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jazz - Page 2

  • Archie Shepp et A.T. de Keersmaeker: 44 ans aprés J.C.

    La rencontre que suggère l'affiche n'aura pas lieu, au sens strict, entre le saxophoniste Archie Shepp et la chorégraphe Anne Teresa De Keersmaeker. Il importe peu, ce sont d'autres fils qui tout au long de la soirée se tissent, plus subtilement, entre les gestes et les musiques, les époques, les cultures, les continents.

    C'est un vieil homme noir et élégant, borsalino et soprano, qui n'a plus rien à prouver, et tout à explorer encore. A ses cotés deux musiciens indiens rompent l'immobilité à sons de clochettes. Archie Shepp regarde un temps, écoute. Puis le souffle nait avant la note. C'est un gage d'humanité avant que la beauté ne devienne abstraite. Un son clair et brillant. Aérien. D'un lyrisme tranquille. Sans effets. Détaché de tous les genres. Le danseur Salva Sanchis cherche des yeux la musique. Sa danse se developpe, droite, pivote. Humble sous le regard du saxophoniste, attentif. Qui quant à lui va à l'essentiel, phrase des séquences courtes et repétées, s'élance vers l'épure, tend vers une transe apaisée. Pas loin du rève offert par Coltrane dans A Love Supreme. L'Inde et le Continent Afro-américain se rapprochent. Nous sommes entrainés dans ce mouvement, d'où que l'on vienne. Le muicien indien chante, authentique, mais avec l'énergie et les intonations d'un blues shouter. Ses doigts arrachent des cordes d'un instrument traditionnel des riffs de guitare funky. Le dialogue continue dans des langages inédits, Archie Shepp, attentif au danseur comme aux instrumentistes, sait s'interrompre, reprendre, répondre, essayer, prendre tous les risques. Salva Sanchis, félin (dit ma voisine), ouvre les bras pour offrir aussi, et gagne sa liberté, bondit.

    Aprés se présente Anne Teresa de Keersmaeker. Seule. Qui dicte d'abord les gestes d'une grammaire austère, d'un bras tendu, d'une jambe pliée. La musique l'environne, indienne et inconnue, le rythme incertain à nos oreilles. La chorégraphe fait le choix heureux de ne pas danser le rythme, danse l'harmonie plutôt. Semble sans cesse balancer entre abandon et retenue, toujours au bord de l'ivresse, sans jamais s'y livrer. Blanche immaculée, ose un sourire, juste esquissé. La danse part des bras, tourne et semble vouloir se saisir de volutes de fumées ou d'instants de bonheur. Reste aussi sobre, mesurée, que Salva Sanchis. Entre Archie Shepp et John Coltrane, mais sans jamais les citer, A.T. de K. fait le trait d'union.

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    Quatre, ensuite. Les 4 lettres du mot LOVE. Les 4 instrumentistes d'un quatuor (de Jazz encore ?). Les 4 danseurs sur la scène. Les 4 mouvements du disque enregistré... fin 1964. A love Supreme: L'oeuvre de Coltrane est si célébrée que le seul fait de l'adapter constitue une gageure, pour le moins indimiante. La réponse d'A.T de K. et de Salva Sachis à cette presque impossibilité se déploie en toute simplicité, pourtant. Sur un mode spirituel forcement, mais enjoué, ce qui est moins evident.

