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Regards sur une creation

  • Perspectives

    Toute pièce-et cette pièce, Le Modèle, tout particulièrement ?- ressemble à un être vivant, qui grandirait, semblerait se fourvoyer parfois, revenir dans le droit chemin, prendre de l’indépendance, susciter tout au long de sa croissance tendresse, inquiétude, admiration, étonnement, agacement…  Pour mémoire, c’est Éléonore Didier la maman. A Micadanses en décembre, j’avais vu les premiers pas de l’enfant en public, déjà bien assurés: à lire ici.

     

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    Puis pour Artdanthé à Vanves en février surgit, tumultueux, l’adolescent dans des habits neufs, crâne et turbulent. Dans la cour des grands. C'est la première parisienne.Trouble. Sous ce nouveau visage, je ne peux oublier celui de l’enfant. Je ne peux renoncer à ce que j’avais choisi d’y lire en premier lieu, à rester dans le cadre de mes premières interprétations (d’ailleurs toujours opérantes). Mais tout avance en accéléré. En quelques semaines la pièce a muri de plusieurs années. C'est la crise d’adolescence, la musique est heurtée: Nick Cave et Rage Against The Machine, plein volume et rythme impair, martelé. Au second plan, entre le modèle et l'infirmière, le rituel de la toilette se déroule comme dans mon premier souvenir. Mais à l’avant de la scène-je crois- tout change. L’interprète, Pauline Lemarchand, s’émancipe, sur un mode énervé, hors du registre que je connais jusqu’ici chez Éléonore Didier. Ce changement est-il réel, ou est-ce une question de perception? M’étais-je trop attaché la première fois à regarder l'action au second plan? La danse parait ce soir bien plus sous tension, moins implicite. Le nouveau costume est extravaguant et sexué, exhibe un sein libre et à l'entrejambes une découpe sur chairs. Le corps, frontal, est souligné par la lumière, accent ou maladresse ? A mes yeux la danseuse agit toujours dans le champ du rêve de la patiente, exprime ce qui sinon resterait enfermé dans le corps soumis au second plan à un protocole rigoureux , si bienveillant soit-il. Mais ce rêve jusqu’au crescendo dévale ce soir bien plus violent, fiévreux, agité. Je suis déstabilisé. La première des richesses de la pièce est de se faire dérouler simultanément deux actions et de suggérer des interactions entre elles. Mais lorsque le performeur Vincent Thomasset apparait sur scène pour dire un texte sans rapport apparent avec le reste, la profusion devient confusion. Il ne s'insere pas dans cette toile. J'en ressors encore pris à contrepied, écartelé entre mon souvenir d’avant, profond et lent, et les sensations immédiates, violentes et crues. A la sortie, je discute avec d’autres spectateurs partagés entre adhésion, respectueuse mise à distance d’un objet complexe à méditer, voire franc rejet.

     

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    En avril, de retour à Micadanses, j’assiste à une nouvelle représentation (la troisième en ce qui me concerne). Le Modèle aborde l’âge adulte. L’énergie adolescence reste évidente, à fleur de gestes. Mais après Artdanthé je sais à quoi m’en tenir. J’essaie de voir dans la profondeur. Les précédentes pièces d’Eléonore laissaient de l'espace libre pour la pensée du spectateur dans une durée distendue, dans l’horizontalité.  La matière a ici changé. Restent bien des épisodes d’une répétitivité hypnotique, qui creusent l’instant jusqu’à la trame. Mais cette pièce, dense, s’approprie du regard plutôt verticalement. Le spectateur doit se mettre en condition pour percevoir les actions simultanées, comme s’agissant d’un opéra. Bien que le performeur, hors sujet, superflu, ai ce soir disparu. La greffe n’avait pas pris. Entre la danseuse d’un part, le modèle et l’infirmière d’autre part mon regard rétabli la balance. Au fond de la scène les gestes réalistes mais hors contexte, ce qui constitue un motif insondable d’étonnement. Et devant des gestes artistiques, représentés, qui touchent aux limites, dans cette profondeur entre les plans de mystérieux courants. Depuis le début de la création le sujet est resté le même, celui de l’œuvre d’Éléonore Didier: l’exploration allusive de pensées invisibles, insoupçonnées, du trivial au sublime. Parfois, ces pensées  explosent en arrivant à la surface. J’en étais prévenu depuis la représentation à Vanves mais je me laisse pourtant encore surprendre par la violence de l’interprétation de Pauline Lemarchand, qui culmine en un haka narquois et grimaçant, toute langue dehors, jusqu'au bout menaçante. Delicieusement épicée, cette piece ne se laisse pas apprivoiser. Joue consciemment ou non avec "l'acceptable". Derrière au dernier instant, l’infirmière tombe inanimée. Saisi, je ne peux m’empêcher de me demander qui l’a tuée… Est-ce la vengeance du subconscient de la patiente?

    C’était le Modèle d’Éléonore Didier, vu à Micadanses et au théâtre de Vanves dans le cadre du festival Artdanthé.

    Guy

    photos de Mary Golloway avec l'aimable autorisation de la compagnie

  • Sofia Fitas

    Rediffusion d'un texte du 29/7/2009 à l'occasion de la représentation d'experimento 2 samedi 10 décembre au théatre du fil de l'eau à Pantin, dans le cadre des journées Danse en chantier.

     

    Appuyée sur le dos de la main, c'est ainsi qu'elle progresse, c'est de cette manière qu'au sol à cet instant elle se maintient. Tous ses mouvements déformés à partir de ce point. Puis à partir des avant bras. Alors que la plupart des danseurs se reposeraient plutôt sur le plat, utiliseraient les doigts ou la paume, nous proposeraient de revoir une fois encore ce que l'on sait déjà du beau. Mais Sofia ne suit pas cette direction, nous déplace ailleurs, vers d'autres ensembles à explorer. Tout est là, de ce que je vois de Sofia. Ces gestes inattendus, obstinés, sans qu'en cet instant je puisse déterminer ce qui tient de la recherche, de la répétition, ou ce qui déjà à cet l'instant serait achevé.

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    Depuis un an, nous avons tous deux des discussions, parfois. Et Sofia m'a montré un cahier un peu déchiré qui jamais ne la quitte. Parmi des adresses, et d'autres listes de courses, des notes rédigées dans son portugais maternel, au jour le jour, des points de repère pour ce travail en cours: des idées générales, des descriptions très précises de séquences, de positions, m'a-t-elle expliqué. Des citations de Deleuze aussi, dont une en particulier que j'ai cru utile de recopier, et que j'ai égarée depuis. Mais Deleuze, je n'y comprends rien. Sinon, en rapport avec ce que je vois: l'idée de recompositions. Et les discussions souvent tournent court, se perdent en silence entre sympathie et un léger embarras. Puis Sofia retourne répéter. Alors j'oublie et je vois.

