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Danse - Page 3

  • Double duo

    Reliés du coin de l’œil: Claude Parle à l’accordéon monumental, Piersy Ross à la guitare et toutes ses pédales tissent ensemble un tapis dissonant d’improvisations, un tapis volant, déchiré sur des sables mouvants. Ils lâchent des décharges électro-acoustiques- ça tangue et frappe à l’estomac- comme autant d’encouragements, de provocations.

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    Vers les corps sur le fil de Yuko Kominami, débarquée du japon, plutôt en dedans, traversée, vers le bas, prostrée, et Marianela Leon Ruiz qui s’étend plutôt vers le haut, mais dans toutes les directions, yeux ouverts et curieux, incontrôlée, à tâter les limites, et aller gratter partout, plutôt toucher que croire, bousculer. On se fait tout petit sur son siège, puis on respire: elle passe sa curiosité sur sa chaise, et comme pour tout jusqu’ à l’excès.

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    Yuko a des tremblements de bête blessée et tout vient des profondeurs, à son rythme elle se déplie. Fatalement- le lieu n’est pas si grand- la rencontre entre elles deux a lieu. Un choc lent, asymétrique, délicieusement bancal: c’est Yuko qui subit les assauts de Marianela. En un déséquilibre imprévu, improvisé. Normal: le message, c’est le corps, la liberté. Pas d’intentions mais des urgences. La récréation plutôt que les concepts et corvées. On pourrait encore appeler cela buto, mais le temps de l’appeler la forme aurait changée. Pas de règle du jeu, Marianela s’attaque à Claude, Ça réjouit. C’est la fin, on rit.

    C'était Imprudance avec Yuko Kominami, Marianela Leon Ruiz, Claude Parle et Piersy Ross à Ackenbush.

    photos avec l'aimable autorisation de Claude Parle.

    Yuko Kominami ouvre ce 20 juillet à 19H00 sa résidence à point éphémère (et c'est gratuit).

  • Danses en forme- partie 4

    A quoi sert la danse ? A extraire la beauté de là on ne serait à priori pas venu la chercher, avec des interprètes à mille lieues du petit monde chorégraphique, à changer notre regard sur eux…  Ce soir, aux mouvements des danseurs professionnels (dont Mai Ishiwata, vue chez Carlotta Ikeda et Tatania Julien) se mêlent et se fondent ceux de deux patients d’hôpital psychiatriques. Un homme mur, une femme corpulente à l’extrême, leurs corps bien loin des canons de l’esthétique. On pourrait craindre un spectacle de charité, considéré d’un regard faussé de complaisance….

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    Il n’en est rien. Question de délicatesse dans l’approche, surtout d’honnêteté. L’inspiration du spectacle vient du vécu des interprètes, leur besoin d’expression, canalisés par le travail en commun. Les échanges avec les professionnels respirent une fraternité contagieuse, qui font s’estomper les écarts en termes techniques. Les enjeux du spectacle se déplacent, s’adoucissent, s’humanisent. La gaucherie devient grâce et vérité, les contrastes entre raideur et souplesse se résolvent dans le jeu et la tendresse. La grosse femme devient centre du monde, rassurante et consolatrice, force élémentaire. L’homme incarne une belle innocence dans des courses champêtres. Tout se rassemble et culmine dans une ambiance de fête populaire. La pièce, bien nommée, s’intitule Vie, un appel à nous réconcilier avec nos corps, avec nous même. Ils nous rendent heureux.

    C'était Vie (travail en cours) de Claire Durand-Drouhin et la compagnie traction, vu dans le cadre du festival petites formes (d)cousues à Point éphémère.

    Guy

    Photos avec l'aimable autorisation de la compagnie

  • Danses en forme- partie 3

    A quoi sert la danse? A permettre d’entrevoir des forces invisibles, de nouvelles lignes au long desquelles l’énergie circule?  Sur scène, ces lignes dans l’air sont matérialisées: deviennent-elles des liens qui entravent, ou des liens qui relient? La chorégraphe Sandra Abouav se tient campée sur ses pieds au centre, dans l’œil du cyclone, fétu de paille pile au milieu du grand tourbillon- peut-être en est elle elle-même la source…   Le corps se tend, se plie, revient à son l’état initial. Se reconstitue en mémoire de forme, le temps aussi est un cercle.

