Contribution bienvenue au blog de l'écrivain Catherine Rihoit
La salle est pleine ce matin-là au Théâtre de la Comédie Nation. Des collégiens de Créteil, amenés par leur professeur, viennent voir le Misanthrope dans la mise en scène de Laetitia Leterrier. La troupe joue la pièce depuis trois ans et s’apprête à la donner pour la seconde fois en Avignon au Théâtre Notre Dame. Mais ce matin-là, c’est une représentation spéciale à l’intention des jeunes qui va se dérouler.
Depuis le début de l’aventure, la jeunesse nombreuse dans l’assistance a réagi très positivement au parti pris de mise en scène, qui peut surprendre et même parfois hérisser les aficionados de Molière. En effet, le salon où chacun se pousse du col et dit du mal des autres dans le jeu futile et délétère d’affirmation sociale si insupportable pour Alceste est transformé en émission de téléréalité. S’il semble astucieux de voir là l’équivalent contemporain des salons de l’ancien régime, c’est manifestement vécu comme une évidence par la nouvelle génération, qui n’a aucune idée du monde de l’époque et s’intéresse fort peu à ces vieilles histoires, le seul fait que Molière soit au programme suffisant à le classer a priori dans la catégorie « barbant ». Et si ce n’était pas au programme, ils n’en entendraient même pas parler…
Alors comment faire pour leur transmettre Molière ? Faut-il le mettre au goût du jour, est-ce là intelligence ou facilité ?

Les collégiens sont fort agités avant le début de la représentation et ils le sont encore au début du spectacle. Le côté « téléréalité » plaît tout de suite : ils rient beaucoup, et on se dit d’abord que ce n’est pas forcément pour les bonnes raisons. Mais au bout d’une demi-heure, un silence religieux règne. Le dilemme d’Alceste (comment vivre dans un monde qu’on trouve dégoûtant sans en être atteint au point de se dégoûter soi-même de la vie et de dégoûter les autres de soi) leur parle très évidemment, le héros hérissé comme un cactus leur est un frère.
Le pari : comment transmettre les grands textes à un public qui n’y est pas d’emblée réceptif et les verrait sans grand regret et même avec soulagement partir à la poubelle (soyons actuels, la culture française n’est qu’un musée…) est donc gagné, comme le montrent les applaudissements enthousiastes à la fin du spectacle.
Quelques semaines plus tard, mon petit fils de 17 ans m’appelle pour me dire que son oral de bac français s’est bien passé. Il a eu Andromaque. Sa parole jusque-là verrouillée s’est libérée juste à temps et c’est, dit-il, parce que je l’ai emmené voir Le Misanthrope –ce Misanthrope-là. Quand à son frère un peu plus jeune, il veut faire son stage d’études au théâtre - ce théâtre-là - dans quelques mois.
Ce que j’essaie de dire, ce n’est pas qu’il s’agit d’un Misanthrope pour ados. Mais d’autres Misanthrope se donnent ici ou là, alors pourquoi celui-ci ? Sa vertu particulière, au delà mais aussi à cause de la générosité des comédiens, consiste en sa faculté de renouveler les spectateurs et d’amener au théâtre, quand il est temps de les y intéresser, des êtres dont le goût se forme.
Pourquoi se donner tant de mal pour transmettre ces grands textes à ce public ? Pour qu’il ne soit pas déjà dégoûté du monde…
Catherine Rihoit
Le Misanthrope de Molière mis en scène par Laetitia Leterrier est joué au off d'Avignon du 5 au 27 juillet.
