo de Georges Karam avec l'aimable autorisation de la compagnie

  • La peau de loin, de près

    D’abord, loin

    La pièce s’ouvre sur une exposition muséale. Dans une lumière sinusoïdale, trois corps de femmes forment triptyque. Trois corps nus, assis, au fond du plateau, dans des poses qui sont des archétypes de sujet de tableau. Cela pourrait être Venus, Olympia ou un nu couché ou assis de Modigliani.  Sujets de tableau mais objets de peinture. Les visages des trois modèles sont floutés comme si le peintre était Bacon ou comme si ces femmes s’étaient fait rectifier le portrait par Photoshop. La lumière apparaît, disparaît et donne le rythme de cette exhibition. La musique est là pour mémoire. Entre deux intensités lumineuses, profitant de la pénombre, les femmes nues ont modifié leur pose dans un mouvement si lent qu’il en est presque imperceptible. Les tableaux se métamorphosent peu à peu sans que le spectateur ne puisse se souvenir du moment où cette métamorphose s’est produite.  Les trois femmes quittent leur triptyque lointain et viennent s’exposer à la lumière au centre de la scène. Elles prennent une nouvelle pose. Les corps apparaissent dans leur imperfection naturelle. Nos trois grâces ne sont pas des nymphes idéales.

     

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    Ensuite, partout

    Photoshop était un bas nylon ! Les trois femmes ôtent le masque fin qui recouvrait leur visage. Une première mue, qui n’est pas définitive car sous le premier masque chacune d’elle en porte un second, toujours un bas nylon. Cette mue sonne comme un acte de naissance. Les femmes ne sont plus des sujets de peinture ou idées de femme qu’un peintre aurait représentés sur un tableau mais elles sont devenues des êtres en mouvement. La chorégraphie lente et statique s’anime. Tout l’espace de la scène est conquis dans une série de déplacements apparemment sans contrainte mais finalement toujours bien ordonnés entre les trois protagonistes. Les femmes sont sorties du tableau où elles étaient confinées et les voilà pleinement actives. Affairées à participer aux rites collectifs d’une société invisible que le spectateur devine derrière ces trois corps. Affairées dans une communauté à accomplir leur destin individuel,  à trouver l’Autre et alors, la tendresse, l’amour et la sexualité mais aussi la confrontation qui oblige à se pavaner comme un paon.  Le second masque de nylon qui laisse apparaître leur visage déformé, de manière plus précise que le premier est le masque social, celui de l’interaction avec l’Autre.

     

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    Enfin, tout près

    Les trois femmes s’avancent sur le devant de la scène. Elles achèvent leur strip-tease en ôtant leur perruque et le dernier masque, celui qui déformait la vérité du visage. Les voilà, de nouveau immobiles,  faisant face de manière frontale aux spectateurs, enfin elles-mêmes après leur dernière mue, dans leur singularité et leur nudité cette fois irréductible. 

    C'etait Sous ma peau de Maxence Rey, vu à la Briqueterie dans le cadre de la biennale du Val de Marne.

    François

    photos de Delphine Micheli avec l'aimable autorisation de la compagnie

    Lire aussi: Sous ma peau, vu par Guy 

    Maxence Rey présente sa carte blanche à l'Etoile du Nord du 16 au 18 mai, dans le cadre de Jet Lag.

  • Deux mythes, une metamorphose

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    Elle trône femme, souveraine, ample et triomphante, tous volumes libérés. L’enfant est annoncé, mais non nommé, et le père absent. L’enfant encore n’est pas séparé mais pèse comme une partie d’elle. Il n’y a là à voir qu’un être, la future mère en ce paroxysme, sa force dédoublée par la présence en germe. Elle ne s'appartient plus entière, tout lui revient. Elle danse, d’ivresse, rend plus dense l’espace autour d’elle par ce trop-plein d’existence. La chorégraphe restitue par film ces images d’elle qui témoignent d’un moment si particulier. Je suis surpris et saisi de voir le thème si fort de la maternité abordé dans un processus artistique- et Katalin Patkaï l’évoquera à son tour quelques semaines plus tard. Je crois ce soir revoir des images d’une déesse de la fertilité, de la Venus de Willendorf, ressuscitée après des millénaires où l’image pourtant ommniprésente dans la vie quotidienne de la femme enceinte me semble disparaitre, à quelques exceptions près, de l’art occidental (la grossesse de Vierge semble si abstraite en peinture, sous la pudeur de ses drapés).

