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Danse - Page 2

  • Noir, est-ce noir?

     

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    Noir ce n’est pas noir (c'est argenté peut-être ?), les corps se dessinent par reflets, la matière s’efface et que reste-t-il? Les êtres? Je vis une expérience sensorielle singulière. Au commencement, l’obscurité est parfaite, tous repères dissous, aveuglés vers l'infini. C’est une mise en condition. Il est ce soir utile de renoncer à voir, désapprendre et mériter ensuite. Patience. Les danseurs se laissent juste deviner. Ils s'extraient du néant. Même plus de lumière plus loin, ils ne seront jamais vraiment révélés. Sinon en négatif au sens photographique du terme. Comme à travers un miroir, couleurs inversées. Une huile noire recouvre seule les corps, recouvre le plateau, recouvre tout. Ces corps m’apparaissent donc comme jamais, c’est-à-dire à la fois irréels et précis, leurs formes magnifiées. Une évidence oubliée revient au jour: on ne connait jamais la réalité de la matière mais ce que nous en renvoie la lumière. On croit voir la surface mais sans connaitre l’intérieur. Ils viennent donc d’ailleurs, étrangers, fascinent et inquiètent. Ils viennent d’un passé très lointain, ou de plus loin encore. Metalliques, extra-terrestres. Leurs mouvements me saisissent, et la danse n’est pas le propos. Je vois migrations et malédictions, errances. ils se dorent, glissent sur l’huile noire, spectaculaires. Est-ce une facilité? Je préfère me dire que de cet autre côté, les lois de la gravité n’ont plus court. Ni la raison. Dans cette perte d’équilibre et de contrôle, crescendo sous les flashs, je vois violence et sauvagerie, désir et impudeur, les corps luttent, se portent et se mêlent. Le recit est trouble, incertain, j'en suis presque insatisfait, mais perçois les échos d'une  histoire sous une forme que ni film ni photos ne pourraient capturer, les mots un jour peut-être. Il y a tant à faire ce soir avec l'obscurité et ces corps qui y sont livrés, et pour nous tant à deviner. Je vois cette pièce comme un commencement.

     

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    C’était Bouncing Universe in a Bulk d’Eric Arnal Burtschy, au théâtre de Vanves dans le cadre d’Artdanthé

    Guy

    Photos de Laurent Pailler avec l'aimable autorisation du théatre de Vanves

  • Pour qui sonne le glas

    La salle est bondée, surchauffée. Arrivé peu avant l’heure je ne trouve à me placer qu’au fond tout en haut de la salle, en point de vue neutre, détaché. Mais l’’attente collective me rend nerveux, cette fébrilité.

    Le tambour sonne monocorde, lourd. Des silhouettes apparaissent et arpentent la scène d’avant en arrière, avec gravité et sans affect, sans marques d’individualité. Inexpressives. Elles se succèdent les unes aux autres, répètent les mêmes parcours. J’imagine des soldats, des prisonniers dans une cours de promenade. Leur nudité se porte comme un uniforme. La lumière blêmit les corps. Ils se dupliquent: 6, 9, 18, ni seuls ni ensemble, mais chacun asservi à un ordre invisible, à un mouvement perpétuel, comme des machines dont on ne sait si elles ressentent. Le nombre et la coordination impressionnent. Mais vus de si haut, de si loin, depuis une heure peut-être, c’est à peine une humanité, incertaine, des fourmis nues. Nous spectateurs sommes serrés, tendus, séparés, suspendus dans l’attente de quelque chose qui viendrait rompre la monotonie de ce ballet sévère: un évènement, une narration. L'energie couve et inquiete. Je guette chaque petit geste, toute infime variation que je pourrais  interpréter. La répétition m’épuise, je lutte avec mon carnet et mon stylo.

    Enfin un autre cycle s’ouvre, les bras se lèvent pour cacher les yeux. Avec d’autres mouvements, la danse nie toujours l’individu. Les corps- les danseurs se groupent par sexe- se croisent sans jamais se rencontrer. L’avenir est bouché, et je refuse de distinguer en bas la condition humaine. Le tambour s’alourdit d’autres bruits. Les corps semblent enfin se libérer, exprimer quelque chose d’en dedans. Puis ils tombent comme des mouches, balayées par un vent invisible.