    En situation de création, la solitude de Sofia parait écrasante. Je le ressentais plus intensément à Micadanse. Sofia, silencieuse et concentrée, juste assistée de son cahier et d'une camera. Considérant elle-même son travail, le balisant jour après jour de ses points de repère. Hors de scène, Sofia a l'allure d'une absolue étrangère, plutôt timide. Mais a peu à peu réussi à s'imposer ici, de résidences en représentations. J'ai ainsi pu revoir Experimento 1 deux fois, chaque fois son impact intact. Aujourd'hui mon regard est aussi fragile que ce qui se crée. Sofia me fait confiance je crois, et chaque fois entre nous deux un espace d'attentes et d'attention se creuse. Peu avant une première présentation professionnelle àMicadanses, Sofia s'interroge à voix haute. J'intercepte ses questions. Il ne peut exister de spectateur neutre. Je suspends mes remarques, l'expression de mes impressions, illégitimes forcement, me retranche dans les encouragements.

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    C'est à Mains d'Oeuvres que je viens voir la dernière répétition à ce jour, en compagnie de Jérôme. Dans l'ambiance feutrée du studio de danse s'est dissipée toute l'agitation des quelques jours d'avant, avec les collégiennes de Jesus Sevari. Sofia semble plus sure d'elle-même qu'il y a deux mois. Se posent maintenant à elle des questions de structuration de son solo, la matière présente maintenant. Ma découverte de Sofia, je la dois à l'insistance d'Angela Conquet, pour une représentation d'Expérimento 1, ici même. Plus tard après cette répétition, je lis le texte de Jérôme, qui ouvre le sujet Sofia sur mode plutôt narratif. Il m'incite à prendre du recul, à contre-pied.

    Un jour à Micadanses, pressé par le rendez vous qui devait suivre, j'étais venu la voir trop tôt, surprise au début de son échauffement. Pour moi ce ne fût pas du temps perdu. Sofia pratiquait comme chaque matin une bonne heure de yoga, peut-être plus longtemps, membres en tous sens, étirés, à l'envers, à l'endroit, pieds au dessus de la tête, déja elle devenait méconnaissable. L' « expérience » commençait là, par ces transformations.

    Sofia a accepté assez vite que je vienne la voir répéter, dés ses premières résidences à Paris. Je n'avais jamais observé d'aussi tôt une création, si en amont. Mais pour vite renoncer à l'espoir de voir même dans cette situation les choses surgir avec évidence. Je dois revenir aux faits. Au départ du projet de Sofia, il y a la volonté de prolonger Experimento 1, en le dépassant. A la bâche de plastique noir succède ici le papier kraft brun. Une autre texture, une autre manière de ne d'abord présenter en lenteur le corps que fragmenté, voire de ne pas présenter ce corps en tant que corps. Sans le secours de ces voiles est ensuite développé ce qui dans le premier solo ne semblait qu'ébauché: des mouvements archaïques, déshumanisés. A l'aide d'un corps entier, mais un corps comme ré agencé, ressurgi d'une phase de déconstruction. C'est du moins de cette manière que je percois ce processus. Cette danse a quelque chose à voir avec la dissolution, l'effacement, dans ces conditions quelque chose de neuf est susceptible d'apparaître ensuite. Des choses au pluriel, qui interagissent en système. La disparition initiale, c'est l'une des grandes forces de cette démarche, également une source de difficultés. Il est bien sur exceptionnel que l'objectif de Jérôme puisse saisir des aperçus du visage de Sofia, qui se positionne le plus souvent de dos. Sofia nous confie qu'elle utilisera ses cheveux pour le cacher. Le costume pose problème également. Comment être tout à fait autrement? La peau, les muscles, jouent un rôle important, la nudité est exclue qui distrairait de même que des habits trop voyants. Des sous-vêtements neutres constituent un bon compromis, au moins pour le moment. Beaucoup de choses se résoudront avec la création  des lumières, du son.

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    Compte tenu de la nature du travail de Sofia, j'ai admis que pour voir celui-ci, il faut d'abord abandonner. Renoncer à comprendre. Et surtout à toute posture critique, à toute tentation d'échantillonnage culturel. L'observer est un déconditionnement. L'expérience du spectateur pourra ressembler à cela. Je m'autorise à laisser surgir des images, prudemment, me méfie de trop interpréter. Sans pouvoir m'empêcher de conceptualiser. Cela m'aide de la voir plusieurs fois. Je ne sais plus combien de fois je l'ai vu recommencer, peu à peu je m'y noie. Me soutient la conscience d'être témoin de quelque chose d'inédit. Ce n'est qu'après coup que je me risque à rationaliser. Et encore, ces réflexions m'apprennent plus sur ce que je veux, sur ce que je cherche, que sur ce que Sofia fait. Je réfléchis d'abord à ce qu'elle ne fait pas : pas de pathos, ni narration, ni esthétisme, ni glorification du corps, ni érotisme, ni discours, ni contextualisation. Ceci posé, je prends conscience qu'elle m'entraîne sur un nouveau plan d'émotions. Sofia semble s'enfoncer sous terre, encore déstructurée, en de nouvelles catégories, fonctions recombinées, retourne dans, contre, sous le papier. Un pied émerge, le rythme m'emporte. Sans comprendre le rapport, je pense à Eric Dolphy

    Observations de répétitions d'Experimento 2 de Sofia Fitas, à Micadanses et Mains D'œuvres, entre avril et juillet 2009. Filage destiné aux professionels à Mains d'Oeuvres, le 31 juillet

    Photos de Jérôme Delatour

    A lire: l'article d'images de danse, et la présentation d'experimento 2 

     

  • Les arbres et la forêt

    La forme d'un arbre signifie un arbre, deux arbres un bois, et trois arbres une forêt... C'est ce que nous explique aprés coup, en japonais, la calligraphe Saiso Shimada. Un monsieur sorti des rangs du public s'improvise avec brio traducteur pour partager avec nous ces dits. Le signe écrit évoque donc l'objet en lui même, son apparence et son essence à la fois, sa place dans l'harmonie naturelle, mais étions-nous beaucoup dans le public à le comprendre ainsi, alors qu'au terme d'une longue méditation dans un silence d'une blanche perfection, sur le papier couché au sol la caligraphe jetait son geste? Le pinceau- une grande brosse, presque un balai- plongé une seule fois dans le sceau, puis son bras qui danse pour lâcher en quelques mouvements la lourdeur noire de l'encre sur le papier immaculé, sans retours ni regrets. A partir de ces idéogrammes, que je ne sais pas lire, surgit donc la Forêt, puis s'étend la Décomposition, enfin se lève l'Aurore. 

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    L'encre posée, ces forces naturelles s'incarnent dans le corps de la danseuse Moeno Wakamatsu. Je la regarde portée par ces trois improvisations, sans alors connaitre leur signification, mais pour au moins ressentir et deviner que des forces cachées la traversent douloureusement, sa lenteur en est l'écoute exacerbée. Je vois cette femme sans alors deviner la forêt écrite et dansée, pourtant déja évidentes des cycles d'inéductables agonies et de miraculeuses renaissances, son ombre tendue sur les feuilles blanches, des terribles affaissements, son bras tendu vers l'infini, puis tout revient comme avant dans le tout. Moeno dessine de son corps dans l'espace des signes tout autant enigmatiques et fascinants que le pinceau sur le papier, j'en accepte d'abord les mystères tout comme j'en accueille plus tard le sens.