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    Mais c’est un faune, ou une nymphe, qui ensuite apparait en chair et en os. La même artiste pourtant, mais métamorphosée pour, à mes yeux, incarner un autre mythe, de l’antiquité, de la renaissance, de la danse. Le corps léger juste vêtu des mêmes fleurs, ici semblant adolescent, d’une finesse presque androgyne. Couverte de vert, première, se laissant traverser d’émotions élémentaires, je la vois comme une partie d’une nature ici immatérielle. Je pourrais entendre couler un ruisseau. Elle joue à la grenouille qui rêve. Ses bras font se balancer les saisons. Son équilibre est précaire.  Elle tire la langue, moqueuse et impassible, ignorante du péché, nargue les hommes et les dieux. Puis c’est l’hiver et elle tremble. Elle prend des poses statutaire, sa lenteur la sculpte. Dans la liberté d’une recherche toujours en cours, le sens de sa danse se laisse devenir un vaisseau des mythes.

    C'était, de Yasmine Hugonnet, le rituel des fausses fleurs (vu à Point Ephémère) et Fécond (vu à l'Etoile du Nord dans le cadre d'Open space et revu à Point Ephémère).

    Guy

    Photo 1 (droits réservés) avec l'aimable autorisation de l'Etoile du nord, photo 2 de Michael Nick avec l'aimable autorisation de la compagnie.

  • Fragments, grouillements, observations

    Dans sa nouvelle pièce, Sofia Fitas s’efface. Elle s’efface en tant que Sofia. Comme lors de la pièce Que Ser découverte l’an passé, les spectateurs n’ont pas l’occasion d’apercevoir son visage. Mais alors que Sofia nous apparaissait dans son entièreté verticale dans Que Ser, même si c’était uniquement de dos, elle ne livre dans cet Experimento 3 que des bribes d’elle-même. (dans l'imprévisible, obstinée, continuité d'Experimento 1 et d' Experimento 2)

     

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    Pour ce faire, elle s’impose la contrainte de se présenter emballée dans un immense sac plastique ! Nichée ou plus certainement empêtrée dans ce film noir, souple et informe, elle fait face à la difficulté de se mouvoir, paradoxe de danse.  Emergent du sac des portions de corps: au début un bras, rejoint rapidement par un autre, des extrémités de bras ensuite, ce qu’on appelle doigts, d’autres extrémités plus tard, celles des pieds, et aussi des cuisses, un genou, un dos. C’est un corps désagrégé qu’il nous est donné de voir. (Un autre ordre devient possible, un précaire équilibre). Le corps découpé en morceaux disparaît en tant que corps pour laisser la place à des abstractions plastiques que nous aurait livrées un peintre ou un sculpteur. Des abstractions organiques qui rappellent parfois les formes inventées par Jean Arp ou Salvador Dali, ou évoquent aussi un bouquet végétal d’où se dressent, si on y prête attention, d’étranges tiges qui ressemblent à des doigts humains. Des abstractions géométriques, quasi constructivistes, de carrés, d’ellipses, d’angles. (Une géométrie de l'étrange)

    L’humain a disparu de la scène. En quelques séquences, l’abstraction se métamorphose à son tour en évocations animales.(Ces grouillements m'inquiètent). Les formes issues du sac s’assemblent en d’étranges coléoptères rampants dont un représentant menaçant finit par s’échapper pour se réfugier dans une autre poche plastique posée sur le devant de la scène et y disparaître définitivement, marquant ainsi la fin de la pièce. 

     

     

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    Sofia Fitas joue avec ses formes et tel un sculpteur, elle y applique avec lenteur tout un jeu de forces, de tensions et de torsions invraisemblables dans un atelier qui n’a plus rien d’humain. 

    Pour accompagner cette prestation, une bande sonore mêle des sons indistincts où à tout moment l’atmosphère de sons urbains ou industriels peut s’entendre comme un bruit naturel de vent ou de vagues.  La lumière en clair-obscur est parfaitement au service du propos en privilégiant l’éclairage pointu de la portion de corps présentée plutôt que l’illumination de l’ensemble. 