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    Dans un maelstrom de sons et musiques empilés, je ressens une brusque ivresse, ou une fatalité, je la crois au perdue monde et elle m’emporte dans ce vide. Puis  elle me semble à l’inverse en pleine communion avec des forces la traversent, des forces qui préexistent. Elle retrouve mobilité et liberté, se développe en une profusion de sensations. Ailleurs on découvre entre énergie et matière de nouvelles particules, ici avec la pensée, le mouvement fait le monde. Hélices, pièce en devenir, prolonge en idées, maitrise, intensité, Slide, et me fait renverser mon point de vue, ressentir maintenant convergence plutôt que résistance.

    C'était Hélices de Sandra Abouav vu à Point Ephémère dans le cadre du festival Petites (d)formes cousues.

    Guy

    A suivre....

    photo par steve Appel avec l'aimable autorisation de la compagnie.

  • Danses en forme - partie 2

    A quoi sert la danse? A oser, partager les passions d’un corps dans ses états limites. Le corps d’Aina Alegre, intense reste pourtant éloigné de moi, dans la fumée. Lui, tendu de violences symboliques, âpre, sans douceur ni compromis m’oppresse et moi le regard éprouvé d’avoir déjà voyagé ce soir à trois autres reprises dans d’autres univers,je ne peux le suivre où il pourrait m’emporter.

    La danse nous pose des questions, visions à double fond, aussi ambigües que la vie même. Nous reconstruisons. Est-ce à présent, tout en lenteur, tout en discrète langueur, une histoire de corps, une histoire d’amour? Que s'est-il passé avant? La lumière est rouge, une femme en robe blanche se coule sur la table, au fond des images de radiographie médicales, celles ci qui imposent la dure vérité des os sous l'allusion des gestes. On entend plusieurs paroles surprises au vol à propos de l’amour, naïves ou cyniques mais toujours vraies, des propos de Discothèque? Ces mots ramènent à la lancinante dualité entre acte physique et sentiment amoureux, entre cœur et chair. Ainsi la femme se lève, mais bancale, avec seulementune botte, déséquilibrée elle boite. Mais du quel des deux cotés? Puis se regarde si belle en son miroir, mais parasitée de gestes de plus en plus incontrôlés. D'où vient la fêlure? La pièce aurait pu s’achever ainsi, mais son dos nu laisse apparaitre une peau marquée, non d’une blessure d’amour mais d’une vraie cicatrice, tout est alors à repenser.

    C'était No Se trata de un Desnudo mitologico d"Aina Alegre, et Discotheque de la compagnie LFB avec Lilliana Garcia Gomez, dans le cadre du festival Petites formes (d)cousues à Point Ephémère.

    A suivre...

    Guy

  • Les forces de l'esprit

    Vraie – fausse conférence ou tours de passe-passe? Tout est ce soir joué, décontracté, mais tout est pourtant vrai. Laurent Bazin et ses complices nous ramènent image par image dans le Paris de 1870, alors que l’art de la photographie est jeune encore et que le spiritisme fait fureur. De là à croire que le « dégagement moléculaire » du « fluide » des médiums puisse faire une forte impression sur les plaques photographiques, et que s’y fixent les images fantomatiques de nos chers disparus…. Un certain Edouard Buguet excelle alors dans ces exercices d’apparitions-souvenirs, pour le grand réconfort des inconsolables. Mais que se passe-t-il vraiment dans sa chambre noire? On le saura à son procès…ou non.

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    On n’en croit pas ses yeux… pour autant les acteurs-performeurs-conférenciers nous dissuadent à raison de trop rire de la crédulité de nos aïeux. A chaque époque ses pièges à illusions. Notre ère du vertige numérique nous sature de nouvelles images, manipulations, hoax et théories de conspiration plus vite que nous apprenons à les décrypter. En pleine campagne électorale, c’est une leçon qui tombe à pic. Mais en politique comme au théâtre, nous venons avec un peu d’esprit critique mais surtout beaucoup l’envie de croire. Le spectacle a l’intelligence et la sensibilité de laisser la voie libre à l’onirisme, laisser les fantômes revenir par surprise. il y gagne profondeur et sens. Il y a plus ce soir que de la démystification. A force de danse, d’ombres et de lumières la magie revient par l’autre porte, pour prendre la place que nous décidons de lui laisser. Invités à participer aux expériences, nous rentrons dans l’image, l’imaginaire libéré de la superstition.

    théatre,laurent bazin,la loge

    Enfant, je croyais dur comme fer aux monstres de Jason et les Argonautes. Bien des années plus tard je vois Ray Harryhausen sortir sur scène d’une petite valise ses créatures… le charme  reste intact pourtant. Les hasards de la vie professionnelle me font dans le même temps apprendre que près de 100 milliards de photos argentiques resteraient encore prisonnières dans nos boites à chaussures et nos greniers, pour être un jour peut-être numérisées….Si autant d’âmes et d’émotions sont captives dans ces images, il y a beaucoup de fantômes qui viendront encore nous surprendre.