    Acknowledgement:  au comencement l'appel à la prière lancé par le saxophone, puis s'installe l'obstinato de 4 notes à la contrebasse. C'est un mantra qu'aprés son solo Coltrane reprend sur son instrument à différentes hauteurs de ton. Jusqu'à ce qu'il soit temps qu'il y renonce, pour juste chantonner les 4 syllabes de sa voix nue. La danse ne copie pas, exprime plutôt ce cheminement vers la simplicité. Les exposés et reprises des thèmes sont dansés en ensembles, de même que les musiciens sont à l'unisson. Le reste est libéré, on devine une grand part d'improvisation dans cette transposition du moment de l'histoire où le jazz change de nature. Avant que le saxophoniste ne s'aventure vers d'autres territoires, où il sera moins suivi. Pour l'Ascension de Coltrane qui viendra ensuite, où l'accompagnera Archie Shepp, il y aura moins de disciples à ses cotés. Dans l'adaptation de A Love Supreme, d'une forme artistique à l'autre, A.T. de K. échappe au risque de trop de gravité. L'enjeu ne se pose pas en terme de modernisme ou de classicisme de la danse, mais dans ses relations à sa source d'inspiration. Déja les danseurs sont délivrés de la mesure: 3 ou 4 rythmes se superposent dans le drumming d'Elvin Jones, pour ouvrir bien des possibles. Resolution: il y dans les mouvements, même exacerbés, beaucoup de joie et de la légereté. Les corps courent et se rencontrent, se portent dans des élans de sensualité. Dans cette sincérité, plaisir et spiritualité se rejoignent sans se contredire. Des souvenirs reviennent des deux performances précedentes, à nos oreilles l'Inde est présente, comme souvent chez Coltrane. Mais entremélée avec d'autres influences, dans un syncrétisme musical et religieux. Pursuance  s'ouvre sur un chorus de batterie. Un grand jeune homme offre un solo spectaculaire et eclaboussé de sueur, à la mesure de la performance physique que la musique suggère. Là comme lors d'autres échappées instrumentales, les individualités des danseurs reprennent leurs droits. Parenthèses individuelles, émouvantes et nécéssaires. Avec autant d'énergie que de tension. Psalm:  dernière prière crépusculaire et funêbre. Rassemblement sur un tempo lent. C'est le temps du don et du renoncement, de la Passion. Une danseuse s'effondre, les autres la soutiennent. Quatre font un. Sur le mur les ombres s'allongent. La suite fait écho dans les âmes, pour ceux pour qui tout s'est arreté le 17 juillet 1967, pour les plus fervents à la Saint John Coltrane Church de San Francisco.

    Epilogue: Archie Shepp revient saluer avec A.T. de K. et les danseurs. Pour retisser avec eux les fils du temps, lui qui en 1964 participa, même si le vinyle n'en conserva pas le témoignage, aux sessions d'enregistrement de A love Supreme.

    Guy

    C'étaient les improvisations de Salva Sanchis et Archie Shepp, accompagnés par Mimlu Sen et Paban das Baul. Raag Khamaj dansé par Anna Teresa De Keermaeker  et co-chorégraphié par Salva SanchisA Love Supreme, chorégraphié par Anna Teresa De Keermaeker et Salva Sanchis, avec Salva Sanchis, Cynthia Loemij, Moya Michael, Igor Shyshko, sur la musique originale de John Coltrane,  interprétée par John Coltrane (Saxophone ténor), Elvin Jones(Drums), Mac Coy Tyner (Piano), Jimmy Garrison(Bass). 

    A la Grande Halle de la Villette, avec Jazz à la Villette.

    photo par Hermann Sorgelos avec l'aimable autorisation de la Cité de la Musique

    A lire: Native Dancer

  • Emmanuel Gat: complet

    De : Reservation CND <reservation@cnd.fr>
    À : guy.degeorges@xxxxx

    Envoyé le : Mardi, 13 Novembre 2007, 16h35mn 23s
    Objet : Re: [RESERVATION]

    Bonsoir,

    Nous n’avons malheureusement plus de place pour ce spectacle,  si vous en avez la possibilité, nous vous proposons de venir le soir même, nous ferons une liste d’attente au cas où, il y aurait des désistements de dernière minute.

    Cordialement,
    L’équipe Billetterie

    Centre national de la danse
    Service Réservation/Billetterie
    1, rue Victor Hugo
    93507 Pantin Cedex
    T 01 41 83 98 98
    reservation@cnd.fr


    le 30/10/07 7:10, guy.degeorges@xxxxx  a écrit :

    RESERVATION :
     Référence(s) :
        Artiste(s) :   Emanuel Gat / Emanuel Gat Dance     
      Titre : My favorite things (coproduction) / Le Sacre du printemps
       
     Dates : Mercredi 21 au vendredi 23 novembre 2007 à 20h30, samedi 24 à 17h et 20h30
     
         Adresse : CND - Pantin
    93507 Pantin
      
     Tarifs : 14€, TR: 11€
    Abonné : 10€, TR: 8€

    Réservations
    Du lundi au vendredi, de 10h à 19h
    T 01 41 83 98 98 / reservation@cnd.fr
     
     Nom : Degeorges  
    Prénom : Guy  
    Adresse : XXXXXXXXXXXXX  
    Téléphone : XXXXXXXXXXXX
    Adresse mail :  guy.degeorges@xxxx
      