    " Je ne vois pas la femme cachée dans la forêt", tel est le titre de la toute prochaine pièce de Perrine Valli. La chorégraphe est revenue d'une résidence au Japon, mais je ne sais si elle s'intéresse aux idéogrammes. Nous sommes quelques-uns à qui Perrine, à l'initiative de Mains d'Oeuvres, ouvre cette répétition, pour ensuite recueillir nos impressions. Il est prématuré de parler ici sur le fond de ce que nous voyons de cette pièce en pleine éclosion, avec ses belles promesses et encore ses fragilités. Mais il me sera, je l'espère, pardonné d'évoquer la discussion qui suit, significative. Nous découvrons en effet durant cet échange toute la distance qui reste à ce stade entre ce que chacun a vu et ce que Perrine a voulu montrer. La chorégraphe a pris garde à ne pas trop appuyer ses effets. Trop?  Beaucoup d'images, de références artistiques ou sociologiques, de situations, de jeux de rôles, fruits d'une réflexion ambitieuse et complexe, m'ont échappé, ainsi qu'à d'autres invités. Nous n'avons pas vraiment vu la femme dans cette forêt de gestes, du moins la femme comme elle voulait apparaitre. Sans pour autant que cette méconnaissance, comme lorsque j'étais confronté aux idéogrammes de Saiso Shimada, ne m'empêche de vivre avec un grand plaisir l'expérience de cette représentation, porté par le flux des images et la cohérence et la beauté de la chorégraphie, quitte à imaginer le reste....Et j'aurai pu en rester à cette perception, sans les explications de Perrine. Mais cette pièce telle que je l'ai vue n'existe déja plus. Il est clair que Perrine- il s'agit de sa quatrième création je crois- se défie de plus en plus de tout exces d'esthétisme pour privilégier le sens. Je sais que la pièce va être améliorée, plus cohérente et plus forte, mais j'éprouve pourtant un dernier regret à l'idée de la clarification qui va être entreprise. La matière en tout cas est là- le sujet est ici la femme, et non la forêt-et il reste le temps nécéssaire à la chorégraphe pour ces ajustements, faire en sorte que le spectateur perçoive tout ce qui lui est proposé, tout en gardant sa part de liberté, sa respiration. Je suis curieux de bientôt découvrir le résultat final- en espérant retrouver ma spontanéité de spectateur- pense aussi à toutes les pièces prématurées qui n'ont pu à l'inverse de celle-ci murir fautes de regards, à ce que je n'ai pas vu et à leurs intentions perdues...

     

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    C'était une rencontre entre Saiso Shimada et Moeno wakamatsu à l' Espace culturel Bertin Poiré, et une étape de travail de "Je ne vois pas la femme caché dans la forêt" de Perrine Valli qui sera créé à Mains d'Oeuvres le 22 novembre.

    Guy

    Lire aussi: images de danse

    image: la mer par Saiso Shimada

  • Identité

    Le lieu du rendez vous est en retrait d'un point de passage, aux carrefours de Villejuif, Vitry, l'Hay Les Roses, Bagneux. Au bord de la nationale 7, qui du temps d'avant l'autoroute, guidait Paris vers le midi. Aujourd'hui si l'on prend le temps de s'arrêter, entre un casse-auto et un fast-food, une barrière s'ouvre à l'entrée d'un domaine verdoyant. Les allées longent d'imposants bâtiments de briques dans le style des années 20, aux allures endormies. On me guide le long de couloirs déserts et silencieux, comme des habits trop grands pour nous. Jusqu'à la salle qui tient lieu de studio de danse, vaste, très haute de plafond et un peu délabrée. En y pénétrant on se demande pour quel usage elle a été conçue. Mais les chorégraphes sont des oiseaux migrateurs qui, ici ou là, pour quelques jours ou quelques mois, font leurs nids.

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    Jesus Sevari vient de loin, ne m'est pas une inconnue. En ce lieu pour travailler ce solo, elle n'est pas seule non plus. A ses cotés Sven Lava, musicien et guitariste, mais qui ce jour là l'accompagne plus largement qu'avec sa musique. A la chorégraphe il prête aussi ses yeux, dans un subtil retrait se laisse interroger. Jesus entend danser « L'identité, de Santiago du Chili à Paris". C'est un thème généreux, dangereusement générique. J'y reconnais un écho de l'autre projet montré au Regard du cygne, autour des statuts d'artiste et d'étranger.

     

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    Ces studios de danse semblent aussi vierges et froids que des pages blanches, des pages de papier glacé. Jesus a ici aussi un cahier, un cahier à spirales, que parfois elle consulte, un cahier fatigué et griffonné. De ses pieds sur le sol peu à peu elle retrace une histoire, d'abord en crayonnés, repasse au net ligne après ligne, une imaginaire autobiographie. Elle marque peu à peu au sol au sol des repères presque invisibles, tracés de craie, de ruban adhésif. L'espace s'organise autour de correspondances invisibles. Se Structure autour des créations plastiques de Yann Le Bras, qui rappellent un peu les pouces du sculpteur César. Et évoquent aussi des phallus, explique Jesus. Qui revient à son cahier bleu, le relit à voix basse en esquissant mots et équilibres.

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    Bien avant la danse s'impose la présence. Dans le cas de Jesus, avec évidence. L'identité s'affirme déjà par là: une féminité solide et chaleureuse. Qui séduit, parfois dérange. Terrienne et sereine, c'est ensuite que surprendront des échappées aériennes. J'appréhende de trop parler de la danse en elle-même, qui se construit encore sous nos yeux. Mais la matière en parait déjà prête et consistante, assez affirmée pour être vue et qu'aujourd'hui Jesus, pour Jérôme et moi, ouvre les portes. Cette matière est encore à affiner, à organiser. L'identité est le sujet, « Accumulation#1 » en est le titre. C'est précisement l'accumulation qui m'avait gêné pour pleinement apprécier la dernière pièce, trop hétérogène à mes yeux. J'avais été par la suite plus touché par la manière dont Jesus s'exprimait dans d'autres contextes. Aujourd'hui je suis rassuré par la continuité de ce solo, qui se déroule comme sur une ligne, rassuré par son rythme. Et j'en accepte les détours aussi, les clins d'oeil, les imprévus. Je vois de l'assurance et de la vitalité, de l'exubérance. Je crois que l'harmonie ici est le but, le sens ressenti. Au début de ce récit le corps ondule tranquille, sur un axe des épaules au bassin, bras bien posés en ligne. Appuyés sur cette présence solide les événements s'accumulent par signes, des images inexpliquées, oniriques, qui permettent à la danse de nous ouvrir et nous apaiser, de nous retrouver nous-mêmes par appropriations et coïncidences. Sur cette base du « soi », tous les événements qui construisent la mémoire pourraient se partager, tant l'ensemble semble apaisé. Je n'éprouve aucun besoin de demander à Jesus ce qu'il y aurait de spécifiquement intime dans tel ou tel épisode de cette construction identitaire. Comme à chacun, tout peut m'appartenir.