    Fausse sortie: ils reviennent en petits soldats du début, la musique de plus en plus oppressante. Enfin ils font groupe (sont-ils moins seuls pour autant ?), s’émeuvent et s’égarent, en une rave frénétique, une orgie spasmodique, toute collective, avec des figurations de coïts aussi mécaniques que les défilés du début. Je ne vois ni espoir ni liberation. Toujous mus. Mais l'energie fuse. Autour de moi des spectateurs en état de siège, qui suent toujours ou s’étaient assoupis, mais qui à la fin se lèvent pour applaudir comme un seul homme. Ovation.

    Je ne la ressens pas mas la comprends, l’efficacité de cette synthèse entre les effets de masse du ballet classique et les concepts contemporains, répétition et nudité. Un peplum post moderne. J’ai reçu des ondes de choc, je n’ai pas vu l’humanité.

    C’était Tragédie, d’Olivier Dubois, au 104

    Guy

    lire aussi: Le Tadorne

     

  • Hier

    Bilan ?

    …Anti-Bilan ?

    … Rapport d’activité ?

    Il est sans doute moins malaisé de commencer par les chiffres? 53 nouveaux spectacles chroniqués cette année 2012, juste au-dessus du seuil symbolique d’un par semaine. Impossible de nier que le rythme se ralentit depuis le début du blog (500 entrées entre mi-2006 et mi-2012). Pourquoi? J’écris lentement  depuis toujours, aujourd'hui plus lentement sans doute. La production au rythme actuel suffit sans doute pour justifier la continuité du blog, compte tenu de contraintes liées à ma vie professionnelle, familiale, personnelle… La lassitude vient parfois, jamais au point de me faire envisager d’arrêter. Tant qu’il y aura de l’étonnement et de l’émotion, et la sensation que l’écriture ensuite réordonne la perception…

    Ce chiffre ne correspond pas au nombre de posts publiés. Certains posts rassemblent plusieurs spectacles, mis en perspective dans le cadre d’un festival (Frasq) ou par choix personnel (Fauve et this is the end autour de la jeunesse). A l’inverse, il y a une bonne vingtaine de spectacles dont je n’ai pas parlé, presque autant de autant de regrets, quand ce n’était pas par manque d’intérêt, mais  par manque de temps ou difficulté dans l’approche.

    Aussi, j’ai rediffusé une dizaine de chroniques (La mort et l’extase, show funèbre à sept voix...) à l’occasion de reprises, encouragé par les remarques d’amis frustrés de ne jamais pouvoir voir des spectacles dont ils ne lisent souvent le compte rendu qu’après la fin des programmations (souvent courtes). Je me rends ainsi compte que je dispose d’un fond de textes, mais qu’en faire?

    L’une des vocations du blog était de découvrir de nouveaux artistes. Le rapport entre propositions d’artistes que je connaissais déjà, et d’artistes que j’ai découvert a été en 2012 de 60%/40%. J’ai dans les faits plutôt privilégié la fidélité au détriment du renouvèlement. J’ai vu cette année deux créations de de Thibaut Croisy, de Laurent Bazin, de Sandra Abouav, des artistes donc prolixes et assez bien programmés. Au moins sont-ils jeunes et émergeants. Il y a des artistes dont je suis les travaux avec passion sur la durée, voire des propositions dont j’ai  rendu compte plusieurs fois à différentes étapes  de la création (Le modèle d’Eléonore Didier, Sous ma peau de Maxence Rey). Les choix sont compliqués. L’offre est si abondante à Paris que je ne peux en embrasser qu’une fraction. Au-delà de mon plaisir et de ma passion, le désir d’être utile vis-à-vis d’artistes entre trop peu connus et de partager constitue un moteur. L’animation cet automne d’un atelier d’écriture en milieu carcéral a été pour moi une expérience forte et féconde.

    Si l’on parle de catégories…. Les choix se portent plutôt vers ce qui est considéré comme de la danse de danse, aussi du théâtre, un peu de cirque, des performances, des lectures, des concerts… en privilégiant des formes mixtes, surprenantes, incisives, qui transcendent les genres, à forte teneur en émotions, incarnées, avec de vrais sujets et utilisant de nouveaux modes narratifs. Les propositions de Viviana Moin (hélas absente cette année) répondent bien à cette définition. Seule contrainte définie dès le départ, ne parler que  ce qui peut être qualifié de spectacle vivant. Je suis tenté, paradoxalement de faire de plus fréquentes incursions dans des genres populaires (théâtre classiques, café-théâtre)… sans y parvenir pour le moment.