    Date : jeudi 22 novembre
    Nombre de places : 2
     
    Commentaires :  
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  • Blind Boys of Alabama: Jesus hits like an atom bomb

    Il suffit d’écouter les enregistrements que les Blind Boys of Alabama  ont gravés dans les années (mille neuf cent) 7341a75a873819274c168ec3c3ab9af0.jpgquarante et cinquante pour qu’il n’y ait plus de place pour le doute: c’est dans le feu du gospel tel qu’alors le vivaient à haute voix ces garçons issus de l’Alabama Institute for the negro blind in Talladga, que James Brown, Ray Charles et leurs suiveurs sont venus chercher 90% de leur inspiration. Le Genius et le Godfather of Soul ont depuis peu cassé leur micro, mais les Blind Boys chantent toujours présent, et assez fort pour encore donner en 2007 des leçons d’âmes à de nouvelles générations.

    Les vieux garçons cheminent vers la scène, lunettes noires, chic désuet, costumes lavande et chemises vertes, en file indienne, le bras gauche posé sur l’épaule droite de celui de devant. L'équipage est guidé par les yeux du guitariste Caleb Butler. Avec  l'abandon que la foi permet. Depuis 2001, le temps s’est peu soucié de s’arrêter. Survivaient alors encore trois grand pères aveugles. Ils avaient attendu 60 ans de scène pour miraculeusement se faire connaître au delà des circuits spécialisés du negro spiritual, en tournant dans le monde entier avec Peter Gabriel. Qui les avait engagés sur son label world music . Ne reste ce soir d’origine garantie 1939 que Jimmy Carter (mais ce Jimmy là n’a jamais été président des U .S.A.). Exit le ténor Georges Scott, qui scandait « Jesus hits like an atom bomb » sur l’album éponyme, parti chanter avec les anges. Le leader Clarence Foutain est restéce458ceadb76bd486f751657a00f84be.jpg chez lui soigner son diabète. Tant pis. La présence du dernier des vétérans suffit pour garantir le frisson de l’authenticité. Un lien humain, palpable vers les origines, vers une foi solidement enracinée. Quand bien même: dès qu’« un soldat de l’armée du seigneur » tombe, aussitôt un autre se lève pour le remplacer: assis aux cotés de Jimmy Carter deux nouveaux mais qui n’ont rien de jeunes débutants: Bishop Billy Bowers surprenant colosse sphérique, et Ben Moore, solide et modeste dans le rôle râpeux du baryton. Tous deux sous leurs lunettes noires manifestement aussi aveugles et aussi rocailleux de la corde vocale que leurs prédécesseurs: mais où vont-ils les chercher?

    Les Blind Boys ne sont venus pas venu ce soir pour proposer un divertissement.  C’est tout le contraire. Ils sont venus ramener l’assemblée vers l’essentiel. Vers Dieu, évidemment. Avec amour et fermeté. Comme ils parleraient à des enfants. Leur arme est la musique, puisée dans le pot commun et bouillant du patrimoine afro-américain. Blues, Rythm & blues, gospel, jazz, funk, soul, c’est toujours la même énergie, portée par des voix différentes, mais avec les mêmes harmonies, que celles-ci résonnent dans un bar plutôt canaille ou à l’église baptiste.

    Premières chansons: les voix se chauffent sur un « Down The Riverside » encore raffiné, encore sans trop de surprises. Derrière les trois chanteurs solistes, trois plus jeunes musiciens et choristes, eux bien voyants mais avec juste des lunettes de soleil: les guitaristes 611e15d1c4dbd3e0449aebf9751b896f.jpgJoe Williams et Caleb Butler, et le bassiste Tracy Pierce. A la batterie Rickie Mac Kinnie, lui de la confrérie des cannes blanches. Dès les premières mesures, le dispositif musical se met en place, d’une simplicité biblique: une rythmique discrète et carrée, les voix rassemblées en harmonies viriles et tout en âpretés, l’ensemble au service des prêches énergiques des solistes. Pas de place pour des contre-chants trop policés à la Golden Gate Quartet, ou des surabondances de choeurs en robes façon église surpeuplée. Juste du robuste, du brut, de l'authentique, sur une trame blues qui s'impose avec l'évidence des vérités révélées. Premières notes tenues, aussitôt applaudies, encore avec mesure, premières mises sous tensions, premières prières intempestives, premiers déferlements d’exhortations soutenues à coups de cymbales en crescendo. Les arguments commencent à porter: au premier rang, on tape du pied. Des chorus robustes de guitare bleue électrique font jeu égal avec les couplets des solistes. Quelques pauses, Jimmy Carter économise ccfa4704d1903010ebbda49dc1d5a2f5.jpgencore sa voix de septuagénaire, laisse Rickie chanter un morceau en solo derrière sa batterie, puis les quatre instrumentistes oser un joli a capella façon barbershop quartet. Une petite fille noire somnole au premier rang. Le leader introduit les morceaux avec les plaisanteries un peu éculées, à un public respectueux mais réservé. Puis se rassoit impassible. Il semble presque chercher à gagner du temps, comme incertain, un peu fatigué.

