Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

  • Et pourtant elles causent

    Ce n'est pas d'aujourd'hui que l'on entend beaucoup parler sur les scènes de danse. A tort et à travers? D'aucuns jugeraient, mais jugeraient un peu vite, que le discours est la négation même de la danse, rien qu'un processus d'intellectualisation s'exerçant à rebours du corps. Les choses sont moins tranchées, heureusement, et les frontières d'un flou salutaire: il existe du théâtre sans texte également. N'empêche. Trans-discipliner n'est pas transcender. Qu'ils soient rangés dans la case «théâtre » ou la case « danse » telles que définies dans les programmes des lieux culturels, un Jan Fabre ou un Rodrigo Garcia se rencontrent au milieu du gué pour se noyer dans le même didactisme pesant. Les mots alors utilisés pour en remettre une couche à la destination de ceux pour qui l'image n'aura pas suffit pour comprendre.... D'autres chorégraphes considèrent le texte comme un moyen supplémentaire et expressif dont ils auraient tort de se priver. Mais sans toujours savoir le manier ; leurs pièces s'enrayent souvent en route d'une parole tentée au mauvais moment, mal maitrisée, et peinent à redémarrer. Là voix et gestes dissonent. Plus prudente, Maxence Rey (Les bois de l'ombre) choisit de parler... mais sans un son, lèvres ouvertes sur le mystère, offrant le sens à l'imagination... Ce qui semble nouveau dans des pièces tentées par quelques chorégraphes féminins vues ces derniers mois, c'est le parti pris de mettre paroles et gestes à égalité, assumés au service d'une narration organisée. Elles racontent des histoires...

    3954272312_e72b8005ef_b.jpg

     

    Aude Lachaise ose quelque chose (Marlon)qui ressemble dangereusement de part ses codes à un One-woman show. Circonstances aggravantes: elle parle de cul et de cœur, d'elle et d'hommes. Avec le "je' de rigueur et l'apparence des confidences. Pire: elle est drôle. L'effet de surprise passé dans un contexte de lieu de danse, la tentative fonctionne tout à fait. Et ce qui passe inaperçue à la première vision au profit du récit c'est toute la précision du travail chorégraphique. Il faut sans doute revenir sur les photos pour mesurer à quel point le geste s'intègre au récit. Parler et bouger ainsi, c'est s'offrir deux fois.

    golden girl.jpg

     

    Sophie Boquet(Golden Girl) raconte une histoire de blonde. Mais l'histoire d'une blonde triste. D'une fille simplette et aux rêves de star, qui va au devant d'inévitables désillusions. L'approche est inhabituellement sociologique, et la place de la danse singulière, puisque celle-ci intervient en complément du récit, selon les situations. Ainsi c'est bien le personnage et non l'interprète qui fait son numéro de danse disco ou de danse sexy dans une boite de nuit, etc.... La danse tient pour ainsi dire pour l'héroine le rôle de leurre, la fait exposer son corps en marchandise. Le récit est doux amer, sans qu'on ne sache toujours à quel degré le prendre, à quelle distance se situer, nous laisse entre tristesse et tendresse. 

    Mme Gonsalvez.jpg

    A l'opposé, la narration de Viviana Moin est purement poétique. Cette femme peuple à elle seule la scène de personnages impossibles et drolatiques: Billy (l'escargot), Mme Gonsalvez (au piano)... Se dévoue corps et atours à un sens aiguisé du ridicule, de l'absurde et de l'autodérision. Avec la même beauté mélancolique qu'ont les magiciens qui ratent toujours leur tour. La parole, chargée d'accent outre atlantique, est hésitante forcement, vite hilarante, d'une maladresse calculée qui fait déraper le récit, et ose entraîner la danse vers des situations très incongrues.

     

    nb prix au m-Ø_0074.jpg

    Et pour finir il n'y a peut-être pas tant de différences que cela entre une danseuse qui parle et une actrice qui danse. Marie Delmares gravit son sentier de dépendance en tutu. Pour un monologue sentimental avec un sens de l'espace bien senti et une franchise crue.