    Je me sens bien incapable de tirer un bilan artistique de l’année, ce pour plusieurs raisons. Mon regard sur chaque proposition est singulier, subjectif, et indissociable de circonstances particulières, n’existe que dans le cadre d’une relation à un moment donné avec des artistes. Et surtout, j’assiste qu’à 1% de ce que ce qui est proposé à voir, ne participent pas aux festivals (Avignon) ou saisons (Théâtre de le Ville) qui forment, même en négatif, l’opinion.

    Ma fréquentation se concentre sur certains lieux pour différentes raisons: une confiance en leur programmation, l’habitude d’y rencontrer des personnes avec qui j’au plaisir à échanger, et pour des raisons pratiques et financières tenant aux invitations. J’ai beaucoup fréquenté La Loge (8 fois), ce qui rend justice au développement de ce jeune lieu, sans délaisser des valeurs sures (Théâtre de Vanves et Artdanthé: 7 fois), Etoile du nord (5 fois), les lieux de résidence où se travaillent de jeunes  chorégraphes (Point Ephémère 6 fois à l’occasion des petites formes, Mains d’œuvres, Micadanses 3 fois). J’y vois beaucoup de Solo, duo, trio, des propositions sensibles et intimes, en rapports serrés avec les artistes, au détriment du spéculaire avant grand moyens décors et effectifs. Dans des lieux aux salles à taille humaines à l’exception de la villette (2), du nouveau théâtre de Montreuil (2), de la cité la cité internationale (3), le Rond point (1). Pour être complet, je suis aussi passé par Gennevilliers, Regard du cygne, le colombier, atelier Carolyn Carlson, le centre culturel suisse Ma fréquentation se concentre clairement sur quelques lieux, ce qui porte à réflexion. J'ai cependant assisté à 6 proposition dans des lieux inattendus: Salon de coiffure (Lionel hoche) appartements, lieux publics…

    L’écriture…Elle est toujours difficile à produire, mais me semble plus s’assagir, moins libre dans la forme que ce que je rêverai. Banalisation ou maitrise ? J’ai au moins le sentiment d’assumer ma position de spectateur concerné sans être érudit, ainsi que l’exposé de ma subjectivité, et d’adopter une juste posture entre bienveillance et lucidité.

    Fréquentation: Plusieurs milliers de visites uniques par mois me laissent à penser que je suis lu, ainsi que de nouvelles inscriptions à ma mailing list d’une grosse centaine d’abonnés. Peu de commentaires sont laissés, mais les « j’aime « sur facebook, témoignent de lectures actives plutôt de de visites fortuites. Certains échanges me confirment mon rôle de prescripteur même vis-à-vis de professionnels.

     Vos suggestions?

     Bonne année

    Guy

  • A l'école du corps

    Ce soir là, j’assiste à une nouvelle leçon à l’université libre du professeur Carlo Locatelli, c’est au Regard du cygne. J’ai révisé mes notes de la dernière fois : l’anatomie et la dynamique à l’œuvre sous la peau dans sa fascinante complexité, les mécanismes, les systèmes et équilibres. Prêt maintenant pour un changement de perspective, dos à l’occident, regard tourné vers les orients, ouvert sur d’autres cultures qui régénèrent notre rapport au corps oublié. Le prof commente, et sur l’écran les images défilent, modernes ou millénaires, indiennes, chinoises, tibétaines. Ce corps subtil s’habille de nouvelles logiques, en accéléré: chakra, lignes de forces, ying, yang. Mon corps aussi, le mien, pour une redécouverte. Sans croire à nouveau au pied de la lettre, pas de conversions ni recettes. Mais reconsidérer de nouvelles pistes avec curiosité, même si la leçon de ce soir manque un poil de pratique. La danse s’impose ensuite en blanc et noir, en opposition et harmonies, en masculin et féminin qui interagissent subtilement. Quelque chose vibre dans l’air, peut-être. Je m’arrête là, c’est bientôt l’heure du yoga.

    C’était Le Corps subtil, conférence dansée de Carlo Locatelli, vue au Studio du regard du Cygne.

  • Danses en forme- partie 1

     

    Pour ceux qui veulent découvrir le tango contemporain: Tango Obstinato revient demain au théatre de Vanves.