    Le vieil homme a bien caché son jeu: au détour d’un standard, il se permet enfin la coquetterie d’un premier hurlement arraché à sa carcasse fluette. Une note détimbrée, mais maîtrisée et volontaire, qui tient, tient, et tient encore plus que de raison. A la juste limite du faux, à bonne distance du joli, tout prêt de la beauté. Il en sourit d’aise aussitôt après en tendant le micro vers le public incrédule, content de son tour. Et la salle estomaquée répond, un peu plus fort enfin. Soudain en un cri tout a été dit: l’âme est toujours bien accrochée au corps. Même si le corps est fragile, diminué, l’âme n’est rien sans le corps tant que celui ci reste vivant. C’est le corps et la voix que l’âme doit porter aux limites pour se laisser entrevoir. Le gospel ne serait rien sans ce spectaculaire quasi miraculeux qui met l'héroïsme en scène, fait presque oublier tout le métier derrière.

    Jimmy se décide à passer aux choses sérieuses: il pousse «The devil Way Down The Hole » de Tom Waits, comme un manifeste, avec autorité, seul au micro d’un bout à l’autre. Puis laisse ses compagnons enchaîner d’autres morceaux de bravoure, pour les rejoindre dans les choeurs. Billy Bowers soudain s’envole en scats cassants d’une voix flûtée, agite son quintal dans des soubresauts de midinette en transe, puis retombe d’un coup dans un état semi comateux sur sa chaise. Ben Moore proclame « I’m a soldier in the army of the lord »  ce qui en dit plus long que toutes les présentations. Dans l’assistance, nos voix profanes se risquent de plus en plus à répondre à ces injonctions, nos voix commencent tout juste à s’érailler. La grande salle de la Cité de la Musique apparaît déjà moins froide qu’on aurait pu le redouter. Le public semble être le même celui qui fréquente les salles de jazz, juste un peu noir, mais surtout blanc, averti mais bon enfant, prêt à retomber en enfance, en état d'innocence, prêt à se laisser entraîner. Dans ses rangs: Thélonius, lui encore 10 ans, synthétise comme toujours admirablement la situation: «Papa, j’avais déjà vu un concert de Gospel, 1f74a2991542081db73b19652e01eb5c.jpgmais là ce sont les vrais!», avant d’oser être le premier à s’éloigner un tout peu de son fauteuil pour danser. Laissez venir à moi les petits enfants. Même l’ado sort de sa réserve dédaigneuse, pour frapper dans ses mains: c’est le premier vrai miracle de la soirée. Les Blind Boys montent en puissance, sans ne laisser rien retomber de la ferveur ambiante. Certaines chansons viennent de très loin, voire d'avant le déluge, telle l’inusable «Amazing Grace » (plus archi-connu en France sous son dernier avatar: "Les Portes du Pénitencier…"). D’autres morceaux empruntent à l’intensité appuyée de la Soul: « People Get Ready » de Curtis Mayfield , ou ceux, tel « There will be a light »  extraits de l’album live à l’Apollo enregistré avec Ben Harper, blind boy honoraire, dont Joey Williams, reprend sans les perdre en route les parties vocales haut perchées. Autant d’incursions vers un public plus large et hors du strict gospel, mais toujours respectueuses du cahier des charges spirituelles. Et dans la voix d'hommes qui ont fait le chemin de l'Alabama des années quarante jusqu'à aujourd'hui, un tribut aux luttes pour les droits civiques portées par tant d'hommes d'église, le pasteur Martin luther King en tête.