    C'était Experimento 3 de Sofia Fitas vu à la Briqueterie, dans le cadre de la biennale de danse de Val de Marne

     François (et contrepoints en italique de Guy)

     

    Photos avec l'aimable autorisation de la compagnie Sofia Fitas

     

  • Tout ça, c'est du cinéma (partie 2)

     

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    Geisha Fontaine et Pierre Cottreau jouent quant à eux, rassurants, au vrai faux documentaire. Pour partir chercher au Japon la trace d’un manuscrit de Spinoza… Et puis quoi encore? Plus qu'au sens propre, l’histoire se regarde à plusieurs niveaux, se goute comme une fantaisie philosophique. Le manuscrit perdu serait un traité d’optique. Il s'agirait pour nous d’exercer notre regard critique, au delà des apparences. Sur la plateau la chorégraphe est pour une fois vêtue selon son prénom, mais nous trompe de robes gigognes. Et plus tard, la Geisha n’est pas celle qu’on croit. Je renonce à m'impatienter, c'est une ballade. La narratrice, bonhomme et complice, nous mystifie. C'est une initiation, mine de rien, un chemin, parcouru à distance sur l'écran. L’enquête policière, de fausses en vrais pistes selon les lois du genre, est prétexte à nous inciter à changer de point de vue, savoir à quoi le monde ressemble vu à l’envers entre ses propres jambes. Les yeux trompent, les morales aussi, les nouvelles perspectives sont moins intenses qu'occasions de sourire.

     

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    C’était Les Yeux dans les yeux de Pierre Cottreau et Geisha Fontaine, vus au Centre National de la Danse dans le cadre du cycle danse et cinema

    Guy

    Photos de Pierre Cottreau avec l'aimable autorisation de la compagnie.

  • Tout ça, c'est du cinéma (partie 1)

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    La pellicule est rayée, granulée comme dans les songes agités d’un chien andalou, en noir, en blanc, en sang. Les images rescapées s’enrayent et défilent, boucles sur les trois faces du cube éventré-  sous les pieds de Veronica Vallecillo, derrière elle, tout autour. L’ailleurs s’entrouvre, s’écoule dans l’imaginaire.  Elle se déplie au centre, dans ce flux lumineux d'un autre temps. Joue de contrastes primaires et crus: visage de craie et bottes vermeilles, comme les lèvres. Le film est muet, inquiétant. Elle, tout autant. L’exercice: difficile, tendu, extravaguant. Pas un son, pas un souffle. Rien qu’un silence insoutenable. A nous retenir sans respirer. Mais les images ont un rythme,  les pensées s’agitent. Comme son corps d’un flamenco outré, vital, qui sans sons enrage. Qui laisse imaginer douleurs et révoltes. Et puis à l’intérieur on devine les battements du cœur. Les images l’entourent et la soulignent, une prison ou une salle de danse, dessinent de fausses portes. Il ne reste que vertige farouche, sardonique, intense. Ca me heurte mais ça me parle.

     danse,veronica vallecillo,centre national de la danse

    C’était le vrai-faux film muet qui vous parle de Veronica Vallecillo, vu au Centre National de la Danse dans le cadre du cycle danse et cinema.

    Guy 

    photos par Elise Boual avec l'aimable autorisation de la compagnie

  • Passage

    J'avais vu une présentation de Requiem de la Zampa il y a deux ans . L'ami François a vu la représentation à Artdanthé, il raconte... Guy

    Proposer un Requiem sur scène sous forme de spectacle vivant dans un festival réputé pour défricher les territoires peu fréquentés, voilà qui me semblait un peu curieux et même paradoxal. Comment s’attaquer à un genre musical et chanté aussi codé, par la voie de la chorégraphie ?

    Le duo de la Zampa réalise avec son Requiem une prouesse étonnante en renouvelant totalement le genre tout en en gardant le sens fondamental d’une prière, d’une opposition entre la tristesse de la fin et l’espérance de la renaissance. Entre la mort du corps et la perspective espérée d’une vie éternelle. Bref ce qui a hanté l’être humain depuis au moins 4000 ans aux exceptions contemporaines près. 

    Quelques mots sur le dispositif : au fond, le guitariste Marc Sens avec ses outils. Il triture, il stridente, il module, il frotte, il frappe, il effleure, il arche, il hâche , il lâche les sons. Devant, derrière et devant, Romual Luydlin pour réciter au micro un texte de Casey. Devant et un peu derrière, Magali Milian, équipée d’un harnais et coiffée d’un masque tiré de je ne sais quelle mythologie, un peu à la Tolkien, (peut-être un masque de bête ou de chien ?), vit pleine d’une énergie saccadée rythmée par le claquement de ses talons. Elle nous offre une jolie cavalcade construite autour de gestes revenant comme une ritournelle.