     

    rediffusion du texte mis en ligne le 23 juin 2012

     

    A quoi sert, toujours, encore, la danse? La réponse de la compagnie Keatbeck prend la forme d’une contre-utopie, habillée d’un futurisme blanc très début 70’s. La danse permet de réanimer les émotions dans un monde où elles se sont taries. Guidé par un duo d’assistants, l’un muet, l’autre maniant la novolangue, le spectateur est invité à participer à l’expérience. Il choisit son programme dansé sur un pupitre de commandes: désir, peur, surprise… Pièces maitresses de cette dancing box: quatre danseurs programmables- deux filles et deux garçons- automates sujets à pannes et dérèglements, qui performent cette émotion autour du spectateur en cure… Le concept est ludique et étonnant…  à un point que j’ai du mal à me concentrer au centre sur la danse et l’émotion elle-même.

    danse,point ephémère

    A quoi sert aussi la danse ? A brouiller les repères, mélanger les formes, traditions et nouvelles sensations. Quand on me dit Tango, je pense à tort ou à raison, poussière et répétition... Ce Tango Ostinato revendiqué contemporain m’étonne, les vieilles partitions sont littéralement chassées des pupitres. Le couple de danseurs se poursuit en un jeu du chat et de la souris (mais qui est qui ?), dans un labyrinthe de relations sous-entendues. Regards en coin, frôlements et rêverie, sensualité contenue, quant-à-soi et rebondissements… Le temps s’étire au rythme de notes graves de violoncelle rondes et organiques, sur la dynamique d’une danse élastique. Dans un monde au ralenti, d'émotions intenses et contenues, tout est possible.

     

    E vento tango 2--photo-Caterina Santinello.jpg

     

    Un autre couple, quant à lui s’essouffle vite. Le Cri de la Gazelle fait la démonstration que la complète nudité est parfois lourde à porter. Faute de vision, de l’érotisme il ne reste ici que ruines: vulgarité et platitude. Sous une lumière d’aquarium, quelques poncifs: le mâle chasse la proie féminine qui se pâme et feint de résister. Extinction de voix.

    C'était Dancing Box de la compagnie Keatbeck, Tango Ostinato (extrait) de la compagnie Abrazos et le Chant de la Gazelle de la Compagnie Technichore, vus à Point Ephémère dans le cadre du festival Petites (d)formes cousues.

    à suivre...

    Guy

    photos de Régis Pennel avec l'aimable autorisation de la compagnie et de Caterina Santinello avec l'aimable autorisation de Point Ephémère.

  • Rire de tout?

    Dans une semaine, Laétitia Dosch fait peter le Centre Culturel Suisse, on vous aura prévenu....

    Redifusion du texte mis en ligne le 6 fevrier 2012

    En robe noire lamée (« car la scène, c’est que du désir »), et sourire de commande, La performeuse joue un personnage... de performeuse cheap en configuration-stand up- one-woman-show. Qui fait le truc qui marche, économique: bonne soirée et rires garantis sinon remboursés, connivence préfabriquée avec le public. Et puisqu’on est ici pour s’amuser- insinue le personnage en sous texte- pourquoi se gêner de tabous et limites? On ne va se laisser emmerder par le politiquement correct… Dépassé même l’humour époque Hara- Kiri:d'emblée quelques vannes pas fines sur les handicapés, pour mettre de l’ambiance. C’est un premier problème pour les spectateurs, pourtant spectateurs avertis, pris à contrepied. Qui réagissent les uns par un silence prudent, les autres par des rires incrédules voire effarés. Une certaine jouissance, excitation, de la transgression pourrait-elle s’autoriser à cet instant à s’exprimer ouvertement? Si certains des spectateurs sont choqués, ceux-ci évitent de le manifester. Quitte à s’interroger in petto: ces horreurs reçues plein fouet sont-elles simplement dites…ou déjà dénoncées? A ce stade, à chacun sa réponse. Pour la performeuse, pas de raison de s’arrêter en si bon chemin. Tout y passe sur un mode joué naïf et enjoué, de ce qui peut trainer dans les têtes d’indicible et idiot, de sous-entendus et de non dits. Faut que ça sorte, « par la bouche ou par un autre chemin ». Un peu de bonne conscience politique et engagée, les blagues sur l’holocauste et les juifs (« rancuniers »), sur les cancéreux, une chanson du fœtus avorté, des devinettes de pédophiles (« Que les pédophiles lèvent la main, il y a deux dans la salle, statistiquement »). On rit toujours, d’une manière plus réfléchie, plus compliquée. Dommage, le temps manque pour le sujet des religions…