    L’heure est déjà bien avancée, et à ce stade une fois les lumières rallumées, ne resterait que le souvenir d’un très bon concert. Mais l’essentiel reste à venir. L'orchestre met en place la phrase hypnotique de « Look where he brought me from »  en tempo acceléré, prete à se répéter à l’infini et monter jusqu'aux cieux. 3 ou 4 secondes obstinées scandées en récitatif par Jimmy et conclues par un "Yeah" des autres garçons. Le gospel train est en marche, lancé sur les rails, à pleine vitesse. Numéro bien réglé et complice, chacun des vétérans fait mine de se lever à son tour de sa chaise, emporté par le rythme et la foi, avant d'être rappelé à la raison et la station assise par la main de Joe Williams posée sur l’épaule. Avant que le guitariste ne sache plus où donner de la tête et s’avoue vaincu. Les aveugles ne voient pas encore, mais les paralytiques se sont levés. Dans la salle les spectateurs plus valides qu'eux ont aussi quitté leur siège, sautent et s’époumonent, sans que personne ne soucie de les faire rasseoir. Sur scène, le péril vient maintenant de Jimmy Carter, qui entreprend une improbable pirouette, réussit son ascension: dans les airs un demi tour presque complet, sans tomber. L'Esprit Saint a fait son oeuvre. Enfin l'aveugle s’aventure aux limites de la scène, un monumental roadie le prend dans ses bras de géant pour le descendre dans la salle. Porté ainsi par ce Saint Christophe, le vieillard semble frêle comme un enfant. Retombé sur ces pied le prophète vient micro en main à la rencontre de son peuple prêcher la bonne parole. Un message simplissime: Do you fell god? Difficile de ne pas hurler 8003f50ec3b762be0dae5c6278e296f8.jpgyeah en réponse. Il y aura demain beaucoup d'extinctions de voix. Tout le monde est sur ses pieds, voire plus haut. Sans remords, sans arrières pensées. Tout le monde chante ou à peu prés. Jimmy Carter, bras tendus vers le ciel, arpente les travées, soutenu de loin par l'orchestre, suivi de près par Caleb Butler. Il se retourne, saute sur place, ré-exhorte au micro, revient au trot sur ses pas, sourit, aux anges. Il passe non loin de nous et nous lui répondont très fort, pour qu'à défaut de nous voir il puisse nous entendre. Pendant tout ce temps l’orchestre n’a pas dévié d'une croche de la phrase musicale entétante. Jimmy Carter fait mine de s’écrouler après avoir tenu un râle prolongé, Caleb fait mine de le relever, Jimmy ressuscité lui échappe, tourne les talons et repart à l'aveuglette chanter dans la salle, marche à travers la foule comme sur les eaux, fait à chaque passage se soulever des vagues de spectateurs. Cela continue encore et encore à ne jamais s'arrêter, enfin dix ou quinze minutes ou moins. Depuis combien d'année le chanteur se prête-t-il à cet exploit unique chaque fois, mais répété chaque soir de tournée. Depuis 10 ans, 20 ans, ou 50? S'écroulera-t-il un soir ainsi pour de vrai? Pourtant rien n'est faux. Ni simulé. Toute l’essence du show est là. Une alliance de ferveur, d’entertaiment, de prosélistime, de rourerie et d'absolue sincérité.

    Jimmy a du enfin remonter sur scène. Conclusion endiablée en tempo accéléré sur le Higher Ground de Stevie Wonder, sous un deluge de guitare wah-wah et de hurlements: Preacher kep' on preaching....Ce qui est une dernière occasion sur scène et dans la salle de sauter toujours plus haut sur ses pieds. Fin? Pas tout à fait. Les lumières rallumées, les Blind Boys restent s'assoir au bord de la scène, accueillant les spectateurs qui viennent les remercier, dire adieu peut être. It may be the last time we ever sing together. C'est une cohue bon enfant, les éclairs des portables crépitent, Jimmy et les vieux garçons serrent les mains tendues avec ferveur, précieux instants de contact véritable, font la bise à quelques minettes ravies: « God Bless You » ! Avec les autres, on va serrer la poigne de Jimmy, malgré tout ému. Qu'il nous voit avec la main, qu'il sache qu'on a été là, pour de vrai. Provoquent–ils ainsi des miracles, des guérisons spontannées? Et est on reparti converti? Ce n’est pas sur. Mais en tous cas rechargé à plein d'amour et de générosité.

