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marguerite duras

  • L'adieu au langage

    Duras bouge encore, et surprend. Loin des romans la pièce adopte les formes du théâtre de l'absurde, tendance farce à trois. Mais plus question de narration, ni de situation. Juste les personnages entraînés dans des jeux d'influence et de langage labyrinthiques.  Les identités, intimes, sociales, s'y délitent: "terminé, terminé, terminé!". Les mots ne cachent plus le vide, façades sans maison. Tout est pourtant mené sur un mode loufoque, et crescendo. Quand le verbe se suicide c'est "B" qui ne parle qu'en "Shaga"-langage fictif- qui en dit le plus: par la force et la grâce de sa chorégraphie.
     
     
    C'était le Shaga de Marguerite Duras, m.e.s. par Hervine de Boodt, vu au Théo-théatre le 19 juillet 2018
     
    Guy

  • Les mots au pinceau de Mark Crick

    Elle est debout. Elle regarde. Elle regarde l'évier, le robinet. Il s'avance vers elle. Elle le regarde venir. Elle regarde le robinet(...) Homme,femme,robinet. L'homme s'avance. Il ouvre le robinet. (...) Alors il lui montre le joint, devasté, le ravage du temps, l'effet du calcaire, la pression crée par le robinet toujours serré, se battant pour retenir le flot, le courant. l'accumulation brutale de la force. Alors elle comprend. Et elle se retient de pleurer.(1)

    Est-ce du Duras, ou le récit d'un robinet qui fuit ? Les deux à la fois, réunis en un irréstible détournement par Mark Crick. Rencontre bienvenue: on est heureux que la littérature pour un soir oublie un peu de se prendre au sérieux. Et d'entendre l'esprit de Ramond Queneau  souffler à nouveau, avec ces exercices de style. Qui sont contraints sous la forme d'histoires de bricolage, certaines à hurler de rirer. Voire, cette seule heure lue vaut bien des leçons de critique littéraire: on croit tout comprendre de l'existentialisme de Sartre confronté à la matière accumulée dans le siphon de l'évier, des moites émois d'Ainais Nin carressant les poils humides du pinceaux, de l'humble humanisme d'Hemingway décrivant le labeur du vieux poseur de papier peint. Et avec Beckett, plutôt que de vraiment bricoler, on attend....

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    Le rapprochement fait sens, à la réflexion. Il y a entre écriture et bricolage plus d'un point commun: à l'oeuvre beaucoup de pragmatisme, énormement de persevérance, d'essais et d'erreurs, au service d'un peu de génie. Un travail toujours en cours, comme celui ce soir des comédiens en arrière plan, affairés à peindre, fixer et poser.... Devant, les lectures donnent voix et vies aux textes, avec mesure et drôlerie. Ce travail est tout en justesse, évite un jeu trop ostensible, pour permettre avec les auteurs pastichés des rencontres complices. Commes autant d'hommages.

    C'était la lecture d'extraits de "La Baignoire de Goethe" de Mark Crick, mis en scène par Brice Cauvin, avec Laurence Roy, Marie-Christine Barrault, Anne Malraux, Arnaud Denis, Laurent Malraux, Joaquim Latzko, et Jean Marie Wilson au saxophone. Au théatre La Pépinière.

    "La Baignoire de Goethe" de Mark Crick est paru aux éditions Baker Street.
    (1) Les extraits du texte cité ici ont été traduits de l'anglais par Eliette Abécassis.
    Dédicace et lecture: le jeudi 19 février 2009 à 18 heures, à la librairie Les Cahiers de Colette, 23/25 rue Rambuteau 75004 PARIS – 01 42 72 95 06  Métro(s) RAMBUTEAU-HOTEL DE VILLE Annonce jeudi 19 fevrier
  • Kataline Patkai: Six Fois Marguerite Duras

    On garde une image précise et fascinée de Marguerite Duras (1914-1996), quasi statue octogénaire au balcon de son appartement de l'Hôtel des Roches Noires, au dessus de la plage de Trouville-sur-mer. Marguerite Duras, postée là comme à jamais tous les jours des étés de ses dernières années 90. Ratatinée, ravinée, impénétrable et figée. Sans réactions perceptibles à nos regards de badauds ou à la pluie normande. Concentrée sur la conscience d'elle-même, ou dialoguant avec la mer et l'horizon. Paysanne et presque orientale, crapaud buffle déifié.