    C’était Préface à la Venue des esprits, mis en scène par Laurent Bazin, encore ce jeudi à la Loge.

    Guy

    Images avec l'aimable autorisation de la compagnie

     

     

  • Un homme et une femme

    L’espace est concentré autour du couple: 4 mètres carrés d’intimité, yeux dans les yeux. Il n’y a qu’eux deux qui existent, et le vide tout autour. Sans paroles, des sensations de gaucherie, de pudeur, de désirs qui rôdent et d’anges qui passent. Entre eux les relations-est ce de l’amour ?- se cherchent. Leur hésitation parvient jusqu’à nous, palpable. Ou est-ce notre attente, notre curiosité? Comment donc être à deux, ensemble s’inventer? L’amour est un travail, de tous les jours. Comment, ou non, se toucher, se chuchoter à l’oreille des secrets?

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    Leur urgence s’exprime crescendo avec des accents de musique métal, leurs rapports physiques culminent mais figurés pour nous surprendre, sans vrai contact. Se réunissent-ils dans le plaisir ? Elle se lasse, il s’obstine. Se comprendre et  atteindre l’autre, ne serait-ce que des genoux, du bassin, des épaules…sans réussir à s’étreindre ni s’imbriquer, à avoir accès à l’autre. L’amour amer semble une lutte à mort, toujours à réinventer. Menacé par la lassitude, par une rengaine désabusée de Fleetwood mac.

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    J’aime cette danse qui me raconte son histoire, comme la vie violente, dure, drôle et tendre.

    C’était A Small Guide on how to treat your lifetime companion de Jan Martens au Nouveau Théâtre de Montreuil, dans le cadre du Festival les Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine St Denis.

    Photos de Stephan Van Hesteren avec l’aimable autorisation de la compagnie

  • Hors les murs

    Est-il parfois à l’étroit entre 3 murs? Le spectacle s’évade alors en sortant dans les rues, en s’invitant dans les lieux publics, les appartements, pour retourner à la vie. Le rituel théâtral y est allégé au profit d’un rapport plus troublant entre artiste et spectateur, pour un coup de jeune et d’imprévu. Les limites entre représentation et réel deviennent floues. On assiste ainsi aux errances du fou dans la ville avec Goyhei Zaitsu, aux parcours dans la ville de performance en performance avec hors-lits.

    Ce soir on a trouvé le porche, tapé le digicode, sonné à la porte avec sous le bras une bouteille ou un plat. Dans l’appartement inconnu, l’une des pièces est devenue une salle, avec chaises et tabourets. On vient chercher l’amour. L’amour auquel les écrivains nous ont initiés tout autant que nos propres expériences. Mais ces livres sont devenus secs à force d’être restés fermés depuis; il faut à nouveau les enflammer. L’actrice Marie Delmares-qui est une amie- a pour celà en elle l'étincelle. Avec ses histoires d'amour elle redonne voix, vie et corps aux personnages de J.D Salinger, Albert Cohen, Marguerite Duras... ainsi qu’à ceux d'auteurs contemporains (telle la non moins amie et non moins talentueuse Géraldine Barbe). A fond sans hésitation... Tour à tour homme, femme, jeune, vieux, Marie devient médium, corps jeté en avant, ses yeux dans nos yeux, incarne les avatars du sentiment amoureux, toute la gamme de l’innocence à la rupture en passant par l’extase… et par des épisodes plus burlesques. Si vous voulez inviter Marie chez vous pour faire rêver vos amis, écrivez-lui de ma part.

    Marie n’est pas la seule à célébrer Belle du Seigneur: la suisse Aline Papin souvent devient Ariane dans son bain. Le temps de s’entasser à cinq ou six spectateurs dans la petite salle de bain d’un appartement sous les combles, et la tête d’Ariane émerge de l’eau tiède de la baignoire. Elle attend Solal, son amant, elle se raconte, nous sommes d’invisibles témoins. Le corps se cache pudique sous la mousse, parfois surgit un pied, mutin. Ses pensées se livrent intimes, délicieusement balancées entre audace gourmande et prude naïveté, et maintenant la volupté de soi et de l’attente. Aucun regard pour nous, elle est présente et inaccessible, entière avec Solal en ses parôles et pensées. Je pourrais tendre la main pour refaire couler un peu d’eau chaude, mais le quatrième mur est bien là, infranchissable. Dans une ambiance d’étuve et un parfum de mousse, on a très chaud bien sûr. Soudain le visage d’Ariane replonge dans l’eau du bain, elle disparait dans le livre, et nous de la salle de bain.