    laetitia Dosch.jpg

    Dans cette création choc et saissisante, sacrée prise de risque pour Laëtitia Dosch… et brillante entreprise de dénonciation. Débridée, la bêtise enfle jusqu’à exploser, s’emballe jusqu’à l’autodestruction. L’humour bête et méchant fait long feu, les tics se multiplient, comme les dérapages agressifs, la parole s’épuise. S’y substituent quelques pas de danse jusqu’au dérèglement. La machine tourne à vide, déraille jusqu’à se pisser dessus et pas de rire, se vautrer dedans autant que dans les déjections mentales. Pour tirer les dernières cartouches spectaculaires, le corps se dégrade dans le bouffon. Cheval, chien, cochon. Pourquoi, encore, rirait-on? Ne reste au moment du dernier compte à rebours, que vide, angoisse de mort et vertige. Le temps de se dire (position personnelle) que toute censure est contreproductive, qu’il faut laisser la bêtise se dénoncer d’elle-même. Elle a essayé: on peut. Rire de tout… mais pas avec tout le monde! Avec Laétitia Dosch, je veux.

    C’était Laetitia fait péter Artdanthé de Laetitia Dosch, au théâtre de Vanves dans le cadre du festival Artdanthé.

    Guy

    photo avec l'aimable autorisation du théatre

  • Concordan(s)e 2011, des espèces d'odyssées

    A ce qu'il parait, cette bête reviendrait jeudi prochain, avec FRASQ

    Rediffusion d'une note mise en ligne le 27/4/2012

    Les rencontres de Concordan(s)e s'aventurent en plein inattendu, l'approche croisée des danseurs et écrivains accouche de résultats surprenants, des ajustements secoués, vers de drôles de mutations.

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    Dans l'air planent des hésitations. Une bête rode sur le plateau: un danseur à fourrure, la présence est intrigante, mais pas plus inquiétante qu’un gros toutou. Un écrivain se tait à la platine, n'écrit pas non plus, d’abord prostré sous sa table. Mais suit un traité de domestication, le récit de la sélection méthodique des renards par Dimitri Beliaev, en Sibérie. L’homme regarde vers les étoiles, l’écrivain est à sa table mais son double à poils agit en contrepoint. La bête prend le contrôle et secoue les luminaires, tandis qu’on évoque Gilgamesh et la sonde voyager. Entre deux anecdotes évolutives passe le souvenir de P.K. Dick, de Sun Ra, de l'Odyssée de l'Espace. Mystérieuses destinations. Où en sommes nous, à quel âge? Dans une étreinte sérrée l’homme et la bête se confondent.

    C'était Des écumes civiles une création de Lionel Hoche et d'Emmanuel Rabu , au Colombier de Bagnolet, dans le cadre de Concordan(s)e

    photo de Sylvain thomas avec l'amaible autorisation de Lionel Hoche

  • Etats de nues

    Vous n’avez encore rien vu, et je n’avais encore rien vu de sous ma peau, au moment de l’extrait montré en janvier dernier. En 9 mois la gestation a fait son œuvre. J’avais alors vu, de ce trio de femmes, l’identité remise à zéro par la mise à nue. Une idée d’absolu. Masquées et anonymes, corps vierges et découverts. Des poses assises en clair obscur glissaient légères vers des affirmations de soi allusives, minimales, s’abstrayant de la vulgarité ou de la pudeur. Le corps se lisait lent, évoluant doucement dans un état d’érotisme suggéré, qui sait? Mais elles se transformaient déjà, par des exercices de monstruosité ou de laideur, au point d’abolir même la laideur. Les masques tombaient alors sur une interruption, ils tombent ce soir sur d’autres mystères. Des masques sous les masques, et plus encore.