    Guy

    En photos:  Aude Lachaise(par Jerome Delatour) dans Marlon vu à Point Eméphère, Sophie Boquet (par Gaëlle Maegder) dans Golden Girl vu à Artdanthé , Viviana Moin( ici par Jérome Delatour dans Mme Gonsalvez), encore ce soir à Artdanthé  avec Kataline Patkai et Marie Delmares (par Gérard Marché) dans Sentier de dépendance en ce moment au Lucernaire

     

  • Le code a changé

    Ils dansent et jouent, mais leur jeu obéit à des règles aléatoires. Sur un plateau noir, dont l'image est projetée au mur, sont à intervalles réguliers par les uns ou les autres posés des objets: lettres, bonshommes, canards, voitures... A ces consignes codées et inattendues obéissent les danseurs, les musiciens et l'éclairagiste. On revoit ainsi souvent de mêmes séquences revenir, réagencées différement. De tels procédés les oulipiens ont fait un usage jubilatoire en littérature. Ces derniers s'éfforçaient à partir de contraintes inextricables de restituer aux oeuvres ainsi produites mouvement et sens. Mais ce soir, le code m'est inintelligible. Je ne comprends rien aux symboles posés sur le plateau. Je ne comprends pas l'enjeu d'obéir à ces consignes, ou de les détourner, et rien non plus ou résultat. A la matière dansée, riches en frictions, je pourrais m'intéresser, mais le cadre me rebute. En matière de danse, je suis pourtant rarement en demande d'explications, ni rationaliste à tout prix. Mais ce soir il y a un sens caché à l'aide d'un procédé élaboré et j'y suis étranger. Je me sens franchement de trop, frustré de sens.

    C'était Sur Faces, de Julien Monty et Michaël Pomero, au Colombier de Bagnolet, dans le cadre du festival Jamai(s) Vu!s

    Guy

  • Des bêtes avec âmes

    Juste deux conférenciers aux allures de losers, elle hagarde, lui la barbiche assurée. Avec leur réserve d'images, et un retroprojecteur comme dans une salle de sciences nat' poussièreuse. S'y glissent d'improbables gravures enfuies d'un bestiaire de l'absurde et débodent sur le mur. 

    Bestiare animé.jpg

    Ce cours n'est pas magistral quand les professeurs se muent en sujets incertains, deviennent matière à pensée, spécimens de moins en moins sûrs d'eux-mêmes: "il y a une machine dans ma tête qui prend toute la place et je ne sais même pas comment elle marche". Le couple se chahute, s'invective avec une cocasse obscénité, et des noms d'animaux. Mais les mots se jouent d'eux. La science déraille et s'égare, poétique et brinquebalante, devient méthode à réver, à déclasser et à juxtaposer les opposés. Les images sortent de l'écran et de nos cadres mentaux: de drôles de bestioles inattendues, mutantes et merveilleuses, les points de vues renversés et les choses jamais ce qu'elles semblent. C'est poétique et un brin mélancolique, les enfants rient beaucoup. Les mots flous, sans dessus dessous, se dérobent, modelés d'une pâte pétillante et colorée. Ils nous font animaux libres et métaphysiques (comme la girafe: bien au dessus de la physique)!

    C'était le Bestiare Animé de Véronique Bellegarde, d'aprés des textes de Jacques Rebotier, au Théatre National de Chaillot dans le cadre du festival Anticodes.

    Guy

    lire aussi: théatre du blog

  • Des regrets: Blanche Neige de Preljocaj

    Les vrais gens sont heureux: rappels, bravos et ovation, joie et felicité, et pour moi un grand moment de solitude: je me sens cerné. Avec la mauvaise conscience de ne pas avoir aimé, de faire ainsi insulte aux braves gens, rejeté vers l'elitisme, bunkerisé dans le snobisme.

     