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    L'humour ponctue cette anti-narration, présent dans le regard de Jesus, pour compenser l'intensité d'autres moments: grimaces et oreilles de lapin, play-back sur un succès chilien des 70's, sur un fond musical qui nous est commun de variété internationale, ligne de basse à la Brian Wilson et crescendo pompier. De même que la musique d'Amy Winehouse reprend du déjà entendu des chansons soul des années soixante. Avec ses gestes Jesus ne se cale pas sur la musique, mais sur une respiration plus intérieure, qu'elle manifeste parfois en marmonnements. Sven transfigure ces thèmes en y superposant du feed-back. Il est habillé de rouge et vert, comme Jésus aujourd'hui: coïncidence ?

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    Sven conseille Jesus, qui recherche des poses par lesquelles elle pourrait utiliser toutes les sculptures de Yann, les épouser. Elle les manie avec précaution, de peur de les casser. Des tableaux troublants se succèdent, qui tous rassemblent et confondent les objets avec elle. Jérôme est sollicité pour prendre des photos des différentes positions expérimentées. Je me résous moi-même à surmonter mes réticences, à donner mes propres avis, forcement illégitimes mais sûrement moins que l'indifférence. Un mois plus tard à Mains d'œuvres, je verrai que c'est encore une autre solution que Jésus aura retenue. A ce moment je me sens plus à l'aise à parler avec elle plus autour du projet que du projet lui-même. Jesus me raconte le travail en cours avec un collège à Saint Ouen, et celui- plus délicat- qu'elle mène à la prison pour femmes de Fresnes. C'est en compagnie des collégiennes que je reverrai Jesus danser, quelques semaines plus tard.

    Renseignements pris, ce lieu où aujourd'hui se recherche et se danse l'identité, est un ancien orphelinat.

    C'était une répétition d'Accumulation#1, de Jesus Sevari, au CDC/Biennale de danse du Val-de-Marne

    Guy

    Photos avec l'aimable autorisation de Jérome Delatour- Image de danse... Les photos sont ici

  • Looking for Paco: episode 7

    Looking for Paco: episode 7

    Regards sur la création de « Fresque, femmes regardant à gauche » par Paco Dècina et la compagnie Post-Retroguardia.

    Episode 7: Suite et fin...

    J-0, ou J moins quelques heures, Fresque se construit encore, jusqu'aux derniers instants. Dans un même mouvement précipité, mais inverse, ce journal se déstructure, aujourd'hui réduit à quelques notes décousues, dans l'urgence. Après il ne sera plus temps, ce récit n'aura plus lieu d'être dès ce soir à 20H30, quand débutera la première de la pièce. De toute évidence, ce journal de création n'aura rendu compte en rien de ce que sera bientôt Fresque dans le regard du le spectateur. Il aura juste permis de témoigner de choses vues avant. Ce soir c'est une autre histoire qui commence, que d'autres raconteront. Il y aura beaucoup de journalistes qui écriront des articles, sans doute enthousiastes comme pour les précédentes créations de Paco, on lira les réactions de Pascal, de Miss knife, qui ont prévu de venir, ... et les spectateurs discuteront!

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    Le travail se poursuit, depuis deux semaines, le samedi et dimanche compris. Paco et l'équipe, qui sont en résidence au T.C.I., disposent pour répéter de la salle dite la Galerie, où sera présentée la pièce. Un filage photo a lieu ce vendredi soir, et une générale dimanche. Cinq, six photographes sont installés au deux premiers rangs avec trépieds, appareils, objectifs énormes et interchangeables. Les cliquetis résonnent sans répit dans le noir. Je demande à la fin à Laurent Pailler combien de clichés environ il a pris... il me répond en espace mémoire.

    Il me faut un peu de temps pour identifier quelque chose de singulier: c'est que même à trois jours de l'échéance, on ne perçoit ici toujours ni énervement ni affolement. De la concentration, de la fatigue évidemment. Paco sort fumer plus souvent, mais son ton reste le même. Les danseurs souffrent en silence (Peut-être un peu plus que les autres: Jesus, qui répète chaque matin sa propre pièce, présentée à Ardanthé mercredi). Juste avant le filage tous les sept se referment en cercle ensemble, comme pour se réconforter en un énorme câlin. Puis le travail continue, encore. Sans interrompre le filage, Paco continue à donner des directives à voix haute, une fois celui ci fini Jesus essaye un nouveau costume, Frédéric modifie la musique, et ainsi de suite...

     

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    Je regarde le filage sans réussir à le voir vraiment, saturé des impressions des répétitions d'avant. Souvenirs que je ne parviens plus vraiment à remettre en place. En particulier, je n'en reviens pas de cette séquence qui semble se dérouler dans des thermes antiques, c'est Silvère qui me rappellera que je l'ai déjà vue répéter, par les seuls danseurs, en décembre. Je crois par instant percevoir la cohérence du tout, telle qu'elle était pensée bien avant que je ne vienne regarder les répétitions. Mais que seul un travail quotidien a amené jusqu'à cette forme, travail dont j'ai un peu été témoin. Video, lumières et musique lient la danse en un rêve éveillé, plein de mystères, d'émotions et d'absences. Mais je suis le dernier maintenant à pouvoir parler de ce qui apparaît, à la fois moderne et intemporel. Je saisis juste des brides de beauté, et j'envie ceux dont l'oeil sera vierge, lundi. J'y serais aussi. En attendant j'essaie de tout oublier, pour revenir neuf. 

    Ce journal est fini, dans quelques heures commence Fresque.

     Guy Degeorges

     Photo de Jerôme Delatour, les autres sont sur Images de danse.

     

    Un énorme merci à Paco Dècina et à toute la compagnie(1): Orin, Vincent, Chloé, Sylvère, Noriko, Jesus, Takashi, Frédéric, Laurent, Serge, et Catherine, pour leur gentillesse, leur transparence et leur disponibité durant ce projet. Merci à Marion et au T.C.I., et bien sur à Jérome , ainsi qu'à tous mes amis spect-acteurs pour leur aide et leurs encouragements.

     

     

    lire le prologue, l'épisode 1, l'épisode 2, l'épisode 3, l'épisode 4, l'épisode 5, l'épisode 6,  les bonus...

     

    P.S. Et spécialement pour les lecteurs de ce journal, et les admirateurs des photos de Jérome, le T.C.I. propose d'assister, pour un tarif à 8€50 (1) à la représentation de Fresque du 26 janvier, qui sera suivie d'une rencontre avec Paco Décina, et l'équipe artistique.

    Reservations au théatre 01 43 13 50 50, mot de passe "Blog". 

     

    (1) et bravo à Fréderique Chaveaux (images video) et Cathy Carnier (costumes) que je n'ai pas eu l'occasion de rencontrer.

  • Looking for Paco: episode 6

    Regards sur la création de « Fresque, femmes regardant à gauche » par Paco Dècina et la compagnie Post-Retroguardia.

     

    Episode 6: A la seconde prés... 

     

     

    « Combien ? Bon, tu en mets 8 secondes de plus...non plutôt 10 secondes ! » Surprise: c’est bien Paco qui parle chiffres, avec une précision insoupçonnée, son horloge interne mise au diapason de mesures objectives du temps. On est très loin de ce que je voyais lors des répétitions au studio Blanca Li: mouvements et exclamations, zéro papier. Ces deux semaines, les dernières avant la première de Fresque, sont consacrées à faire coïncider la danse avec les créations de Laurent Scheegans à la lumière, Serge Meyer à la scénographie vidéo, Frédéric Malle à la musique.