    Loin de la salle de bain, il y a des lieux qui ne ressemblent à rien: froide signalétique, portes battantes, linoléum, couloirs sans fin et couleur d’hôpital. C’est le soir et toute activité a déserté cet édifice public, en cet instant fade et inutile. La représentation à venir va-t-elle animer ce lieu d'une nouvelle fonction, de nouveaux enjeux? C’est Thibaud Croisy qui nous a invités là, après nous avoir fait pénétrer pour sa dernière création dans l’espace privé –mais devenu fictionnel- de son appartement. C’est donc- dans la continuité- un grand écart. En suivant le regard de Thibaud Croisy, impavide, jusqu’au bout d’une perspective sans fin, on devine à nouveau Sophie Demeyer à sa posture. Alors elle vient lente, elle hante… Et je resterai évasif quant à la suite, cette performance qui existe de part notre attention à de micros événements, à la qualité de présence de l’interprète mais à son inaccessibilité aussi, à sa rencontre possible de ses mouvement avec le texte que l’on entend aux suggestions sensuelles, aux échos de la proposition précédente. Peut-être s'agit-il, avec cette Soustraction du monde d'une expérience limite sur la représentation, un traité d’effacement.

    Et il y a une proposition dont je ne pourrai pas parler: Leila Gaudin dansant en appartement avec Mains d'Oeuvres... j’ai loupé le coche, une autre année peut-être.

    C’était Histoires d’amour texte de plusieurs écrivains interprétés par Marie Delmares vus dans un appartement, Ariane dans son bain texte d'Albert Cohen mis en scène par Denis Maillefer avec Aline Papin, vu dans un logement dans le cadre du festival Extra ball du centre culturel suisse, Soustraction du Monde de Thibaud Croisy avec Sophie Demeyer vu dans un lieu public parisien et programmé par le Studio Théâtre de Vitry.

    Guy

    Lire aussi:

    je pensais vierge mais en fait non de Thibaud Croisy

    Goyhei Zatsu rue Caulincourt

    hors-lits à Montreuil.

  • Perspectives

    Toute pièce-et cette pièce, Le Modèle, tout particulièrement ?- ressemble à un être vivant, qui grandirait, semblerait se fourvoyer parfois, revenir dans le droit chemin, prendre de l’indépendance, susciter tout au long de sa croissance tendresse, inquiétude, admiration, étonnement, agacement…  Pour mémoire, c’est Éléonore Didier la maman. A Micadanses en décembre, j’avais vu les premiers pas de l’enfant en public, déjà bien assurés: à lire ici.

     

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    Puis pour Artdanthé à Vanves en février surgit, tumultueux, l’adolescent dans des habits neufs, crâne et turbulent. Dans la cour des grands. C'est la première parisienne.Trouble. Sous ce nouveau visage, je ne peux oublier celui de l’enfant. Je ne peux renoncer à ce que j’avais choisi d’y lire en premier lieu, à rester dans le cadre de mes premières interprétations (d’ailleurs toujours opérantes). Mais tout avance en accéléré. En quelques semaines la pièce a muri de plusieurs années. C'est la crise d’adolescence, la musique est heurtée: Nick Cave et Rage Against The Machine, plein volume et rythme impair, martelé. Au second plan, entre le modèle et l'infirmière, le rituel de la toilette se déroule comme dans mon premier souvenir. Mais à l’avant de la scène-je crois- tout change. L’interprète, Pauline Lemarchand, s’émancipe, sur un mode énervé, hors du registre que je connais jusqu’ici chez Éléonore Didier. Ce changement est-il réel, ou est-ce une question de perception? M’étais-je trop attaché la première fois à regarder l'action au second plan? La danse parait ce soir bien plus sous tension, moins implicite. Le nouveau costume est extravaguant et sexué, exhibe un sein libre et à l'entrejambes une découpe sur chairs. Le corps, frontal, est souligné par la lumière, accent ou maladresse ? A mes yeux la danseuse agit toujours dans le champ du rêve de la patiente, exprime ce qui sinon resterait enfermé dans le corps soumis au second plan à un protocole rigoureux , si bienveillant soit-il. Mais ce rêve jusqu’au crescendo dévale ce soir bien plus violent, fiévreux, agité. Je suis déstabilisé. La première des richesses de la pièce est de se faire dérouler simultanément deux actions et de suggérer des interactions entre elles. Mais lorsque le performeur Vincent Thomasset apparait sur scène pour dire un texte sans rapport apparent avec le reste, la profusion devient confusion. Il ne s'insere pas dans cette toile. J'en ressors encore pris à contrepied, écartelé entre mon souvenir d’avant, profond et lent, et les sensations immédiates, violentes et crues. A la sortie, je discute avec d’autres spectateurs partagés entre adhésion, respectueuse mise à distance d’un objet complexe à méditer, voire franc rejet.