    Marguerite Duras qui à 25 ans s'écrit- et c'est déja la même- Kataline Patkai  nous la fait entendre, telle quelle, nous la fait rêver par la danse. Avec d'abord un texte de M.D. d'une simplicité trés travaillée qui prend le corps comme sujet- son propre corps en tant que manifestation de l'être. Un texte à rebours de beaucoup de lieux communs littéraires et autobiographiques: "Tout autre passé que le mien m'appartient d'avantage". Il est notoirement ardu de faire coexister textes et danses. On accompagne Kataline Patkai avec d'autant plus d'intérêt dans ce projet, plus fécond que que le dernier travail consacré à Jim Morrison qui s'épuisait à notre sens dans l'impasse de l'imitation. Ce soir la danse évoque (et non imite) un corps écrit, féminin, générique. Non celui de la jeune amante de l'Asie du Sud Est, ni le corps de la vieille des Roches Noires. Un corps commun, étonnamment ré-imaginé avec un humour glacé. Qui d'un devient six, se multiplie à force de s'auto-considérer, devient chenille sur le chemin de sa propre découverte, en retrait du monde. C'est une transposition intéressante du processus de création littéraire, qui aboutirait à se dédoubler en se réfléchissant. Pour viser à l'universel.

     

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    Sur un fond de décor d'une sophistication notable-colline de matière réfléchissante, couverte de langues caoutchouteuses, culminant au dessus d'un tunnel lumineux et originel-, se succèdent des évènements suprenants, des roulades, des duos en miroirs, des progressions au sol tirées par les cheveux. Le recit s'interrompt et resurgit où on ne l'attend pas. Ce qui est peu déstabilisant. Un texte mortifère sur la vague et la mer renvoie à des peurs essentielles. La conclusion paroxysmique au son d'un rock survolté marque une nette rupture de ton. De toutes ses images, celles d'une orgie métaphysique et sans jouissance prédominent. Comme une scéne d'onanisme entre les doubles de l'écrivain. La chorégraphe met plutôt en scene une sensualité plutôt distanciée. Cet inventaire paisible et apppliqué des positions sexuelles, il nous semble déja l'avoir vu sur scène quelque part, en ébauche et sous d'autres angles. Pas plus loin qu'à Mains d'oeuvres, avec Appropriate Clothing must be worn. De la pièce d'alors à ce soir Sister, en passant par les postures de Rock Identity. On ne peut nier que K.P. suive une vraie continuité dans les thématiques. Et dans le style: il y a toujours un moment dans ces pièces où cette grande interprète hieratique, impliquée au ralenti dans une situation incongrue, semble porter trés loin au delà un regard calme et détaché.  

    Il y a plus d'un point commun ici avec la proposition de Julie Nioche qui précédait dans cette même soirée des Rencontres: audaces visuelles, originalité, legers regrets d'inaboutissements, réflexions sur la féminité, approche plutôt intellectualisé de l'émotion, grande sophistication plastique... sauf que les résultats ne se ressemblent en rien, ce qui marque bien l'originalité de l'une et de l'autre. Tant mieux

    C'était la création de Sisters, de Kataline Patkai, avec Kataline Patkai, Aude Lachaise, Lisa Nogara, maxence Rey, Agnes Sourdillon, Erika Zueneli, au Nouveau Théatre de Montreuil, dans le cadre des Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine Saint Denis.

    Guy

    Photo avec l'aimable autorisation de Jérome Delatour (au centre: kataline Patkai)

    extrait et interview, sur arte