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    Tous trois manipulent leurs consoles aux dizaines de boutons et curseurs lumineux, pianotent sur leurs ordinateurs portables, toutes ces machines peu sensibles à la poésie et l’intuition. Ils leur traduisent donc, en langage numérique, les intentions de Paco. Programment, collent, synchronisent, rallongent, raccourcissent, diluent, interrompent, soulignent, truquent, règlent, à la seconde prêt. A la main crayons et papier. Dans l’obscurité de la salle Frédéric porte au front une lumière, comme un mineur de fond. Ils répètent avec les interprêtes, et il semble toujours y avoir pour l’œil et l’oreille de Paco quelques secondes de décalage entre danse, et la lumière ou la musique. Quelques secondes qui font qu’il faut commencer. Paco frappe dans les mains et, avec une gentillesse obstinée, fait reprendre tout le monde du début. Chaque fois donc tous recommencent, modifient leurs réglages in extremis avant de recommencer la séquence, avec une patience tout autant inentamée.

     

    Et essaient de repousser les limites de la technique. Vincent danse avec une belle ombre blanche, un effet mis au point par Serge, grâce à un logiciel créé tout exprès…pour suivre une seule silhouette. Inévitablement, Paco tente de détourner le système jusqu’à l’accident créatif. Il envoie cinq danseurs bouger ensemble dans le champ des capteurs, histoire de voir ce qu’il en sort…L’ombre peine à suivre, le logiciel proteste en laissant l'image trembler. La lumière, la vidéo, la musique, me semblent ce soir omniprésentes. Habitué que je suis maintenant à voir les danseurs répéter seuls, sans filtres ni effets. Il y a au mur et au sol les reflets de l'eau dans la lune, et non l'inverse. On entend ce que Paco appelle le « do-do »: une respiration qui n’est d’autre, renseignements pris, que celle de l’un de ses enfants endormi. Catherine Montaldi me raconte qu’un jour Frédéric serait sorti avec magnétophone et micro « pour enregistrer le silence ». Frederic me confirme toute la liberté qu’il a eu, à l’instar des danseurs, pour intégrer ses idées et créations à la pièce. Le passage avec les voix, celui là même qui posait un peu problème lors du premier filage que j’avais vu, a survécu, avec quelques modifications.

    Pour autant, tout ce qui est strictement danse n’est pas figé encore: Paco descend parfois des rangs en courant pour interrompre une séquence, rectifier un mouvement en le dansant lui-même, faire avancer ou reculer un danseur de quelques centimètres. Avec une complication supplémentaire: il n’y a que six danseurs sur sept aujourd’hui. Dimanche ou lundi, un individu, dans la rue a eu la mauvaise idée d'agresser Orin, envoyé à l'hôpital pour le coup. Orin a du renoncer à sa participation au festival Faits d’hiver. La danse de Paco semble toujours hors du temps, mais sa création ne se fait pas hors du monde. Les répétitions continuent donc cette première semaine de janvier, avec un peu d’inquiétude, en attendant le retour d’Orin. Dans notre feuilleton de Fresque, on se serait bien passé de cet épisode là…

     

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    A la pause Jérôme va montrer à Paco la photo de la fresque entière de Pompéi, image qu’il a retrouvée Dieu sait comment. La triste vérité est la suivante: les trois femmes au regard si mystérieux contemplent …un Hercule allongé et ivre mort. La légende de la photo est formelle. Paco, toujours souriant et affable fait semblant trente secondes de s’intéresser de s'intéresser à l’affaire, puis en revient à la danse. Sage attitude: après tout cette belle image n’était que le point de départ de la création, elle est derrière nous maintenant. Je regarde Hercule à terre et je repense à Orin, absent. Puis j’oublie l’image réelle dévoilée par Jérome, préfère définitivement celle construit dans mon imaginaire, hors champs. Pendant tout ce temps Marion, quelques bureaux plus haut, s’affaire et compte les réservations, vigilante, confiante cependant.

     

    Le samedi revient Orin, en un seul morceau. Il reprend sa place en douceur. Les réglages se poursuivent, à 7 + 3 + 1. Quelques étudiantes en dessin viennent s’installer sagement accompagnées par Catherine. Plus tard je monte ouvrir dans le hall à deux amies de Paco qui se sont annoncées. Arrive sur leurs talons une classe de lycéens, plus accompagnateurs, tous assez intimidés, une classe entière dont on aurait juste fait disparaître les garçons. Et d’autres personnes encore, qui vont s'assoir dans l'obscurité, qui peut-être avaient froid dehors. Nous ne sommes décidément pas dans une tour d’ivoire, mais Paco et tous restent concentrés et imperturbables.

     

    Un filage commence, sans costume encore, je suis stupéfié par le rythme des premières minutes, révées, sans presque rien pouvoir reconnaître des gestes vus les mois d’avant…mais je dois partir!

    A la sortie dans le hall un garçon de 11 ans, qui a suivi sagement et yeux grand ouverts deux heures de répétitions, décide sans appel de devenir danseur.

     

    Guy Degeorges

      

    Photo de Jerôme Delatour, les autres sont sur Images de danse.

    Merci à Paco Dècina et à la compagnie Post-Retroguardia, et au T.C.I..

     

    Le prochain épisode est diffusé ici, bientôt...

    En attendant, lire le prologue, l'épisode 1, l'épisode 2, l'épisode 3, l'épisode 4, l'épisode 5, episode 7 , les bonus...

     

    P.S. Et spécialement pour les lecteurs de ce journal, et les admirateurs des photos de Jérome, le T.C.I. propose d'assister, pour un tarif à 8€50 (1) à la représentation de Fresque du 26 janvier, qui sera suivie d'une rencontre avec Paco Décina, et l'équipe artistique.

    Reservations au théatre 01 43 13 50 50, mot de passe "Blog". 

     

  • Looking for Paco: episode 5

    Regards sur la création de « Fresque, femmes regardant à gauche » par Paco Dècina et la compagnie Post-Retroguardia.

     

    Episode 5: Avant les vacances. 

     

    Le temps fuit. Demain commence déjà la toute dernière semaine de répétition de Fresque, avant la première du lundi 19 janvier, et il y a beaucoup à raconter. 