    C'était The Blind Boys of Alabama, à la Cité de la musique

    Guy 

  • Maki Watanabe: catch à trois

    Qui donc les a shootées ce soir à l'adrénaline? Heureusement vite oubliées, les trois minutes de mauvaise poésie assénées en présentation, dés que des forces élementaires se déchaînent. Concentrées en un lieu qui évoque la cave de Bertin Poiré, mais en encore plus petit. On est pas rassuré, spectateur plaqué contre le mur, à la merci d'un coup de griffe perdu. Se faire invisible, respiration retenue, sentir le souffle et les mouvements de ces deux félines- Maki Watanabe et sa partenaire anonyme- qui s'observent en embuscade, se pâment, se reniflent, bondissent, se renversent, grimacent, s'embrassent ou se tirent par les cheveux. Telles deux catcheuses tirées des origines pour un ballet primitif qui n'auraient même pas à oublier les premières règles du combat. Pour impulser chocs et sauts: la batterie et les exclamations de Makoto Sato, un grondement retenu et des éclats imprévisibles. Au total, de part et d'autre une demonstration de furieuse énergie et d'inconvenance absolue.

    On reprend son souffle, quand Hugues Vincent accompagne Chia Yin Ling. C'est un judiceux contrepoint à ce qui précédait, narquois, contemporain, aventureux, intelligent et sophistiqué.

    C'était, le 5 juin dernier, Maki Watanabe et Makoto Sato, suivis de Hugues Vincent et Chia Yin Ling, à l'Atelier Tampon. 

    Guy 

  • Les Printemps de Léveillé

    Extraites du répertoire de Daniel Léveillé, deux pièces jetaient hier soir un regard 20 ans en arrière. Mais deux pièces, qui, de notre point de vue qui n'est pas celui de l'historien, résonnent- comme Herses- plus actuelles que bien des nouveautés. Sauf à considérer qu'il faille du texte ou de la vidéo pour être moderne.

    Or pas même de musique au début du premier solo, Traces N°2. Une lumière simple et une femme- Louise Bédard- un vrai personnage bientôt. Embarrassée d'habits trop grands. Dans ce silence qui de plus en plus pèse, l'interprète exécute brusquement des spasmes comme nerveux. S'installe l'illusion que ces spasmes saisissent malgré lui le personnage ainsi créé. Brèves interruptions, mais pour laisser s'exprimer l'angoisse d'un regard à la dérive. Un visage décomposé. Cris. L'invention hachée et brute d'un nouveau vocabulaire gestuel, violemment inédit. Que Gilles de La Tourette aurait pu composer. Langage sans compromis, qui vient chercher quelque chose très loin dans le corps, pour nous l'imposer. Cela continue. Stupeur et tremblements. Gène, et toujours aucune musique pour l'atténuer.

    C'est une révélation poignante quand, une éternité de 10 minutes plus tard sautillent les premiers accords de guitare de "The girl from Ipanéma", qu'on a entendu mille fois, mais jamais comme cela. Louise Cavallier déambule alors gauchement, comme une danseuse de buto. "But she doesn't see....?" La phase répétée par Stan Getzsur le registre brumeux mais léger du sax ténor installe un contraste pathétique avec ce qui est vu. Mais le dérangement n'en est pas atténué, ni happy end ni rémission.

    On ne parvient pas, après ces émotions, à s'intéresser vraiment au Sacre du Printemps qui suit. Malgré Stravinsky (1882-1971), malgré les toutes les trouvailles, malgré l'énergie et l'excellence des quatre danseurs, rhabillés de la Pudeur des Icebergs. La majorité de l'audience semble pourtant acquise ou conquise, de la pré-ado à couette du premier rang aux mamies expansives derrière. Mais cette pièce va beaucoup moins loin que Traces. C'est simplement de la danse, et les pas sont toujours placés, impeccablement, SUR le tempo.

    C'étaient, de Daniel Léveillé, Traces N°II (1989) -♥-interprété par Louise Bédard, puis Le Sacre du Printemps (1982), interprété par Frédéric Boivin, Mathieu Campeau, Justin Gionet, Emmannuel Prouix. Une fois encore à Vanves Théatre, avec Artdanthé.

    Guy 

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  • Avec Maki Watanabe, Marteau Rouge casse ses jouets

    On continue, porté par les encouragements de Florence, mais comment rendre compte de ces souvenirs, d'hier déja?