     

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    En avril, de retour à Micadanses, j’assiste à une nouvelle représentation (la troisième en ce qui me concerne). Le Modèle aborde l’âge adulte. L’énergie adolescence reste évidente, à fleur de gestes. Mais après Artdanthé je sais à quoi m’en tenir. J’essaie de voir dans la profondeur. Les précédentes pièces d’Eléonore laissaient de l'espace libre pour la pensée du spectateur dans une durée distendue, dans l’horizontalité.  La matière a ici changé. Restent bien des épisodes d’une répétitivité hypnotique, qui creusent l’instant jusqu’à la trame. Mais cette pièce, dense, s’approprie du regard plutôt verticalement. Le spectateur doit se mettre en condition pour percevoir les actions simultanées, comme s’agissant d’un opéra. Bien que le performeur, hors sujet, superflu, ai ce soir disparu. La greffe n’avait pas pris. Entre la danseuse d’un part, le modèle et l’infirmière d’autre part mon regard rétabli la balance. Au fond de la scène les gestes réalistes mais hors contexte, ce qui constitue un motif insondable d’étonnement. Et devant des gestes artistiques, représentés, qui touchent aux limites, dans cette profondeur entre les plans de mystérieux courants. Depuis le début de la création le sujet est resté le même, celui de l’œuvre d’Éléonore Didier: l’exploration allusive de pensées invisibles, insoupçonnées, du trivial au sublime. Parfois, ces pensées  explosent en arrivant à la surface. J’en étais prévenu depuis la représentation à Vanves mais je me laisse pourtant encore surprendre par la violence de l’interprétation de Pauline Lemarchand, qui culmine en un haka narquois et grimaçant, toute langue dehors, jusqu'au bout menaçante. Delicieusement épicée, cette piece ne se laisse pas apprivoiser. Joue consciemment ou non avec "l'acceptable". Derrière au dernier instant, l’infirmière tombe inanimée. Saisi, je ne peux m’empêcher de me demander qui l’a tuée… Est-ce la vengeance du subconscient de la patiente?

    C’était le Modèle d’Éléonore Didier, vu à Micadanses et au théâtre de Vanves dans le cadre du festival Artdanthé.

    Guy

    photos de Mary Golloway avec l'aimable autorisation de la compagnie

  • Tezuka, connais pas

    Je ne connais rien aux mangas, ni à l’envers ni à l’endroit. Juste j’entrevois souvent, par-dessus les épaules des lecteurs addictifs qu’il me faut enjamber dans les rayons bd, des images qui me paraissent gorgées de sexualité régressive et d’émotions convulsives. Écart de générations, préjugés et mauvais départ… Bref Sidi Larbi Cherkaoui a créé « TeZuKa » pour les spectateurs non-lecteurs de mangas comme moi.

    Il me faut au moins ça. Une narration bienveillante, une pédagogie non forcée, proposée. Surtout en générosité et mouvements, la même énergie que celle déployée pour la trilogie religieuse (Foi, Babel, Myth). Cette énergie s’offre ici à un autre sujet de civilisation. Sidi Larbi Cherkaoui explore des cercles concentriques: celui du Japon, de sa culture, de sa bande dessinée, de l’œuvre du créateur Osamu Tezuka (1922-1989). Il me renvoie aux repères que je connais, l’inquiétude du Japon de l’après guerre, sous les influences occidentales et traumatisé par l’atome, le pays qui donnera naissance aux chefs d'oeuvres de Kurosawa, au buto… Astro-boy nait sur ce terrain là, petit robot atomique, triste et idéaliste, dessiné d’un trait simple à la Disney pour un public d’enfants. En profondeur, Tezuka exprime humanisme, critique sociale, amour pour la vie sous toutes ses formes. Ce soir, il rentre peu à peu dans ma zone d'acceptabilité.