     

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    Je croyais la ligne bien tracée depuis ce début, mais ce soir les mues continuent, d’autres peaux sous la peau première, je sais que je ne sais plus. La pièce s’élance, mais dense accumule les sens, la danse les ambivalences. Leurs identités se reconstituent, se perdent, s’affirment à nouveau mais chaque geste s’accumule, à double sens, nos sens chavirés. Elles s’animent et se jaugent, s’étalonnent, s’affrontent en rivalités aveugles, enfin se fondent ensemble, se consolent en toute sororité. Où est-ce un charnier? Hiératiques, visages effacés tels des mannequins dans une vitrine, elles tremblent l’instant d’aprés, vulnérables et terriblement humaines. Après des balancements organiques, elles sont saisies d’emballements mécaniques. Clins d’œil sous les archétypes féminins, couche sur couche. Au millimètre. Les états charnels dessinent peu à peu en subtilité une belle, ample, fresque du premier sexe, vers l’émancipation: dernier masque arraché c’est le visage qui a le dernier mot, avec fierté et humanité. Cette pièce n’est pas féministe, elle est sans doute politique, en toute subtilité. Je suis laissé confus, et impressionné. Dans l’admiration et la perplexité. Je n’ai pas tout vu. Faut-il avoir le regard d’une femme? Pourtant j’étais prévenu. J’avais vu plusieurs fois et avec plaisir les bois de l’ombre et jamais vu la même pièce. Cette pièce là, je la reverrai, et chaque fois elle aura encore fait sa mue.

    C’était Sous ma peau de Maxence Rey, vu en filage à l’Atelier Carolyn Carlson, créé à LEtoile du Nord jusqu’à ce samedi.

    Guy

    photo: Aléida Flores Yaniz avec l'aimable autorisation de Maxence Rey

  • sans titre ni feminisme (bavardage)

    C'est l'histoire de 6 femmes normales qui montent sur scène à poil, puis dansent des danses plutôt banales. On est un peu surpris au début par ce décalage car elles dansent à poil, mais comme les danses sont assez banales, l'effet fait long feu, on s’ennuie et puis c'est fini…

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    Première descente en flamme sur ce blog depuis longtemps. Ceci mérite des explications. En matière de spectacle vivant, beaucoup de propositions m’ennuient (dont par exemple celle-ci), certaines m’agacent… mais pour des raisons qu'il me faut m’expliquer à moi-même, beaucoup m’intéressent et même m’enthousiasment à un point qu’il est urgent de les partager. Mon plaisir, c’est de parler des propositions qui relèvent de la dernière catégorie (les coups de coeurs) et parfois de la seconde( les poils à gratter). Repenser et se repencher sur les expériences de la première catégorie (les pensums) revient à subir une double peine. A force de reconsidérer celles-ci par le souvenir, on peut parfois y redécouvrir matière à penser, mais ces réanimations miraculeuses sont rares. Important: je ne suis investi d’aucune mission, je suis juste mon plaisir. Celui d’éreinter un spectacle est un amusement bien trop facile et paresseux. Et un certain relativisme me fait admettre que d’autres peuvent ressentir de belles émotions et aussi légitimes que les miennes en des circonstances où mon propre encéphalogramme reste plat. Laissons- les en paix. Donc très peu de « critiques négatives » ici. Au risque de donner l’impression d’être trop positif. Même complaisant. Voire connivent… en bien, tant pis!

    Pourquoi alors revenir sur Untitled Feminist Show?  Parcequ’il se passe quelque chose de bizarre.Tout le monde m’en parle. et je ne comprends pas pourquoi. Cela commence à Gennevilliers (jusque là c’est normal). Tout le monde a applaudi, mais cela ne veut rien dire. Après vient le moment incertain, à la sortie de la salle, où l’opinion à peine formée, on a des scrupules à proclamer tout de go quelque chose de tranché. Au risque de pétrifier son interlocuteur dans son jugement. Je me suis déjà formulé d’être resté sur ma faim passées les entrées en scène plutôt intenses. La 1ère scène style opérette m’a énervé, j’ai ressenti la suite fade, sans substance. J’entends une spectatrice dire que pour une fois la nudité ne l’a pas agressé, mais sur le ton avec lequel on donne un bon point. Il y a un buffet. Très bon. Aparté avec un critique pro, puis, par hasard, avec un autre. A mi voix, comme des conspirateurs. Sur la même ligne que moi, avec leurs mots. Énervés par le passéisme de certaines scènes, ou blaguant que le show peut épater un public américain. Dressant cruellement une impossible comparaison avec l’audacieuses proposition de Muriel Bourdeau de la veille, proposition qui elle ne ressemble à rien d’autre. Consensus minimal. Mais consistant. Est-ce ainsi qu’une opinion collective se forme ? Échange avec d’autres connaissances : mêmes réactions, communes aux femmes et aux hommes. C'est rassurant, rien à voir avec mon regard de mâle. On me glisse: de l'Apple à poil, bien vu. Fin de soirée, sommeil, classement vertical.