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    Surtout de ces souvenirs- là, d'impressions que ne soutenaient dans l'instant d'alors aucune narration, de sensations à prendre ou à laisser. Qu'a-t-on vu et entendu? Sûrement pas un groupe accompagnant une danseuse, selon un scénario préétabli, ni une danseuse de buto improvisant sur une musique qui lui aurait été imposée. Les territoires semblaient plus incertains, plus poreux: par sursauts Maki Watanabe hurlait sa plainte, et les musiciens de Marteau Rouge faisaient le spectacle également, se donnaient à voir autant qu'à entendre: gestes délicats et puissants, spectaculaires à dessein du percussionniste (Makoto Sato), posture introvertie du guitariste -(Jean François Pauvros) arquebouté sur l'instrument, le visage caché en avant sous tignasse, position du clavieriste (Jean Marc Foussat)en savant fou, plus qu'inquiétant, triturant des machines dont débordaient des câbles par dizaines. Imagerie d'une mythologie somme toute classique: celle de la possession du musicien par la musique.

    Yeux fermés un triangle musical, une figure riche et idéale, celle de la liberté collective, du risque et de l'improvisation (On a un peu peur d'employer ce dernier mot trop fourre-tout, car il faudrait s'attaquer à l'expliquer). Longs développements, un seul par set. On pourrait appeler le résultat du free jazz, peut-être celui qu'a laissé Coltrane derrière lui au bout de sa course, version bruitiste, versant electrifié. Cela évoque aussi, entre mille autres choses, les moments les plus bruts de King Crimson, époque "Red" justement.
    podcast

    Maki Watanabe est vêtue de noir et ample, seuls le ventre et le visage découverts. Plus qu'un détail: car l'attention se focalise dés lors sur l'économie générale de ses mouvement-sur le corps en son entier-, et sur son visage, extraordinairement expressif soudain. Méconnaissable de blanc, expressif jusqu'à l'effroi, inhumain, trop humain. Quant à cette économie, elle se caractérise plutôt par une dépense contrôlée mais généreuse, à envahir furieusement tout l'espace autour d'elle, sans compter.

    Double improvisation, et faire l'expérience de l'improvisation de l'un nous fait ressentir et comprendre différement l'improvisation de l'autre. A l'exact opposé du "n'importe quoi": il faut obligatoirement maîtriser la technique, toutes ses règles, avant de les transgresser. Connaître ses arpèges sur le bout des doigts avant d'attaquer la guitare du tranchant de la main, ou à l'archet. Dans le trio toujours l'un des instruments-et pas toujours le même- reste dans la structure, afin de permettre aux autres de s'en affranchir. De ce contraste, de cette rupture, naît l'inquiétude et l'excitation.

    Maki Watanabe en offre l'équivalent visuel, surprenante de discipline mise au service de la liberté, de violence, de medium_photo_Maki.jpgrapidité, de justesse. Surtout surprenante tout court. Il y a dans ce qu'on voit matière à 10 soli, sans cesse interrompus, sans cesse repris. Portée par la musique de Marteau Rouge, la danseuse ne tombe pas dans le piège de l'imitation, de la simple transposition du rythme. Elle danse en contre-chant, s'unit à eux dans l'esprit plus que dans la lettre. La musique et la danse investissent tout l'espace des possibles en terme de rythmes, de timbres, de structures, de climats, d'humeurs, de volumes.

    Marteau Rouge casse ses jouets, et maltraite les instruments, Maki Watanabe avec eux met son propre corps en jeu, sans calcul ni prudence. C'est la morale du jouet selon Baudelaire,cet objet détruit, dé-construit, éventré, disséqué, pour l'éclairer du dedans, ici la note ouverte à vif pour en faire jaillir une vérité neuve, et le geste arraché au corps, démarche furieuse et psychanalytique

    C'était Marteau Rouge et Maki Watanabe à l'Olympic Café, au coeur de la goutte d'or.

    Guy


    P.s; On pourra voir Maki et d'autres aux Voûtes, dimanche soir

     

  • Don't stop the carnaval

    Charlie Parker s’est envolé

    Stan Getz a expiré

    Art Blakley ne remue plus

    Thélonius Monk à jamais silencieux

    Dizzy Gillespie s’est dégonflé

    Charles Mingus muet

    Milt Jackson ne vibre plus

    John Coltrane s’est consumé

    Chet Baker, defenestré

    Miles Davis a fermé les yeux

    Mais Sonny Rollins est vivant.

    Bien vivant.

    C'était à l’Olympia, le 18 mai, une seule soirée.

    La soirée la plus ensoleillée de d'année.

    Merci I.

    Guy