photo par Frederic Cottel avec l'aimable autorisation de la compagnie
plus délabrée. Chacun ici perd ses repères: Orgon flou et absent à lui même. Et- moins évident- Tartuffe plutôt vulnérable, victime de ses passions, qu'expert en manipulation. Perdu nous aussi on l'est un peu dans les codes de jeux. Les deux personnages principaux évoluent dans les demi-teintes de la subtilité et de l'inattendu. Mais Dorine en rajoute des tonnes de bon sens et de gouaille. Non sans drolerie, mais où sommes nous? Dans les rimes, dans le non-dit, ou dans les conventions d'un théâtre naturaliste, voire celles d'une comédie de boulevard? C'est peut-être l'hébétude adolescente de Mariane qui réussit à nous surprendre. Et la belle neutralité d'Elmire, qui laisse la sensualité se deviner par transparences. Chacune des partitions- prise à part- est bien réglée. Mais on n'apprend rien de plus qui nous permettrait de mieux comprendre la folie d'Orgon, qui gagne toute la maison. On est pas plus avancé: on s'enfonce. Le décor vient de grimper d'un étage, et les portes aussi: Damis tient son effet et fait rire la salle à bon compte, en ne pouvant sortir par où il est rentré. Justement, on ne sait plus où l'on est. On reconnait l'extraordinaire, implacable, texte de Molière. Rien à dire: impeccablement articulé, respecté à la lettre. Traité avec trop de respect? On n'arrive pas à s'en contenter, sans un engagement vraiment affirmé dans la mise en scène. L'ambiguité géne plus qu'elle ne stimule. Pourquoi ce choix de l'indécision, ce retoilettage de l'oeuvre, par touches de brillant effets? Orgon s'effondre, les murs continuent à s'élever, les personnages à accompagner la chute de la maison Usher. En haut le ciel, en bas l'enfer? Pourtant, il est plus question de folie que de religion, même si Tartuffe finira précipité par une trappe plus bas encore. D'ailleurs on ne sait plus vraiment de quoi il est question. En tout cas, quand on est tombé tout au fond du trou, guêre d'espoir en vue, le Roi justicier et omnipotent nous apparait dans le même costume puritain new look que celui de Tartuffe et d'Orgon. Dans ce décor qui, vu de loin, semble une boite qui nous laisse enfermé.
texte d'une manière on ne peut plus efficace, intense et austère. Avec, comme les bons soirs au T.N.O, proximité entre le public et les comédiens, absence de décor, sobriété intemporelle de costumes tendance avant guerre. Pas si facile non plus de juger l'arbre à ses fruits: l'aveuglement d'Orgon, la victime, reste le principal ressort comique et dramatique de la pièce. Porté à l'extrème quant il faut que sa femme Elmire manque de se faire violer sous ses yeux par Tartuffe, afin qu'enfin ceux ci ne se dessillent. Comme quoi les femmes y voient clair bien avant les hommes, n'en déplaise à MMe Laure Adler qui expliquait il y a trois jours sur Arte que chez Molière les personnages féminins étaient ridicules ou insignifiants. Mais l'auteur ne dit rien ou presque des raisons de la folie d'Orgon, de la soif spirituelle dont il doit forcement souffrir au point de se livrer corps et âme à l'imposteur, lui offrir cet amour indécent et sa fille en prime. Sauf à admettre que richesses et plaisirs terrestres déaltèrent si peu qu'il faille les sacrifier aux faux prophêtes. Malgré les efforts de la justice, Tartuffe a de beaux jours devant lui.
Dans le Médecin Volant, Sganarelle se dédouble. S'improvise médecin pour tirer d'embarras une ingénue. Puis piégé par sa propre imposture, doit s'inventer un frère jumeau moins honorable, jusqu'à rencontrer de plus en plus de difficultés pour jouer les deux personnages à la fois. Il prouve au moins en passant qu'il suffit d'être pédant pour apparaître comme un médecin compétent. Etre aux yeux des autres ce qu'il n'est pas vraiment. Les ingrédients des grandes tragi- comedies qui suivront sont déja présents... mais quand il écrit le Médecin Volant (1645),
pour l'autre. L'un est noble et raffiné, l'autre veule et idiot, à 100 % gouverné par ses instincts. Comme deux faces irréconciables d'une même personnalité. L'intrigue est échevelée et irrésumable. La comédie de moeurs glisse insensiblement vers la noirceur, sans renoncer à un enjouement enfantin. Voire. On ne peut que s'effrayer que chacun des actes de l'un des jumeaux engage la vie-voire la mort-de l'autre. La comédie de l'argent et de l'amour ne connait pas de pitié, la société change pour un cynisme assumé, le siècle finira par s'effondrer. Interprété sur tréteaux en pleine ville par un dimanche ensoilellé, c'est une belle illustration de ce que peut offrir le théatre édudiant, avec vigueur et sincérité, mais avec justesse pourtant.