    Blanche Neige 5 @ JC Carbonne .jpg

    Mais, malgré toute ma bonne volonté, agacé dès les premières scènes: le grand bal au palais avec tous les figurants, danse de salon avec le roi, les courtisans et la princesse, et même les méchants. Méchants en noir, gentils en blanc. C'est peut-être cela qui me gêne, cette lisibilité organisée à l'extrême, cette narration transparente et aussi le soucis permanent d'en mettre plein les yeux. Dans le même temps je me sens mal à l'aise de reprocher à Preljocaj de vouloir être compris à tout prix. N'empêche, me reviennent les images de shows à Disneyland, aussi explicites: d'autres princesses dans d'autres ballets, et des méchants tout aussi visiblement méchants, avec la différence que chez Disney on peut manger ou lire en regardant. Partant de là, toute cette belle danse, je ne parviens pas à m'y intéresser, je ne vois que le clinquant des costumes de J.P. Gaultier, les beaux décors et les belles diagonales, les effets de fumée, et la maîtrise éprouvée des artifices. Tel le miroir avec les reflets vivants, un vieux truc de music hall, déja usé chez les Marx Brothers et même par Max Linder encore avant. La musique de Mahler est omniprésente, dramatisation redondante, sans respiration. Je vois qu'évidence, et nulle profondeur. Preljocaj pourtant semble s'intéresser à l'exploration des contes et des mythes- je me souviens du Stonehedge d'il y a deux ans- j'attends en vain qu'il cherche la clef pour ouvrir avec moi des portes interdites, me fasse entrevoir des choses troublantes dans l'obscurité de l'inconscient (peut-être suis je le seul à attendre, les autres spectateurs se contentant du "Beau" et je ne peux pas le leur reprocher). Dommage. Avec Blanche Neige et sa marâtre, il y a à faire et explorer (Walser l'a déja fait). Sur le mode allusif on a droit ici tout au plus quelques coquineries, l'air de ne pas y toucher: l'attirail SM de la méchante reine et de ses esclaves en catwomen (cage, cuirs et fouets), une blanche neige courte vêtue qui doit se faire respecter par ses nains, la cruelle traque collective de la biche dans la forêt. On s'arrête là dans le genre émoustillant et tant mieux, on en a soupé avec Ann Liv Young. Je goute une consolation en conclusion, comme dans la pièce d'Howard Baker la reine danse dans ses petits souliers chauffés à blanc, et nous replonge un court moment dans les obscurs mystères du conte. Mais peu importe, comme avec Pietragalla  (plus audacieuse à tout prendre) presque tout le monde est content. Pas moi, non par tant par snobisme que parceque sans doute m'ennuient les histoires trop évidentes.

    C'était Blanche Neige d'Angelin Preljocaj au Theâtre National de Chaillot.

    Guy

    photo de JC Carbonne avec l'aimable autorisation du théatre de Chaillot

     

  • Elle et le vide

    Mon ami François a vu barbara Fuchs, il m'écrit:

    Organisation du temps et de l'espace ? La trame des post-it, évidente, pour l'espace ; l'organisation du temps suggérée par la voix-off qui au début égrène les nombres comme une horloge scande les secondes et les minutes, et ensuite lit les messages des post-it, supports de souvenirs, repères du passé et de l'avenir.

    Barbara-fuchs-(10)WEB.jpg

    Sortir de la trame imposée ? Le quadrillage impose ses repères orthonormés, des règles pour les déplacements mais la danseuse y crée un trou, une aberration dans le bel ordonnancement géométrique, où son mouvement sera peu à peu plus libre. Elle se retire même hors de la matrice pendant un moment mais pour y rencontrer un autre obstacle, le mur, vertical celui-là. Une zone libérée au sein de la trame sera le point de départ d'un mouvement devenu horizontal, moins heurté, créé par un corps devenu nu, plus malléable, plus courbe, ignorant les post-its auparavant repoussoirs.

    Identité ? Virtuel ? Qui est cette femme devant nous ?  Barbara, un personnage robotisé au regard d'un bleu lointain, un body-builder, un personnage aux multiples parures, une femme soumise au cycle menstruel, un être asexué au corps contorsionné comme dans un tableau de Bacon, une créature animale à l'enveloppe-jupe se muant en une infinité de formes ?

    Les éléments naturels ? Le vent, l'eau des rivières , le piaillement des oiseaux que l'on imagine dans une campagne idéale n'ont pas disparu. Peut-être qu'un souvenir finalement. Peut-être un ailleurs. Peut-être là vraiment. Peut-être une perturbation.

    François

    Je dirais aussi: ....Au sol mille cinq cent post-it, inévitablement pour se souvenir de quelque chose, mais de quoi au juste? De consignes inutiles, de résolutions oubliables... Elle me semble régressive, en dérive d'identitée, caractères sexuels effacés, remplacés par des signes muets. Elle effacée jusqu'à une enfance incertaine, à tenir sa jupe et marcher en évitant de à chaque pas de marcher sur ces post-it.,  A terre elle dessine un espace vierge, dans une mémoire trouée. ne subsiste que le corps dépouillé, qui joue à cache cache avec la nudité. Cette danse est assez oppressante et honnête. Où est elle enfermée? 