    Dessin, danse, musique: sur le plateau tout se lit et tout se lie. Le corps est passeur, devient récit. Les trois musiciens animent avec des instruments traditionnels une musique qui l’est moins. Les œuvres de Tezuka, projetées en toute ampleur sur grand écran, s’évadent du petit format, et s’anime le mouvement jusqu’alors suggéré. En danger, quand l’encre se brouille et fond. Les danseurs se plient dans les cases projetées. Bras et corps s’agitent parfois comme des idéogrammes. Un calligraphe vient transformer les danseurs en porteurs de messages. Surtout le spectacle, de combats d’arts martiaux en mouvements de masse est porté par un lyrisme qui m’est immédiatement accessible. Je n’ai jamais la sensation de voir des scènes de genre, des japonaiseries. Ils ne sont pas si nombreux, les chorégraphes capables de transmettre ainsi, sans trahison ni démagogie. Je rêve d’un tel hommage à d’autres dessinateurs, Moebius, Will Eisner…

    TeZuKa de Sidi Larbi Cherkaoui est joué à la grande Halle de la Villette jusqu'au 19 mai.

    Guy

    A propos de danse et bande dessinée: Lucky Luk et In the beginning

  • Tous metteurs en scène!

    Je demande à ce que les assistants suspendent le globe terrestre par un fil à mi hauteur dans le lointain jardin de la scène, qu’ils disposent un coquillage coté face, et l’arbre vert à baies rouges dans le lointain cour. Selon mes directives, Olivia Lioret, l’interprète, devrait parcourir la diagonale de face cour jusqu’au globe en tournant sur elle-même - joyeusement- dans une main un poisson, dans l’autre un goéland. Les dés sont jetés, tout disposé pour une minute d’utopie de nature, en toute naïveté. Veronica Vallecillo, en meneuse de jeu, veille à la mise en place, choisit la musique: « What a beautiful world » par Louis Armstrong. Lumières, c’est parti. Et le résultat se matérialise, porté par la présence de la danseuse qui invente une émotion sur ce chemin. Cela s’échappe de la vague vision d’origine, l’image en direct s’impose dans toutes ses dimensions, c’est à la fois plus simple et emporté que je ne l’aurais imaginé…

    Veronica Vallecillo s’est mise dans la peau d’une maitresse de cérémonie mi-guindée mi-deglinguée- par moment saisie de furieuses éruptions flamenco- pour nous initier au b.a.b.a. de la mise en scène et de la scénographie. Après quelques démonstrations et l’exposé des règles du jeu, les volontaires dans le public sont invités en toute bienveillance à jouer. A choisir parmi les 64 accessoires tirés de l’univers «trashic» en noir, blanc et rouge de la chorégraphe ceux à disposer sur le plateau, à donner les consignes à l’interprète. A l’imaginaire de chacun de s’exprimer. Ce n’est pas triste.

    Le premier plaisir est d’écouter chacun des apprentis metteur en scène donner ses instructions, plus ou moins motivées, soit simples, soit d’une surprenante précision. A l’intérieur de chacun, les images sont déjà vivantes, construites. L’époque doit être anxiogène: beaucoup des propositions de ce soir tendent au tragique même tempéré de comique, le squelette rouge est souvent mis à contribution, dans des relations passionnelles avec l’interprète. A une occasion le squelette est vivant (il fallait l’inventer!) mais sitôt frappé de mort subite sous les yeux impuissants de son amoureuse. A la scène suivante l’assistant passe un mauvais quart d’heure sous les assauts de l’interprète armée d’une épée et d’un pistolet. Je me sens un peu plagié quand un autre spectateur après moi utilise globe, poisson et goéland, mais après réflexion je ne porterai pas plainte.

    Le second plaisir est de découvrir en direct l’image en mouvement, toute la vie et les inflexions inattendues qu’insuffle l’interprète à l’image de départ, pour nous renvoyer un objet artistique que chacun interprétera à sa façon.

    Mais le plaisir le plus intense est de lever la main et proposer soi-même. Croire que nous sommes tous artistes, un peu…

    C’était La construction d’une image vivante, happening pédagogique par Veronica Vallecillo, encore ce soir à L’Etoile du Nord à 19h00 dans le cadre de Jet Lag.

    Guy