    La danseuse s’effondre inanimée. Le danseur se coiffe à son tour d’un masque similaire et vient la rejoindre dans un tempo soudain devenu figé et ralenti. Il traîne le corps de sa compagne d’un bout à l’autre de la scène, la soulève du sol  à mains nus, fixe des cordes au harnais et finit ainsi par l’envoyer en l’air. Toute cette phase, très lente, constitue le moment fort du spectacle et offre une beauté fascinante et pleine de suggestions. Qu’elles soient érotiques face à ce corps de femme abandonné à celui de l’homme (je ne suis pourtant pas amateur de bondage japonais). Qu’elles soient picturales quand on y retrouve les motifs maintes fois représentés par les peintres du passé (Piéta, Descente de Croix). Qu’elles soient mythologiques quand on voit sur scène une sorte de Charon, passeur du fleuve Styx, faisant traverser un corps abandonné par la vie. Il faut souligner ici l’excellent jeu de lumière imaginée par Pascale Bongiovanni. Je ne sais pas si c’était intentionnel mais une fois le corps de la danseuse suspendu dans les airs par le mécanisme des attaches et des poulies, j’ai vu se détacher sur le sol l’ombre d’un pendu se balançant un bout de sa corde.

    Le passage à travers le tunnel de la nuit s’achève. Les danseurs ôtent leur masque. Lui se retire au fond de la scène. Elle, dyonisiaque, retrouve un rythme endiablé de mouvements répétitifs puis libérés, nourrie d’une musique énergétique. Nous voilà arrivés sur l’autre rive. En vie encore. Toujours.

     

    François Pluntz

     

    c'était Requiem de La Zampa au théatre de Vanves.

  • Aux Antipodes

    C’est la question du regard posé sur l’artiste étranger. Le considère-t-on en fonction de son héritage culturel, ou selon son universalité qu’il porte? Faits d’hivers invite cette année des chorégraphes d’Australie, avec la complicité d’Angela Conquet. Mais sont-ils représentatifs des courants qui traversent leur pays, ou le choix de la programmation répond-il à nos attentes de public parisien ?

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    Phoebe Robinson, l’interprète de Transit de Sandra Parker, s’installe en donnant l’impression d’être nulle part, donc partout chez elle. Avec des gestes à l’affut, qui se cherchent, comme pour se saisir d’instants cachés. Explorations de soi de la pulpe des doigts, vers le front, la main, le bras: le corps se mesure à son envergure, se définit, se réarticule. Je suis étonné de la pulsation impalpable mais si présente qui règle ses mouvements. Les yeux aussi, intenses, semblent en recherche. Sur l’écran derrière elle les nuages passent et restent le gris, le bleu. Comme chez nous, comme ailleurs. La danse s’interroge encore dans une douce solitude. Apparait alors l’image d’un arbre aux antipodes. C’est un contexte, presque déjà d’un continent, au son d’une musique de pionniers. Les mouvements se taisent, le corps est coi, ils reprennent, cassés. Je vois des mouvements universels, mais aussi un dialogue avec l’immensité autour d’elle, dans un pays à explorer.

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    D’où semble venir Matthew Day, peroxydé des cheveux aux baskets? Il s’agite de mouvements répétitifs, les muscles pris de tremblements nerveux, s’installe dans un inconfort instable. Je retrouve dans son opiniâtreté à s’écarter des chemins bien tracés et à rendre au corps son étrangeté la même obstination sourde que met en œuvre la portugaise Sofia Fitas. D’une position tordue à l’autre, dans un parcours malade, les transitions sont imperceptibles. Il joue avec nos nerfs, on comprend qu’il n’y pas d’issue, sauf à ce qu’il nous entraine dans sa folie. Il nous fascine et nous enferme. Abstraite des grands espaces, la danse se concentre dans la psychée.

    C’était Transit de Sandra Parker avec Phoebe Robinson et Cannibal de Matthew Day, vu à Micadanses dans le cadre du festival faits d’hiver.

     Guy

    Photos d'Almory Culvenor (1) et d'Heindrun Lohr avec l'aimable autorisation de faits d'hiver.