    C'était It de Barbara Fuchs au Colombier dans le cadre du festival "Jamai(s) vu!

    Le festival continue mardi et mercredi avec Julien Monty et Michael Pomero au Colombier à Bagnolet (reservations 01 43 60 72 81) 

    Guy 

  • Pina c'est moi

    Pina es tu là? C'est Viviana Moin qui vend la mèche: hantée dans sa loge par d'intimidants revenants, de Fellini au Che- mais de Pina point. Ces fantômes la distraient d'enfiler sa belle robe style Pina à temps et nous épargnent un hommage trop convenu.

     

    Pina.jpg

    C'est que les trente artistes ou plus qui viennent ici évoquer Pina Bausch, finissent par parler surtout d'eux. C'est normal, c'est tant mieux. Le deuil rassemble. Fait aller de l'avant. C'est à cela que servent les enterrements. Que les biens vivants puissent se partager les dépouilles des disparus, leurs images, leurs rêves, leurs trésors et leurs idées. Fouiller les placards pour en ressortir beaux souvenirs et costumes inattendus, s'en parer, tous se retrouver, pleurer un coup et finir en fous rires. Pour commencer avec Kataline Patkaï emplumée, qui me fait franchement rire pour la première fois. Julien Lacroix teinte l'humour vers le noir, laisse au crabe le dernier mot. Guesch Patti en fait fort et peu, ne chante pas. Chacun est d'abord fidèle à lui-même. Andrea Sitter valse avec la pudeur et le ridicule, et l'enjouement feint. Marie Jo Faggiannelli danse avec ses fleurs. Yves Noël Genod fait semblant d'improviser, et parle d'Yves Noël Genod. Thomas Lebrun est digne, superbe et hilarant. L'allusion en reste au jeu de mots, avec Gaël Depauw qui gouaille et tient des pines. Adrien Béal souligne ironiquement la fuite des souvenirs. D'autres artistes, plus visuellement, parfois gravement, dessinent le modèle d'un seul trait: un geste délié, le port altier d'une robe...un sceau d'eau renversé... Les exercices, hétéroclites, s'enchaînent sans se contredire ni se heurter. L'effet est moins crispé que celui produits par arrêts sur images que proposait Boris Charmatz pour évoquer Cunningham. Les minutes tombent à plat parfois, sans porter à conséquence: au suivant ! Mais ces quatre minutes pour chacun suffisent pour nous entraîner dans une vision, souvent. On oublie les noms, on confond joyeusement, tout cela finit  par former le portrait chinois, brouillon et vivant, non de madame P.B. mais d'une génération qui ne renie pas ses influences et cet héritage particulier. Et se transformer en un hommage mérité au travail et à la programmation de José Alfarroba, initiateur de la soirée et patron d'Artdanthé. Ici il y a encore 2/3 ans il n'y avait pas foule, ce soir on ne pourrait plus mettre un œuf. Le deuil est passé, c'est des artistes vivants, de l'avenir, dont on se soucie maintenant. Parmi tous ceux qui ensemble reviennent saluer, un beau bébé essaie d'ouvrir les yeux.

    C'était PINA B. vue par... [Montre-moi (ta) Pina] avec Nabih Amaraoui & Matthieu Burner / Adrien Béal / Lucie Berelowitsch / Jeanne Candel / Josselin Carré / Cédric Charron & Annabelle Chambon / Raphaël Cottin / Herman Diephuis / Marie-Jo Faggiannelli / Geisha Fontaine & Pierre Cottreau / Ami Garmon / Mr X & Mr J / Marta Izquierdo-Muñoz / Thomas Lebrun / Leonard & Jeroen / Kataline Patkaï / Clément Layes & Jasna Layes-Vinovrsky / Yves-Noël Genod / Waldemar Kretchkowsky / Fabrice Lambert / Julien Lacroix / Mylène Lauzon / Viviana Moin / Thomas Quillardet / Ellen Rijk / Gaël Sesboué / Andréa Sitter / Arpad Schilling / Collectif TV, Isabelle Catalan, Guesh Patti, ... au théatre de Vanves , en ouverture du festival Artdanthé.

    Guy

    Photo de Jerome Delatour

    lire aussi Images de danse