    Pour commencer: un retour en arrière, avant Noël et la nouvelle année. C'est un après-midi avant les vacances, à Micadanses. Le lieu semble désert, ou à peu prés, en tout cas pas très gai.. Paco n'est pas là, parti quelque part en province, pour la journée. Se passant de lui, les sept danseurs répètent, dans le studio May Be, cette salle de répétition qui est aussi utilisée pour certaines représentations de Faits d'hiver

     

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    Minutieusement, ils travaillent, progressent dans l'exécution de certaines séquences. En toute sérénité. A proprement parler, ils ne créent pas, ils affinent. Comblent certains vides, relient des gestes. Ce qu'au départ je recherchais reste insaisissable, décidément, mais pour me permettre de découvrir autre chose: ce que je vois en ce moment est spectaculaire. Mais d'une manière éphémère, qui plus tard s'estompera, quand la création sera achevée. Car je vois maintenant, en pleine lumière, toutes les performances physiques, les efforts, les prouesses athlétiques, les élans arrachés et la lutte contre la pesanteur, les impossibilités contournées centimètres par centimètres. Tout ce qui sûrement sera rendu invisible dans la pièce, dans son déroulement, pour qu'alors les mouvements puissent paraitre naturels, les corps emportés dans le flux de l'évidence et du récit. On verra alors les interprêtes sur la scène, mais le travail sera caché, à l'intérieur d'eux. Il n'est pas interdit de penser que certains danseurs en soient un peu frustrés... Mais pour le moment à Micadances tout se voit et tout est étonnant, d'une manière qui me renvoie à la conscience cruelle des limites de mon propre corps: Sylvère se tient à l'envers, finit en équilibre tout son poids sur l'épaule, s'appuyant à peine le long de Vincent. Il parait incroyable que des hommes de sa carrure, ou de celle d'Orin, puissent se mouvoir avec une telle agilité. Plus tard l'un des danseurs me confie qu'au fil des mois de répétitions, son organisation musculaire a finit par s'adapter aux contraintes propres à cette pièce, pour contrecarrer la fatigue. Takashi, un peu à l'écart, plus petit, se lance dans des mouvements très rapides, des mouvements de chats. Ici sont rassemblés deux asiatiques, une sud-américaine, quatre européenn(e)s qui ne se ressemblent pas: d'évidence il y a pas de physique imposé pour danser pour Paco. Les garçons avancent debout sur les mains, les trois filles ne sont pas en reste, tous se lancent dans des figures hip-hop. Tels de grands ados, voudraient-ils aujourd'hui m'en mettre plein la vue qu'ils ne feraient pas autrement. En l'absence de Paco, ils s'observent les uns les autres pour se conseiller. Chacun est à l'écoute, Noriko, qui parle rarement et plutôt en anglais, intervient pour rectifier une position de Silvère, et tous sont attentifs. Vu d'ici- mais je ne viens qu'une fois sur cent- ni tension, ni chefs, ni rivalités. Mais de la fatigue et des corps essoufflés, des enchaînements répétés dix fois et plus. Et des plaisanteries, tout le temps, et d'autant plus aux moments où l'effort est évident, ou la figure virtuose. Comme par pudeur, comme pour s'excuser d’avoir à se montrer, et même les uns aux autres, pour ne pas donner l’impression de vouloir en montrer trop. L'auto-dérision comme remède contre l'esprit de compétition? Même, ils rient souvent comme des enfants qui auraient réussi une pirouette. J'ai l'impression de me retrouver dans la cour de récré. Comme par exprès les filles répètent ensemble une scène et les garçons s'arrêtent, s'assoient pour les regarder et commenter, un rien sardoniques. Ensuite, les rôles sont inversés, les filles regardent les gaçons répeter. Puis tous se laissent retomber à plat le temps d'une pause, s'étirent et se massent, entament un grave débat pour décider qui demain matin va acheter des haribos. Jesus me propose un peu de la tortilla qu'elle conserve dans un tupperware, c'est appétissant mais je n'ai pas l'excuse de griller autant de calories qu'elle. Puis ils recommencent, et les plaisanteries de mêmes…

    Quelques jours plus tard, Jérôme m'écrit, tout excité, pour m'annoncer qu'il a retrouvé la partie manquante de la Fresque. Il la montrera à Paco... mais dans l'épisode d'après, au T.C.I.....

    Guy Degeorges

      

    Photo de Jerôme Delatour  (mais ici prise au studio Banca Li), les autres sont sur Images de danse.

    Merci à Paco Dècina et à la compagnie Post-Retroguardia, et au T.C.I..

     

    Le prochain épisode est diffusé ici, bientôt...

    En attendant, lire le prologue, l'épisode 1, l'épisode 2, l'épisode 3, l'épisode 4, l'épisode 6, episode 7 , les bonus...

     

    P.S. Et spécialement pour les lecteurs de ce journal, et les admirateurs des photos de Jérome, le Théatre de la Cité Internationale propose d'assister, pour un tarif à 8€50 (1) à la représentation de Fresque du 26 janvier, qui sera suivie d'une rencontre avec Paco Décina, et l'équipe artistique.

    Reservations au théatre 01 43 13 50 50, mot de passe "Blog". 

     

    (1) c'est le tarif le plus doux, sauf si vous avez moins de 12 ans.

  • Looking for Paco: bonus

    Regards sur la création de « Fresque, femmes regardant à gauche » par Paco Dècina et la compagnie Post-Retroguardia.

     

    Quelques bonus...

     

    Pause Forcée

     

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    Les répétitions de Fresques ont continué pendant une quinzaine au C.N.D., et sans que je parvienne me libérer, même une heure ou deux, pour y ouvrir un œil, une oreille…

    Qu’ont-ils fait, là-bas, durant ces deux semaines? Je reviens, irrésistiblement, à ce qui est invisible, hors champ. Que le regard soit attiré dans cette direction, c’est, dans ce projet, une obsession.

    Cette question en amène une autre, illico…Font-ils autrement quand je suis là que quand je n’y suis pas? Il dansent, bien sur! Mais surtout durant les moments où ils ne dansent pas? Je sais bien que ces danseurs sont habitués aux ateliers, aux ouvertures, aux répétitions publiques, aux interventions dans divers milieux, etc… Il n’y pas le noir et le blanc, d’un coté la scène et de l’autre le reste…Il n’empêche! Ma présence, celle de Jérôme, ont-elles une influence sur la manière dont ils se comportent, dont ils parlent?

    Puis je vraiment assister à la création? C’est une interrogation voisine de celle d’un ethnologue…par définition je ne le saurais sans doute jamais.

     

    La musique et le regard

     

    Au filage qui eu lieu lors de ma première venue au T.C.I. assistait aussi Michel Caserta, qui est l’éminent directeur de la biennale du Val de Marne. Ses avis furent, bien sûr, attentivement écoutés. Dont deux remarques critiques, qui firent saillie au milieu de nombreux compliments.

    En premier lieu, l’une des séquences musicales, dans laquelle étaient utilisées des voix retraitées, l’avait quelque peu gêné. En réfléchissant à cette réflexion, je me disais, moi aussi, que ce passage était en soit intéressant, mais qu’il s’agissait de la plus « visible » des musiques utilisées durant le filage, et au risque de détourner l’attention de la danse.

    Paco et Frédéric Malle, le créateur de la musique, m’apprirent un peu plus tard que ce morceau avait été le premier à être créé. Et même une source d’inspiration pour l’ensemble de la création, à ses débuts… Ce qui était un point de départ sera-t-il à l’arrivé gommé pour sauvegarder le bon équilibre de l’ensemble?

    Ensuite, Michel Caserta fit la remarque, qu’à mains égards, la danse était déja aboutie, incarnée…mais pas encore jusqu’aux expressions du visage, du regard, de la bouche, de la respiration.

    Est-ce le plus important, et cela ne peut il venir qu’en dernier ?