    Mais l’histoire n’en finit pas là. Loin des théâtres je rencontre Clémence. Elle aborde le sujet de cette pièce (où est ce moi ?) regrettant de n’avoir pu la voir malgré son envie (pour des raisons peut-être féministes). Je la détrompe. Puis hier ma chère cousine Marie-Lys, que je ne savais pas familière du T2G, s’emballe pour la pièce sur son mur Facebook. A tort ou à raison, j’interviens, je commente. Marie Lys reste calme et mesurée. Bravo. j'essaie d'oublier. Mais aujourd’hui Sylvie, que je n’ai pas vraiment jusque là le plaisir de connaitre, me demande par un message mon opinion, je la lui livre (toujours la même), mais Sylvie dans sa réponse est encore plus dure que moi-même. Alors je lis les 3 coups et j’ai envie de pleurer. Bref tout le monde semble s'intéresser à cette pièce (alors que j’aimerais tant que d’autres œuvres soulèvent autant d’intérêt…), sans que je ne comprenne pourquoi, mais je me sens une demande à laquelle je ne peux me soustraire, le devoir de partager, à titre exceptionnel: « c'est l'histoire de 6 femmes normales qui montent sur scène à poil, etc… »

    C’est presque fini, mais j’ai une théorie. Il y a une demande sociale forte pour Untitled Feminist Show. Mais si cette pièce n’avait tout simplement pas été montrée au bon endroit ? Dans un lieu dédié au théâtre contemporain comme le T2G, le nu ne suffit pas pour étonner et le style cabaret, qui n’est pas infâme en soit, ne passionne pas. Alors que dans un théatre privé, ou une scène consacrée à des comédies musicales familiales, la danse aurait été à sa place et la performance nue plus remarquée, plus forte politiquement. Mais on ne va pas refaire le monde, c’est tout pour aujourd’hui.  

    Guy

    C’était Untitled feminist show de Young Jean Lee, au Théatre de Gennevilliers

    Photo de Blaine Davis avec bandeaux noirs d'origine et l’aimable autorisation du théâtre de Gennevilliers

  • Couples en 3 D

    Les histoires d’amour finissent mal, à ce qu’il parait. Ce baiser entre deux femmes durerait alors pour toujours, dans le temps de la pièce. Je pense à Cary Grant et Ingrid Bergman, amants si ardents dans Notorius d’Alfred Hitchcock, pour ce possible plus long baiser de l’histoire du cinéma, mais entrecoupé de pauses et murmures, pour déjouer les règles d’alors. Ce soir pas de censure, seule la conscience du risque, la peur de tout rompre, par la séparation. Elles restent donc attachées aux lèvres l’une de l’autre,  comme à l’écran bougent pourtant, traversent la scène, s’allongent, se retournent. Unies mais empêchées, bloquées à ce stade de l’intimité, sans pouvoir ou vouloir aller plus loin, tout changement interdit.

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    Un autre couple joue dans le même temps à la manière de grands enfants d’une abondante matière molle et fluo, pâte à modeler instable et protéiforme, pour masques, projectiles et divers objets. Ils en construisent une yellow brick road qui ne mène à rien (ou est ce une barrière aux couleurs de La Loge?). Ils triturent et jubilent, déstructurent et remettent en ordre.

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    Le troisième couple est gardé à distance, silhouettes piégées dans le temps clos de la vidéo, muettes comme du temps du cinéma d’avant, au bord du burlesque. Notre camera ne bouge pas. Tout est écrit et cadré d’avance de la rencontre à la séparation, en passant par le lit, les jeux, les baffes et les gnons. Trois actions simultanées, l’ironie, le temps qui passe si bizarrement et que fait-on de tout cela?  On se laisse surprendre par l’imprévu, on suit le fil, on imagine et on se refait le film la saison reprend…

    C’était la création de Le risque zéro n’existe pas par Muriel  Bourdeau à La Loge dans le cadre du festival ZOA créé par Sabrina Weldman.

    Guy

    Lire ici Autoportrait de Muriel Bourdeau.

    Le jeune festival ZOA continue cette semaine à la Loge, avec Joël Hubaut & Léa le Bricomte, Gurshad Shaheman, Yalda Younes et Gaspard Delanoë.

    Photos avec l'aimable autorisation de Muriel Bourdeau