    Mais à entendre ces deux remarques, j’étais dés lors un peu plus rassuré: Fresque n’en était pas encore, n’en est toujours pas, à son achèvement…

     

    En Parler ou pas ?

     

    Dans la Galerie, durant les premières minutes de ma toute première visite, Marion m’avait lâché quelque chose d’assez drôle, dans le feu de la conversation: « Tu peux parler absolument de tout, sauf des histoires de cul». Ce qui tombait plutôt bien: de tous temps plutôt naïf, je n’ai jamais trop bien flairé autour de moi les intrigues amoureuses, sinon avec un train de retard.

    Cela revenait donc à dire que dans mon récit rien ne me serait interdit!

    L’exact opposé d’un reality-show télévisé.

    J’en suis aujourd’hui à peu près au premier tiers de ce travail de regard et d’écriture.

    Sans histoire de cœur, bien sur, surtout sans trop savoir où je vais. Sans savoir ce que j’écrirai la semaine suivante, avec juste le sentiment d’entreprendre quelque chose d’un peu original. Cette petite incertitude fait écho à l’incertitude, aux implications autrement plus importantes, du projet artistique que j’ai pour projet d’observer.

    Une chose est sure, comme promis, l’écriture se fait en toute liberté. Sans jamais que ces articles ne soient relus par le théâtre ou la compagnie. …

    Et il est tout aussi évident que mon regard tombe sous le charme…. Avec la hâte, la semaine prochaine, d’y retourner !

     

     

    Guy Degeorges 

     

    Photos de Jerôme Delatour, a voir en intégralité sur Images de danse.

    Merci à Paco Dècina et à la compagnie Post-Retroguardia, et au T.C.I..

     

     

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  • Looking for Paco: episode 4

     

    Regards sur la création de « Fresque, femmes regardant à gauche » par Paco Dècina et la compagnie Post-Retroguardia.

     

    Episode 4 : Que font ils aujourd'hui? 

     

    Nulle part ici dans le studio de crayon, de cahier, de dessins, de calendrier. Ni de caméra, ni d’ordinateur. Pas de paper–board, nulle notation, ni partition. Juste encore des fringues jetées partout. Zéro tracabilité.

    Seuls les deux visiteurs d’aujourd’hui travaillent à l’aide-mémoire. C'est-à-dire avec un stylo (moi-même), avec un appareil photo (Jérôme). Ceux qui créent Fresque, le font juste avec leurs corps, et leurs têtes.

     

    Nous les regardons: Paco Dècina et les danseurs au grand complet- Vincent Deletang, Takashi Ueno, Jesus Sevari, Orin Camus, Noriko Matsuyama, Chloé Hernandez, Silvère Lamotte- qui ensemble travaillent une scène. Une scène qui d’ailleurs ne porte pas de nom, qui n’a pas non plus de numéro. C’est juste « la scène d’après ». Ils répètent, et se souviennent des gestes déjà répétés, la veille, avant. Plus ou moins. L’un des garçons suspend son mouvement au moment où Paco lui fait remarquer: «Tu devrais faire comme tu faisais hier, tu sais…Ca fonctionnait mieux ! ». Ce qu’il faisait hier, en l’occurrence il l’a oublié. La vraie question, c'est plutôt: comment se souviennent-ils de tout le reste?

    Doute. Je note une autre question à poser à tout à l’heure, lors de la pause, à Paco: pourquoi est-ce cette scène qu’il répète aujourd’hui, maintenant. Pourquoi celle-ci précisément- même si d’ailleurs cette scène ne porte pas de nom- et non n’importe quelle autre, parmi cinquante, ou cent?

    Au moins une chose est établie: aujourd’hui nous sommes au studio Blanca Li. Rue des Petites Ecuries, au dessus d’un Franprix, dans un quartier populaire, africain, affairé de Paris. Un lieu que Catherine a loué pour la semaine. Encore que nous pourrions être n’importe où. Lorsqu’à la pause, nous évoquerons les répétitions de la semaine suivante, Paco parlera de Micadanses. Raté. Tout le monde, sauf Paco, semble savoir qu’en fait ce sera au C.N.D. Moi compris, qui garde précieusement le planning, établi par Catherine, des lieux de répétition.

     

    Petit bond en avant. Tout à l’heure Paco me répondra, concernant la scène à répéter, que ce matin même, il n’avait rien décidé. Puis qu’il fit son choix «en fonction de l’énergie des danseurs». Concernant les jours à venir, cela semble tout aussi indéterminé. Quand même, Paco reconnaît qu’en janvier, de retour au T.C.I.,à l’approche des représentations, avec la lumière, la musique, la vidéo, le calendrier sera plus resserré.

     

    Flash back sur la dernière visite au T.C.I. . Paco, dans l’ombre, semblait alors plus dans le calendrier, plus conscient de l’horloge, plus préoccupé, moins enjoué. Grondait une danseuse qui était arrivée un quart d’heure en retard, pas échauffée. L’environnement du théâtre le ramenait-il à une conscience plus aigue des échéances?

    Flash forward, encore plus tard: Chez moi, je consulte le gros bouquin de Rosita Boisseau avec sa sélection de 90 chorégraphes. A chaque chorégraphe son illustration. Beaucoup d’entre eux ont fourni des reproductions de cahiers de croquis, de dessins préparatoires, de descriptifs, de listes, ou d’autres documents de travail. A la page 147 (de l’édition 2006), celle qui concerne Paco Dècina, on trouve un dessin représentant…l’union Yin-Yang du Ciel et de la Terre.

    Tout vient d’ailleurs. Ou de dedans. Et par des voies détournées

     

    Ici et maintenant, les danseurs travaillent, donc de mémoire, sans filet. Dans tous les sens. C’est un paradoxe, fascinant. La scène qui n’a pas de nom dure deux ou trois minutes. Elle se précipite, vive et complexe, les sept danseurs s’y plongent en même temps. Tout se joue avec une grande précision et je ne comprends pas de quelle manière ils tendent déjà vers l’exactitude. Chacun doit anticiper bien en amont ses mouvements afin d’arriver au bon moment pour rencontrer l’autre. Comment y parviennent ils ? Et la musique bourdonne, sans offrir de repères.

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    Le résultat, plutôt le travail en son état actuel, enivre. Les actions à suivre, multiples, se chevauchent comme des partitions simultanées et légèrement dissonantes. Avec des diagonales, des accélérations, des convergences. Comme suspendu en son centre, il y a dans cette minute un instant remarquable: quand Jesus s’envole, soulevée par les reins d’Orin. Un autre moment me semble tomber à plat, tel que vu maintenant. Lorsque, pour conclure, Chloé, Orin, Noriko, forment ce qui à mes yeux ressemble à un tas. Ils semblent moyennement enthousiastes. Je constate, un peu plus tard, que Paco ne semble pas convaincu lui non plus.

     

    L’heure et demi qui passe est consacrée à ce qu’on pourrait appeler des ajustements, plus sur du rythme (du souffle?) que du mouvement. L’usinage de la matière brute de la danse, mais d’une manière qui conduirait tout droit à la folie un consultant en productivité. Même si on découvre que Paco a été ingénieur, si on en croit sa bio.

    Paco s’implique de la voix. Avec son accent italien, en français, en anglais. Ecoute les danseurs, interroge, stimule, s’exclame. D’une manière toujours délicieusement oblique…«Est ce qu’on peut avoir ici une résonance?» « Là, il faudrait que tu ouvre l’espace ». Sur le papier, lu après, hors contexte, cela ne veut strictement rien dire. Si juste ramené au contenu. Mais à l’œuvre, dans la relation et l’instant, cela se cale avec beaucoup de grimaces, d’exclamations, d’onomatopées. La communication analogique triomphe sur le langage numérique. Jérôme prend une photo spectaculaire, qui sera dévoilée à son heure. Paco s’implique avec le corps aussi, se  jette dans la mêlée d’une roulade, se fait un peu mal. Il chante aussi, lorsqu’il danse.

    Il faudra décrire, une autre fois, comment les danseurs réagissent, communiquent, il faudra parler de leur grand sérieux.

     

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    A la pause, Jérôme évoque notre visite dans la réserve, nous avions alors pris conscience de la grande autonomie laissée aux danseurs. Il demande à Paco qui doit être considéré comme créateur de la pièce. Paco décale sa réponse « Il n’y a pas eux et moi, il y a juste la pièce, Les mouvements ne sont pas la danse, les mouvements rendent visibles la danse ».

    Confirmation de ce que je ressens du projet: Ici il ne s’agit pas vraiment d’élaborer il s’agit plutôt de révéler. Montrer ce que voient les trois femmes de la fresque? Lorsque nous nous sommes rencontré la première fois Paco ma parlé de rêve, de rêve éveillé. On y reviendra. Mais aujourd’hui Paco me dit ne jamais rêver de danse. Ses rêves parlent d’autres choses, et l’inspirent…indirectement

     

    Jérôme, dans la vie, est conservateur et historien. Depuis un certain temps il s’efforce de retrouver trace de la fameuse fresque d’Herculanum, dans des livres d’art, sur internet. Mais à ce jour sans succès. Jérôme est persuadé que cette photo reprise sur le dossier de presse, avec les trois femmes qui regardent vers la gauche, vers d’invisibles objets, ne montre que le détail d’un ensemble plus grand. Il pense qu’il existe, dans un musée, quelque part, une autre partie de cette fresque, et que nous pourrions y découvrir ce que les trois femmes regardent.

    Je parierais que non. Ce n’est qu’une intuition. Mais je suis convaincu que ce vis-à-vis, à supposer qu’il ait vraiment existé, est perdu à jamais. Rendu à notre imagination. Que le point de départ de Fresque ne peut être un point de repère fixe et tangible. C’est à mon avis un rêve, flou, un désir, que la danse doit rendre à la visibilité.

     

    Guy Degeorges 

     

    Photos de Jerôme Delatour, a voir en intégralité sur Images de danse.

    Merci à Paco Dècina et à la compagnie Post-Retroguardia, et au T.C.I..

     

    Le prochain épisode est diffusé ici, bientôt...

     

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  • Looking for Paco: episode 2

    Regards sur la création de « Fresque, femmes regardant à gauche » par Paco Dècina et la compagnie Post-Retroguardia.

     

    Episode 2: Le Filage

     

    Donc, le filage a commencé. Le voir me fait craindre qu’il soit trop tard pour écrire à propos de la création de Fresque.

    Filage: répétition de toutes les scènes (ou de la plupart des scènes du moins) dans l’ordre prévu, et avec tous les moyens techniques (lumière, son, musique, vidéo) alors disponibles. Ce qui ressemble le plus, à cet instant T, à ce que sera la représentation.

    Dans la salle il fait toujours noir. Sur scène, mon point d’ancrage est Jesus. Au début. Parce qu’elle m’est la plus familière, à regarder danser. Je me guide sur sa présence, sereine, charnelle, et la fluidité de ses mouvements. Pour un temps. Vite, mon attention se rééquilibre sur les autres interprètes. Sur chacun d’entre eux. Sur tous, sur le groupe en son ensemble. Ce groupe qui semble être déjà formé, vers une danse homogène. Il y a déjà eu à ce jour vingt, ou trente, demi-journées de répétition.

    Je regarde le filage, sans m’être mis en position critique. Je regarde Paco qui dirige, tout au long. Voir le filage et écouter Paco en même temps, c’est un peu comme regarder un DVD avec en piste son les commentaires du réalisateur. Paco donne des indications, pas tant de mouvements que de rythme. En termes indirects, détournés: «laisse l’arrêt en suspension ! A l’intérieur ça doit être vivant !». Il use d’un langage de poète et de géomètre. On entend du calme, de l’autorité. La voix est caressante, « italienne ». Les syllabes traînent. Quand Paco s’énerve un peu quand même, sa voix change à peine. Mais sa musique se suspend un court instant; il s’en prend au dossier du fauteuil de devant.

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    Il faut ici écrire ce qui est le plus embarrassant.

    Dès maintenant, j’aime voir ce que je vois.

    Ce qui peut donner l’impression que je rédige un document de promotion. Ou que j’essaie de me concilier dés le début Paco ou l’équipe. Mais en vérité-je ne sors de chez moi que depuis quelques années- je n’avais jamais vu encore de travail de Paco Dècina.

    La rencontre n’allait pas de soit. Et d’ailleurs ce que j’aime depuis quelques minutes, je ne le sais pas. J'aime certains moments. Je ne peux pas encore les qualifier. Plus exactement, je ne ressens pas d’urgence pour qualifier ce que je vois, je ne ressens pas le besoin d’en fixer les images pour le moment. J’ai le temps. Juste l’envie de noter: justesse, essence, densité.

    Le plus important, c’est que je suis déjà, surtout, encore, dans une affinité intuitive. En accord profond avec ce que la danse doit être. C’est évidemment un soulagement, ce projet aurait été compromis si je n’avais pas ressenti cette proximité.

     

    Mais ce projet n’arrive-t-il pas trop tard? Le travail me semble très avancé. Il y a des heurts, des blancs. Mais de ce que je vois, la danse est née déjà. Grandie de plusieurs semaines, par endroits forte et assurée. La création est elle derrière moi ? Je me raisonne: pour ce premier contact, j’ai été invité à être témoin de ce qu’il avait de plus fini. Mis en position de spectateur, dans le noir de la galerie. Oui et non. Cela tend à être une représentation, sans l'être vraiment. Y il aura-t-il donc toujours un doux antagonisme, non formulé, entre la compagnie et moi, la compagnie voulant me montrer de l’achevé, moi recherchant à comprendre les hésitations, les accidents ?

    Après, nous partons boire un pot au self de la cité, Paco, Catherine, Marion, et moi. Je m’ouvre de ces doutes. Tous me rassurent, ou comprennent cela comme une boutade. Il y a autant de répétitions à venir que passées. Et tout à l’heure, un éminent personnage du milieu de la danse contemporaine assistait au filage, délivrait encouragements mais surtout aussi suggestions….Toutes ces discussions, et les doutes, et le reste, je les passe en accéléré, on y reviendra peut-être plus tard, ou pas.

     

    Ce qui compte, c’est que, des jours après, lors d’une répétition dans la Resserre, la lumière se fait....